Ce monde se meurt. Il meurt sous les coups répétés du néolibéralisme. Et s’il peut mourir, c’est à cause de notre résignation. La réalité est que nous sommes fatigués. Si volontaires que nous puissions être, nous devons d’abord vivre. Et vivre dans le monde tel qu’il est, c’est difficile et parfois coûteux. Pourtant nous devons y combattre et le meilleur moyen de le faire est d’encourager toutes les formes d’organisation citoyenne qui apparaissent pour ne plus jamais être seul. Il faut également savoir contre quoi on lutte. Nos maux ne viennent pas de nulle part.
D’une part nous subissons l’atomisation de la société, conséquence de l’application générale du capitalisme. Les gens sont rabougris à l’état individuel et tout lien social a été sciemment saboté pour se prémunir de toute contestation. Syndicats démolis, partis détruits, mobilité géographique réduite, tout ceci relève d’une même stratégie : empêcher l’organisation populaire. Cadres en burn out, Gilets Jaunes à découvert, longtemps nous avons pu penser que le mal venait de nous-même, ou du chef, ou de l’entreprise ou d’un gouvernement ou d’un autre. Pourtant il vient d’un système. Un système qui est le résultat d’un glissement sans précédent du pouvoir du peuple vers le capital et d’un basculement complet du rapport de force en faveur de celui-ci.
Aujourd’hui le capital est organisé. Gouvernement, commission européenne, FMI, OCDE, OMC… Les médias sont aux mains de l’oligarchie, les grandes entreprises sont internationales et se servent elles-mêmes bien avant de penser à l’intérêt général. La libre circulation des capitaux et des marchandises a supprimé tout l’emploi industriel. Ce faisant, l’horizon social de la majorité des classes populaires a été fermé. La démocratie devient un mot vide. On s’assoit dessus quand on peut, on matraque quand il faut.
L’abstention dépasse régulièrement les 50%. Les gens ont l’impression que leur avis ne compte pas. Et qu’ils n’ont aucun moyen d’influer sur le cours des choses. Que les décisions sont prises loin d’eux et pour servir des intérêts qui ne sont pas les leurs. Ils n’ont pas tort.
C’est tout cela qu’il nous faut renverser.
De temps en temps pourtant, la vie sociale et politique nous apporte des moments de lumière : la campagne sur Maastricht, celle de 2005 ou celle de 2017. Avec une force bien plus grande encore, le plus grand moment social et politique des 50 dernières années : les Gilets Jaunes. Les gens sont sortis de leur isolement pour se rencontrer, se rendre compte qu’ils étaient en fait nombreux et qu’à eux tous ils pouvaient faire du neuf. Du lien social sur les ronds-points d’abord, puis des revendications politiques profondes (rappelons que la liste des 42 revendications datent du 2 décembre), puis enfin faire plier le pouvoir pour obtenir quelque chose.
C’est
cela qu’il faut promouvoir.
Continuons l’exemple
magnifique des Gilets Jaunes. Faisons sortir le mécontentement de la
discussion privée. Montrons aux gens qu’ils sont en fait nombreux,
et qu’à plusieurs on peut espérer plus.
Ce passage de « Comprendre le pouvoir » de Noam Chomsky est particulièrement éclairant : « Le truc, c’est de ne pas rester isolé. Si on est isolé, comme Winston Smith dans 1984, alors tôt ou tard on lâche prise, comme il le fait à la fin. Voilà en un mot ce que racontait le roman d’Orwell. En fait, toute l’histoire du contrôle sur le peuple se résume à cela : isoler les gens des uns des autres, parce que si on peut les maintenir isolés assez longtemps, on peut leur faire croire n’importe quoi. Mais quand les gens se rassemblent, alors beaucoup de choses deviennent possibles. »
Le moment que nous vivons est une crise sociale et écologique face à laquelle les gens veulent décider. Pas contribuer, ni débattre : décider. Et pour pouvoir décider, il faut être informé et il faut pouvoir parler. La prise de contrôle des médias par l’oligarchie a tué l’accès à l’information et a restreint les possibilités de confrontation publique à un niveau extrême que Chomsky décrit comme le « modèle de propagande ». Nous avons donc besoin de nouveaux espaces d’expression et de confrontation.
QG et Aude Lancelin remplissent ce rôle à merveille avec des émissions comme « Contre-Courant », « Quartier Jaune » ou « Quartier Constituant ». Les autres médias que je soutiens font de même ailleurs. Il ne doit pas être question de concurrence entre eux, elle appartient au vieux monde. Les médias libres doivent reconquérir l’espace de liberté d’expression qui nous manque tant. Les Gilets Jaunes s’organisent en miroir de corps intermédiaires souvent dépassés. Il nous faut inventer nos institutions partout.
A l’échelle de Polytechnique, nous avons créé « X-Alternative » en 2019, initiative dont le but est de fédérer parmi les élèves et les anciens ceux qui souhaitent changer les structures de la société en faveur du bien commun. J’appelle aussi de mes vœux un nouveau syndicat démocratique, une caisse de solidarité pour les victimes de la répression, une autre pour les lanceurs d’alerte, des journaux ouvriers, des coopératives partout, de la liberté partout, de la démocratie partout. Ces initiatives sont un commencement, elles sont appelées à être l’avenir.
Liberté !
Régis Portalez
Merci à mr Portalez pour son activité de dénonciation politique et pour les pistes qu’il propose. De la part d’un ingénieur – qui plus est de Polytechnique- c’est rare (et je sais de quoi je parle).
Il y a plus de 20 ans, un chef d’entreprise (patron de la société « Majorette » voitures miniatures) s’est présenté aux élections présidentielles avec comme programme de « gérer » la Nation comme une entreprise. A l’époque je l’ai pris pour un vrai abruti avec ses discours d’ingénieur à la con ne croyant qu’à la rationalité technique. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, c’est ce que fait Macron : il veut nous gérer comme des employés.
Mais le futur est encore plus sombre car les libertariens américains se proposent non pas de gérer la nation comme une entreprise, mais de faire gérer la nation par des entreprises. Les ministères et les budgets seraient privatisés. Tous les communs aussi; emprunter une route (de campagne par exemple), construire par une société privée) nécessiterait un péage ou un abonnement à l’entreprise gérante. L’atmosphère serait privatisée, et pour respirer il faudrait payer un droit plus ou moins élevé selon la qualité de l’air choisi (CO2). On vendrait aussi des bouteilles d’air pure ou même, pour les plus riches, une adduction d’air pure dans la maison par une tuyauterie souterraine comme celle de l’eau actuellement.
Le pied, quoi !!!!