« La baisse du chômage sous Macron relève du mythe »

15/09/2023

Contrairement aux annonces triomphales de Macron, le taux de chômage reste tout à fait stable en France. Pour l’économiste Dany Lang, la baisse historique annoncée par le gouvernement est largement factice, et relève d’une opération marketing. La transformation annoncée de Pôle emploi en « France travail » au 1er janvier 2024, dans la droite lignée de la vision néolibérale du chômeur oisif, vivant d’allocations et peu enclin à reprendre un emploi, ne fera que produire des effets délétères sur les demandeurs d’emploi, sans régler aucunement la question. Maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord, il évoque les mesures qui seraient décisives pour lutter efficacement contre le chômage dans cet entretien exclusif accordé à QG

L’objectif du plein emploi, martelé depuis des mois par le gouvernement afin de justifier ses politiques touchant le monde du travail, risque de se fracturer bientôt sur le mur du réel. Le taux de chômage reste en France à un plancher légèrement supérieur à 7% de la population active. Ramener le taux de chômage sous la barre des 5 % d’ici à 2027, comme le souhaite le Président de la République, ne sera pas aisé. Et ce n’est sûrement pas en harcelant les allocataires du RSA que ce voeu sera exaucé. Les prévisions économiques pour les deux prochaines années sont au contraire bien sombres. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) anticipe un rebond du chômage à 7,9 % fin 2024. La Banque de France s’attend quant à elle à un chômage de 8,1 % dès 2024. Pour QG, l’économiste Dany Lang, maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord, membre du collectif les Économistes Atterrés, souligne en effet combien les réformes passées et à venir, suivant une ligne néolibérale, sont vouées à ne rien changer voire à aggraver la situation. L’idée d’une garantie d’emploi, doublée de la rénovation des logements, la transition écologique étant un gisement d’emplois énorme, font selon lui partie des mesures prioritaires seules à même de faire baisser significativement le chômage. Entretien par Jonathan Baudoin

Dany Lang est économiste et maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord

QG : Comment interprétez-vous la légère remontée du taux de chômage au deuxième trimestre 2023 selon l’enquête de l’Insee, publiée le 11 août dernier ?

Dany Lang : On peut considérer que le taux de chômage est stable, si on prend en compte les catégories B et C de Pôle emploi, en plus de la catégorie A. On peut même dire que le chômage n’a pas réellement baissé sous Macron. La catégorie B correspond aux personnes ayant travaillé moins de 78 heurs lors du mois précédent et qui continuent de faire des démarches actives de recherche d’emploi. Ce qu’elles ne feraient pas si elles avaient un emploi satisfaisant. Et la catégorie C correspond à des gens qui ont travaillé plus de 78 heures le mois précédent et qui continuent une recherche active d’emploi. La baisse du chômage sous Macron relève assez largement du mythe. Sur l’ensemble des catégories A, B et C, le nombre de chômeurs est relativement stable depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir. On a toujours 5,5 millions de chômeurs dans ce pays.

Est-ce que la baisse du chômage observée jusqu’à présent était principalement due aux radiations record de la part de Pôle emploi ?

C’est effectivement cela, et d’ailleurs ce n’est pas nouveau. On l’observe depuis quelques années, même si obtenir des données là-dessus est pour le moins compliqué. C’est une manière de nettoyer les chiffres. Dans l’idéologie de ce gouvernement, il y a l’idée contrefactuelle selon laquelle si les gens sont au chômage, ce n’est pas de la faute de l’État, ce n’est pas en lien avec la situation macroéconomique, mais de la faute des chômeurs eux-mêmes. Ce qui est en phase avec la théorie économique dominante [nouvelle économie classique, NDLR], qui considère que les chômeurs sont responsables du chômage, qu’être chômeur serait un choix individuel consistant à ne pas vouloir travailler.

Avec environ 2 millions de personnes non comptabilisées dans les statistiques officielles sur le chômage, peut-on penser que les données officielles, sur lesquelles le gouvernement table pour justifier sa politique économique d’ensemble, biaisent complètement l’analyse du chômage ? Et si oui, comment avoir une estimation véritable des chiffres du chômage en France?

Il y a ce qu’on appelle un halo du chômage important. C’est ce qu’on appelle un « fait stylisé » important [représentation simplifiée d’un résultat empirique, NDLR]. On y retrouve des gens qui sont dans des situations intermédiaires, notamment les chômeurs découragés. C’est un phénomène extrêmement cyclique. Il est bien identifié en économie que lorsque la conjoncture s’améliore, les gens qui étaient sortis des statistiques reviennent parce qu’ils se réinscrivent et recommencent leurs démarches de recherche d’emploi. Inversement, plus le chômage augmente, plus ils se découragent par rapport à leur recherche d’emploi. Un chômeur qui n’a plus de droits et qui n’est plus inscrit à Pôle emploi, s’il entend que ça va mieux, a de fortes chances de se réinscrire. C’est extrêmement fluctuant et difficile à chiffrer. Par conséquent, il est difficile de savoir si les chiffres concernant ces personnes-là sont stables et fiables, même si la DARES [Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, NDLR] fait un travail de qualité.

« Un chômeur qui n’est plus inscrit à Pôle emploi a de fortes chances de se réinscrire s’il entend qu’il y a plus d’offres de travail »

Est-ce que la transformation de Pôle emploi en « France travail » est davantage qu’un changement de nom et marquera une étape supplémentaire vers une dégradation de la situation des chômeurs sans parvenir à l’objectif du plein-emploi, martelé par le gouvernement ?

L’objectif du plein emploi est du marketing. Si vous regardez ce qu’ils appellent plein emploi dans leurs discours, c’est un taux de chômage de 5% à 7%, soit le taux de chômage « naturel » dans la théorie néoclassique. Personnellement, je n’appelle pas cela le plein emploi. Au sens strict, le plein emploi doit correspondre à un taux de chômage de 2%. Ce qui correspond à la mesure de ce qu’on appelle le taux de chômage frictionnel, c’est-à-dire lié au décalage entre le moment où des gens sont licenciés ou ont démissionné et le moment où ils retrouvent un emploi. Quand une entreprise a besoin de quelqu’un, elle ne le trouve pas tout de suite. Il faut un peu de temps pour que l’information soit diffusée, qu’elle collecte les CV, mène les entretiens, etc. C’est ça, le vrai plein emploi, à mes yeux. L’économiste américain Hyman Minsky estimait ainsi la mesure du plein emploi en économie : 2 % de taux de chômage.

Quelles mesures permettraient d’arriver à cet objectif de plein emploi, selon la définition que vous venez d’énoncer?

Certainement pas les politiques néolibérales développées par les gouvernants qui se sont succédés depuis les quatre dernières décennies ! Les politiques néolibérales qui sont menées par ces derniers ont fait baisser le chômage de catégorie A, en facilitant les licenciements, au prétexte que, quand il est plus facile de licencier, on embaucherait les gens plus facilement. Or ce n’est pas en facilitant les licenciements et en forçant les chômeurs à accepter n’importe quoi qu’on accèdera au plein emploi ! Le nombre d’emplois créés correspondrait exactement au nombre de chômeurs, en l’absence d’intervention gouvernementale et de lois et règlements, comme le salaire minimum. Croire à cela relève de la pensée magique, et non de la pensée scientifique sérieuse.

« Quand une entreprise a besoin de quelqu’un, il faut un peu de temps pour qu’elle collecte les CV, mène les entretiens, etc. C’est là, le vrai plein-emploi »

Il est tout à fait possible d’arriver au plein emploi strict, avec d’autres politiques. Avec des collègues comme Cédric Durand, Pavlina Tcherneva ou Antoine Godin, j’ai défendu l’idée de mettre en œuvre une garantie d’emploi. Cela consiste à faire ce que fait le dispositif Territoires zéro chômeur, mais à l’échelle nationale et pour tous les chômeurs. On donne aux chômeurs des emplois locaux, pour répondre à des besoins qui ne sont ni satisfaits par le marché, ni par l’État.

Ce n’est pas du travail obligatoire, ce n’est pas comme ce qui vient avec « France travail », à savoir l’obligation des bénéficiaires du RSA à travailler pour un revenu de misère. C’est un contresens complet! Comme si les gens étant au RSA se roulaient dans la fainéantise, avec leurs 500 euros versés « gracieusement » par l’État. C’est n’importe quoi ! Quel genre d’activités vont-ils êtres obligés d’accepter? S’il y a des emplois à créer, qu’on le fasse, et qu’on les paye dignement !  Qu’un emploi garanti soit payé au SMIC, et un peu plus si besoin, en fonction de la pénibilité et des qualifications de la personne. Et que cet emploi garanti soit utile socialement. C’est quelque chose qui peut se construire, avec les collectivités locales. C’est le contraire de « France travail ».

En plus de la garantie d’emploi, il y a la nécessaire rénovation des logements. C’est urgent pour la transition écologique. Il faut donc prendre cette question à bras le corps. La transition écologique est un gisement d’emplois monstrueux. Il y a vraiment du boulot en matière d’écologie (dans le bâtiment, les infrastructures publiques) et actuellement, le système capitaliste est incapable de faire ça. Tous les pays sont à la traîne, ce qui est assez inquiétant dans un contexte où l’espèce humaine risque de disparaître à courte échéance.

« Ce qu’on va avoir dans « France travail », c’est l’obligation des bénéficiaires du RSA à travailler pour un revenu de misère »

Est-ce que le concept de « grande démission », développé à partir d’observations faites notamment aux États-Unis depuis la crise Covid, est transposable au monde du travail en France?

Je ne sais pas si la « grande démission » est transposable en France (Voir l’émission de QG sur ce thème avec Jean-Philippe Decka « La tentation de tout quitter », le 03/11/2022), mais depuis le Covid, on observe quelque chose qu’on ne voyait pas auparavant. Avant la pandémie, 97% des emplois proposés par les entreprises étaient pourvus dans l’année. Les 3% restants correspondaient à des postes du genre strip-teaseuse dans un bar le samedi soir, payée au SMIC. Des emplois vraiment dégradants et sous-payés. Depuis le Covid, ce chiffre des emplois pourvus est descendu aux alentours de 85% selon les données de la Dares. Cela veut bien dire qu’avant, les gens prenaient tout ce qui passait. Maintenant, cela tend à baisser. Notamment dans la restauration, à savoir du travail à temps partiel, avec des horaires le soir, en étant payé au SMIC. C’est un des effets du Covid, parce que les gens réfléchissent à l’idée de donner un sens à leur vie. Mais on est hélas encore loin d’une grande transformation, voire d’une révolution.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Dany Lang est économiste, maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord, membre du collectif les Économistes Atterrés. Il est coauteur de l’ouvrage collectif des Économistes Atterrés Macron, un mauvais tournant (Les liens qui libèrent, 2018)

6 Commentaire(s)

  1. Concernant le bouquin « le choix du chômage » (a priori excellent bouquin) j’ai trouvé sur le site de Reporterre qui le promeut, la phrase suivante ….. de Chico Mendès, le syndicaliste brésilien qui luttait contre la déforestation et a été assassiné en 1988 :
    “L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage”.
    Les capitalistes, ils vont pas rendre les clés du camion si facilement.

      1. Oui, c’est une autre voie vers (surtout) une décentralisation « totale » du pouvoir (ce qui est impossible en socialisme marxien-léninien, à cause du camion et de ses clés …). Actons que c’est ce qui nous sépare.

        La question de l’organisation est, pour moi, au centre de tout. Elle est primo-fondamentale, y compris ontologiquement parlant : l’essence du « sujet » lui-même, est organisationnelle, selon moi, puisque cette essence est l’ensemble de ses rapports sociaux. En gros le sujet transcendantal, cad qui n’émane de rien sauf uniquement du biologique, n’existe pas. Rapport social = opposition = visée organisationnelle car on ne peut s’opposer sans agir quelque peu, et cette action est dirigée, pensée. Et toute action réfléchie est organisation par définition.

        Un lien sur un pdf téléchargeable :
        https://journals.openedition.org/chrhc/5100

        1. merci pour le lien, mais je connais ce bouquin et afin de se faire sa propre opinion il vaut mieux lire Bookchin il amène du grain à moudre et ce qu’il se passe au Rojava vient de ses théories sur le municipalisme libertaire. Quand aux questions d’organisation il est pas mal non plus…….
          Bonne journée

  2. Coucouroucoucou courou?

    On sait depuis des lustres que le chômage est une fabrication pure et dure la littérature sur ce sujet ne manque pas.
    Puisque les commentaires commencent d’humeur joyeuse je me permet de recommander sur le sujet du chômage une BD c’est plus léger à lire mais pas moins documenté;
    LE CHOIX DU CHOMAGE (de Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique)
    de ; Benoît Collombat et Damien Cuvillier
    Préface de Ken Loach
    Ed, FUTUROPOLIS

    Force et courou

  3. Je me demande si la question du chômage n’est pas une grande acrobatie de faux semblants chez les dirigeants.
    S’il n’y a plus de demandeurs d’emploi (zéro chômage) le prix de la marchandise « travail » (cad le salaire) va augmenter sur le marché du travail ; c’est le cas sur ce qu’on appelle les « métiers en tension » : quand il n’y a plus de gens qualifiés sur le marché, les employeurs attirent ces gens qualifiés par des hauts salaires (mais aussi par de bonnes conditions de travail).
    Inversement, un haut niveau de chômage va faire baisser les salaires. et … les conditions de travail.
    C’est la concurrence (libre et non biaisée), encore et toujours, qui dicte sa loi sur le marché.
    En France, c’est le patronat qui dicte sa loi … aux gouvernants, pas les travailleurs. Les citoyens votent pour qui on leur dit de voter à la télé ; et la télé elle est au patronat.
    Dans la folie concurrentielle, le patronat a évidemment intérêt à l’existence de chômage.
    Chercher l’erreur !
    Depuis 7 ans Macron n’a pas fait baisser le chômage : c’est un excellent élève ! Qui, en plus, désigne les victimes comme coupables; et les coupables comme victimes ! Super !

    Le patronat lui dit donc : « merci Macron » sur l’air enjoué de « merci patron ». https://youtu.be/9NxcsBJ9-AU

    Quand on arrive à l´usine
    La gaité nous illumine
    L´idée qu’ils fassent leurs huit heures
    Nous remplit tous de bonheur.
    D´humeur égale et joyeuse
    Nous courons vers la pointeuse
    Les voir enfiler leurs bleus
    Et nous voilà tous heureux
    La ï ti la la la ï ti la la ï hé

    (Refrain:)
    Merci Macron merci Macron (bis)
    Quel plaisir que tu travailles pour nous
    On est heureux comme des fous
    Merci Macron merci Macron (bis)
    Ce que tu fais ici-bas
    Un jour Dieu te le rendra
    Merci Macron, merci Macron (bis)
    Quel plaisir que tu travailles pour nous
    On est heureux comme des fous
    …..

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