« Les programmes de Macron et du RN bénéficient tous les deux aux plus riches » par Dany Lang

18/04/2022

À qui profitent les programmes économiques des ex-finalistes à la présidentielle? À quelques inflexions près, les grandes lignes avantagent les plus favorisés des Français. Si celui de la candidate du RN est plus ouvertement raciste que ne l’est le programme d’Emmanuel Macron, ce dernier l’est également de manière plus feutrée, lorsqu’il s’en prend par exemple aux deux millions de bénéficiaires du RSA dont un nombre important est issu de l’immigration. Découvrez le comparatif très complet ici établi par l’économiste Dany Lang pour QG

On entend souvent dire, dans les médias mainstream, que le programme économique du RN, est constitué avant tout de mesures alléchantes pour son électorat populaire, et demeure profondément anti-européen, en dépit de son abandon de la revendication du Frexit et de la sortie de l’euro. Un programme qui serait donc très éloigné de celui de l’actuel Président de la République. Pour y voir plus clair, QG a contacté l’économiste Dany Lang, membre du collectif les Économistes Atterrés, dont l’analyse montre combien les deux finalistes pour le second tour de l’élection présidentielle, au-delà de quelques différences formelles sur certains points, s’inscrivent profondément dans la pensée néolibérale, dominante ces dernières décennies en France et dans le monde. Interview par Jonathan Baudoin

QG : Les médias mainstream présentent les programmes économiques d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen comme fortement opposés dans leur ensemble. Mais est-ce véritablement le cas ?

Dany Lang : Les deux programmes sont des programmes néolibéraux. Le programme d’Emmanuel Macron est un programme néolibéral-européen, alors que le programme de Marine Le Pen est un programme néolibéral nationaliste et xénophobe. Il y a des convergences, mais aussi des divergences, notamment en matière européenne et en matière de défense. Au niveau du chiffrage, il y a chez Marine Le Pen beaucoup de mesures promises qui ne sont pas chiffrées. Chez Emmanuel Macron, il y a un chiffrage qui a été fait, dont vous pouvez retrouver la critique dans la note que j’ai rédigée pour les Économistes Atterrés avec Henri Sterdyniak, « Emmanuel Macron ou le loup sous une peau de mouton ». C’est chiffré avec les pieds ! C’est d’ailleurs assez décevant pour un programme de droite parce que, par le passé, la droite chiffrait toujours proprement ses programmes et reprochait à la gauche d’être incapable de proposer des chiffrages sérieux. Là, on n’a aucun chiffrage sérieux et ce malgré le fait que Macron a derrière lui nombre de théoriciens de la pensée dominante néoclassique et nombre de cabinets de conseil comme McKinsey.

Néanmoins, il y a une philosophie commune chez les deux candidats, issue de l’idéologie néolibérale. On va faire baisser les impôts et les cotisations sociales soi-disant pour faire augmenter le pouvoir d’achat. Emmanuel Macron propose que les employeurs puissent verser jusqu’à 3.000 euros à leurs employés sans payer de cotisations sociales, s’ils le veulent bien. Il faut donc compter sur leur gentillesse. Marine Le Pen propose que les employeurs puissent proposer une hausse de 10% à leurs salariés, dénuée de toute cotisation sociale, là encore s’ils le veulent bien. On se retrouve avec des histoires de baisse de cotisations sociales en échange d’une prime ou d’une hausse de salaire. Les baisses de cotisations sociales, chez Marine Le Pen, sont dans l’idée de faire travailler les gens. Mais elle oublie que les cotisations sociales ont fortement baissé entre 1 et 1,6 fois le Smic, et que le Smic ne compte aujourd’hui quasiment plus de cotisations sociales.

Parmi les différences, il y a chez Emmanuel Macron, le travail forcé pour les bénéficiaires de minimas sociaux, notamment pour ceux qui bénéficient du RSA, de 15 à 20h par semaine. Ce que ne propose pas Marine Le Pen. Ce qui revient à les faire travailler à 8,85 euros de l’heure. En tout cas, c’est en-dessous du Smic. En équivalent emploi temps plein, cela correspond à une destruction d’environ 850.000 emplois.

Poignée de mains entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron en 2017

Il y a des différences sur l’hôpital. Emmanuel Macron promet d’embaucher des soignants mais ne remet pas en cause le système actuel de tarification à l’acte, poussant les hôpitaux à faire beaucoup d’ambulatoire, pour mettre les patients dehors très rapidement. Ce qui est problématique, car l’hôpital est géré comme une entreprise et beaucoup de patients nécessitant une surveillance sont renvoyés au domicile trop vite. Marine Le Pen, elle, veut revenir à l’ancien système, qui était celui de la dotation globale. Il était un peu moins pire, mais avait tendance à favoriser les Centres hospitaliers universitaires (CHU). Ce qui est loin d’être la panacée, puisque ce sont les villes bénéficiant de CHU qui avaient la meilleure médecine.

Les deux promettent un certain nombre de choses. Marine Le Pen promet une baisse de la TVA pour une centaine de produits, qu’elle n’a pas listés à ma connaissance. Ce n’est pas forcément une mauvaise idée de baisser la TVA, qui est un impôt extrêmement injuste et inégalitaire car tout le monde paie, quels que soient ses revenus. Mais la mesure n’est pas précisée.

La différence majeure chez Le Pen, c’est tout de même que la plupart des mesures ne sont pas chiffrées, ni financées. Elle annonce que le financement sera assuré pour partie par l’expulsion des immigrés. Ce qui est stupide puisque toutes les études économiques sans exception montrent que les immigrés, en solde brut, apportent davantage qu’ils ne coûtent à la France. Ce sont des actifs qui paient des cotisations sociales et que le solde positif pour l’économie est très documenté dans la littérature économique. Marine Le Pen veut aussi faire baisser la contribution française au budget européen de cinq milliards d’euros. Même Margaret Thatcher n’avait pas obtenu cela !

Les deux candidats souhaitent augmenter significativement le nombre de magistrats et de policiers, sans préciser le financement prévu à cet effet. Sur la défense, Marine Le Pen mise tout sur le réarmement et l’armée nationale, là où Emmanuel Macron veut qu’on aille vers une défense européenne.

Enfin, sur l’écologie, les deux programmes sont nuls ! Emmanuel Macron nous dit qu’on va résoudre nos problèmes écologiques grâce à la start-up nation, repeinte en verte, et grâce à un investissement de 10 milliards d’euros pour assurer la transition écologique, alors qu’il en faudrait au bas mot 50 milliards d’euros. Marine Le Pen ne nous dit rien là-dessus, si ce n’est qu’elle veut favoriser les produits français, ce qui pourrait faire sens dans la logique de circuits courts ; mais elle ne parle pas de circuits courts pour favoriser les produits nationaux, ne précise pas comment elle s’y prendrait. Le Pen veut, par ailleurs, démanteler les éoliennes. Les deux comptent pleinement sur le nucléaire. Zéro pointé !

Le combat contre la réforme des retraites, en janvier 2020 à Paris

QG: Au sujet des retraites, la proposition de Macron est de reculer l’âge de départ à 65 ans, tandis que Marine Le Pen présente une réforme des retraites où l’âge de départ serait de 60 ans si le début d’entrée dans la vie active est avant 20 ans. Ces propositions sont-elles réellement différentes l’une de l’autre?

En matière de retraites, on nous dit qu’il y a une différence. Emmanuel Macron a proposé la retraite à 65 ans, peut-être 64 depuis cette semaine. Concrètement, cela aboutira à une baisse du montant des pensions, notamment dans le privé, puisque la plupart des entreprises ne gardent pas leurs salariés au-delà de 55 ans. Marine Le Pen propose le statu quo, soit 62 ans, et 60 ans pour les personnes qui auraient commencé à travailler avant l’âge de 20 ans. On a une petite différence mais il y a cinq ans, Marine Le Pen proposait la retraite à 60 ans pour tout le monde.

En matière de retraites minimum (le minimum vieillesse), on a 1.000 euros chez Marine Le Pen et 1.100 euros chez Emmanuel Macron. Cette augmentation est loin d’être faramineuse. Marine Le Pen va probablement s’aligner parce que le chiffrage n’est pas sa préoccupation principale. Marine Le Pen veut réindexer toutes les retraites sur l’inflation, ce qui n’est pas absurde mais bénéficierait notamment aux retraités les plus aisés, puisque les retraites inférieures à 2.000 euros ont été moins concernées ces dernières années par la sous-indexation. Emmanuel Macron veut s’attaquer aux régimes spéciaux. Ce qui est complètement idiot puisque les régimes spéciaux ne concernent qu’un nombre très marginal de personnes, dans des régimes qui sont excédentaires, qui sont en train de s’éteindre tous seuls avec la disparition des personnes qui bénéficient de ces régimes spéciaux.

En tout cas, les difficultés du système de retraites sont totalement imaginaires puisqu’il y a un excédent massif et aucun besoin de reculer l’âge de départ à la retraite. C’est juste une manière de faire baisser les pensions. On a une petite différence là-dessus, si on s’en tient aux programmes et si on pense que les programmes vont être mis en œuvre.

Par ailleurs, il n’y a pas d’augmentation du Smic chez les deux candidats, alors que c’est pourtant le meilleur outil pour faire face aux problèmes de pouvoir d’achat. Quand on augmente le smic, les salaires jusqu’à 1,8 smic tendent à augmenter (effet de halo).

QG: Dans cette note pour les Économistes Atterrés que vous avez évoquée tout à l’heure, vous soulignez que le programme économique d’Emmanuel Macron est un « patchwork décousu entre les desideratas de l’oligarchie financière et l’obligation de ne pas heurter de front l’attachement des Français aux services publics et à la protection sociale ». Qu’en est-il de manière plus détaillée ?

Emmanuel Macron est le candidat des 1%, voire des 0,1% les plus riches ! Il a pris une partie de son programme directement auprès du Medef, notamment la baisse des impôts de production, la flexibilisation accrue du marché du travail, ou la baisse du montant et de la durée des allocations chômage. Avant les ordonnances Macron du début de son quinquennat, on était déjà en-dessous de la moyenne européenne en matière de taux de remplacement, c’est-à-dire ce que vous touchez lorsque vous êtes au chômage. On était alors à 68% et la moyenne européenne est de 69%. Nous étions en 2021 à 65 %, à comparer à la moyenne de 69 % pour les pays de l’OCDE. Macron veut encore faire baisser cela, en faisant encore baisser la durée et le montant de l’indemnisation. Il veut que les gens acceptent tout et n’importe quel boulot, à n’importe quel prix. Il n’a pas osé mettre dans son programme la baisse du salaire minimum ou le Smic jeunes, mais certains de ses économistes comme Gilbert Cette ou Philippe Aghion souhaiteraient voir ce genre de mesure mise en œuvre car selon eux « le Smic, c’est trop bien payé », cela nuit à la compétitivité-prix. Au passage, Emmanuel Macron propose +25% d’embauches dans les Ehpad, sans changer leur mode de fonctionnement. En gros, Orpea et consorts vont continuer à agir comme ils le font.

Marine Le Pen avec les Whirlpool à Amiens durant la campagne de 2017

QG: Parallèlement, vous et vos collègues des Économistes Atterrés avez décortiqué le programme économique de Marine Le Pen, soulignant qu’il s’agissait d’un programme « néolibéral-nationaliste ». De manière concrète, qui en sont les gagnants et les perdants ?

Je dirais même qu’il s’agit d’un programme néolibéral-xénophobe et raciste ! On avait décortiqué celui de Zemmour et celui de Le Pen. Ce dernier est du reste moins brutal sur les services publics, où elle dit vouloir soutenir et renforcer nos services publics comme l’hôpital (avec un plan sur la santé de 20 milliards d’euros et une promesse non chiffrée de revalorisation des salaires) alors que Zemmour voulait privatiser l’hôpital. Après, Marine Le Pen ne propose pas de modifier le fonctionnement des Ehpad, à ma connaissance.

Les perdants du programme de Marine Le Pen seront clairement les gens qui ne sont pas dans l’imaginaire frontiste des « Français de souche ». Par exemple, les immigrés qui seraient au chômage et qui auraient été chômeurs de plus d’un an seraient expulsés. On a aussi cette proposition dangereuse et idiote, du point de vue sanitaire, qui est de restreindre l’Aide médicale d’État. Or, celle-ci permet d’aider des gens qui sont malades, qui doivent se soigner et donc de restreindre les épidémies. Une restriction pareille est la garantie d’épidémies futures sur le territoire national, car les microbes, eux, ne choisissent par leurs victimes par rapport à leur origine ou leur couleur de peau. Par ailleurs, dans le programme de Marine Le Pen, les gens qui viendraient travailler chez nous en étant d’origine étrangère, cotiseraient pendant cinq ans à la Sécurité sociale et aux caisses de retraites sans avoir de droits en échange et au bout de cinq ans, ils pourraient bénéficier des droits sociaux pour lesquels ils ont cotisé. Je ne suis pas sûr que cela soit constitutionnel parce qu’à partir du moment où vous cotisez, vous avez des droits.

Le programme de Marine Le Pen est donc plus ouvertement raciste que ne l’est le programme d’Emmanuel Macron, qui l’est également au fond, de manière plus feutrée, parce que les deux millions de bénéficiaires du RSA sont essentiellement des gens qui n’ont pas forcément une couleur de peau blanche. Ils se verraient contraints au travail forcé, de 15 à 20h par semaine. Puisque le programme de Macron reconnaît qu’il y a l’activité potentielle, pourquoi ne pas étendre les territoires « zéro chômeur de longue durée » au plan national ? On crée ces activités et on rémunère ces gens au salaire minimum, et non à 8,85 de l’heure. Il y a plein de réservoirs d’activité dans notre pays, alors on rémunère les gens au Smic et on leur fournit des droits sociaux. On ne leur verse pas un RSA de 530 euros par mois. C’est problématique parce qu’on va obliger des femmes, mères célibataires avec peut-être deux enfants, à exercer une activité de 15 à 20h par semaine en-dessous du Smic. Comment vont-elles faire ?

Il y a au fond la même philosophie chez Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Si les gens sont au chômage, c’est leur faute ! Les 5,6 millions de chômeurs sont responsables du fait d’être au chômage. Même si, maintenant, Marine Le Pen dit exactement le contraire alors que le programme du RN a toujours été  « sus à l’assistanat ! »

Du côté des gagnants, les deux programmes bénéficient essentiellement aux ménages riches. D’ailleurs, en matière de successions, Marine Le Pen se montre plus libérale qu’Emmanuel Macron car elle veut supprimer l’impôt sur la fortune immobilière, un impôt au barème absolument ridicule du reste, qui avait remplacé l’ISF, et instaurer à la place un « impôt sur la fortune financière » dont les contours ne sont pas précisés. Les deux veulent favoriser une baisse des droits de succession alors que ces derniers sont le meilleur moyen de lutter contre les inégalités de patrimoine et donc le renforcement des inégalités de génération en génération.

Pour conclure, j’aimerais inviter vos lecteurs à consulter les notes des Atterrés sur notre site. Nous sommes également en train de préparer une note de synthèse sur les deux programmes, note qui sera mise en ligne avant le 24 avril.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Dany Lang est économiste, maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord, membre du collectif les Économistes Atterrés. Il est coauteur de l’ouvrage collectif des Économistes Atterrés Macron, un mauvais tournant (Les liens qui libèrent, 2018)

4 Commentaire(s)

  1. Il y a une erreur sur l’impôt sur la fortune immobilière. Marine Le Pen veut le supprimer uniquement sur la résidence principale et déjà il n’y a pas d’impôt sur les résidences principales jusqu’à une valeur de 1,7 million d’euros, donc de quoi être logé correctement. L’impôt sur la fortune financière est quelque chose de très vague, mais un impôt sur les transactions financières rapporterait beaucoup plus que l’ISF.

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