« Coronavirus, talon d’Achille du capital » par Nathalie Athina

11/03/2020

Ainsi se révèle dans toute sa splendeur, l’insoutenable légèreté d’un système libéral devenu fou. Déstabiliser l’économie, nous n’en espérions pas tant de la part d’un virus, et pourtant. Nous aurions amplement préféré continuer à lutter pour un monde plus digne en bonne santé

On y est donc. 

La crise sanitaire historique, due au virus COVID-19 venu de Chine s’installe dans le monde entier, et la machine du capital s’emballe furieusement.

Un virus au nom si poétique, s’avère donc férocement dangereux non seulement pour notre santé, ce qui tombe sous le sens, mais également… pour le capitalisme, rien de moins. Un virus capable de mettre à mal un système financier bâti comme une sorte de jeu de quilles (quand l’une tombe, elle entraîne les autres dans sa chute), plus fort que les grèves, plus fort que les manifestations, les émeutes, les révoltes qui grondent pourtant un peu partout dans le monde?

Depuis le mois de décembre, moment où la Chine a informé la communauté internationale de l’épidémie en cours sur son territoire, nous avons oscillé entre désinformation, et dédramatisation de la situation, puis finalement des mesures radicales, comme en Italie, et très certainement dans les jours à venir, au Danemark, en Angleterre, ou aux Etats-Unis.

Le 5 mars, jour où le gouvernement avait annoncé une amplification du nombre de cas, porté à 377 cas recensés officiellement, est déjà un souvenir lointain, puisque le 9 mars, nous apprenons qu’un nombre de 31 morts est à déplorer, et plus de 1.400 cas recensés.

Pourquoi certains gouvernements tiennent-ils tant à minimiser les conséquences de cette épidémie ? D’abord en toute logique pour éviter la panique générale, mais attention, avant tout en raison des conséquences sur l’économie, et certainement pas pour nous protéger.

Un lundi noir, ce 9 mars, a vu les cours des bourses mondiales chuter de façon drastique, provoquant un début de panique, à tel point que les échanges boursiers ont été interrompus, ainsi que le mentionne l’agence Reuters : « Les transactions à Wall Street ont dû être interrompues quelques minutes seulement après l’ouverture lundi, la chute des grands indices activant les « coupe-circuits » face à l’effondrement des cours du pétrole. » Mais la FED (réserve fédérale américaine) a annoncé quasi immédiatement l’injection d’au moins 150 milliards de dollars par jour dans le marché monétaire, au lieu des 100 milliards quotidiens. Tenter de sauver les meubles, et non leurs utilisateurs, sans surprise.

Alors qu’il y a à peine quelques jours, nous étions avisés que finalement la crise sanitaire était en régression en Chine, des médias financiers nous informent désormais qu’« alors que le bilan de l’épidémie de Coronavirus continue de s’alourdir en Chine, les investisseurs s’interrogent désormais sur la capacité de Pékin à contenir le virus et sur ses conséquences économiques. »

La Chine, d’ailleurs extrêmement opaque quant à la gestion de cette crise, fournit des chiffres en baisse ce 9 mars, sans que nous ayons à cet égard aucune certitude, la rumeur circulant qu’en réalité, afin de tenter d’enrayer la catastrophe en termes d’activités des entreprises, le gouvernement chinois afficherait volontairement un certain optimisme.

L’ampleur de l’épidémie en Italie, et les mesures de quarantaine géantes prises par le gouvernement italien provoquent immédiatement un exode des habitants des régions concernées, vers d’autres régions, amplifiant le risque de contagion, des émeutes éclatent dans une trentaine de prisons italiennes, face à la crainte provoquée par le confinement et l’interdiction des visites de prisonniers. On notera la réaction étonnamment progressiste du gouvernement iranien, qui lui, libère provisoirement 60.000 prisonniers afin d’éviter cette situation d’enfermement anxiogène, pour une population carcérale déjà fragilisée physiquement.

900 entreprises françaises ont déjà déposé des dossiers de chômage technique.

La plupart d’entre elles, en particulier dans le transport de voyageurs, sont amenées à ralentir, voire à stopper leurs activités. En voici quelques exemples, à un moment ou la liste s’allonge d’heure en heure…

La compagnie Flybe – certes déjà mal en point auparavant – vient de déposer le bilan. Emirates demande à ses salariés de prendre des congés sans solde. Lufthansa immobilise 150 de ses appareils.

Air France vient de proposer à ses salariés de prendre des congés sans solde, ou des temps partiels. En prémisse au chômage technique ? Les jours à venir nous le diront fort probablement.

Elle annonce d’ailleurs subir 1 milliard de dollars de pertes en « couverture » de pétrole, ce qui correspond à une assurance contractée afin de ne pas pâtir des hausses du prix du baril. Or quand le prix baisse, Air France continue à payer le prix fort. Notamment en continuant à faire voler ses avions à vide, faute de réservations, mais aussi afin de pouvoir conserver des créneaux de vol, ce qui donne des situations absurdes en termes de gaspillage de carburant.

Cependant nous apprenions ce 10 mars, que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait déclaré que l’UE supprimera temporairement les règles stipulant que les compagnies aériennes de aient exploiter 80% des lignes régulières pour conserver ces fameux créneaux. La compagnie française ne pourra néanmoins tenir le coup très longtemps à ce rythme, et les annulations de liaisons aériennes se multiplient quotidiennement.

TAP Air Portugal annule près de 1000 vols. La compagnie aérienne portugaise prévoit une réduction de « sa capacité de l’ordre de 4% en mars et 6% en avril, ce qui représente un total de 1.000 vols environ ». (Source Le Parisien)

Quant aux structures hospitalières, il serait donc vrai qu’elles étaient fort mal préparées à affronter une telle situation.

Tous ces soignants, dans la rue depuis des mois, protestant contre la privatisation programmée des hôpitaux, contre les salaires indécents, et surtout, contre le manque de moyens ne nous auraient donc pas menti? L’argent alloué au système de santé français serait donc en effet fort insuffisant?

On nous a expliqué que des masques et du désinfectant manquaient – dérisoire prétexte – mais que cela été dû à la virulence de l’épidémie. Les stocks étaient donc insuffisants au point de ne pas résister à une situation qui a débuté en France il y a à peine quelques semaines ? Ce 9 mars, au cours de son allocution, le ministre de la Santé, nous certifie (même si, on ne résiste pas à le glisser, sa voix tremble un peu en répondant à la question du stock insuffisant) que les commandes étaient faites, seraient satisfaites, et en appelle au civisme de chacun afin de ne pas « voler » des masques !

Ne parlons même pas des tests. Ils sont limités (en raison du nombre de stocks insuffisants, et de leur coût) aux patients déjà atteints, alors que de toute évidence ils ont déjà pu potentiellement contaminer d’autres personnes pendant toute la durée de l’incubation. Ou aux personnalités telles que le ministre de la Culture, Franck Riester, qui lui, a pu bénéficier d’un test sans délai.

Le gouvernement français tirait déjà sur les ambulances avant, pourquoi changerait-il de méthode ?

Alors que des crédits publics pourraient être débloqués en urgence, afin de permettre une meilleure prise en charge des malades, le ministre de la Santé Olivier Véran annonce : « il y avait sur le budget 2019 des hôpitaux français publics et privés de l’argent qui n’avait pas été dépensé, une mise en réserve de 260 millions d’euros. Je les débloque pour l’ensemble des hôpitaux français ».

La situation est plus sérieuse encore qu’on ne le pensait, si l’on en croit le rapport de l’Imperial College de Londres. Selon les dernières estimations de l’équipe du MRC Center for Global Infectious Disease Analysis de l’Imperial Collège de Londres en effet, un pour cent des personnes atteintes de la maladie mourront de leur infection. « Les cas d’infection sont détectés grâce à la surveillance, qui se produit généralement lorsque les personnes malades demandent des soins de santé. Selon les exigences d’un système de santé et la capacité de procéder à des tests, le nombre de cas confirmés signalés lors d’une épidémie ne représente jamais qu’une fraction des véritables niveaux d’infection dans la communauté. »

De plus, il peut s’écouler des semaines avant que le résultat clinique final d’une personne infectée par un virus respiratoire tel que COVID-19 soit connu et signalé.

Le professeur Neil Ferguson, nous explique que : « Comprendre l’impact probable de la pandémie en cours causée par le virus COVID-19 sur la santé humaine sera essentiel pour éclairer les décisions prises par les pays au cours des prochaines semaines sur la meilleure façon de répondre à cette nouvelle menace pour la santé publique. Nos estimations – bien que sujettes à beaucoup d’incertitude en raison des données limitées actuellement disponibles – suggèrent que l’impact de l’épidémie en cours pourrait être comparable aux grandes pandémies de grippe du XXe siècle. Il est donc vital que les pays du monde entier continuent de travailler ensemble pour accélérer le développement et le test de traitements et de vaccins efficaces, dans les délais les plus rapides possibles. La surveillance et le partage des données doivent également être encore améliorés pour permettre de mieux comprendre le spectre de gravité de la maladie causée par ce virus. »

Terminons par les effets psychologiques de cette situation, dans un contexte social ou le moindre événement peut mettre le feu aux poudres.

Une telle épidémie, digne d’un film de mauvaise science-fiction, nous renvoie fatalement à des questionnements encore plus cruciaux sur notre devenir. Que ferai-je si je perds mon travail ? Mon vieux papa risque-t-il d’être contaminé (peut-être par moi), et mes enfants comment les protéger ? Et moi, qui me protège ?

On a vu l’effet des mesures liberticides draconiennes prises en Chine sur le mental des populations, confinées, isolées, renvoyées à une solitude forcée et angoissante. Une population déjà excédée par la situation sociale exécrable, est une population qui peut, sous l’effet de mesures vécues comme répressives (quarantaine, isolement, interdictions de se rassembler, qui ne manqueront pas dès que le stade 3 sera confirmé), se rebeller contre des mesures ressenties comme inconséquentes ou illogiques.

« L’effet 49.3 » d’un virus pernicieux, pourrait fort bien rallumer l’étincelle de la révolte.

A noter aussi que, depuis 2016, les révoltes populaires se multiplient, en France notamment avec les Gilets jaunes, résultat de nombreuses années de gestion sociale désastreuse, et la désobéissance civile y est devenue une pratique courante.

Le 14 mars prochain, auront lieu en France et principalement à Paris, des manifestations. Elles ont pour objectif d’exprimer la légitime colère populaire, face aux problématiques climatiques et sociales graves qui secouent notre pays depuis un moment. En France, la motion de non confiance populaire face aux choix opérés par le gouvernement politiques et sociaux, a depuis bien longtemps gagné les masses, et malgré le climat anxiogène actuel, le peuple a bien compris qu’il est hors de question de mettre de côté ses revendications de justice! La séquence sanitaire en cours, ne fait que renforcer la conviction générale de la faiblesse du système capitaliste incapable de résister aux tempêtes de la vie humaine.

Ainsi se révèle dans toute sa splendeur, l’insoutenable légèreté d’un système libéral qui ne fonctionne que pour lui-même, ne prend en compte que les facteurs qui pourraient mettre à mal son équilibre si fragile.

Déstabiliser l’économie, nous n’en espérions pas tant de la part d’un virus, et pourtant. Nous aurions amplement préféré continuer à lutter pour un monde plus digne en bonne santé, et tant qu’à faire… vivants.

Nathalie Athina

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