Usus tyrannus (« L’habitude est un tyran »). Citant ainsi le poète romain Horace, Anselm Jappe attire l’attention sur le confort qui sert de moyen de survie du capitalisme, en dépit de la capacité de ce mode de production à détruire la planète. Dans son nouvel essai Écologie ou économie, il faut choisir (L’Échappée), il se montre critique à l’égard de diverses pensées alternatives (écosocialisme, décroissance, technocritique, primitivisme, etc.), leur reprochant leur manque de profondeur critique à l’égard du système capitaliste. Jonathan Baudoin a lu son essai pour QG


« L’état de ce livre est celui du pamphlet ». Dès l’introduction, le ton est donné par Anselm Jappe dans son nouveau livre Écologie ou économie, il faut choisir. Pour le philosophe allemand, appartenant au courant marxiste de la critique de la valeur, il est évident que le capitalisme – qu’il nomme également économie dans le livre -, quelle que soit la forme qu’il ait pu prendre dans son histoire, vieille de plus de deux siècles, est par définition destructeur pour la planète, pour tout espace vivant. Pour expliquer cela, Jappe souligne que la valeur, le travail (abstrait), la marchandise et l’argent – « Les quatre cavaliers de l’Apocalypse » – ne peuvent pas être distingués et affichent une indifférence structurelle quant à leurs effets concrets, poussant à une accumulation continue de richesses, et d’utilisation d’énergie dans la production.
En parallèle, toute politique de « transition écologique » est vouée à l’échec selon Jappe car l’écologie est, par ce biais, toujours subordonnée à l’économie, autrement dit, au capitalisme qui a « colonisé les imaginaires ». « L’écologie sera toujours le pot de terre contre le pot de fer de l’économie » affirme-t-il, développant par ailleurs l’idée que le travail et le capital sont complices de la crise écologique en cours. Ce qui prend à rebrousse-poil l’analyse marxiste orthodoxe, basée sur l’antagonisme capital/ travail.
Des alternatives partielles
Mais l’essentiel du livre est consacré aux courants de pensée alternatifs comme l’écosocialisme, la décroissance, la technocritique, le primitivisme, ou encore le catastrophisme. Si le philosophe allemand accorde des points de réflexions bienvenus, il considère que leurs solutions sont partielles, ne s’attaquant pas à la question de la valeur, car trop focalisées sur la lutte contre les énergies fossiles. Et même, concernant les tenants de l’écosocialisme ou de la décroissance, Jappe les accuse de soutenir un « altercapitalisme », semblable au capitalisme keynésien des 30 glorieuses, en donnant un rôle clé à l’État via la planification écologique. De quoi les décrire comme des « écoléninistes » pour le théoricien de la critique de la valeur. Même s’il se défend de « vouloir leur chercher des poux » et qu’il serait erroné de lire son livre de la sorte.
Pour certaines d’entre elles, comme le catastrophisme ou la cybernétique, Jappe indique des passerelles potentielles avec le technosolutionnisme, le transhumanisme d’une part; et le sentiment de fatalisme d’autre part. Ce qui conduit à renforcer les tenants de l’ordre capitaliste actuel – néolibéral -, voire à faire preuve de cécité sur les dérives liberticides avec l’État ou les services ayant une technologie très sophistiquée, au nom de la sauvegarde de la planète. L’exemple du crédit social en Chine ou de la gestion autoritaire du Covid en France lors du confinement du printemps 2020 sont des signaux d’alerte à garder en tête pour le philosophe.
D’ailleurs, en parlant du Covid, Jappe considère que le confinement a été une occasion manquée de se révolter contre le modèle capitaliste car la pandémie a montré combien la planète pouvait (encore) se régénérer, avec une dé-pollution observée dans beaucoup d’endroits. Pour ne pas avoir à en passer à nouveau par une catastrophe sanitaire de ce genre afin d’ouvrir à l’homme un avenir durable sur cette planète, il faudrait en arriver à des mesures drastiques visant le numérique, le transport aérien, ou plus brutalement encore, à la mise à mort du capitalisme.
Jonathan Baudoin
« Écologie ou économie, il faut choisir », Anselm Jappe, L’Échappée, 18 euros