Les troublants échos français de la mort de George Floyd, par Jonathan Baudoin

31/05/2020

L’interpellation filmée et la mort de George Floyd, à Minneapolis, le 25 mai, jettent une lumière crue sur la question des violences policières, ainsi que sur celle d’un racisme institutionnel Outre-Atlantique, mais également dans d’autres pays développés comme la France, où la question de l’existence d’un État policier dans l’État est encore tabou

« Je ne pouvais pas reconnaître les visages qui se tenaient au-dessus de moi/ Ils étaient tous habillés d’uniformes de brutalité ». Cette traduction des paroles de la chanson « Burnin and looting » des Wailers, le groupe de Bob Marley, qui servit d’introduction au film La Haine, sorti il y a 25 ans, résonne plus que jamais ces derniers jours aux États-Unis, suite au décès de George Floyd, 46 ans, à Minneapolis. À l’issue d’une interpellation filmée, où un policier bloqua avec son genou le cou du défunt durant environ huit minutes, Floyd suffoqua, alors qu’il avait indiqué à son tortionnaire qu’il ne pouvait plus respirer, et périt dans les heures qui suivirent. Désormais la révolte flambe à Minneapolis, et dans de nombreuses autres villes des États-Unis, tant ces crimes de policiers blancs envers des noirs sont répétitifs. Songeons notamment au décès d’Éric Garner à New York en juillet 2014, après avoir subi exactement le même sort que Floyd.

« On est pris en sandwich »

Il s’avère que je suis allé à Minneapolis, jeune adulte à la fin des années 2000, voir un oncle qui s’y était installé depuis quelques années et qui y vit encore, avec toute sa famille. C’est tout naturellement que je l’ai contacté pour savoir comment il vivait cette situation, sachant qu’il y avait également eu un confinement dans cette ville du Midwest, située sur les rives du Mississippi. « Depuis une semaine, ou plus exactement, lundi dernier, on a commencé à relâcher » m’a-t-il expliqué au sujet de ce lockdown, qui devait ne plus être aussi dur à partir de ce 25 mai. Mais la mort de George Floyd change la donne. De même que l’ampleur des manifestations, qui au passage, suscite de nouvelles inquiétudes par rapport au Coronavirus. « Ce sont des masses de gens que je vois dehors, sans masques. On ne respecte plus les distances entre individus, on va peut-être assister à une recrudescence intenable du Covid-19 » craint-il à terme.

Pour le moment, lui et sa famille, installés dans le centre-ville, près de l’université du Minnesota, « à quinze minutes de marche » du Mississippi, observent avec inquiétude les incendies prenant dans plusieurs endroits de la ville. « On a brûlé une banque, j’ai vu hier soir une station d’essence qui était en feu. Ce sont 27 endroits qui ont été touchés. On est pris en sandwich. Il y a South Minneapolis qui est en feu. North et West Minneapolis qui ont été saccagés hier soir (vendredi soir) ». Mon oncle envisage de mettre à l’abri sa famille en dehors de la ville, chez des amis, si d’aventure la tension venait à s’accentuer encore dans les prochains jours. Et ce n’est pas la présence de la garde nationale qui pourrait calmer les esprits, ni l’arrestation de Derek Chauvin, le policier bloquant le genou du défunt et au demeurant multirécidiviste. Le facteur clé viendra, selon lui, de la communauté noire de Minneapolis. « Il y a des activistes dans la communauté noire, qui commencent à lancer des messages de paix. Ils se ressaisissent parce que ça commence à casser les biens de la communauté » analyse-t-il, estimant d’ailleurs que les violences ont dépassé la communauté noire, en raison de la présence d’autres personnes, venues d’états voisins, saisissant l’occasion pour en découdre avec les forces de l’ordre. Il se dit aussi, chez certains habitants de Minneapolis, que des suprémacistes joueraient le rôle de fauteurs de troubles pour ensuite faire attribuer le rôle de casseurs aux noirs et aux non-blancs en général.

« Le triangle du déni médical, médiatique, et politique »

La mort de George Floyd trouve un écho en France tant des similitudes nombreuses et troublantes sont observables. Une interpellation, par des blancs, d’un noir désarmé. Une technique de plaquage ventral à trois contre un, avec l’un d’eux mettant la pression sur le cou de la personne interpellée. Vous pensez que je divague ? Une vidéo du 28 mai montre une interpellation dans le 20ème arrondissement de Paris avec la même technique que celle utilisée contre Floyd.

Ensuite, le triangle du déni médical, médiatique, et politique. Une première autopsie du corps de Floyd n’attribue pas son trépas à l’étouffement, mais « à une combinaison de facteurs », évoquant des problèmes de santé de la victime. « Ils ont dit ça à chaque fois qu’il y a eu un cas de mort pour ne pas dire que c’était lié aux échanges avec la police. C’est leur argument de tous les jours » rétorque mon oncle, saluant au passage l’utilisation des téléphones portables pour filmer ces scènes. « Quand on coupe la circulation du sang vers le cerveau, deux minutes suffisent pour que quelqu’un parte. Peu importe la musculature » ajoute-t-il, en total désaccord avec l’analyse de la première autopsie du corps. Quelque part, en France, le docteur Alain Ducarnet devançait l’autopsie en déclarant sur la chaîne publique France 5, le 27 mai, qu’il y a « sûrement quelque chose de pathologique chez ce monsieur ». Un procédé similaire est utilisé depuis près de quatre ans au sujet d’Adama Traoré, mort après une interpellation de la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise. Tout est bon pour ne pas mettre en cause les gendarmes. La toute dernière expertise dans cette affaire, sortie le 28 mai dernier, écarte une fois de plus l’asphyxie via l’étouffement et la pression mise par les gendarmes sur le corps de Traoré.

Deux jours avant la mort de Floyd, la chanteuse et actrice Camelia Jordana dénonçait les violences policières sur France 2, utilisant même le verbe « massacrer » pour décrire ces violences envers des Français qui ont des racines extra-européennes visibles en raison de leur faciès. Ce qui provoqua une série d’attaques contre Jordana de la part des syndicats de police, du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, mais surtout une union sacrée allant de Marine Le Pen à Manuel Valls pour clouer au pilori la chanteuse. C’est dire le courage de ces politiciens ! Puis, quand des violences policières ne sont pas mortelles, le déni continue pour accuser sournoisement les victimes de l’avoir cherché. Nos confrères du Bondy Blog ont rapporté l’histoire de Gabriel Djordjevic, un adolescent de 14 ans, hospitalisé à l’hôpital Jean Verdier de Bondy pour un traumatisme facial et crânien, après une interpellation réalisée par la police de Bondy pour une tentative de vol de scooter, dans la nuit du 25 au 26 mai. Est-ce qu’une tentative de vol de scooter justifie un tel passage à tabac d’un ado ? Telle est la question.

« En France, un racisme plus hypocrite »

Toutefois il y a des différences entre les États-Unis et la France. Du côté de Washington, on affiche librement son racisme, profondément inculqué depuis plusieurs siècles et susceptible d’être affronté directement, frontalement. Du côté de Paris, le racisme est plus voilé, plus hypocrite, au nom de l’universalisme « républicain », rimant volontiers avec impérialisme, dont les traces les plus visibles sont les Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Mayotte, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie), bien moins « égales » que le reste de l’Hexagone. Certaines lois y furent même maintenues après leur suppression en métropole, comme au sujet du chlordécone, empoisonnant désormais les sols martiniquais ou guadeloupéen. Au niveau des luttes, pendant longtemps, les révoltes des banlieues prolétaires de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, du Val-d’Oise, de certaines villes des Yvelines, de communes voisines de Lyon, des quartiers populaires de Paris ou de Marseille, étaient observées avec mépris par nombre de citoyens, car elles étaient menées par des non-blancs exposés aux violences policières, par conséquent niées. Avec le mouvement des Gilets jaunes, un début de prise de conscience commune a toutefois commencé à s’opérer. De là à ce que la portée en devienne tangible au niveau des forces politiques, notamment à gauche, cela prendra du temps, tant le « fraternalisme« , version gauche du paternalisme de la droite, dénoncé en son temps par Aimé Césaire, est profondément présent dans cette partie de l’échiquier politique, également prompte à s’en prendre au « communautarisme », adoptant ainsi le langage, et le corpus intellectuel de la droite.

Pour conclure, les mots du militant des « Black Panthers » Stokely Carmichael, théoricien du concept de racisme institutionnel, doivent marquer notre mémoire : « Si un homme blanc veut me tuer, c’est son problème. S’il a le pouvoir de me tuer, c’est mon problème. Le racisme n’est pas une question d’attitude. C’est une question de pouvoir. Le racisme tient son pouvoir du capitalisme. Ainsi, si vous êtes antiraciste, que vous le sachiez ou non, vous devez être anticapitaliste. Le pouvoir du racisme, le pouvoir du sexisme, vient du capitalisme, pas d’une attitude ».

Jonathan Baudoin

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