Rémi Lefebvre: « Le sort de Bayrou est scellé »

27/08/2025

« Ce sera moi ou le chaos ». Telle est la ligne tenue par le Premier ministre, qui a appelé à un vote de confiance en faveur de sa politique austéritaire pour le 8 septembre, soit deux jours avant la journée de mobilisation du 10 septembre, dont l’idée fut lancée sur les réseaux sociaux au cours de l’été. Pour le politiste Rémi Lefebvre, qui avait pronostiqué la victoire inattendue du Nouveau Front Populaire aux législatives 2024, aucune chance que le gouvernement Bayrou ne passe cette épreuve. Néanmoins la manoeuvre pourrait bien démobiliser le mouvement social extra-partisan qui était en train de voir le jour, sept ans après les Gilets jaunes. Interview par Jonathan Baudoin 

Un baroud d’honneur alors qu’il se savait déjà condamné. C’est la lecture que l’on peut faire de la conférence de presse du Premier ministre François Bayrou du lundi 25 août appelant à un vote de confiance des députés, le 8 septembre prochain, pour soutenir son programme d’austérité budgétaire. Pour QG, le politiste Rémi Lefebvre estime que le choix du 8 septembre a été fait pour couper l’herbe sous le pied des appels à la mobilisation pour le 10 septembre, tant il semble improbable que le gouvernement puisse encore être en place ce jour-là. Interview de Jonathan Baudoin

Rémi Lefebvre, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille et à l’IEP de Lille. Spécialiste de la gauche, notamment auteur de « Le malheur militant » et « Les mots des partis »

Quelle est votre analyse du choix fait par François Bayrou, ce lundi 25 août, d’appeler à un vote de confiance le 8 septembre prochain ?

C’est une anticipation du fait qu’il allait être censuré, qu’il allait être congédié. Il a préféré anticiper cette échéance, retourner la situation, prendre l’initiative, en mettant un petit peu les partis politiques devant leurs responsabilités par rapport à la situation budgétaire, qu’il dramatise depuis des mois. C’est une manière d’écourter une période qui aurait mené immanquablement à son éviction. C’est un coup pour ne pas subir un processus qui allait conduire à son départ.

Bayrou pourrait-il encore éviter une censure selon vous ?

Non, je pense que les choses ont été très claires très vite. On ne voit pas comment les partis politiques pourraient faire machine arrière. À partir du moment où le Rassemblement National et le Parti socialiste, qui sont les deux points névralgiques pour constituer une majorité négative, se sont alignés sur la même position, le sort de Bayrou est scellé. Il n’y aura rien, le 8 septembre. Un peu comme la dernière fois, avec Barnier. Il faudrait des débauchages très nombreux. Il n’y a plus de suspense.

Cette annonce de gouvernement sur le départ pourrait-elle renforcer les appels à la grève et aux mobilisations du 10 septembre prochain ?

Là, par contre, je suis plus réservé. Je pense que l’un des buts de la manœuvre de Bayrou est justement de dégonfler le mouvement du 10 septembre. Je pense que ce qui a pesé dans le choix de Bayrou, c’est à la fois l’anticipation de la défaite, et un contexte socialement inflammable. C’est-à-dire la perspective du 10 septembre, le spectre des Gilets jaunes, etc.

C’est difficile d’être formel, mais je pense que le fait qu’il parte, ne va pas forcément avoir un effet très positif sur la mobilisation du 10 septembre. Dans la mesure où le budget sera, jusqu’à preuve du contraire, caduque. Les orientations budgétaires qui avaient été annoncées par Bayrou doivent être revues. Il faudra construire un nouveau budget. 

Est-ce l’intensité du mouvement, de la conflictualité, de la mobilisation du 10 septembre sera affectée par le départ de Bayrou ? Je le pense. Globalement, les gens ont l’impression qu’ils peuvent garder leurs forces pour un autre moment. C’est une impression. Après, le coup est parti. La mobilisation est lancée. Il faut voir mais, effectivement, un départ de Bayrou et l’abandon d’un budget jugé inique peuvent démobiliser les gens.

Capture d’écran du site qui avait initialement appelé à la mobilisation nationale du 10 septembre

Pensez-vous que le soutien affiché par les partis de gauche à se mobiliser le 10 septembre peut servir de booster ou bien de frein, notamment en raison de la défiance d’une grande partie des citoyens envers les partis en général, et notamment LFI ?

Bonne question, c’est difficile à dire. Le discours de la France insoumise a été à la fois un soutien très clair à l’initiative, et en même temps, concernant la récupération, Mélenchon a pris beaucoup de précaution. C’est clair que ce type de mouvement est marquée par une très forte défiance à l’égard des partis politiques, quels qu’ils soient, LFI compris. Sur ces mouvements qu’on a pu qualifier d’anti-politiques, au sens de non-conventionnels, très hostiles aux partis traditionnels, j’ai l’impression que l’initiative du mouvement, largement extra-partisane, me paraît assez affirmée. Dire que les partis politiques ont pris le dessus sur cette impulsion-là me paraît un peu excessif.

Quel regard portez-vous sur l’annonce faite par La France insoumise de lancer une procédure de destitution d’Emmanuel Macron le 23 septembre prochain? Pensez-vous qu’elle ait une chance d’aboutir ?

Il n’y a rien de surprenant. Toute la démarche de LFI est d’une grande constance. Leur stratégie est claire. Sur le fond, il s’agit de ne pas accepter la situation actuelle et de considérer, en gros, qu’on est dans une situation où la démocratie n’est pas respectée. Pour LFI, il ne faut pas se satisfaire de cette situation de déni, ou même de forfaiture, démocratiques. Ce qui est un risque avec le temps. À savoir, s’habituer au fait qu’Emmanuel Macron n’ait pas respecté les enseignements des élections, il y a un an, suite à la dissolution. Cette situation de non-démocratie, LFI continue à la dénoncer. C’est la ligne politique sur le fond. Considérer qu’il ne faut pas s’accommoder, avec le temps, de cette situation, de ce statu quo.

Après, la stratégie est claire. Jean-Luc Mélenchon veut provoquer une élection présidentielle le plus tôt possible, pour des raisons tactiques. Il est lui-même candidat, même s’il n’est pas encore déclaré. Il est sur le terrain de jeu et la gauche, en dehors de lui, est divisée et n’est pas prête. Une présidentielle anticipée dans un climat de chaos lui serait favorable. 

Enfin, les chances qu’une destitution fonctionne sont nulles. Il n’y aura pas de destitution. C’est simplement de l’affichage. Il n’y a aucune chance qu’il y ait une destitution du président de la République car LFI est isolée sur cette question.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Rémi Lefebvre est politiste, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille. Il est l’auteur de Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel, 2022) ; Les primaires socialistes : la fin du parti militant (Raisons d’agir, 2011) ; Le Débat public : une expérience française de démocratie participative (La Découverte, 2007)

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