« Le quinquennat Macron 2, ça va être Macron 1 en pire » par Éric Berr

27/05/2022

Membre des économistes atterrés, et auteur de « L’Intégrisme économique », Éric Berr, évoque pour QG la feuille de route du prochain quinquennat d’Emmanuel Macron. Casse sociale tous azimuts dans les services publics et passage en force, la période sera très difficile, à moins que la NUPES ne viennent perturber le cours de l’histoire

Une femme Première ministre, ce n’était pas arrivé depuis Édith Cresson, il y a 30 ans. Mais derrière cette nomination à Matignon le 16 mai, présentée par certains médias mainstream comme une ouverture à gauche, c’est la continuité d’une politique néolibérale brutale qui se profile, celle à laquelle Borne s’est employée quand elle fut ministre des Transports, de la Transition écologique ou du Travail, comme le rappelle l’économiste Éric Berr, auteur de « L’Intégrisme économique » (LLL), pour qui il ne faut pas se faire d’illusions sur la feuille de route du prochain quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de casse du service public. A moins que la NUPES ne viennent perturber le cours de l’histoire, bien sûr. Interview par Jonathan Baudoin

Éric Berr est économiste, maître de conférences à l’Université de Bordeaux, membre du collectif les Économistes Atterrés

QG : Qu’est-ce que vous inspire la nomination d’Élisabeth Borne au poste de Première ministre ? 

Eric Berr : Au-delà du fait que ce soit une femme, ce qui est très rare dans notre pays, cela ne m’inspire rien. Macron tente un coup pour redorer son image, pour essayer de de retrouver une aura progressiste. Mais si on regarde le bilan d’Elisabeth Borne tant au ministère des Transports qu’à celui de la Transition écologique ou du Travail, ce bilan est très maigre et très droitier.

QG : Certains observateurs affirment que, de par son parcours, Borne peut être « classée à gauche ». Au regard de ses expériences ministérielles, notamment au ministère du Travail, avec la réforme de l’assurance-chômage, comment classer selon vous la nouvelle locataire de Matignon ? 

Au niveau des faits, elle a travaillé auprès de Ségolène Royal quand cette dernière était ministre. Par conséquent, elle a travaillé au sein d’un gouvernement PS à la sauce Hollande, qui n’avait déjà plus rien d’un parti de gauche, celui-ci menant,, économiquement parlant, une politique de droite assez classique. Etant un pilier des gouvernements Philippe puis Castex, j’ai du mal à classer Élisabeth Borne ailleurs qu’à droite maintenant.

Rappelons quand même comment s’est constitué En Marche en 2017. Ce mouvement a principalement rassemblé des « seconds couteaux » qui n’avaient pas percé au PS, ni à l’UMP – devenue Les Républicains – et qui sont partis chez Emmanuel Macron, espérant avoir un meilleur sort. Cela a été judicieux, électoralement, mais au final, en termes de politique économique, on a un quinquennat très néolibéral dans tout ce qu’il y a de plus antisocial dans ce qualificatif. Les faits montrent qu’Elisabeth Borne a participé de manière très active et avec zèle à la mise en place de politiques néolibérales qui ont frappé les plus faibles.

QG : Bruno Le Maire est donc resté ministre de l’Économie et des Finances dans le gouvernement Borne. Quel signe cela evoie-t-il? 

N’oublions pas que Bruno Le Maire fut l’un des plus ardents promoteurs de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Il n’a cessé de répéter que la politique du « quoi qu’il en coûte » n’allait pas durer éternellement, qu’il allait falloir payer, raison pour laquelle il fallait absolument engager la réforme des retraites. Il reconnaît donc que la réforme des retraites d’Emmanuel Macron n’a qu’un but, celui de réduire les dépenses publiques, donc de réduire le niveau moyen des pensions de retraite. Le Maire n’a d’ailleurs pas exclu le recours au 49-3.

Par conséquent, ça va être un approfondissement de ce qui est fait. Il me paraît très clair que le quinquennat Macron 2, ça va être Macron 1 en pire… s’il obtient la majorité à l’Assemblée nationale, bien sûr.

« Vous réduisez les dépenses, stratégie maintes fois éprouvée, c’est-à-dire que vous organisez le sous-financement des services publics. Puis quand ils sont suffisamment détériorés vous dites : « Il faut faire place à la privatisation« 

QG : L’hôpital public est au bord de l’implosion, de nombreux services d’urgence sont déjà très dégradés, est-ce clairement le bilan des politiques mises en place en France depuis plus de 20 ans, voire plus de 30 ans, et aujourd’hui aggravées par l’extrême-centre ? 

Oui. C’est toujours là même chose, à savoir la logique néolibérale, où vous raisonnez uniquement en termes de rentabilité économique et de compétition. Vous réduisez les dépenses, stratégie maintes fois éprouvée, c’est-à-dire que vous organisez le sous-financement des services publics. Puis quand ils sont suffisamment détériorés, qu’ils ne fonctionnent plus ou plus de manière efficace, vous dites : « Il faut faire place à la privatisation, il faut impliquer plus le privé parce que vous voyez bien que le service public, ça ne marche pas« . C’est toujours la même chose. Comme vous le savez, un service public n’a pas à être géré comme une entreprise privée. C’est pourtant ce qu’on a fait avec l’hôpital, mais aussi auparavant avec la Poste, c’est ce qu’on a fait avec EDF ou maintenant avec la SNCF. C’est ce que le premier quinquennat de Macron a commencé à faire avec l’éducation nationale, et qu’il entend approfondir lors de son second quinquennat. Mais un véritable service public doit être financé par la collectivité parce que sont des services auxquels tout le monde doit pouvoir avoir accès. Là, on est sur de la gestion à la petite semaine qui nous conduit, dans le cas de l’hôpital, à supprimer des lits d’hôpitaux en pleine pandémie, ce qui est totalement aberrant. C’est la logique de ce système néolibéral qui est la cause de ça. Cela a commencé sous Jacques Chirac, puis a été accentué sous Nicolas Sarkozy. François Hollande n’a pas contesté cette logique. Mais il faut reconnaître qu’avec Macron, nous sommes passé à la vitesse supérieure.

QG : Un événement interpelle, la mortalité infantile est en train de remonter en France. Ce signe est souvent considéré comme le symptôme imminent d’un effondrement social, ce fut le cas notamment en ex-URSS. Qu’indique-t-il sur la situation française ? 

Il indique, déjà, que notre système de santé se détériore, à tel point que certains considèrent que nous sommes au bord de l’implosion. Mais cette mortalité infantile est aussi liée à des situations de pauvreté. La détérioration du système de santé, combinée à l’accroissement des inégalités et à la précarisation d’une part croissante de la population fait que celle-ci ne peut plus se soigner correctement.

Après, la situation française est difficilement comparable avec celle de l’Union soviétique. J’espère que nous ne connaitrons pas le même sort, mais ne nous voilons pas la face, la situation est extrêmement préoccupante. Il y a une urgence extrême à se pencher sur l’état de nos services publics, notamment notre système de santé, sans oublier notre système éducatif qui a été mis bien à mal par Emmanuel Macron. Maltraiter notre jeunesse, c’est hypothéquer notre avenir, avec de nombreux effets cumulatifs (perte de compétences, de savoir-faire, capacité à innover réduite, etc.). Pour sortir de cette ornière, il est impératif de rompre avec la logique comptable et court-termiste qui prévaut aujourd’hui.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Éric Berr est économiste, maître de conférences à l’Université de Bordeaux, membre du collectif les Économistes Atterrés. Il est l’auteur de livres tels La dette publique, Précis d’économie citoyenne (avec Léo Charles, Arthur Jatteau, Jonathan Marie et Alban Pellegris, éditions du Seuil, 2021) ; Macroéconomie (Dunod, 2019) ; L’économie post-keynésienne (avec Virginie Monvoisin, éditions du Seuil, 2018) ; L’intégrisme économique (Les liens qui libèrent, 2017)

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1 Commentaire(s)

  1. la vigilance est de mise,!!
    , mais je doute fort que nous puissions sortir de cette orniére (‘orn,)HIER’ ,,puisque voilà bien des années de catastrophe anticipée,, sans réaction,, , de cécité et de rammolissement des esprits,, …
    ……. que sommes nous devenus ,?
    peut etre des pantins tristement abrutis par une vaste Vacuité ,,( celle qui ne se nourrit que des basses besognes du quotidien et de ‘bien poli’ pour ne pas nuir à ses voisins, ses amis, sa famille ……
    ou à soi méme ,hélas d’ailleurs,,

    et malgré tous les échos, les partages ,les interviews, et les rencontres multiples possibles il semble que nous avancions toujours dans un lourd désert ……………;;

    Ensablés ????
    …………;
    sur la route des prochaines élections ,toute voie nouvelle peut s’ouvrir ,, et il n’y sera là que de ce PAS à PAS peut etre pourrons sortir de cet enlisement ,,
    belle route,,à tous,, dameB

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