« La France a-t-elle encore un Président? », par Rodolphe Bocquet

22/04/2020

Ex-trader à la Société Générale, et longtemps responsable de politiques publiques de développement durable, Rodolphe Bocquet a vu pour QG l’interview filmée d’Emmanuel Macron parue dans le Financial Times du 16 avril dernier. Et il n’en revient toujours pas

En septembre 2010, l’hebdomadaire britannique The Economist osait à la une le titre suivant à propos de Nicolas Sarkozy : « The incredible shrinking President » (L’incroyable Président qui rétrécit, NDLR). Après avoir visionné l’interview donnée par Emmanuel Macron au Financial Times le 16 avril dernier, on se demande si le Président de la France n’a pas aujourd’hui tout simplement disparu.

Je n’ai jamais apprécié Emmanuel Macron. Dès le lancement de sa campagne dans un CFA (Centre de Formation des apprentis) de Seine-Saint-Denis en novembre 2016, auquel les élèves n’avaient pas été conviés, j’ai eu un sentiment d’entourloupe. Il y a certainement un peu de jalousie là dedans. Nous sommes nés dans la même ville, dans les années 1970, sommes tous deux passés par la finance avant d’être attirés par la sphère publique, où il a réussi au-delà de tout ce dont je me suis autorisé à rêver.

Rainer Maria Rilke a écrit « la gloire n’est en définitive que la somme des malentendus qui se forment autour d’un nom nouveau ».  On pouvait accorder le bénéfice du doute, reconnaître le brio du hold-up, et se dire que le temps trancherait quant à la véritable nature de ce Président. Les mois se sont enchaînés et les clivages ont grandi dans le Pays. Puis vint la crise du Covid-19: un moment déterminant, a defining moment comme disent les anglais.

L’interview donnée au FT la semaine dernière a de quoi générer une colère noire. On dit que la colère, c’est une tristesse qui ne parvient pas à s’exprimer. Alors voilà.

En ouverture, l’épiphanie. « Ce qui ne vaut rien, n’a pas de prix !» : les masques et les blouses des infirmières, un climat stable et clément, de l’eau, de l’air et des terres non pollués, les expériences que nous tirons de ceux qui ont affronté le Covid avant nous. A partir de dorénavant, l’humain doit être au centre, fini le primat de l’économie, qu’on se le dise! Au-delà du doute sur la sincérité de cette conversion, ce qui blesse, c’est l’aplomb et le contentement avec lesquels le Président s’affiche désormais comme le dépositaire révélé de ces valeurs, sans considération, aucune, pour celles et ceux qui mènent ces combats depuis des décennies.

Passées les bornes, plus de limite. C’est l’air de la Castafiore. On n’en croit ni ses yeux, ni ses oreilles : le Président frime. Il se pavane, gonfle le jabot. Il donne la leçon : économie, histoire, anthropologie, psychologie, en mode free style. Devant ce salmigondis d’éléments de langage, on hésite entre les Précieuses Ridicules et les Nuées d’Aristophane. Le Président plane, adieu la gravitas.

Puis vient la coda, ce signe annonçant l’air final. Le Président a quitté l’orbite terrestre. A moins que ce ne soit les effets de l’ambroisie. Il n’est plus parmi nous. A la question « Aviez-vous imaginé devoir gérer une crise pareille ? » il répond : « Ecoutez, d’abord je ne m’étais rien imaginé. Parce que je m’en suis toujours remis au Destin. Et au fond, c’est la chose la plus simple à faire. Et ensuite, il faut être disponible pour le Destin. » Le cynisme le dispute au narcissisme. Les résidents d’EHPAD de France et de Navarre apprécieront d’en avoir été ainsi remis au Destin.

Il ne nous reste que les yeux pour pleurer. Enfin, pas tout à fait. Je repense à l’école de prospective française, née dans l’après-Seconde guerre mondiale sous l’impulsion de Gaston Berger. Cette « indiscipline intellectuelle » qui considère que l’avenir n’est pas ce qui advient, mais ce que l’on fait. Pour préparer le futur de l’humain.

Et le Président de conclure par son antienne, boussole d’un pompier pyromane pilotant la destinée des français : moi ou le chaos. Mais il est là le chaos : sanitaire, social, écologique, économique. Et toi Emmanuel, où es-tu?

Rodolphe Bocquet

Pour voir l’interview d’Emmanuel Macron au Financial Times du 16 avril 2020, cliquez ici: Macron: coronavirus is Europe’s moment of truth

Diplômé d’HEC et de New York University, Rodolphe Bocquet, a été trader à la Société Générale. Il conduit ensuite jusqu’en 2012 des politiques publiques de développement durable. En 2014, il crée Beyond Ratings, première agence de notation financière intégrant les facteurs de durabilité de long terme dans la notation de solvabilité des Etats. Il en part début 2020. Aujourd’hui, il se définit comme artisan humaniste.

1 Commentaire(s)

  1. Avec un peu de retard, je reviens sur cette tribune. L’auteur, mr Rodolphe Bocquet a créé et dirigé en 2014 « une agence de notation financière intégrant les facteurs de durabilité long terme … ». Il serait intéressant d’avoir son avis sur l’écolo-capitalisme plutôt bien présenté dans le film suivant :

    https://www.youtube.com/watch?v=Zk11vI-7czE

    En 2020, mr Bocquet s’installe comme « artisan humaniste ». Question : qu’est-ce qui distingue un « artisan » d’un « artisan humaniste » ? Le contenu de l’activité et son rapport à la société ? la forme organisationnelle et son rapport aux salariés (autogestion ? entreprise libérée ? ….)? la gestion des ressources humaines de sa – forcément – petite équipe ?

    Une tribune sur un projet d’entreprise « humaniste » ne pourrait-elle pas être envisagée ?

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