Face au passage en force de Macron, exigeons la VIème République

21/03/2023

La fuite en avant de Macron et la probabilité très forte de voir, à court terme, le national-populisme de Le Pen s’approcher du pouvoir, doivent conduire à une prise de conscience immédiate concernant la nécessité de passer à une VIème République. Nul doute que le déclenchement du 49.3 sur le sujet socialement explosif des retraites aura encore accru le nombre des personnes convaincues de la faillite absolue de la Vème, dans des proportions qu’on ne se figure même pas. L’analyse d’Alphée Roche-Noël

Comme il était prévisible, la motion de censure « transpartisane » portée par Courson et le groupe LIOT a échoué… à 9 voix près. Borne et sa réforme y gagnent un répit de pure forme ; Macron, responsable de facto d’un passage en force légal mais illégitime en sort politiquement démonétisé. Certes, le dispositif le plus emblématique du « parlementarisme rationnalisé » a déjà été utilisé à maintes reprises au cours des dernières décennies, avec parfois des conséquences éruptives – on se rappelle que le mouvement Nuit debout est né après un autre passage en force, en l’occurrence sur la « loi Travail ». Mais alors les contradictions de l’actuel régime constitutionnel ne nous avaient pas à ce point éclaté au visage. Désormais, la situation est bien différente. La séquence électorale de 2022 a réuni les conditions d’une crise de régime que ce centième recours à la disposition honnie vient de précipiter.

De ce fait, le combat contre la réforme des retraites change de nature. Depuis le 16 mars, il ne s’agit plus d’une lutte classique, dans le contexte « »normal » d’un régime qui s’est affranchi, dès l’origine et de plus en plus, de toute « normalité ». Tel un fleuve débordant de son lit, le mouvement social est désormais conduit à interroger non seulement la pratique du pouvoir mais son principe et son organisation. Il est devenu, par-delà son but initial, un vaste mouvement démocratique. Et pour cause: les millions d’opposants à la loi sur les retraites ont parfaitement compris que la crise en cours ne peut plus trouver de solution politique satisfaisante dans le cadre de la Ve République. Ils pressentent aussi que, quand bien même la cause la plus immédiate de cette crise disparaîtrait du fait d’un éventuel retrait du texte, il en surgirait bientôt une nouvelle, tout aussi insoluble, la Constitution ne proposant, en fait de remède, que des pis-aller : dissolution, élections, accentuation de la polarisation des forces à l’Assemblée, rôle de plus en plus problématique du chef de l’État ; ou même: référendum, démission, présidentielle sur des bases malsaines. Surtout, ils savent que les mêmes qui ont intérêt à casser nos retraites, notre chômage et nos services publics ont un égal intérêt à ce que les règles du jeu politique restent inchangées: la prépotence du président, le mépris des corps intermédiaires, l’éviction des classes populaires, et de toutes les catégories minoritaires de la population, des processus décisionnels.

Le caractère antidémocratique de la Ve République a été dénoncé dès la fondation du régime, instauré dans un contexte de guerre et de peur. L’exacerbation des défauts de ce système, l’évolution des aspirations de la société n’ont pu que démultiplier et renforcer les motifs de critique. Aujourd’hui, l’absence de prise en compte des vœux populaires, la fuite en avant de Macron et la probabilité très forte de voir, à court terme, le national-populisme de Le Pen accéder à un pouvoir potentiellement sans frein sont autant de raisons d’engager dès à présent un mouvement de transformation démocratique.

On peut ici rappeler quelques idées en circulation dans le débat public et qui auraient sans doute leur importance dans le cadre d’un processus de cette nature: suppression du président de la République élu au suffrage universel direct, réhabilitation des droits du Parlement, création d’assemblées délibérantes permanentes tirées au sort, intervention directe du peuple dans la vie publique à travers la mobilisation d’outils comme le référendum d’initiative citoyenne, etc. Cependant, il importe tout autant de réfléchir aux évolutions à apporter qu’aux conditions de déclenchement d’un futur processus constituant.

Il est clair à cet égard qu’il n’y a rien à attendre de Macron, qui a constamment montré son attachement conservateur à la verticalité du pouvoir, dans la plus pure tradition de la Ve République. Dorénavant, du reste, toute proposition émanant de lui dans un registre où la confiance est de mise se heurterait à l’extraordinaire défiance qu’il a suscitée par ses actes. Pour rester dans la sphère politique, les partis de gauche ont bien sûr un rôle à jouer, et même les partis tout court. La France insoumise porte historiquement le projet de VIe République que la Nupes a intégré dans son programme, y consacrant un groupe de travail à l’Assemblée, et d’autres formations défendent des mesures de démocratisation – il est vrai bien plus timides. Jusqu’à présent toutefois, les prises de position claires et hardies se sont limitées à quelques élus, traditionnellement les plus en pointe sur ces enjeux. Dans l’hémicycle, on n’a pas encore entendu revendiquer le changement de République comme moyen de se sortir durablement, par le haut, d’une crise qui ne cesse de s’étendre et de s’aggraver. Tout cela est parfaitement normal: c’est au sein de la société que naissent les grandes poussées démocratiques et non pas dans les corps qui par construction ont un intérêt limité au changement.

Au total, force est donc de reconnaître qu’il revient prioritairement à la société civile, singulièrement au mouvement social, de prendre l’initiative, avec tous les acteurs des institutions qui croient dans la nécessité de la transformation. On peut dire sous cet aspect que la plus grande partie du chemin a été accomplie. La VIe République, ou quelque autre nom que l’on donne à une modification d’ampleur de nos institutions politiques, apparaît désormais souhaitable pour un nombre important de femmes et d’hommes dans l’ensemble de la société. Nul doute que le déclenchement du 49.3 sur le sujet socialement explosif des retraites aura encore accru ce nombre, dans des proportions qu’on ne se figure même pas.

Passer de l’idée à la réalité suppose d’avoir préalablement fait de l’idée un mot d’ordre, et le tournant des 16-20 mars nous en offre l’occasion. Jeudi soir, à la Concorde, je me suis pris à rêver que si, avec les milliers de personnes au milieu desquelles je me tenais, nous scandions d’une seule voix digne et forte : « VIe République », nous pourrions ouvrir un nouveau chapitre: plus qu’une sortie de crise, une véritable espérance. Ce ne fut pas le cas, mais à voir fleurir, sur certaines pancartes, des slogans en faveur de la VIe, à entendre contester si frontalement les traits les plus caractéristiques de la Ve, il n’est pas fou de penser que ce rêve pourrait prendre vie dans un avenir proche. Il n’est pas fou non plus d’imaginer qu’une telle revendication pourrait ensuite se concrétiser dans un référendum d’initiative partagé déclenché par le Parlement, visant à la convocation d’une assemblée constituante. Nous avons collectivement les moyens de créer cette perspective politique, en faisant œuvre d’imagination, comme l’expérience de Nuit de bout et des Gilets jaunes nous y invite. Face au passage en force de Macron, il n’est en tout cas plus concevable de maintenir le débat dans l’enceinte étriquée où le pouvoir l’enferme à dessein ; le temps est venu de poser la question démocratique par excellence : d’exiger la VIe République.

Alphée Roche-Noël

Photo d’ouverture : Jeanne Menjoulet

1 Commentaire(s)

  1. Une VIème ?

    Quelle force transpartisane pour porter un débat de cette ampleur quand les plus hautes instances nationales sont vérolées et verrouillées par de puissants saigneurs (voir le bilan des manifs antipassvax devant le Conseil d’État et les GJ), les partis établis bien profiteurs du système actuel, les députés de l’AN eux-mêmes muets ou muselés et les médias asservis à de puissants intérêts que dérange la question soulevée ? Même Melenchon, un temps héraut d’une VIème constitution, est resté prudent et vague pendant sa campagne. Il s’est fait rasé le front.

    Bonne question cependant.

    Point névralgique de la vie politique nationale en nos temps de démocratie fantoche avérée. Assurément un point marqué. Un changement de régime est dans l’air. D’où surgira t-il s’il ne parvient pas à sortir d’un débat et d’un référendum populaire ? Je comprends la prudence d’Alphée à laisser comme sa réflexion en suspens… J’ai moi même espéré voire poindre ces questions et les ai soulevées un temps.

    Ô temps ! Autant en emporte le vent, notre démocratie parlementaire est finie, la Vème est tombée. Elle a pliée sous le 49.3 et les matraques policières. C’est acté. Maintenant c’est à la rue de ruer et aux campagnes de faire camps. Actons le changement dès maintenant ! Du pouvoir central je propose l’abandon et de Paris ex-Capitale, le siège vacant d’une Confédération de Régions.

Laisser un commentaire