Inflation: les manifestations se multiplient à travers le monde

15/07/2022

Sri Lanka, Equateur, Panama, Sierra Leone, Haïti, Bangladesh: les mouvements sociaux se multiplient dans le monde ces dernières semaines face à la flambée des prix du carburant et des denrées alimentaires. L’ONU s’attend à des troubles généralisés si les gouvernements ne prennent pas des mesures décisives et radicales. Tour d’horizon mondial par Luc Auffret pour QG

Soulèvement au Sri Lanka, émeutes de la faim en Sierra Leone, grève générale en Equateur et au Panama, Parlement incendié en Libye et manifestations dans de nombreux pays, le monde connaît depuis plusieurs semaines une intensification des mouvements sociaux face aux difficultés économiques et à la détérioration des conditions de vie.

Allianz, l’un des plus gros assureurs mondial à d’ores et déjà appelé les entreprises à se préparer à une multiplication des manifestations et troubles sociaux à travers le monde en raison de la hausse du coût de la vie due à l’inflation et la perturbation des chaînes d’approvisionnement. 

De son côté l’entreprise financière Verisk, spécialisée dans la gestion du risque pour les compagnies d’assurances prévoit elle aussi une multiplication des manifestations à travers le monde liée en grande partie à l’insécurité alimentaire croissante. Selon ses projections de l’indice des troubles civils, 75 pays connaîtront probablement une augmentation des manifestations d’ici la fin de l’année 2022.

QG a recensé la longue liste des mobilisations sociales ayant eu lieu ces dernières semaines à travers le monde. Les voici :

En Sierra Leone, des émeutes de la faim meurtrières ont frappé le pays le 10 août. Les manifestations contre le coût élevé de la vie et les difficultés économiques sont devenues violentes dans plusieurs villes de ce pays d’Afrique de l’Ouest, en particulier à Freetown la capitale. En réaction, le gouvernement a imposé un couvre-feu à l’échelle nationale en plus de couper l’accès à internet.

Le Royaume-Uni est touché depuis le début de l’été par une une multiplication des mouvements de grève dans plusieurs secteurs face à l’inflation qui a dépassé la barre des 10%. Le plus grand port de fret du Royaume-Uni est touché depuis dimanche 21 août par une grève majeure de huit jours avec 1900 des 2500 salariés ayant arrêté le travail. Du côté des ménages, le mouvement « Don’t Pay UK » appelle les britanniques à ne plus payer leurs factures d’électricité à partir d’octobre alors que ces dernières pourraient augmenter de 80% par rapport à juin. La campagne qui a pour ambition de réunir un million de personnes rassemble à ce jour plus de 113.000 personnes. Plusieurs milliers de personnes ont manifesté le samedi 18 juin dans le centre de Londres contre la crise du coût de la vie. Des manifestations ont eu lieu le même jour à Dublin et dans plusieurs villes d’Irlande pour ces mêmes raisons. Le lundi 4 juillet, le pont Severn, reliant l’Angleterre au Pays de Galles, a également été bloqué par une opération escargot d’automobilistes protestant contre la flambée du prix du carburant.

Au Pakistan, l’explosion du prix des factures d’électricité en raison d’énormes taxes a provoqué des manifestations et blocages de routes le 22 et 23 août. Les manifestants ont brûlé leurs factures d’électricité à Lahore et dans différentes villes du pays. Face à la colère de la population, le Premier Ministre a annoncé le mardi 23 août la suppression d’une importante taxe pour des millions de consommateurs. Le Pakistan est en proie à une importante pénurie d’électricité. Les habitants vivent au rythme de longues coupures de courant quotidiennes pouvant aller jusqu’à 12 heures par jour.

Au Bangladesh, des manifestations ont lieu depuis près d’un mois contre la hausse des prix du carburant, du coût de la vie et les coupures d’électricité quotidiennes alors que le pays est lui aussi en proie à une pénurie d’électricité l’obligeant à réduire les heures d’école et de travail et de couper le courant plusieurs heures par jour. Les manifestations organisées par le BNP, principal parti d’opposition du Bangladesh, prennent de l’ampleur depuis plusieurs jours. D’importantes manifestations ont lieu chaque jour depuis lundi 22 août à travers le pays.

Le Sri Lanka a connu le samedi 9 juillet, un soulèvement, obligeant le Président et le Premier Ministre à démissionner après des mois de manifestations. La résidence du Président, ainsi que son secrétariat ont été envahis, tandis que la résidence privée du Premier Ministre a elle été incendiée. Le pays fait face à sa pire crise économique depuis son indépendance provoquant d’importantes pénuries de denrées alimentaires, de pétrole et médicaments, sans parler de coupures de courant quotidiennes et d’une inflation galopante.

Plus d’un mois après le soulèvement, le Sri Lanka fait face à une reprise timide des manifestations contre les difficultés économiques et le nouveau Président élu par le Parlement qui n’est autre que l’ancien Premier Ministre du Président démissionnaire. Cette affaiblissement du mouvement de protestation s’explique par la répression féroce qui s’est abattue contre les manifestants ayant participé au soulèvement. Après l’état d’urgence, le gouvernement sri-lankais recours désormais à une loi antiterroriste draconienne pour arrêter et incarcérer les militants politiques et figures des manifestations mais plus largement pour étouffer toutes voix dissidentes.

En Haïti, des manifestations très suivies ont eu lieu lundi 22 août à Port-Au-Prince et plusieurs grandes villes de provinces contre la vie chère (avec une inflation de 29%), la criminalité endémique, la pénurie de carburant ainsi que pour demander la démission du Premier Ministre.

Madagascar, une manifestation spontanée a éclaté le 3 août dans le quartier d’Itaosy contre les longues coupures de courant mais plus largement pour exprimer un ras-le-bol face à la hausse des prix, notamment l’essence, les transports et les denrées alimentaires. Le samedi 23 juillet, une rare manifestation s’est également tenue à Antananarivo la capitale contre la hausse des prix. Deux leaders du principal parti de l’opposition ont été interpellés par la police qui avait déployé un important dispositif policier près du centre-ville.

En Inde, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays le vendredi 5 août à l’appel du Congrès national indien, un des principaux partis politiques indien pour protester contre la hausse des prix et le chômage. Au total, 335 manifestants, dont 65 députés, ont été arrêtés selon l’agence de presse ANI citant la police de Delhi.

En Argentine des milliers de personnes ont manifesté le dimanche 9 juillet dans tout le pays à l’occasion de la Fête de l’Indépendance pour protester contre l’inflation et l’accord entre le gouvernement et le FMI pour rembourser la dette de 45 milliards de dollars du pays. Des manifestations contre la flambée du coût de la vie se sont également déroulées à Buenos-Aires le 15 et 28 juillet ainsi que le 17 août rassemblant à chaque fois des milliers voire des dizaines de milliers de personnes. La hausse des prix en Argentine est l’une des plus élevées au monde avec une inflation annuelle de 71% en juillet et qui devrait continuer d’augmenter pour dépasser les 90% avant la fin de l’année 2022.

Le Panama a connu en juillet un mouvement de grève générale contre la vie chère et la corruption entraînant des pénuries dans la capitale et plusieurs provinces. Après plus de trois semaines de manifestations et de blocages sur la principale route du pays, le gouvernement a finalement cédé et annoncé une réduction de 30% du prix du panier alimentaire de base en contrôlant le prix de 72 produits. Le Président avait annoncé après une semaine de grève, une baisse du prix du carburant dans une tentative ratée de mettre fin au mouvement de protestation.

Toujours en Amérique Latine, l’Equateur a été marqué durant le mois de juin par une grève générale de 18 jours face à la hausse des prix du carburant et du coût de la vie. Menés par la puissante Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (Conaie), des blocages et manifestations parfois violentes ont lieu quotidiennement à travers le pays. Après 6 morts et plus de 600 blessés, le Président et le mouvement indigène ont conclu à un accord pour réduire de 15 centimes le prix des carburants et réviser des décrets sur l’exploitation pétrolière et l’extraction minière des territoires autochtones.

En Malaisie, une manifestation contre la hausse du coût de la vie a rassemblé quelques centaines de personnes le 23 juillet,dans le centre de la capitale malgré une interdiction de la police.

Aux Philippines, 8 000 personnes sont descendues dans les rues de Quezon City le 25 juillet à l’occasion du premier discours sur l’état de la nation du Président Ferdinand Marcos Junior. Les manifestants réclamaient entre autres une baisse des prix ainsi qu’une hausse des salaires.

Au Népal, le gouvernement a décidé de réduire considérablement le prix des carburants suite au mécontentement grandissant de la population et après une violente manifestation d’étudiants à Katmandou, la capitale, le 20 juin dernier. Une manifestation réunissant quelques milliers de personnes s’est également tenue à Katmandou le 1er août à l’appel d’un parti de l’opposition pour protester contre la montée de l’inflation.

En Albanie, une grande manifestation s’est déroulée le 7 juillet à Tirana à l’appel du principal parti d’opposition contre l’augmentation des prix du carburant, des produits alimentaires de base et à la corruption présumée du gouvernement. Des images de drones montrent l’étendue de la mobilisation.

En Israël, 2.500 manifestants se sont rassemblées samedi 2 juillet sur la place Habima à Tel Aviv pour protester contre le coût de la vie et la flambée des prix des logements. Les organisateurs de la manifestation travaillent sur un cahier de revendications qui sera présenté au gouvernement.

En Libye, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes du pays, ce vendredi 1er juillet, contre la dégradation des conditions de vie, les coupures d’électricité chroniques en pleine canicule et la classe politique dans un pays coupé en deux. A Tobrouk, les manifestants ont forcé l’entrée du parlement à l’aide d’un bulldozer avant de l’incendier.

En Bosnie-Herzégovine, des manifestations contre la hausse des prix et les difficultés économiques ont aussi éclaté mercredi dernier à la suite d’appels à manifester diffusés sur les réseaux sociaux. Des milliers de manifestants se sont rassemblés dans plusieurs villes du pays où l’inflation sur un an dépasse les 14%.

En Afrique, la flambée des prix du carburant et des denrées alimentaires provoque aussi une multiplication des mouvements de protestation. Le Ghana a connu fin juin deux journées de manifestations et  blocages contre l’inflation ayant dépassé les 27% et en particulier la hausse des carburants. Au Mozambique, une manifestation a eu lieu le 4 juillet dans la capitale contre la hausse des prix du carburant, événement rare dans ce pays qui est l’un des pays les plus pauvres au monde.

L’Afrique du Sud a connu le mercredi 24 août une journée de grève nationale à l’appel des deux plus gros syndicats (Cosatu et Saftu) pour protester contre la hausse du coût de la vie et l’inaction du gouvernement. La situation sociale est explosive dans le pays. Le 1er août, des manifestations contre la vie chère en particulier l’augmentation du prix de l’électricité ont viré aux émeutes à Tembisa près de Johannesburg. Quatre manifestants ont perdu la vie tués par des balles de la police.

Au Kenya, des manifestants sont descendus jeudi 7 juillet dans les rues de Nairobi la capitale sous le slogan « No food, no élection » alors que l’élection présidentielle doit se tenir au début du mois d’août. Les manifestants demandent la réduction du prix des denrées alimentaires, notamment les produits de base comme l’huile de cuisson, la farine de maïs et de blé, ou encore le sucre.

L’Ouganda a connu le 11 juillet des blocages sur différents points de l’autoroute très fréquentée de Jinja-Kamuli par des manifestants protestant contre la flambée du prix des denrées alimentaires et du carburant. La police a utilisé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles. De nouvelles manifestations ont eu lieu le 25 juillet à Jinja tandis qu’un dispositif de sécurité massif était déployé à Kampala la capitale pour empêcher la tenue des manifestations.

La Mauritanie a été secouée le 18 juillet par des manifestations suite à la décision du gouvernement d’augmenter de 30% le prix du carburant pour faire face à la hausse mondiale des prix du pétrole, exacerbée par la guerre en Ukraine.

En Corée du Sud, 50.000 personnes ont manifesté à Séoul à l’appel de la Confédération coréenne des syndicats (KCTU) ce samedi 2 juillet pour exiger une augmentation du salaire minimum et de meilleures conditions de travail. En Belgique, c’est 80.000 personnes qui ont manifesté le lundi 20 juin à Bruxelles à l’occasion d’une journée de grève nationale pour le pouvoir d’achat et les salaires.


Au total, 71 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté ces trois derniers mois selon un récent rapport publié par l’ONU. Avec l’augmentation du prix de l’alimentation et de l’énergie, l’ONU s’inquiète d’une crise du coût de la vie ayant déjà « fait basculer des millions de personnes dans la pauvreté et même la famine à une vitesse époustouflante ». Dans le même temps « la menace de troubles sociaux accrus grandit de jour en jour.»

La directrice du FMI, Kristalina Georgieva a de son côté alerté au sujet d’une augmentation de la pauvreté et des troubles sociaux si aucune mesure n’est prise pour renforcer la sécurité alimentaire. Les difficultés économiques provoqués par la pandémie de Covid-19 ainsi que par la guerre en Ukraine laissent présager pour les prochains moins et prochaines années, une augmentation grandissante des manifestations et révoltes à travers le monde avec un retour des émeutes de la faim dans les pays les plus fragiles.

Luc Auffret

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