La guerre en Ukraine a provoqué d’importantes tensions sur les approvisionnements tandis que la production électrique française a atteint un niveau historiquement bas en raison de l’arrêt de la moitié du parc de réacteurs nucléaires du pays, notamment pour des raisons de maintenance, et de la réduction de la capacité de production des barrages hydrauliques suite à la sécheresse de l’été.
Dans ce contexte, et alors que le bouclier tarifaire a pour le moment permis d’amortir en partie le choc de l’inflation pour les ménages, la première ministre Élisabeth Borne a d’ores et déjà annoncé que la politique du « quoi qu’il en coûte » ne durerait pas éternellement en annonçant le 14 septembre dernier une hausse de 15% des prix du gaz et de l’électricité à partir de 2023.
L’économiste Maxime Combes, ex porte-parole d’ATTAC France, à répondu aux questions de Luc Auffret pour QG sur la crise énergétique mondiale, qui touche sévèrement l’Europe, et les politiques menées par le gouvernement français et l’Union Européenne pour y faire face.

QG : L’inflation au mois d’août a atteint les 5,9% en France. Quels sont les différents facteurs qui expliquent cette hausse des prix ?
Maxime Combes : Trois facteurs qui évoluent différemment expliquent l’inflation que nous connaissons. Tout d’abord, la reprise économique mondiale post-covid a généré des tensions à la fois sur les marchés des ressources naturelles, notamment de l’énergie, mais aussi sur les chaînes d’approvisionnements. Les circuits d’acheminement ont été impactés, notamment les produits en provenance de Chine, avec un certains nombres de retards sur des productions. Ce début de hausse des prix a par la suite été fortement alimenté par la guerre en Ukraine qui a provoqué des tensions sur les marchés internationaux de l’énergie. Ce second facteur aggravant a décuplé très fortement les effets de l’inflation.
Le troisième facteur est désormais un phénomène d’entraînement avec une partie de l’inflation qui s’auto-entretient avec des hausses de coûts de production qui sont transférées de secteur économique en secteur économique. Pour faire simple : l’augmentation du prix du gaz et du pétrole a des impacts sur les produits finis de la pétrochimie. Ces produits finis de la pétrochimie sont des matières premières pour de nombreux secteurs de la production de biens industriels, ou encore pour celle de l’alimentation, que ce soit les engrais, les pesticides où encore les emballages, ce qui aura par conséquent des impacts sur les prix des autres secteurs industriels. Ainsi l’inflation s’auto-alimente progressivement et en vient à toucher désormais tous les secteurs économiques.
QG : Selon vous l’inflation est-elle partie pour s’installer durablement ?
Une très bonne tribune de mon camarade Thomas Coutrot dans Politis explique que d’une manière générale, les économistes sont extrêmement troublés par la période que nous traversons car c’est une situation qui ne ressemble à aucune autre qu’on a pu connaître depuis la Seconde guerre mondiale. Par conséquent ceux qui prédisent la fin de l’inflation sont aujourd’hui des bonimenteurs, ils n’en savent strictement rien. Tant du côté du gouvernement que du côté des économistes, personne ne sait réellement comment sortir de ce cercle vicieux d’alimentation progressive de l’inflation par l’inflation. On ne sait pas comment vont évoluer certains éléments comme les tensions géopolitiques ou celles sur les marchés internationaux. Les déclarations en trompe-l’œil du gouvernement expliquant que nous sommes au pic de l’inflation montrent surtout que le gouvernement navigue à vue sans savoir quelle sera la situation dans trois mois.
QG : Elisabeth Borne a annoncé une hausse de 15% des prix de l’énergie début 2023. Est-ce que les Français doivent accepter avec fatalisme ces hausses des prix ou est-ce qu’il existerait des solutions politiques pour limiter ces hausses ?
Nous sommes face à un gouvernement et à une Union Européenne qui multiplient les rustines plus ou moins bien élaborées pour tenter de pallier un problème structurel qui est double.
Il s’agit tout d’abord d’un problème de sécurité sur les approvisionnements énergétiques européens qui ne sont aujourd’hui plus assurés. Notre dépendance aux énergies fossiles, notamment en provenance de Russie, mais plus largement des marchés internationaux, est une faiblesse puisqu’elle nous rend extrêmement dépendants de décisions qui sont prises ailleurs. C’est un problème dont on ne pourra sortir qu’en réduisant notre dépendance à ces fournisseurs étrangers. Par dessus cela l’Union Européenne et les États membres ont mis sur pied depuis 20 ans des marchés de l’énergie européens qui sont totalement dysfonctionnels, problématiques et créateurs d’incertitudes. Avec les tensions internationales ces marchés ont alimenté une augmentation des prix faramineuse qui nous conduit dans l’impasse.
Face à cette situation, la réponse qui devrait être apportée est triple. Premièrement on ne sort d’une crise liée au énergie fossile qu’en sortant progressivement de ces énergies. Or l’ensemble des gouvernements européens ne cherchent qu’à compenser les importations russes par des importations d’énergies fossiles provenant d’autres pays comme les Etats-Unis, le Qatar, l’Algérie ou les Emirats Arabes Unis. C’est une mauvaise pente qui est prise.
La deuxième réponse serait de remettre à plat le fonctionnement des marchés de l’énergie européen en particulier le marché de l’électricité. Il faut arrêter de confier notre avenir énergétique à des marchés spéculateurs qui ne permettent pas de sécuriser notre avenir. Il faudrait créer au niveau européen un service public de l’énergie qui garantisse à court, moyen et long terme des tarifs réglementés de l’énergie avec des perspectives claires.
En plus de ces réponses structurelles, il est nécessaire d’apporter une réponse de court terme pour aider les plus précaires à faire face à la situation à laquelle nous sommes confrontés.
En décidant de subventionner très largement l’ensemble des consommateurs y compris les plus riches avec un dispositif extrêmement coûteux, le gouvernement ne fait pas ce qu’il faut. Il y aurait massivement besoin de venir en aide à celles et ceux qui n’ont pas d’autres moyens que l’appui de l’État, et sont dépendants dans leur mode de chauffage et de leur mode de transport, ce qui est insuffisamment fait. On dépense aujourd’hui des milliards d’euros pour une efficacité énergétique, économique et sociale qui est faible.
QG : La Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a ouvert la voie à une taxation des super-profits des entreprises énergétiques: qu’en est-il réellement ?
Il y a deux dispositifs au niveau européen. Le premier consiste à prélever une partie de la rente des producteurs d’énergie qui produisent à des coûts faibles, comme le nucléaire ou les renouvelables, et qui ont la capacité de vendre sur les marchés à des prix extrêmement élevés. Il n’est pas acceptable que des secteurs comme le nucléaire dont le coût du mégawatt-heure (MWh) est proche de 50 euros puisse le vendre à 1000 euros sans qu’une partie de cet argent ne revienne aux pouvoirs publics. La première disposition de la Commission est donc de prélever ce qui est au-delà de 180 euros le MWh. C’est cette mesure qui va rapporter le plus à l’échelle européenne. Ce n’est pas véritablement une taxe sur les super-profits, cela revient simplement à tenter d’imposer une rustine sur un marché européen qui dysfonctionne.

Il y a ensuite également la proposition de mettre en place une « contribution européenne sur les profits exceptionnels » réalisés par les multinationales de l’énergie. Cette contribution serait fixée à 33 % des bénéfices supérieurs de plus de 20 % à la moyenne des trois dernières années (2019-2021).
Néanmoins ces grands groupes de l’énergie vont être très largement préservés de cette taxe sur les super-profits puisque la plupart ne localisent que très peu leurs profits sur le territoire européen. Cette taxe ne devrait permettre de récupérer que 25 milliards d’euros selon la Commission Européenne elle-même. Par comparaison, les seuls profits de Total Energies en 2022 pourraient atteindre les 35 milliards d’euros.
L’autre problème est que les super-profits ne concernent pas uniquement le secteur de l’énergie et sur ce point, la Commission Européenne laisse le choix à chacun des États-membres de taxer à plus de 33% les super-profits et également de taxer d’autres secteurs que les énergéticiens.
L’ironie de l’histoire est que la proposition de la Commission Européenne confie la charge aux États-nations de récolter cette taxe sur les super-profits puisque l’Union Européenne n’a pas cette compétence. Bruno Le Maire va donc être chargé de mettre en œuvre cette taxe alors qu’il déclarait il y a peu devant le MEDEF que les super-profits n’existaient pas.
De plus, en renvoyant aux États-membres la possibilité de taxer les super-profits d’autres secteurs et d’augmenter le taux, la Commission européenne remet en avant la question de savoir si le gouvernement français va enfin se décider à taxer les super-profits.
QG: Dans le plan de sobriété annoncé par Elisabeth Borne, la Première ministre prévoit une baisse de 10% de la consommation de l’énergie cet hiver. Qu’est ce que cela signifie concrètement en termes de mesure ?
Avant tout, un nouvel élément important est le chiffre de 10% dès cet hiver. Jusqu’à présent il avait été annoncé une baisse de 10% sur deux ans lors du discours du 14 juillet prononcé par Emmanuel Macron.
Ensuite il est à noter que le chiffre de 10% est plus important que la baisse moyenne de la consommation d’énergie réalisée en France en 2020. Or cette année avait été marquée par deux confinements : un d’1 mois et 25 jours et un autre d’1 mois et 15 jours, avec de nombreuses activités à l’arrêt. Sur cette année extrêmement singulière, on ne rapporte qu’une baisse de 8,3% de l’énergie consommée. L’objectif de 10% annoncé par la Première Ministre est donc 20% supérieur. On peut être sceptique sur le fait que les seules demandes d’éco gestes et de sobriété individuelle non contraignante dans le secteur tertiaire et industriel soient suffisantes pour garantir cet objectif.

Ce qui ressort particulièrement du rapport de RTE sur l’électricité, c’est que la grande variable sur laquelle personne n’a de prise est de savoir si nous allons faire face à un hiver rigoureux ou non. Dans le cas d’un hiver doux, les risques restent très limités. A l’inverse, dans le cas d’un hiver très froid, le rapport prévoit une réduction de la consommation française de 15% à certains moments, avec beaucoup d’incertitudes sur la capacité d’approvisionner l’ensemble des consommateurs français en électricité et en gaz. Vraisemblablement, les seules demandes d’éco gestes et de sobriété individuelle non contraignante ne seront pas suffisantes et il y aura donc des délestages relativement intenses.
QG: Est-ce qu’il y a un risque de black-out total en France cet hiver ?
La très grande majorité des experts, y compris ceux qui sont les plus critiques sur les politiques menées depuis des années, pensent que ce risque est quasi nul. Par ailleurs la vraie variable est, comme je le disais, de savoir si nous allons avoir un hiver rigoureux ou non.
Aujourd’hui, on se rend compte que le gouvernement n’a pas réellement pris la mesure des enjeux au printemps dernier alors que beaucoup d’experts alertaient sur le fait que la situation était partie pour durer, et qu’il fallait se préoccuper des questions d’approvisionnement et de sobriété énergétique. Début juillet Emmanuel Macron déclarait dans la presse qu’il n’y avait aucun risque de coupures et de défaut d’approvisionnement électrique en France, or depuis ce moment on a compris que ce n’était pas vraiment le cas.
Par ailleurs, en plus des problèmes de court terme, il y a également un problème de long terme qu’il faudra résoudre, qui est notre dépendance aux énergies fossiles ainsi que le manque de sobriété et d’efficacité énergétique de notre système économique, de transport et de logement.
Propos recueillis par Luc Auffret
Très belle réflexion qui vient compléter l’article de Maxime Combes. Vous avez raison de mentionner la crise des subprimes comme tournant qui aurait du eu pu être décisif si les États n’avaient pas abondé, avec l’argent des peuples, dans le sens des banques. Passée la crise, elles sont réparties de plus belle dans la spéculation financière, avec cette fois-ci l’assurance qu’elles avaient les États à leurs pieds. On connaît la suite.
L’article met bien en évidence que l’énergie reste le marché où tout se joue dans l’économie. Nos politiques ont laissé se défaire ce que la France s’était donné pour objectif de construire après la guerre, son autonomie énergétique, et qu’elle avait réussi avec EDF, proie de toutes les convoitises aujourd’hui. QG nous invite à un débat sur le sujet ce soir. Belle croisée d’ogives entre cet article et l’émission à venir.
L’avenir est des plus incertains si je comprends bien. Inflation sur inflation, crise énergétique, guerre monétaire, guerre tout court… L’intrication de tous ces problèmes devenus inextricables a un nom : mondialisation. Comment contrer ce qui vient et permettre aux nations de retrouver un embryon de souveraineté pour rétablir l’équilibre en leurs seins, en lieu et place d’une dissolution dans une vassalisation économique globale programmée ? Le retour au local est une piste, l’abandon d’une monnaie de référence comme le dollar qui fait la pluie et le beau temps en est une autre, la création de monnaies de substitution pour échapper à l’hégémonie d’un seul,… Et la Dette ! C’est le levier des banques et des marchés pour agir sur les États. C’est le moyeu de leurs rapines, le nœud coulant de leur piège. Comment en sortir ?