Pendant quinze jours, j’ai participé à l’«occupation» du Théâtre du Merlan, une des deux salles du ZEF, Scène Nationale située dans les quartiers nord de Marseille.
Depuis le 4 mars 2021, des travailleurs du spectacle, de la restauration, de l’hôtellerie, de l’événementiel et du tourisme occupent le Théâtre de l’Odéon à Paris.
Alexandre Charlet est acteur
Quelles sont les revendications des occupants du théâtre de l’Odéon ?
Ils exigent principalement :
– Le retrait de la réforme de l’assurance-chômage dont un décret d’application publié le 31 mars doit entrer en vigueur au premier juillet 2021 et engendrer la baisse des allocations chômages de plus d’un million de personnes, dans un contexte ou la privation d’emploi est accrue par les décisions politiques en réponse à la situation sanitaire et alors même que moins d’un chômeur sur deux est actuellement indemnisé.
– La prolongation de l’« année blanche » obtenue par les intermittents du spectacle lors du premier confinement, qui consiste en une prolongation de leurs droits à l’assurance-chômage, mais qui prend fin le 31 août 2021 (alors que peu ont pu retravailler depuis et presque personne autant qu’en temps normal) ainsi que son élargissement à tous les travailleurs précaires.
– Une baisse du seuil d’accès à l’indemnisation chômage pour les primo-entrants ou intermittents en rupture de droits qui n’ont donc même pas bénéficié d’une première « année blanche ».
– La garantie de tous les droits sociaux, notamment les congés maternité et maladie pour les salariés à l’emploi discontinu et les artistes auteurs.
– Un plan massif de soutien à l’emploi et de reprise de l’activité.
– Un plan d’action d’urgence pour les étudiants, qu’ils puissent faire face à la précarité.
Dans le sillage de cette occupation, ce sont près de 100 lieux qui sont maintenant occupés à travers la France.
Comment s’organisent les occupations de lieux culturels ?
Au ZEF, à Marseille, très vite rebaptisé « Zone Essentielle de Fraternité », c’est l’effervescence. Principalement des travailleurs du spectacle et de l’audiovisuel, mais aussi des précaires d’autres secteurs d’activités, des Gilets Jaunes, tous réunis par l’évidence d’un désir de briser nos solitudes, de revivre, de partager, de mettre en commun, d’oublier, de se retrouver, de se libérer, de chanter, de danser, de jouer à nouveau. Et de lutter ensemble.
Des assemblées générales quotidiennes, des commissions, des ateliers… avec d’emblée la conscience qu’il va falloir tenir dans la durée, plusieurs semaines et peut-être même plusieurs mois. Monter en puissance aussi. Le Théâtre est devenu un foyer et un lieu d’organisation. Un air de Nuit debout et de ronds-points occupés, le chauffage et le toit en plus.
Les inquiétudes au sujet des droits aux indemnités chômage, d’un éventuel passeport vaccinal, la certitude que nous ne pourrons pas tous retravailler immédiatement dès que les lieux rouvriront se mêlent à un désir d’exiger plus encore, peut-être même d’aller jusqu’à la réappropriation collective des moyens de création en délégitimant les directions nommées à la tête des établissements culturels. Prendre enfin collectivement le pouvoir, la maîtrise de nos outils de travail, ne pas les rendre.
En tout cas, une détermination partagée: celle de ne pas laisser les lieux rouvrir sans la satisfaction de nos revendications. De s’engager s’il le fallait dans un blocage, pour empêcher ces réouvertures, même au risque de n’être plus soutenus par la majorité.
Ici, on a décidé d’enfourcher le Merlan, en référence aux propos d’Emmanuel Macron, qui dans son adresse au monde de la culture le 6 mai 2020, lançait « on doit en quelque sorte enfourcher le tigre » et « inventer un autre rapport avec le public ». Il disait alors que nous n’aurions pratiquement même pas besoin de cette première « année blanche » qu’il nous concédait, grâce aux nombreux « projets » qui seraient déployés dès l’été pour permettre de créer partout où cela serait possible. Il n’en a malheureusement rien été, et nous n’avons pas beaucoup travaillé pendant cette année écoulée.
Tous les jours, de nombreux soutiens, syndicaux, politiques (jusqu’au maire de Marseille), d’autres travailleurs en lutte, des associations du quartier, se sont manifestés en venant au ZEF, apportant à manger ou leur soutien d’une manière ou d’une autre.
Puis une première « action » a été décidée pour aller à la rencontre nos concitoyens et les informer de nos revendications et des effets qu’aura potentiellement pour eux et leurs proches l’application de la réforme de l’assurance-chômage. Rendez-vous a donc été donné pour tracter sur une place de marché populaire un vendredi matin, et éventuellement ensuite se rendre dans deux Pôle emploi pour là aussi informer les usagers. Mais à peine arrivés sur place, nos identités ont été contrôlées par la police (4 véhicules et 10 policiers dont un habilité LBD ont été envoyés pour nous faire obstacle) et notre banderole, que nous n’avons même pas eu le temps de déployer a été détruite. Après de longues parlementations, nous avons été autorisés à tracter par petits groupes.
Le message est clair : tant que nous restons dans les théâtres, nous n’inquiétons personne. Et si nous sortons, on nous a à l’œil.
Manifester le 1er mai, c’est augmenter la pression sur le gouvernement
Le samedi 3 avril, une manifestation de Gilets jaunes devait arriver devant le Théâtre de l’Odéon à Paris. Résultat : la place a été bouclée par un déploiement massif de gendarmes et de policiers et tout rassemblement interdit.
Evidemment, la possibilité d’une « convergence des luttes » et de nouvelles manifestations massives et déterminées font peur au gouvernement. Plus les connexions se feront, en dehors des lieux occupés, comme c’est progressivement le cas avec des collectifs de Gilets jaunes, des associations des quartiers populaires, d’autres secteurs dont les travailleurs sont privés de la possibilité de travailler et donc en colère, plus nous augmenterons le rapport de force engagé.
Et alors, nous pourrons peut-être passer l’offensive, et en plus des droits revendiqués, en conquérir de nouveaux ou en tout cas ouvrir dans les esprits la voie de ces conquêtes, comme le salaire à la qualification personnelle, détaché du marché de l’emploi et des postes occupés selon les hiérarchies et valeurs du système capitaliste, ou pour le dire autrement, une véritable sécurité sociale professionnelle qui puisse constituer une garantie économique générale grâce à une rémunération à vie pour toutes et tous.
Pour cela, il va falloir sérieusement augmenter la pression sur le gouvernement et être beaucoup plus nombreux.
Quel meilleur rendez-vous que celui proposé par Jérôme Rodriguez le 28 mars dernier devant le Théâtre de l’Odéon (« Quel que soit le métier, quelle que soit la personne, quel que soit l’âge de la personne, d’où qu’elle vienne, on veut tous la même chose. On veut exactement tous la même chose. On veut un petit peu de bonheur, un petit peu de joie de vivre, on veut pouvoir travailler et pouvoir gagner le salaire qui va en fonction de notre travail et faire en sorte que ce salaire nous emmène jusqu’à la fin du mois. C’est ça le message des Gilets jaunes. »). Le 1er mai 2021, laissons tomber les étiquettes et reprenons les Champs-Elysées pour renverser ce système dont plus personne ne veut ! Unissons nos colères !
Oseront-ils mutiler des artistes marchant vers l’Elysée ou les préfectures partout en France?
Nous ne voulons pas réparer et remettre en marche la machine à broyer le vivant.
Nous voulons vivre enfin.
Alexandre CHARLET, acteur
Oseront-ils mutiler des artistes marchant vers l’Elysée ou les préfectures partout en France? oui sans aucun doute, on assiste à la perte des acquis sociaux. J’espère qu’Alexandre Charlet et d’autres intermittents parviendront à s’organiser pour ne pas perdre un membre. La rue n’est pas le bon lieu peut-être?