« Police nationale, milice du capital ! » Ce slogan fameux, qui a retrouvé un écho au sein du mouvement des Gilets jaunes, décrit bien le rôle de la police dans le cadre du capitalisme, comme l’analyse Paul Rocher dans son nouveau livre « Que fait la police ? Et comment s’en passer » (La Fabrique), paru le 9 septembre dernier. Pour QG, l’économiste tient à montrer à quel point la police est chouchoutée par l’État pour maintenir l’ordre établi, favorisant ainsi l’impunité en matière de racisme et de sexisme institutionnels, de violences policières. À ses dires, il y aurait un moyen de gérer l’ordre public sans la police, en s’inscrivant dans une dynamique de sortie du capitalisme. Interview par Jonathan Baudoin

QG: Ces derniers mois, plusieurs personnes ont été tuées par la police suite à des « refus d’obtempérer » lors d’un contrôle routier. En quoi ce phénomène peut faire écho aux thématiques que vous développez dans votre nouveau livre « Que fait la police » ?
Paul Rocher : Bonne question. Pour commencer, si la police s’est placée au centre du débat public, c’est précisément parce que les policiers se voient reprocher des actes violents. Il me semble que ce qui se passe dans la police est une sorte de banalisation du recours à la violence.
D’abord, si vous prenez les policiers, une majorité des gens qui décident de vouloir devenir policiers ont une conception uniquement répressive de leur métier. Ces personnes ont un goût pour la violence. Ensuite, la socialisation professionnelle est centrée autour de l’autorité, de la force. Puis il y a le fait que les dépenses d’équipement pour les policiers sont en très forte augmentation. Cela concerne tout type d’armes et l’accès à celles-ci facilite le recours à la violence.
On pourrait ajouter aussi la dimension raciale. On connaît très bien le fait qu’il y a, en France, une discrimination de cet ordre institutionnalisée au sein de la police. Certains de nos concitoyens sont, en quelque sorte, plus dans le viseur de la police que d’autres. Cela peut créer un effet performatif car quand on soupçonne d’office les personnes noires et arabes, le recours à la force est facilité.
QG: Eu égard aux données budgétaires que vous analysez dans votre essai, peut-on dire que la politique des gouvernements successifs depuis 2002 est : « Fermez des écoles, ouvrez des commissariats » ?
On pourrait le dire schématiquement ainsi, en effet. Plusieurs statistiques indiquent très clairement que depuis les années 1990, mais encore plus depuis 2002, les dépenses publiques pour les services de police sont en très forte augmentation : +35%… On est très loin du discours sur le « manque de moyens » dont la police serait la victime. En réalité, la police est l’enfant chéri des gouvernements depuis au moins 20 ans !

Dans le livre, je montre que la part des dépenses dédiées à la police est en augmentation continue dans le budget de l’État alors qu’à l’inverse, pour ce qui est de l’éducation, on a une baisse continue. On peut déduire, à partir de ces données, qu’on remplace des enseignants par des policiers. Par ailleurs, on n’a jamais eu autant de policiers qu’aujourd’hui. Depuis 2015, chaque année est une nouvelle année record du nombre de policiers et selon les dernières annonces, en 2023, il y aura encore quelques milliers de policiers en plus, ainsi que pour les années suivantes.
QG: Selon une étude de la Dares datant de 2016, 49% des policiers (nationaux ou municipaux) étaient syndiqués. Est-ce que cette syndicalisation importante dans la police explique le niveau de salaire plus élevé dans ce métier que dans le reste de la fonction publique ?
Commençons par un constat. Les policiers, selon la Cour des Comptes, sont mieux payés que les fonctionnaires de catégorie équivalente. Une augmentation là continue depuis 2013, avec la revalorisation salariale des policiers. Est-ce à relier à l’activité des syndicats de police ? Sans doute, d’une manière ou d’une autre, même si les syndicats de police ont la particularité, dans le débat public, d’avoir des revendications particulièrement corporatistes. Ils insistent sur l’accroissement de marges de manœuvre pour le recours à la force, et parlent très peu d’amélioration des conditions de travail. Ce sont, en quelque sorte, des revendications contre le reste de la société qui subit très fortement les violences policières.
On peut mentionner l’étude de l’Observatoire des street medics, la seule étude exhaustive dont nous disposons sur les violences policières, qui couvre la période des Gilets jaunes jusqu’au début de la contestation de la réforme des retraites. Soit une période d’un an et demi. L’Observatoire montre qu’environ 25.000 personnes ont été blessées par la police, dont 3.000 ont eu besoin des urgences. Si on ajoute les gaz lacrymogènes, plus de 300.000 personnes ont été blessées par la police. C’est la conséquence concrète des revendications des syndicats de police. C’est dans ce contexte-là qu’on peut inscrire l’augmentation du recours à l’arme conventionnelle, au pistolet, qui a fortement augmenté depuis 2017. Ces revendications particulières sont portées par les syndicats ayant beaucoup de membres (Alliance, Unité SGP, Unsa Police, etc.).
Mais il ne faut pas oublier que l’État a intérêt à promouvoir et soutenir ses forces de police parce que dès lors que les politiques néolibérales consistent à redistribuer la richesse à l’envers, à prendre aux pauvres pour donner aux riches, le consentement à l’ordre établi s’affaiblit. Si l’État ne peut plus vraiment agir par consentement, il reste la force. Pour pouvoir utiliser la force, il faut des policiers nombreux, bien équipés, et plutôt contents dans leur travail. De ce point de vue-là, on peut dire qu’il y a concordance d’intérêts entre l’État et les syndicats de police.

QG: Est-ce que la police est réformable, notamment à travers sa formation ?
Pour savoir si le fonctionnement de la police peut être amélioré, je voudrais tout d’abord rappeler qu’en réalité, les policiers d’aujourd’hui sont mieux formés que dans le passé. Il suffit de voir le niveau d’éducation des policiers qui sont beaucoup plus nombreux à avoir fait des études supérieures. Cela participe d’ailleurs également à leur revalorisation salariale. Ensuite, selon les études sur l’institution policière, les policiers sont une partie de la population bien particulière, qui se caractérise par une vision autoritaire de la société, un goût pour la violence. En outre, les policiers n’acquièrent pas seulement les techniques du métier durant leur formation, mais reçoivent également une vision du monde. Cela signifie que si un policier n’est pas intentionnellement raciste, il apprend, durant sa formation, que la manière d’être « un bon policier », c’est de faire plus de contrôles d’identité vis-à-vis de certains publics plutôt que d’autres. La socialisation professionnelle du policier, c’est aussi d’être impressionné par les supérieurs, les collègues, ce qui débouche sur un esprit de corps, à la fois très étanche vis-à-vis de l’extérieur et très homogène à l’intérieur. Cet état d’esprit favorise l’impunité car les policiers tendent à se couvrir mutuellement.
De la même manière, ce que nous disent les études disponibles, c’est que le virilisme, le sexisme, sont des véritables piliers de l’activité policière. L’institution transmet cela à ses agents et c’est pour ça qu’on se trouve dans une situation où des policiers refusent très souvent d’enregistrer des plaintes pour agression sexiste ou sexuelle. Ou bien également dans une situation où des policiers sont plus souvent auteurs de violences conjugales. On a une institution qui crée des problèmes qui sont d’ailleurs dénoncés dans la société. La question de la formation me semble constituer le mauvais point de départ car en réalité, elle n’est qu’une conséquence alors qu’il faut s’intéresser à la cause, qui est l’institution en tant que telle.
QG: À la fin de votre livre, vous donnez en exemple des situations en Afrique du Sud ou en Irlande du Nord où l’ordre a pu se faire sans la police. Néanmoins, de nombreux écueils limitent ces expériences. Pensez-vous réellement que cela puisse être généralisable à l’avenir, en France comme ailleurs dans le monde ?
Pour commencer, je tiens à signaler que le livre montre qu’il n’y a pas de lien entre la présence policière et la baisse de la délinquance. Comme le disent les politologues ou sociologues spécialistes de la police, il y a un échec systématique à trouver une connexion entre le nombre de policiers le taux de criminalité : la police n’assure pas la sûreté. Au vu de ces constats, ce que traduit l’augmentation impressionnante des moyens pour la police en France, c’est une réorganisation autoritaire du pays, où les policiers ont une emprise dans le quotidien de la population.

Par conséquent, se pose la question de savoir s’il est possible d’envisager la gestion de l’ordre public autrement que par la police. Je me suis intéressé à des expériences en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, où les populations ont décidé de s’organiser en-dehors, de contourner la police. Ce n’est pas une solution miraculeuse, mais cela permet de tirer quelques pistes. Celles qui me semblent les plus intéressantes sont que pour gérer l’ordre public, sans reproduire les travers de la police, il faut un lien étroit entre ceux qui sont en charge de l’organisation de l’ordre et leur environnement immédiat, leur quartier, leur commune. On est loin de la « police de proximité », dont on parle souvent en France, qui consiste uniquement en une appropriation policière des interconnaissances locales à des fins répressives. Or, dans ces deux expériences, la gestion de l’ordre est faite en fonction des besoins de la population. Bien évidemment, il s’agit de protéger les victimes de déviances. Mais il s’agit aussi de savoir pourquoi ces déviances peuvent exister.
Ensuite, sur le plan plus organisationnel, ces deux expériences montrent qu’il est crucial d’établir un principe de rotation. La gestion de l’ordre ne devrait plus être, comme elle l’est aujourd’hui, un métier. Mais une fonction remplie à tour de rôle par les différents membres de la société. Cette rotation aurait pour effet bénéfique d’éviter toute logique d’esprit de corps qui favorise l’impunité et le fait que des policiers puissent être tentés de couvrir leurs collègues.
Enfin, envisager un monde sans police ne peut pas être réalisé sans une transformation sociale plus large car comme le montre l’expérience historique, qui est développée dans le livre, l’existence de la police est immédiatement liée à la naissance du capitalisme, qui est constamment menacé par sa propre progéniture. À savoir, les perdants systémiques de cet ordre, que sont les salariés, les travailleurs. Mais, dernière mise en garde, une transformation sociale plus large n’est pas une garantie que l’ordre public sera organisé par une institution non-oppressive. C’est pour cela qu’il est important de s’intéresser aux particularités de la police actuelle pour savoir ce qui pose problème et ce qu’il faudrait, éventuellement, éviter si jamais l’on voulait un ordre social plus harmonieux.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
Photo en une : Jacques Paquier
Article intéressant mais qui me laisse un peu sur ma fin.
Notamment j’aurais aimé que soit approfondie cette notion « les policiers sont une partie de la population bien particulière, qui se caractérise par une vision autoritaire de la société, un goût pour la violence. » qui est redit plus loin « les policiers sont une partie de la population bien particulière, qui se caractérise par une vision autoritaire de la société, un goût pour la violence. »
D’où ma question qui sont ces gens ? Et là j’aurais aimé que l’on nous apporte des données chiffrées comme par exemple les milieux sociaux dont sont issus les policiers ? est-ce que ce sont essentiellement des fils et des filles de parents force de l’ordre (policiers, gendarmes, militaires) ou d’où sortent-ils ? de même viennent-ils de la ville ou de la campagne ? y a-t-il des régions surreprésentées dans les effectifs policiers comme la Bretagne, ou la Corse (en gros d’anciennes régions défavorisées où être fonctionnaire permettait une ascension sociale voire simplement de vivre) enfin des données sur le type d’études faites : est-ce que ce sont surtout des anciens juristes ou résidents d’universités en sciences humaines qui ne trouvant pas de travail ou ne voulant pas faire le travail correspondant à leurs études font flics ou est-ce des vocations ?
J’aurais donc aimé plus de détail afin de pouvoir établir un portrait robot du policier si il existe et comprendre à qui on à faire.
Autre point soulevé « Cela signifie que si un policier n’est pas intentionnellement raciste, il apprend, durant sa formation, que la manière d’être « un bon policier », c’est de faire plus de contrôles d’identité vis-à-vis de certains publics plutôt que d’autres. » Quid des policiers issus des minorités ? quel % représentent-ils notamment dans les différentes strates hiérarchiques ?
Voilà un peu ce qui me laisse sur ma fin. Pour le reste j’ai fort heureusement peu d’interactions avec la police les rares que j’ai eus me laisse un sentiment mitigé. Autant quand il répondent à un appel pour par exemple du vandalisme comme récemment ils me sont plutôt positif (en espérant que ce ne soit pas eux qui ont commis le forfait en question, car après tout après les pompiers-pyromanes qui sait s’il n’y a pas des flics-voyous ? d’ailleurs en voilà un sujet non abordé dans l’article la présence des ripoux dans la police. Et on peut malheureusement pensé que plus il y a de flics, plus il y aura de ripoux même si le % reste inchangé mais qu’à force d’avoir des personnes au-dessus des lois, qui ont du pouvoir (dont un pouvoir léthale), et qui n’ont pas été recruté sur leur moralité ou vertus, de tels risques seront plus grands). Autant comme la fois où ils me contrôlât sur le parking de la fac (ce qui remonte déjà à près de 22 ans déjà) m’accusant à tort d’être un vendeur de drogue et se moquant de moi, ils me sont négatifs. Je dois dire que je me souviens encore de ce groupe de flics en civiles (d’ailleurs c’est bizarre d’être contrôlé par des flics qui ne sont pas en uniforme) qui m’ont fait bénéficié de la présomption de culpabilité, du simple fait que je cherchas la voiture de mon frère sur le parking dans une nuit noire et alors qu’il était en retard. D’ailleurs n’importe qui m’ayant parlé à cette époque de manière respectueuse aurait réalisé que j’étais innocent et juste un jeune garçon de 18 ans perdu dans cette fac.
Au final je dirais que la police m’est quand même globalement antipathique, et que sans vouloir faire du délit de faciès je trouve qu’il y a une forte proportion de tête à claque, Et que quand Christophe Dettinger les a enchainés à mains nues malgré leur bouclier et leur casque, j’éprouvas une certaine forme de délectation. D’ailleurs je pense que si j’étais sculpteur je ferai une sculpture de Christophe mains nues contre les gendarmes équipés et je la nommerai « un peuple debout n’est jamais désarmé » ou « le triomphe de l’être sur la tyrannie ». Pour ma part si j’étais d’une meilleure constitution je voudrais bien en boxé (sur un ring et dans les règles quelques uns). Ceci dit chacun doit faire avec ses moyens et à défaut je me contenterai d’écrire jusqu’au jour où il me mettront peut-être en prison voire pire. Cela étant dit n’oublions jamais que quand des compatriotes se battent entre eux, les seuls gagnants sont les ennemis de la nation et le perdant est le pays. Et que dans une société civilisée, le règlement des différents devrait être pacifique, juridique ou sportif mais jamais violent. Le problème de fond est un problème démocratique, de représentativité, de dirigeants/d’élites qui œuvrent pour le pays et non leur caste. Et aussi il faut le dire un problème de justice aux ordres, cela on a pu le constater avec ce cas.
Quant à savoir si on peut les remplacer (les policiers) ou les reformer…il faudrait commencer par le pouvoir politique auquel ils sont soumis et qu’ils protègent. En démocratie, il y a en théorie la possibilité du vote. Or on voit que Macron a été réélu et Darmamin reconduit…c’est à se demander si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs et s’il ne faudrait pas partir. Mais pour aller où ? En tout cas si on prend les manifestations chez nos voisins, il semble quand même que par exemple les policiers allemands, italiens, espagnols, britanniques, belges, suisses, n’éborgnent pas leur compatriotes, et que leurs citoyens ne vont pas manifester la peur au ventre. D’ailleurs même en Russie on n’a pas vu de choses pareilles. Cela m’a un peu fait penser aux manifestations de Seattle à vrai dire. Y aurait-il quelque chose en commun entre les forces de l’ordre françaises et américaines ? en voilà aussi une question.