Le réchauffement climatique résulte de l’expansion du capitalisme, plutôt que de « l’anthropocène », concept désignant une ère géologique où l’humanité serait devenue le principal moteur des transformations terrestres catastrophiques en cours. Cette idée est le pilier-même sur lequel repose le concept de « capitalocène », élaboré par le géographe suédois Andreas Malm. Auteur de « Comment saboter un pipe-line », best-seller dans les milieux de la gauche radicale depuis 2020, il fut nommément mis en cause en France par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin dans son décret de dissolution des Soulèvements de la terre, en tant qu’inspirateur supposé du mouvement. Une dissolution qui sera annulée par le Conseil d’État. Membre du comité de rédaction de la revue Historical Materialism, Malm est aussi un défenseur infatigable de la cause palestinienne. Son nouvel essai « Pour la Palestine comme pour la Terre, les ravages de l’impérialisme fossile« , paru aux éditions La Fabrique ce 5 février, témoigne de sa volonté d’articuler la cause palestinienne avec la cause climatique, causée par l’exploitation effrénée des ressources fossiles.


Rédigé sur la base d’une conférence menée à Beyrouth en avril 2024, complétée de réponses à des objections lui ayant été adressées par la suite, l’auteur affirme que l’État d’Israël est un « outil » de l’impérialisme occidental pour asseoir sa domination sur le Proche-Orient. Et ce, depuis le 19ème siècle, en prenant pour exemple la mise au pas de l’Égypte par la Grande-Bretagne en 1840 via la mobilisation de plusieurs navires à vapeur, utilisant le charbon, dans l’attaque destructrice de la citadelle palestinienne d’Acre, pour que le gouvernement britannique incite ses ressortissants juifs à coloniser et à exploiter cette terre « dépeuplée » (77 ans avant la déclaration Balfour). Tout cela a selon lui eu lieu dans la logique du sionisme chrétien, né dans les années 1830 Outre-Manche, confortant une union du sabre, du goupillon et du coffre-fort. Cette thèse permet du reste au géographe de s’inscrire en faux contre les tenants de la théorie d’un « lobby sioniste » qui dicterait la conduite à tenir auprès d’Israël en Occident, notamment aux États-Unis; théorie qui fait des émules dans une partie de la gauche occidentale.
Si de nos jours, ce n’est plus la Grande-Bretagne la puissance dominante, mais les États-Unis, cette structuration demeure, avec Israël comme zone tampon et « colonie de peuplement » pour les intérêts occidentaux en matière de production et d’approvisionnement en pétrole et gaz, et d’effet « tranquillisant sur les Arabes« . Ce à quoi les accords d’Abraham en 2020, durant le premier mandat de Donald Trump peuvent servir d’illustration, puisqu’ils permirent à l’Occident et à ses firmes pétrolières de continuer à exploiter les combustibles fossiles du Proche-Orient. On mentionnera aussi bien sûr le soutien occidental sans faille à Israël dans sa riposte au 7 octobre 2023, les États-Unis ayant notamment déployé un arsenal militaire qui aida au bombardement tous azimuts de la bande de Gaza, et fut au passage source de fortes émissions de CO2. Les temps de guerre sont particulièrement propices à cela, sachant que selon Malm, « plus de 5% des émissions annuelles CO2 proviennent des armées du monde entier », déjà sen temps de paix.

Avec cet ouvrage, Malm en profite pour clarifier certaines choses sur des objections issues de la gauche sur la situation en Palestine. En premier lieu, il affirme que le Hamas actuel, organisation classée terroriste, suit une trajectoire de « laïcisation ininterrompue », se différenciant fortement du Hamas des origines (1988), en raison notamment des liens accrus avec les groupes marxistes palestiniens que sont le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), également engagés dans la lutte armée contre l’armée israélienne, qui connaît à l’inverse un développement messianique religieux en son sein. Un argumentaire qui a toutefois de quoi laisser sceptique, au vu des enquêtes journalistiques récentes telles que celle menée par le journaliste franco-israélien Charles Enderlin sur l’histoire du Hamas.
Autre propos évidemment très sensible, le géographe suédois considère que ceux qui, à gauche, condamnent totalement le 7 octobre 2023, se fourvoient dans une impasse, prenant en exemple la lutte du « Congrès national africain » (ANC), via sa branche armée « Umkhonto we Sizwe », contre le régime d’apartheid sud-africain, qui fit également des victimes civiles à l’époque. Nelson Mandela lui-même expliquait la lutte armée comme « imposée par la violence du régime d’apartheid ». Une analogie que Malm aurait d’ailleurs pu pousser plus loin, car l’ANC, mouvement originellement distant du marxisme, a progressivement adopté une ligne socialiste via son alliance avec le Parti communiste sud-africain face au régime d’apartheid. À l’époque, les revenus pétroliers ou gaziers de l’URSS financèrent aussi la lutte anti-apartheid, tout comme les revenus pétroliers et gaziers du Qatar et de l’Iran financent la lutte armée palestinienne contre Israël.
Jonathan Baudoin
« Pour la Palestine comme pour la Terre, Les ravages de l’impérialisme fossile », Andreas Malm, traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque, La Fabrique, 156 p., 14 euros