« Bowling pour Al Jazeera à Gaza »

12/08/2025

Un nouveau cap vient d’être franchi dans l’horreur à Gaza, où cinq journalistes d’Al-Jazeera ont été délibérément assassinés par l’armée israélienne ce dimanche 10 août 2025, parmi lesquels Anas al-Sharif, figure très populaire de la chaîne, l’une des dernières sources d’information sur le terrain. Les reporters, comme les humanitaires et les civils, payent un tribu toujours plus insoutenable à la folie en cours dans l’enclave palestinienne où l’éradication d’un peuple est désormais sérieusement envisagée par le pouvoir de Benjamin Netanyahou, en roue libre depuis le 7 octobre. À lire ce soir, l’éditorial d’Aude Lancelin, fondatrice de QG

L’assassinat du staff des journalistes d’Al Jazeera en poste à Gaza, ce dimanche 10 août 2025, marque une nouvelle étape dans la disparition programmée d’un peuple en cours, encouragée par la veulerie des médias, notamment français, qui pour la plupart se sont bornés à « adapter » les éléments de langage fournis dans la nuit par l’armée israélienne, ainsi que nos confrères d’Orient XXI l’ont notamment documenté.

Dans l’intention évidente de semer le doute au sein d’un public déjà égaré de longue date par leurs soins sur la question, ils ont ainsi sali la mémoire des cinq hommes, dont la bravoure était pourtant peu discutable : ainsi ces reporters auraient été des adeptes du Hamas, voire des « terroristes » actifs à leurs heures perdues. Le plus célèbre d’entre eux a même été explicitement présenté comme le chef d’une cellule du Hamas par la chaîne d’information en continu I-24 news, lancée par Patrick Drahi, reprenant mot pour mot le communiqué militaire. Cette dernière s’est en effet surpassée dans l’immonde en titrant le lendemain de ces meurtres délibérés : « Tsahal élimine un cadre du Hamas opérant sous couverture de journaliste Al-Jazeera à Gaza » (sic).

Post du compte Instagram de la chaîne I-24 news, ce 11 août 2024

Peu avant minuit ce dimanche, Anas al-Sharif (ici en photo d’ouverture à gauche), star bien connue et bien-aimée de la chaîne, et ses collègues Mohammed Qreiqeh (en photo à sa droite), Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa, ont été délibérément ciblés par un tir de l’armée israélienne, alors qu’ils se situaient dans une tente devant l’hôpital Al-Chifa de Gaza-ville.

Après plus de 180 journalistes « reconnus » par la profession (chiffre donné par le « Syndicat National des Journalistes » français), et des dizaines d’autres filmant sur le terrain, soit 242 reporters décédés à ce jour selon Amnesty International (270 selon d’autres estimations), ces cinq hommes ont payé hier soir de leur vie la fuite en avant abominable de Benjamin Netanyahou et les siens, en train de détruire tout avenir possible pour Israël, conformément aux prédictions faites, entre autres, par Einstein et Arendt qui, dès 1948, affirmaient que le pays succomberait sous le poids des crimes de ses propres extrémistes.

Chose totalement nouvelle, l’armée israélienne a « revendiqué » (sic) cette action criminelle. Là est le point inédit, après tant de civils, femmes, enfants (plus de 18.500 moins de mineurs d’après le Washington Post du 30 juillet 2025) et d’humanitaires innocents massacrés, eux aussi, aux yeux du monde.

Qui, hormis une organisation terroriste, s’est déjà par le passé prévalu, face caméra, de la liquidation de journalistes de terrain comme d’une saine et opportune action militaire?

Le nombre de journalistes tués par Israël à Gaza dépasse désormais celui des journalistes morts pendant la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, la guerre d’Irak, la guerre d’Afghanistan, et la guerre en Ukraine CUMULÉES (la source est ici plus bas, merci à Karim Emil Bitar pour sa diffusion).

Sachant, au demeurant, que les journalistes étrangers sont interdits d’entrée dans la bande de Gaza, et que l’armée israélienne a déjà ciblé notoirement, des reporters renommés, même des citoyens américains (Shireen Abu Akleh en 2022 à Jénine, avant le 7 octobre), à combien pourrait monter ce nombre aujourd’hui si la zone n’était pas délibérément soustraite au regard de la presse internationale en raison de la gravité des crimes qui y sont chaque jour commis?

On attend la réponse à cette interrogation, et surtout la réaction face à un tel suicide moral.

Aude Lancelin

Photo d’ouverture: Anas al-Sharif d’Al Jazeera, à gauche, et Mohammed Qreiqeh

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