« Mort de Nahel: ce qui se passe en France est un avertissement pour tous »

15/07/2023

Niant le problème posé par l’institution policière et faisant mine de ne pas comprendre l’origine de la colère des quartiers, le gouvernement a préféré réduire la portée des événements au geste isolé d’un policier et envoyer des unités antiterroristes et des blindés réduire par la force la question. À l’international, la presse s’empare des faits et oscille entre remise en cause du modèle d’intégration à la française, ou à l’inverse, tribunes réactionnaires, identitaires et ségrégationnistes sur l’état de notre « douce France ». Revue de presse par Jonathan Baudouin pour QG, de l’Espagne au Congo en passant par l’Inde

Les révoltes dans les banlieues populaires françaises, consécutives à la mort de Nahel Merzouk le 27 juin à Nanterre, ont marqué les esprits au-delà des frontières de l’Hexagone. Une grande partie de la presse internationale considère que la France ne sait toujours pas faire face à son passé colonial, illustré par le racisme subi par ses habitants ayant des origines extra-européennes qui vivent dans les quartiers populaires.

« Le passé ne disparaît jamais ». Et dans le cas présent, ce passé qui ne passe pas est l’histoire franco-algérienne, selon le journal sud-africain Daily Maverick dans un article relatant les nuits de révolte fin juin-début juillet, consécutives à la mort du mineur de 17 ans, causée par une balle tirée à bout portant par un policier, le 27 juin dernier. Le journaliste Philip van Niekerk, auteur de l’article, souligne ainsi la proportion de jeunes Français d’origine algérienne qui ont pris part aux révoltes et aux pillages; et rappelle que l’hostilité à l’égard de ceux qu’il appelle les émeutiers est notamment alimentée par un parti, le Rassemblement national (RN), « dont l’existence est enracinée dans la guerre d’Algérie et ses conséquences », évoquant le passé du fondateur du parti d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, qui a officié dans la légion étrangère durant cette guerre-là, ou encore celui du député José Gonzalez, doyen de l’Assemblée Nationale et descendant de pieds-noirs.

« La France, saisie par une affaire de gâchette facile », Une du quotidien argentin La Nación met la marche pour Nahel à sa Une le 30 juin

« Désormais, les idées laïques et républicaines ont été perverties en un discours contre les immigrés, les juifs et les musulmans avec un discours raciste identitaire plutôt que biologique », souligne le quotidien turc Birgün, dont la tribune évoque d’ailleurs les fractures au sein de la NUPES face aux révoltes; certains membres du PS, du PC ou d’EELV reprochant à la LFI de ne pas avoir appelé au calme. « Ce qui est révélateur, c’est la vitesse avec laquelle une révolte sociale a été enterrée grâce aux pièges et à la rhétorique d’une bataille civilisationnelle de droite », analyse de son côté Jacobin, le trimestriel américain de la gauche radicale, s’appuyant sur les propos de Macron au sujet des « effets néfastes des jeux vidéo » ou de l’éducation parentale, et omettant d’évoquer en quoi que ce soit le racisme éventuel de la police française. Ce même Jacobin évoque d’ailleurs le rapport du Défenseur des droits français datant de 2017 « accréditant l’idée de contrôles effectués au faciès« , un Français perçu comme noir ou arabe ayant « 20 fois plus de probabilités » de subir un contrôle d’identité qu’un Français perçu comme étant blanc.

Peut-on en conclure que la France est aveugle à la couleur (colorblind, en anglais) ? C’est ce que semble affirmer l’hebdomadaire britannique The Observer, pour qui la mort du jeune Nahel reflète ô combien de « plus larges problèmes » dans la société française, déjà observables à travers les violences policières commises contre les Gilets jaunes à partir de 2018 et 2019. « La mort de Merzouk a soulevé des questions au sujet de l’insistance dogmatique de la France, concernant l’assimilation raciale, la laïcité et une identité universelle » précise l’édito, mettant ainsi en question le modèle d’intégration à la française pour le moins fortement grippé, qui ne parvient à pas reconnaître pas le racisme institutionnel existant en son sein.

« La colère et la destruction ravagent la France », la Une du quotidien allemand Die Welt, 3 juillet 2023

Beaucoup relèvent bien sûr que les images de magasins pillés, de voitures brûlées, de services publics détruits, consolideront pour longtemps le discours hostile aux musulmans du RN. Une vision d’ailleurs partagée par d’autres nationalistes à travers le monde, notamment en Inde, où le média en ligne Scroll relève que sur les réseaux sociaux, certains islamophobes hindous estiment que la France est devenue « un pays du tiers monde ». Rappelons au passage que le Premier ministre indien Narendra Modi, qui appartient à cette mouvance, était l’invité d’honneur d’Emmanuel Macron pour le défilé du 14 juillet.

Pour d’autres, le soulèvement des banlieues françaises est une aubaine pour peser à l’approche d’échéances électorales locales. C’est le cas du parti d’extrême droite Vox en Espagne, à l’occasion des élections législatives anticipées du 23 juillet prochain, où celui-ci se trouve en position de devenir la troisième force politique du pays, derrière le Parti populaire et le Parti socialiste ouvrier espagnol. Un parti Vox, nostalgique de la période du franquisme, qui partage avec le RN, « parti frère », un « refus des migrants africains, de croyance musulmane et/ou pauvres », rappelle un éditorial du média Público.

D’autres éditorialistes à travers le monde rappellent la profondeur du discrédit subie par le pouvoir macroniste aujourd’hui. Pour eux, ces révoltes montrent combien le pouvoir exécutif est sur un fil aujourd’hui. La vidéo révélant les circonstances accablantes du tir mortel sur Nahel a contraint le gouvernement à « pointer du doigt le comportement des policiers », rappelle le journal congolais (RDC) Le Potentiel. Mais celui-ci note « la grande crainte du pouvoir » d’un embrasement total des banlieues déjà connu en 2005, suite aux décès de Zyed Benna et Bouna Traoré. « A ceci près que le degré de violence, et sa contagion à travers toute la France, déjà atteint au bout de cinq nuits d’émeutes, a été sans comparaison avec les événements survenus il y a 18 ans », note l’article du Potentiel, concluant ensuite sur l’idée que « considérer que la police serait forcément innocente, qu’elle n’abriterait aucun coupable dans ses rangs, est aussi faux et nuisible que de répéter que l’institution serait forcément fautive et que la police tue ».

Photo choc de la mobilisation de la BRI, unité antiterroriste, à la Une du quotidien Il Manifesto en Italie

Peu ont oublié que les révoltes des banlieues s’inscrivent dans le contexte de l’opposition massive des Français à la réforme des retraites, passée en force par le pouvoir au printemps 2023, tant au niveau législatif que policier, avec une répression féroce des manifestants dans la rue. « Ainsi, la révolte des banlieues touche un nerf politique à vif et rejoint la désaffection vis-à-vis du pouvoir exécutif, dont au printemps on se demandait même comment il tiendrait jusqu’en 2027 », commente le quotidien algérien El Watan, relatant une déconnexion du gouvernement avec les réalités du pays, à travers l’exemple de la visite de Macron à Marseille. Quelques heures avant l’explosion des banlieues françaises, celui-ci déclarait en effet: « l’école devra s’organiser pour garder les enfants de 8h à 18h, pour les couper de toutes tentations délinquantes ».

La conclusion de l’éditorial de l’hebdomadaire The Observer en dit longtemps sur l’intérêt mondial porté aux événements de Nanterre: « Ce qui se passe en France est un avertissement pour tous ».

Jonathan Baudouin

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