Alors que le secteur de l’énergie a été en tête de la mobilisation contre la réforme des retraites, la CGT Énergie est visée depuis des mois par une répression syndicale inédite.
Ce mardi 29 août au matin, ils étaient une cinquantaine à s’être rassemblées à Paris pour soutenir Jordan, représentant Île-de-France du syndicat, avant un CSE pouvant mener à son licenciement. Un cas loin d’être anodin chez GRDF (Gaz Réseau Distribution France), puisqu’au total, une quarantaine de conseils de discipline en lien avec des faits de grève sont en cours au sein de l’entreprise, dont 23 en Île-de-France. Ces procédures disciplinaires se sont déjà traduites par 3 licenciements depuis le début de l’année, tandis que parmi la cinquantaine de militants venus soutenir Jordan, trois salariés risquent également un licenciement dans les semaines à venir.
Une situation qui fait réagir jusqu’au sommet de la CGT. Dans un courrier du 28 août que QG a pu consulter, adressé à la directrice d’Engie, Catherine MacGregor, la Secrétaire Générale de la CGT Sophie Binet et le patron de la FNME-CGT Sébastien Menesplier dénoncent “une répression syndicale insupportable sans précédent” réalisée par la direction de GRDF depuis plus d’un an. Sophie Binet exhorte la directrice d’Engie “à prendre la mesure de la gravité de la situation sociale au sein de l’entreprise GRDF, et de l’extrême indécence de poursuivre l’objectif du licenciement d’un représentant du personnel pour l’exercice de ses fonctions”.
Pour Cédric Liechti, secrétaire général de la CGT Energie de Paris, ce grand nombre de procédures fait notamment suite à un long mouvement de grève pour les salaires en fin d’année 2022, suivi de la mobilisation contre la réforme des retraites : “la direction n’a pas supporté ce qu’il s’est passé sur la lutte pour les salaires et le rôle de la FNME-CGT dans le dossier des retraites”. Une lutte de huit semaines victorieuse à l’automne-hiver 2022, puisque les salariés auront finalement obtenu une hausse des salaires de 200€ par mois.
Le syndicaliste affirme également que la direction de GRDF serait en lien régulier avec le ministère de l’Intérieur ces derniers mois. Contacté par QG, GRDF n’a pas souhaité répondre à nos questions précisant que “la direction ne souhaite faire aucun commentaire sur les procédures en cours ou terminées”.
400 plaintes déposées par Enedis
Alors qu’à GRDF, la répression syndicale s’exprime par des procédures disciplinaires, chez Enedis la stratégie de répression prend, elle, une autre forme. Depuis janvier, début du mouvement contre la réforme des retraites, la direction a déposé 400 plaintes contre X suite à des actions d’électriciens ou de gaziers sur le réseau dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites.
“Les industries électriques et gazières ont été en pointe du mouvement, y compris avec des formes de lutte inédites. Il y a eu une reprise massive de l’outil de travail et du réseau d’électricité ou de gaz dans le cadre du conflit, avec énormément de remises en gratuité mais également des coupures symboliques sur les lieux stratégiques”, explique Cédric Liechti, avant d’ajouter : “Le pouvoir est vent debout par rapport à ça. A l’image de la coupure de courant qui a touché l’école où Emmanuel Macron était en déplacement et qui s’est retrouvé sans courant, c’est quelque chose qu’il n’a pas digéré.”
Des plaintes ainsi que deux premiers procès symboliques se dérouleront dans les prochains mois. Le 15 septembre, trois syndicalistes de la CGT Énergie de Marseille seront en procès pour des actions militantes réalisées lors du mouvement contre la réforme des retraites. A Bordeaux, deux syndicalistes de la CGT Énergie sont convoqués le 21 novembre au tribunal correctionnel pour des actions de coupures d’électricité.
Le patron de la CGT Energie convoqué à la gendarmerie
Au-delà des militants de terrain, la répression a franchi un cap inédit suite à la convocation à la gendarmerie de Sébastien Menesplier, secrétaire général de la fédération Mines et de l’Energie (FNME-CGT) et membre du Bureau confédéral de la CGT, dans le cadre des actions menées par les électriciens et gaziers lors du mouvement contre la réforme des retraites.
Une convocation fermement dénoncée par les militants présents ce mardi 29 août devant le CSE pour l’éventuel licenciement de Jordan. Pour Salim Khamallah, secrétaire général de la CGT Energie Ouest Île-de-France, “Il y a une criminalisation de l’action syndicale avec l’aval du gouvernement. La convocation d’un secrétaire général c’est quelque chose de jamais vu, on a passé un cap.” Même son de cloche du côté de Cédric Liechti : “En s’attaquant au premier responsable et à tous les militants de terrain, ils veulent essayer d’interdire ou de limiter certaines structures de la CGT. Là, c’est directement la structure même de notre organisation qui est visée”.
Un fait bien loin d’être anodin, puisque la convocation à la gendarmerie d’un secrétaire confédéral de la CGT est une première depuis au moins 50 ans, d’après Sophie Binet. Dans un communiqué, la CGT évoque une “convocation hautement politique : le pouvoir franchit un nouveau cap gravissime et inédit dans la répression syndicale”, affirmant que le syndicat ne laissera pas “ses premiers dirigeants se faire intimider et condamner par l’appareil répressif du pouvoir”.
Dans un courrier envoyé à Elisabeth Borne, Sophie Binet s’inquiète du cap franchi dans la répression syndicale rappelant à la Première Ministre qu’“il faut remonter aux heures sombres de la période de décolonisation pour voir un secrétaire confédéral de la CGT convoqué pour son action militante”. Pour la patronne de la CGT, cette poursuite “décomplexe et légitime toutes les autres procédures contre des militantes et militants syndicaux”, en plus de décomplexer la répression syndicale dans les entreprises.
La convocation de Sébastien Menesplier a provoqué des réactions d’indignation et de solidarité de plusieurs centrales syndicales européennes. La Confédération européenne des syndicats, qui représente 45 millions de travailleurs, a notamment adressé un courrier à la Première Ministre Elisabeth Borne pour lui faire part de son inquiétude et dénoncer une “attaque inacceptable contre les syndicats et les droits syndicaux”.
En réponse à la convocation de Sébastien Menesplier, une manifestation a été appelée le 6 septembre à 8h30 devant la gendarmerie de Montmorency.
Luc Auffret
Image d’ouverture : Force Ouvrière