Pour en finir vraiment avec le racisme

27/11/2020

À l’occasion de la sortie du livre Racismes de France, aux éditions La Découverte, un collectif de chercheurs et de journalistes questionne ses différentes manifestations en France, ainsi que son imbrication avec le système capitaliste, et les perspectives de luttes à mener face à ce poison

La question du racisme fait continuellement débat en France, souvent associée avec celle, désormais brûlante, de la police, et avec celle de l’application du principe de laïcité dans l’espace public. L’ouvrage collectif « Racismes de France », paru aux éditions La Découverte, revient sur la question, en montrant pourquoi le pluriel est de rigueur dès lors que l’on parle de racisme, ainsi que son imbrication avec le système capitaliste, ou les perspectives de luttes à mener face à ce poison.

Le pluriel s’impose en effet, en raison des oppressions spécifiques qui suscitent le racisme (islamophobie, antisémitisme, négrophobie, racisme anti-asiatique ou anti-tsiganisme), des institutions où il s’exprime (police, justice, éducation, santé, travail, médias, sport), mais aussi des réponses apportées (antiracisme « moral », ou antiracisme « politique »). C’est le fil conducteur de cet ouvrage collectif, sous la direction d’Olivier Le Cour Grandmaison et d’Omar Slaouti, avec des co-auteurs tels que Nacira Guénif-Souilamas, Mame-Fatou Niang, Dominique Vidal, Saïd Bouamama, Françoise Vergès ou encore Philippe Marlière.

Imbrication classe, race, genre

Pour l’anthropologue Nacira Guénif-Souilamas, « la race sert à ordonner, à hiérarchiser le monde » et il s’agit d’une question politique, car liée à l’État et les institutions. Le déni porté par l’antiracisme « moral », à ses yeux, est symptomatique de l’aveuglement à ce sujet. Les associations symbolisant ce courant de l’antiracisme, comme SOS Racisme par exemple, sont liées à l’État ou aux partis politiques (comme le PS dans ce cas d’école qu’est SOS Racisme). De même que la surmortalité en Seine-Saint-Denis au printemps dernier, du fait du Covid-19, lui sert pour illustrer la prédominance de la race en matière d’inégalités, contrairement à l’analyse marxiste dominante, accordant la primauté aux causalités sociales. 

Mais vouloir opposer la classe sociale et la race n’est guère productif, car ces rapports de domination s’imbriquent dans le cadre du capitalisme. Et d’autres rapports de domination (sexisme, écologie) y sont également associés, comme le souligne la philosophe Hourya Benthouami, défendant le concept d’intersectionnalité, qui souligne le croisement de plusieurs luttes lié au croisement de plusieurs inégalités, comme par exemple un accroissement des discriminations dans l’accès au travail, au logement, à l’école, à la santé en tant que femme afro-descendante « dans un foyer monoparental résidant dans un quartier populaire ». Ce genre de situation est le produit de politiques générales aux effets forts différents selon les groupes ou individus. Ce qui permet à Benthouami de penser que les marges sont au centre, et forment ainsi une dimension que l’universalisme abstrait refuse de regarder en face. Dans ce genre de lutte, au départ spécifique, la question des alliés se pose. Une notion que le sociologue Saïd Bouamama définit comme des personnes agissant dans une communauté de destin contre un système de domination globale, et comme soutien face à des personnes subissant « des oppressions spécifiques ».

Laïcité, réparations, statistiques : des outils au service de l’égalité

Si l’aspiration est à l’égalité réelle, matérielle, encore faut-il avoir des outils pour y parvenir, ou récupérer ceux-ci après une utilisation dévoyée. C’est le cas de la laïcité, selon le politologue Philippe Marlière, qui estime que la laïcité, telle qu’elle est élaborée par la loi de 1905, a évolué vers une « catho-laïcité », où la droite et l’extrême-droite, ainsi qu’une partie de la gauche, forment une union sacrée de paternalistes envers les minorités culturelles ou cultuelles, tout particulièrement les musulmans. Pour Marlière, une égalité à base d’interdiction, comme celle des signes religieux à travers la loi de 2004, au nom de l’universalisme républicain, est source d’exclusion, d’inégalité. A ses yeux, seule une acceptation du multiculturalisme serait source d’égalité véritable.

En dehors de la laïcité, la question des réparations pourrait, selon Magali Bessone, professeur de philosophie politique à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, servir à atteindre l’égalité. Ces réparations par rapport à l’esclavage, ou à la colonisation, qu’elles passent par des excuses, des travaux de recherche, ou une transmission de savoir, devraient être envisagées comme une demande de justice sociale, permettant une transformation des structures politiques, économiques, judiciaires, face à une inégalité inscrite dans le temps.

Enfin, l’utilisation des statistiques ethniques, sujettes à de vives controverses, pourrait servir à mener des politiques égalitaires dans la mesure où, selon le démographe Patrick Simon, les données permettent de « rendre visible l’invisible », à savoir les désavantages des uns, et les avantages des autres, en vue de lutter contre le racisme structurel, l’absence de statistiques délégitimant, à ses yeux, les critiques faites aux discriminations systémiques.

Jonathan Baudoin

Racismes de France, collectif sous la direction d’Omar Slaouti et d’Oliver Le Cour Grandmaison, La Découverte, 368 pages, 22 euros

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2 Commentaire(s)

  1. Très bon article sur le racisme.

    C’est pour moi l’occasion de dire la pertinence de cette théorie de l’intersectionnalité. Pile poil !

    Sur le plan théorique ça recoupe quasi exactement la théorie des rapports sociaux et de l’acteur, avec ses quatre pieds : 1) l’acteur, toujours un collectif même si non physiquement proches ; 2) l’enjeu, en principe 1 enjeu ou type d’enjeux, par rapport social ; 3) des marges de manoeuvre ou forces productives ; 4) une ou des stratégies visant à résoudre les enjeux en usant ou construisant des marges de manoeuvre.

    Sur un même « sujet » (individu) pèse quasi toujours mille enjeux à la fois, cad qu’un même sujet peut être engagé sur 1000 (j’exagère) rapports sociaux en même temps (intersection donc). Ce sont ces rapports sociaux qui construisent le sujet, alors qu’intuitivement, on pense que c’est l’inverse.

    Par exemple, je peux être, en même temps
    1) dans un rapport social d’infériorité avec mon employeur lorsque j’ai mal fait mon travail.
    2) en rapport social de supériorité avec ce même employeur si c’est aussi mon voisin de lotissement et que la fumée de ma cheminée le gêne quand je la mets en route.
    3) quand je me promène en ville en pleine chaleur et que j’ai envie de me dévêtir mais n’ose pas le faire, je suis en rapport social avec la population présente, certes pour l’instant indifférente à ma pomme, mais qui va me regarder de travers si j’osais me dévêtir (si on était 50 à vouloir se dévêtir, ça pourrait le faire, car on serait un acteur fort)
    etc ….
    Toute la journée, le « sujet » est une intersection, un carrefour de rapports sociaux (rapports adversifs).

    Ceci étant dit, la question du marxisme ne peut, dans un premier temps, effectivement pas prétendre résoudre directement les questions de racisme, d’employeur, de genre, d’écologie, de religion, car le marxisme est centré avant tout sur une lutte bien précise, la lutte des classes. Mais dire que le marxisme ne s’intéresse pas à l’écologie, à la question des femmes, à la question des races, des religions, c’est allé trop loin (voir les textes marxistes fondateurs sur toutes ces questions). Seulement voilà, le marxiste ne peut être qu’une force d’appoint dans un premier temps. Dans un deuxième temps, il prétend résoudre tous ces problèmes (intersectionnels pour certaine personnes) après la prise de pouvoir sur l’Etat. mais voilà ….

    … le gros problème, et là je me répète, c’est que de nombreux prolétaires (sans lesquels le travail des intellectuels ne peut rien dans l’organisation de la lutte des classes) ont déserté le PCF et sont au Rassemblement National, et sont donc du mauvais côté dans les luttes sociétales. Que Faire ? Le PC fait entre 2 et 4 % des voix aux élections; les prolétaires sont ailleurs.

    Je prends le risque de dire qu’il faudra essayer de comprendre pourquoi de nombreux prolétaires sont contre les émigrés, contre LGBT. Tout simplement parce qu’eux aussi sont dans l’intersectionnalité, cad qu’ils considèrent que le maigre capital qu’il possède est mis en danger par les nouvelles moeurs et par l’émigration. Et que pour eux ce maigre capital prime sur les questions de libération de classe !

    Mais de quel capital parlé-je ? là est la question. Il s’agit tout simplement du capital que seul Bourdieu a vraiment travaillé : le capital culturel et non pas financier; la dernière chose qui leur reste à ces prolétaires c’est la connaissance et la maitrise des moeurs et des « manières », en France ; dont les moeurs sexuels (percuté par LGBT), et les « manières » sociales (percutées par les nouvelles religions). Ce capital culturel est menacé par les recompositions sociales, recomposition que la bourgeoisie peut utiliser pour montrer son ouverture d’esprit, car la bourgeoisie elle, dispose d’autres capitaux, culturels et financiers. Toutes ces nouvelles moeurs et manières, les prolos n’en veulent pas, car leur common décency ne voudrait bientôt plus rien sur le marché des moeurs; ils ont peur de devenir les derniers des derniers.

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