« Karol Nawrocki à la tête de la Pologne: une victoire de l’euroscepticisme en trompe-l’oeil »

11/07/2025

Ce 6 août 2025, Karol Nawrocki deviendra le président de la République de Pologne. Candidat conservateur du parti « Droit et justice », il a été élu en juin dernier face à Rafal Trzaskowski, maire de Varsovie, démontrant une profonde fracture de la Pologne. Notamment sur les questions sociétales, avec d’un côté, une Pologne des campagnes fortement conservatrice, face à une Pologne des villes plus « progressistes ». Bien que le président élu, réputé eurosceptique, compte être plus restrictif à l’égard des réfugiés ukrainiens, aucun revirement n’est prévu dans l’attitude d’hostilité extrême du pays face à la Russie, ni dans une politique européenne marquée par un rapprochement avec la France et avec l’Allemagne

Une drôle de cohabitation se prolonge du côté de Varsovie. C’est ce qui vient à l’esprit avec la victoire, à l’arrachée, de Karol Nawrocki (50,89%) face à Rafal Trzaskowki (49,11%) au second tour de l’élection présidentielle polonaise, marquée par une participation record (71,63%). Signe d’un intérêt massif de la part des électeurs polonais, mais aussi d’une polarisation du pays entre la Pologne des campagnes, qui a porté au pouvoir le candidat du parti conservateur « Droit et justice », et la Pologne des villes qui a davantage voté pour le candidat de la coalition gouvernementale du Premier ministre Donald Tusk.

Pour nombre d’observateurs, cette élection de Nawrocki est une surprise, moins de deux ans après les élections législatives qui ont vu la victoire de la Coalition civique menée par Donald Tusk, avec une ligne pro-européenne et un programme intérieur se voulant restaurateur de l’État de droit en Pologne. « Donald Tusk est arrivé avec un programme très dense, beaucoup de promesses, dont pas moins que la reconstruction d’un État de droit en Pologne. Son bilan, en matière de politique intérieure, est assez nuancé, voire décevant, pour les personnes qui l’ont élu en 2023 » souligne un expert en affaires européennes. « Le programme de Nawrocki parle à beaucoup de Polonais, surtout à l’électorat conservateur, celui qui se mobilise le plus. Les étudiants peuvent manifester contre l’interdiction de l’avortement mais peuvent ne pas aller voter. Tandis qu’un brave paysan, après être allé à l’Église le dimanche, il ira voter. Cet électorat-là est extrêmement discipliné, extrêmement engagé, extrêmement convaincu des valeurs qu’il veut défendre » enchérit, pour sa part, André Filler, professeur des universités à Paris 8, ajoutant le rôle décisif du candidat d’extrême droite Slawomir Mentzen, arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle (14,81% des voix), mais aussi le poids historique du PiS, fondé par les frères Kaczyński, au pouvoir depuis plusieurs années en Pologne, avec l’actuel président Andrzej Duda, qui peut utiliser son veto aux projets de loi du gouvernement si ceux-ci n’obtiennent pas une majorité des trois cinquièmes à la Diète.

Andrzej Duda et Donald Tusk (à droite sur la photo), respectivement Président de la République et Premier ministre de Pologne

Présenté comme eurosceptique, proche de la Présidente du conseil italien Giorgia Meloni, Nawrocki va-t-il toutefois engager une rupture avec la politique du gouvernement Tusk? Cette question se pose car si le président a un rôle de représentation à l’international, les affaires européennes relèvent du gouvernement. Ce qu’illustre la cohabitation entre Duda et Tusk, ce dernier ayant récemment opéré un rapprochement avec la France et l’Allemagne, constituant un axe Paris-Berlin-Varsovie, sur fond de méfiance à l’égard de la Russie. « La Pologne continuera à servir de hub pour un transfert des armements européens, français notamment. Peut-être qu’elle continuera à verser ses propres armements, comme dans l’aviation, aux Ukrainiens. De ce point de vue-là, il me semble que rien ne permet de dire qu’il y aurait un virage pro-russe. D’ailleurs, cela n’a jamais été la ligne du PiS » précise André Filler.

Toutefois, le président élu compte se démarquer de son prédécesseur, pourtant issu du même parti, sur la question de l’accueil à réserver aux réfugiés ukrainiens, qui seraient entre 1 et 5 millions depuis le début de la guerre russo-ukrainienne. Nawrocki s’oppose à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et envisage une suppression des aides sociales aux Ukrainiens dans son programme électoral. « Ça parle à l’électeur. Surtout celui qui pense ne pas obtenir ou perdre son emploi, à cause de ces réfugiés, dont pas mal d’entre eux sont qualifiés » fait remarquer l’universitaire de Paris 8.

Ce qui donne à penser que le positionnement anti-ukrainien du président élu n’ira nullement de pair avec un revirement pro-russe et qu’il s’agit d’une simple illustration du slogan de campagne de Nawrocki: « la Pologne d’abord, les Polonais d’abord ».

Jonathan Baudoin

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