« Notre Jupiter était un Attila », par Rodolphe Bocquet

12/05/2020

A quoi sert un chef d’Etat dans nos démocraties contemporaines ? En France en tout cas, le déficit de confiance vis-à-vis du pouvoir prend des proportions inédites. Elu en 2017, Emmanuel Macron a enlisé le pays dans des conflits sociaux d’une rare violence, et la crise du COVID a montré à quel point son crédit était entamé

Il y a celui qui brûlait d’aller chercher la croissance avec les dents, celui qui jurait de mettre la finance à genou, l’adepte du changement dans la continuité, ou encore le chef qui voulait cheffer. A quoi sert vraiment un Président ? Quelle est la part de nos aspirations à laquelle il peut effectivement contribuer, et celle qui ne relève que notre propre engagement ? La clarté sur ce point éviterait les marchés de dupe. Il y va de notre efficacité collective.

J’ai constaté l’immensité de ce qui échappe en démocratie à l’action de l’exécutif, quelles que soient l’énergie, la légitimité ou la pertinence.  Il y a par contre un domaine où la responsabilité présidentielle prend une ampleur décisive : nourrir la confiance.   

Le déficit français en matière de confiance vis-à-vis de l’exécutif devrait en effet inquiéter au moins autant que le ratio dette sur PIB. La France est sur le podium des pays de l’OCDE dont la performance en matière de gouvernance s’est le plus dégradée entre 2008 et 2018.  19ème sur 37 pour la liberté politique et la redevabilité des dirigeants ; 33ème pour l’instabilité politique et la violence (-11 places); 14ème pour l’efficacité de l’action publique (-11 places); 27ème pour poids des régulations publiques, 20ème pour l’état de droit ; 17ème pour le contrôle de la corruption [1].

En mai 2017, Emmanuel Macron dispose d’un formidable capital confiance. LREM est une marée montante qui semble pouvoir soulever tous les bateaux[2].  Ce « goodwill », comme le Président se plairait à l’appeler, apparaît aujourd’hui comme un actif dramatiquement déprécié. Il y a de l’Attila dans ce Jupiter. Il désigne comme n’étant rien, ceux qui n’ont pas réussi, avant de leur reprocher de ne pas savoir traverser la rue pour trouver un emploi qui leur tend les bras. Il fustige les corps intermédiaires, il divise les collectivités locales jouant les conseils départementaux contre les régions, il enlise le pays dans un conflit social d’une violence inédite.

Lorsque le Président appelle à la mobilisation générale contre le COVID, l’état des troupes laisse à désirer. L’exécutif est alors écartelé entre plusieurs fronts :

Celui de la Mairie de Paris ( (l’un des candidats n’a pas eu suffisamment confiance dans l’intégrité des primaires LREM pour en respecter le verdict) et le 49-3.

Le soldat Hulot, qui, a déserté depuis longtemps, et les démissions du groupe parlementaire de la majorité s’accumulent.

Le départ en province de centaines de milliers de parisiens, enfin qui prend des allures d’exode.

La France compte aujourd’hui, en pourcentage de sa population, près de cinq fois plus de décès du COVID 19 que l’Allemagne. 2,6 fois plus que la moyenne des pays de l’OCDE.  7,5 fois plus que ceux de ces pays, dirigés par des femmes.

Alors quand la semaine dernière lors d’une visio-conférence avec les artistes le Président déclare « La cohésion de la nation, ça n’est pas simplement le travail du président de la République, de son premier ministre ou du gouvernement ; c’est le travail de chacune et chacun d’entre vous », on manque de s’étrangler devant l’indécence du procédé.

Lorsqu’il appelle à ce qu’on lui fasse remonter des « utopies concrètes », on se demande s’il parle des masques et des tests pour lutter contre la maladie.

« A la consternation s’ajoute le dégoût » déclarent dans une lettre ouverte les ordres des médecins, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, dentistes, sages-femmes et podologues.  Et de conclure « L’heure viendra, nous l’espérons, de rendre des comptes. En attendant, nous allons poursuivre notre mission de professionnels de santé, car c’est notre engagement. Avec néanmoins l’amertume de se dire que la responsabilité n’est pas la mieux partagée de toutes les vertus. »

« Chers concitoyennes-ens, je vous prie de croire en l’assurance de ma profonde vanité ». Conclusion épistolaire virtuelle, dépassée par la réalité d’un Président qui persiste et signe.

Rodolphe Bocquet


[1] Indicateurs de gouvernance de la Banque Mondiale / Forum économique Mondial

[2] « A rising tide lifts all boats », slogan utilisé par Kennedy

Diplômé d’HEC et de New York University, Rodolphe Bocquet, a été trader à la Société Générale. Il conduit ensuite, jusqu’en 2012, des politiques publiques de développement durable. En 2014, il crée Beyond Ratings, première agence de notation financière intégrant les facteurs de durabilité de long terme dans la notation de solvabilité des Etats. Il en part début 2020. Aujourd’hui, il se définit comme artisan humaniste.

1 Commentaire(s)

  1. Voilà une tribune plutôt bien vue. Le constat des carences chez l’homme Macron, et au niveau de l’exécutif, est fondé. Bien vue aussi la conclusion sur « la vanité ».
    Mais « vanité » signifie ici « sûr de lui et dominateur » plus que « vain », cad « inutile ». Car ses décisions sont loin d’être vaines et inutiles à la classe des possédants qui l’ont mis sur le trône, et qui ont mis sur le trône – ou corrompus – ses prédécesseurs.
    Ce n’est pas qu’une question d’homme, même si celui-ci est particulièrement gratiné, odieux et antipathique … aux yeux de ses victimes cad les plus pauvres. Encore qu’en cette période de pandémie, ce ne soit pas forcément chez les plus pauvres qu’il suscite de l’antipathie : cette pandémie, tout comme le désastre écologie, touche toutes les classes sociales y compris la bourgeoisie, qui à ce titre, ne lui donne pas tout à fait quitus de sa gestion.
    Mais lors du retour aux affaires courantes, après la pandémie, les petite et moyenne bourgeoisies verront de nouveau en lui un protecteur, et la grande bourgeoisie financière, un instrument docile de sa politique ! C’est aussi une question de système, et le système n’est pas dans les mains de Macron (ni d’Edouard Philippe d’ailleurs : on essaye actuellement d’inventer une divergence entre eux, pour que l’un puisse remplacer celui qui sera désigné comme galeux)( je sous-entends qu’en tant que crapule, EP est pire qu’EM, même s’il parait moins déplaisant).

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