« Passion génocidaire » par Harold Bernat
Le 10/12/2025 par Harold Bernat
L’accusation d’antisémitisme est beaucoup trop sérieuse pour servir de stratégie politique. Ce procès en antisémitisme ne date évidemment pas de la création de LFI visée par le nouveau livre de l’avocat Richard Malka, « Passion antisémite » (2025). Elle ne date pas non plus des actes terroristes du 7 octobre ou de l’entreprise génocidaire du gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou qui s’inscrit dans la longue histoire de l’occupation illégale des territoires palestiniens. Elle s’est imposée, dès le début des années 80, comme une stratégie de disqualification de la critique politique qui remettrait en question les logiques de la domination impérialiste. Une neutralisation de la pensée critique d’autant plus obscène qu’il existe un antisémitisme réel à combrattre. En ce sens, ces opérations marketing ne visent pas ce qu’elles feignent de dénoncer. Elles attisent volontairement la haine pour disqualifier moralement la gauche sociale. C’est à ce titre que les accusations d’antisémitisme à des fins politiques sont aussi « un avertissement d’incendie », pour citer Walter Benjamin. Une analyse essentielle d’Harold Bernat à lire sur QG
Le philosophe Raphaël Enthoven et son avocat Richard Malka au tribunal judiciaire de Paris, le 23 septembre 2025, pour le procès de Raphaël Enthoven poursuivi pour injure publique envers LFI (photo AFP)
Réponse à Richard Malka
Il y a des livres que nous n’avons pas envie de lire mais qu’il faut lire. Des livres que l’on sait important car ils livrent l’état d’esprit d’une époque ou d’un mouvement politique. Des livres atmosphère. C’est ce que je me suis dis en trouvant, dans un vide grenier la semaine dernière, L’homme, cet inconnu (1935), du médecin eugéniste et racialiste, Alexis Carrel, prix Nobel de médecine en 1912. « Nous devons nous contenter de favoriser l’union des meilleurs éléments de la race par le moyen indirect de l’éducation, par certains avantages économiques. La société moderne doit permettre à tous, mais surtout à l’élite d’avoir une vie stable, de former un petit monde familial, de posséder une maison, un jardin, des amis. » Ces livres doivent être lus et commentés car ils témoignent de ce que Hannah Arendt appelait « la banalité du mal » dans son compte rendu du procès du nazi Adolf Eichmann, à Jérusalem en 1961. Ils nous permettent de mieux comprendre, replacés dans leur temps, les mécanismes pervers qui ont pu soutenir les pires atrocités que l’homme a pu faire à l’homme. Ils étaient lus par des bons bourgeois, par ce qu’on appelle des intellectuels, des philosophes, des gens de lettres de l’époque, absolument certains de leur fait et de la stabilité de leur monde. Ils étaient droit dans leurs bottes, dirons-nous.
Les sentences racialistes et inégalitaires d’Alexis Carrel sonnaient comme des évidences, douces et immédiates à leur bon sens. Il eut d’ailleurs, avec ce livre, republié en 1961 et en anglais sans mise en garde, un succès mondial. Toujours du même. « L’eugénisme peut exercer une grande influence sur la destinée des races civilisées. […] A la vérité, ceux qui portent un trop lourd fardeau ancestral de folie, de faiblesse d’esprit, ou de cancer, ne doivent pas se marier. Aucun être humain n’a le droit d’apporter à un autre être humain une vie de misère. Et encore moins de procréer des enfants destinés au malheur. En fait, l’eugénisme demande le sacrifice de beaucoup d’individus. » Nous sommes en 1935, en France, sous la plume d’un prix Nobel de médecine. Pour les collectionneurs, il existe une version de luxe, trente-six tirages, sur papier Hollande, reliure en plein maroquin vert sapin, dos à cinq nerfs, date dorée en queue, toutes tranches dorées.
Avant de commenter un autre livre, celui publié la semaine derrière par l’avocat Richard Malka, « Passion antisémite », un de ces livres que nous n’avons pas envie de lire mais qu’il faut lire, je tenais à rappeler ce qu’était réellement le racisme souvent couplé à l’indifférence absolue vis-à-vis de ceux qui ne méritent pas, aux yeux de la bourgeoisie qui aime le beau papier et les reliures en plein maroquin, le titre d’élite. Ceux-là, il peut s’en génocider à la pelle, cela ne suscitera pas l’ombre d’un intérêt. Ce qui compte, pour ces bons bourgeois, c’est de former un petit monde familial et de rester entre eux, volets clos, bien au chaud. Je partage pourtant avec Richard Malka une conviction : « il faut témoigner parce que je crois à la bonne foi et à l’esprit critique. » C’est au nom de cette conviction critique que je vais reprendre ici les pièces du procès. Si Richard Malka accuse, dans sa défense du causeur mondain Raphaël Enthoven, le premier mouvement politique de gauche d’être antisémite, j’accuse en retour cette bourgeoisie extrémisée et aux abois d’être passionnément génocidaire. Après tout, quand les mots ne veulent plus rien dire, tout est possible. N’est-ce pas ? Le ton, vous m’en excuserez peut-être, sera un tantinet moins dramatique qu’avec Alexis Carrel. Il faut dire qu’en un siècle le pathos de la race supérieure a laissé la place à des petites perversités bourgeoises moins grandiloquentes mais tout aussi ignobles pour l’existence de ceux que leur bavardage de diversion recouvre et enterre sous des tapis de bombes.


L’affaire semble commencer à Saint-Etienne, le 1er mai 2024. Un dénommé Raphaël Glucksmann, GluGlu le fils à papa pour les fins connaisseurs, tant la vacuité du bonhomme est manifeste et cela jusque dans son propre camp politique, déambule, on ne sait trop pourquoi, dans les rues de Saint-Etienne. Rappelons, à ce propos, cette fameuse sortie de Raphaël Glucksmann, le touriste du monde: « Quand je vais à New York ou à Berlin, je me sens plus chez moi que lorsque je me rends en Picardie » De toute évidence, La Loire ne vaut pas mieux. Point trop à l’aise dans une journée consacrée à la défense des droits des travailleurs, c’est un euphémisme pour un homme foncièrement improductif, Glucksmann, goguenard, se trouve pris à partie par une cinquantaine de militants. Des drapeaux du NPA et des jeunes communistes sont visibles. Aucun drapeau de la France insoumise par contre sur les vidéos extraites et diffusées en boucle dans les plus grands médias. Un échange est saisi sur le vif : « – Et tu faisais quoi en Georgie ? – « Je résistais à Poutine, moi, en Georgie. » Le tout en fuyant, capuche sur la tête. Résister à Poutine, oui ; prendre la parole et assumer clairement des positions politiques face à des militants dans la rue, non. Des slogans fusent, cela s’appelle la conflictualité politique sans filet médiatique: « Glucksmann, casse-toi », « PS salaud ». Des drapeaux palestiniens sont également visibles. Il est question du massacre en cours à Gaza et des prises de positions politiques de Raphaël Glucksmann dans ce contexte. Rappelons que cet homme entend se présenter aux plus hautes fonctions politiques de notre pays. Il a pour cela, sans aucun mérite politique réel, une couverture médiatique nationale. Il sait parfaitement que ses positions sont rejetées par la gauche qui manifeste le 1er Mai. Il sait également, c’est la pointe perverse, que les réactions seront vives. Sur cette séquence médiatique largement commentée, aucune allusion à sa judéité, puisque le fond du problème serait soi-disant là. Palestine, Europe, Russie, les interpellations sont politiques. Rien de plus.
Jean-Luc Mélenchon condamnera clairement cette expulsion : « Je désapprouve totalement cette expulsion. […] Cette expulsion fournit une diversion médiatique contre le 1er-Mai et un rôle de victime à Glucksmann qui en profite pour nous accuser ». Ceci est factuellement vrai. Un militant de LFI dit avoir participé à l’action. Un seul. Quel mouvement politique peut se targuer de contrôler la parole et les actions de tous ces militants dans le pays ? Vous vous souvenez du délirant Son-Forget, le macroniste zinzin canal historique. Lui était député. En réalité, il s’agissait d’une prise à partie organisée par les jeunes communistes de Loire avec un soutien visible du NPA local. Mais ces groupuscules gauchistes (jargon médiatique officiel) n’intéressent pas la bourgeoisie la plus réactionnaire et anti-sociale dans ce pays. Celle qui ne manifeste pas le 1er Mai. Ce qui intéresse cette bourgeoisie en voie d’extrémisation c’est la France insoumise et, derrière elle, Jean-Luc Mélenchon, son obsession de tous les instants, le seul candidat capable de rivaliser au premier tour avec son candidat de l’extrême-centre, celui qui cassera du social, encore, toujours. Il est absolument nécessaire, pour les miettes du pseudo bloc central, de diviser la gauche en deux entités irréconciliables afin de ramener la partie épurée de l’impur du bon côté de la casse sociale et du dépeçage des intérêts réels de la France et des Français. Non pas pour établir un soi-disant cordon sanitaire avec des antisémites et des complotistes (les deux termes fonctionnant désormais de concert comme nous allons le voir) mais pour se débarrasser de la composante sociale de la gauche, celle qui a soutenu le mouvement des gilets jaunes, celle qui s’est battue contre le vol des retraites, celle qui a dénoncé le passe vaccinal de la honte, celle qui prend des coups dans la rue.
Il n’est pas anecdotique de noter que ce pyschodrame pathétique se déroule un 1er Mai. En sécurité, n’ayons peur de rien, le ridicule ne tue pas, Raphaël Glucksmann peut accuser ouvertement la France insoumise « et d’autres ». Un militant isolé devient ainsi le porte-parole national d’un mouvement politique alors que la voix du leader de ce mouvement est inaudible. Ce n’est pas elle que l’on veut entendre. Ce qui doit monter, ce qu’il faut faire monter, ce qui doit devenir une évidence pour tous, c’est que la France Insoumise est antisémite. Oubliée la Palestine, la Géorgie ou le 1er Mai. Sans parler des travailleurs encore dans la rue. Ceux-là, le pseudo-bloc bourgeois s’en tamponne. Non, la passion doit monter sur un tout autre front, celui de la bête immonde qui referait surface dans les rangs de la gauche. Pour cela, il faut le concours d’un second agent provocateur : Raphaël Enthoven.
Pour la petite anecdote, ce précieux ridicule philosophant n’avait pas aimé que je lui demande combien il avait touché pour philosopher au MEDEF sur la joie ou la liberté. Ou une autre foutaise, la mémoire de ces insignifiantes causeries est en effet fragile. Ces gens-là ne parlent jamais pognon. Le pognon c’est sale, un truc de gueux. Le précieux se fend, dans une énième vapeur, d’un tweet rageux le jour même, à 17h44, soyons précis. Vol au-dessus d’un nid de GluGlu. Les fils à papa se soutiennent. C’est ce message qui sera attaqué en justice par Manuel Bompard. Je tiens à dire, au passage, que cette attaque juridique était une connerie. Le fait de ne pas être présent à la 17ème chambre correctionnelle de Paris le confirme. Manuel Bompard devrait savoir que nos institutions (pour combien de temps à ce rythme ?) défendent encore la conflictualité politique, fut-elle obscène. Je rappelle, pour avoir témoigné dans ce sens en juin, dans ce même lieu, que cette chambre a relaxé la philosophe Barbara Stiegler (oui, contrairement à l’autre venteux, elle mérite le titre) dans son procès contre Blanquer, le violent, pour injure publique. Elle avait qualifié ce fin mélomane dopé à l’IA « d’ordure ». Il faut dire que ce bœuf (pas l’animal) avait ouvertement accusé les professeurs d’être complices idéologiquement du terrorisme islamiste juste après l’assassinat de notre collègue Dominique Bernard à Arras. Mais revenons aux marquis des antipodes du 7ème : Raphaël en tout vent.
Le cuistre commence ainsi : «#LaFranceInsoumise est un mouvement détestable, violent, complotiste, passionnément antisémite et dirigé par un haut-parleur que personne n’a élu. » La suite est un mélange, particulièrement confus et indigeste, de Hamas, de Poutine, de complots, de mains au cul, de gifles, de comportements totalitaires. Les vapeurs d’un bourgeois né avec une cuillère en argent dans la bouche et qui ne s’est jamais battu pour autre chose que de voir sa tronche dans Paris Match. Un jean-foutre. Un faquin. Un fat. Un philosophe ? Qui ne l’est pas aujourd’hui, je te donne le titre si tu insistes. Non, un bourgeois qui s’invente des causes et se touche avec les mondains, ses amis. Au temps de Sartre, on avait des compagnons de route ; aujourd’hui, des compagnons de broute. Les écologistes s’en réjouiront.

La grande œuvre de Malka ou comment faire un petit billet avant Noël consiste donc à venir secourir Raphaël Enthoven dont les vapeurs ont déplu aux stratèges mal inspirés de la France insoumise. Aux éditions Grasset et pour la modique somme de 17 euros (je tiens d’ailleurs à remercier la grosse librairie du centre-ville de Bordeaux de ne pas avoir mis de code-barre métallique au dos du livre) vous pourrez apprécier la performance littéraire de cette fin d’année. J’ignore s’il existe une version en plein maroquin vert sapin, dos à cinq nerfs, date dorée en queue sur papier Hollande ; ce que je sais, par contre, en refermant ce pensum symptôme des temps, c’est que ce livre est totalement obscène. En effet, Richard Malka, le troisième larron de la triste farce, le phallus juridique avec ses deux burnes philosophico-politiques, GluGlu et Raphi, parvient, en décembre 2025, à ne pas dire un mot du nettoyage ethnique en cours à Gaza et en Cisjordanie. Cette performance d’artiste est d’ailleurs le seul intérêt du livre. Mieux, une de ses principales fonctions. En termes militaires, on appelle cela un contre-feu.
J’avoue que la performance a de quoi impressionner. Alors qu’Emmanuel Todd, sur la chaîne de QG, rappelait, la semaine dernière en direct avec Aude Lancelin, que les soutiens inconditionnels à Netanyahou le génocidaire, le nettoyeur ethnique, contribuaient à « l’extermination morale d’Israël », Richard Malka semble pressé d’y apporter sa contribution, d’inscrire son nom et celui de ses deux acolytes dans cette histoire honteuse. Pour atteindre cet objectif historique, taire l’innommable en accusant ceux qui ne se taisent pas de soutenir la bête immonde, pour réaliser ce tour de force juridico-médiatique, Richard Malka utilise la vieille ruse de l’auto-confirmation. Il s’agit en effet de savoir si oui ou non Raphaël Enthoven participe à un débat politique, certes outrancier, mais légitime aux vues des différentes tribunes écrites ici ou là contre la France insoumise. C’est ainsi que l’article de presse devient preuve, que l’opinion de Christine Angot, une brillante femme, se transforme en pièce à conviction, que les spasmes éructés du déjà sénile Cohn-Bendit à l’heure de la sieste font office de tabernacle à vérités. Un ramassis de citations, un soupçon de Lévy-Bruhl pour les demi-instruits, le vrai public bourgeois de l’extrême-centre fascisant, et le tour est joué. En 2007, alors avocat de Charlie Hebdo contre la Ligue islamique mondiale et La grande mosquée de Paris, le tout sous la houlette de Jacques Chirac et de Dassault, Richard Malka a eu cette formule élégante : en face de Charlie Hebdo, on ne réfute pas, on salit. Presque 20 ans après, c’est exactement ce que propose Richard Malka : une réfutation en forme de salissure. Salir pour cacher. Cacher la politique génocidaire d’un pays largement soutenu par la France jusqu’à la reconnaissance par Macron de l’État palestinien. Probablement ce qu’il a fait de mieux durant ses mandats catastrophiques. Il s’est vite efforcé d’ailleurs de donner des gages quelques heures après au gouvernement israélien. La France reprendrait-elle une forme d’autonomie dans la chape de plomb néoconservatrice qui tient lieu de valeurs occidentales indiscutables ? Vous n’y pensez pas.
Cacher pour détourner l’attention de « cette extermination morale » dont parle Emmanuel Todd et avant lui George Steiner. Mais cacher de la pire des façons, la plus odieuse, celle qui ne fait plus rire du tout. L’astuce consiste, à la page 94, à nous faire croire que l’on peut critiquer la politique du gouvernement israélien sans être antisémite. Je lis : « Il est possible d’être à 1000 % propalestinien et anti-israéliens sans être antisémite, ça s’appelle communiste, ça s’appelle François Ruffin, ou Sandrine Rousseau, ça a bien des noms, parmi lesquels ne figurent ni celui de Manuel Bompard ni celui de Jean-Luc Mélenchon. »
Arrêtons de tourner autour du pot deux minutes, cette chute nous y invite. Qui parle d’être « anti-israéliens » ? D’où sort ce sophisme ? François Ruffin et Sandrine Rousseau sont inoffensifs politiquement pour l’élite bourgeoise de ce pays. Ils sont inoffensifs car ils s’accommodent de l’oligarchie, de la haute fonction publique financière. Ils assurent une rente au fameux « bloc central ». Ils serviront demain à encadrer la contestation, à la limiter dans le cercle de l’acceptable en proposant une solution de repli social inoffensif pour les argentiers. Voilà le fond du plat, le réel de la chose aurait dit Jacques Lacan. Le secret derrière le decorum factice de ces procès en sorcellerie. Qu’ils soient « anti-israéliens » – ce qui est d’ailleurs stupide – mais qu’ils ne fédèrent surtout pas les gueux contre les intérêts du bloc bourgeois. Le véritable enjeux est, hélas pour toutes les victimes de cette guerre, d’une nature qui nous oblige à relire cette phrase d’Alexis Careil : « La société moderne doit permettre à tous, mais surtout à l’élite d’avoir une vie stable, de former un petit monde familial, de posséder une maison, un jardin, des amis. » Cette logique est en France celle la pseudo gauche anti-totalitaire depuis plus de 40 ans. Les deux fils à papa, GluGlu et Raphi, les deux bourses molles de la bourgeoisie germanopratine décadentes sont des héritiers. De quoi ont-il hérité ? De l’anti-totalitarisme de pacotille et de son grand chantage à l’antisémitisme. Ce sont les fils spirituels de Bernard-Henri Lévy, une génération après, la mienne. Ce chantage est absolu, dissocié de l’histoire, magique. C’est d’ailleurs pour cette raison, absolutiste, que Richard Malka congédie l’histoire. Des gens conspireraient contre la démocratie, contre la liberté et donc contre le juif. De toute éternité.
George Steiner qu’on ne peut taxer de légèreté intellectuelle sans passer pour un âne refusait ce chantage. « Je plaide coupable d’une arrogance raciale personnelle immense. Pendant plus de deux millénaires, ce peuple auquel j’appartiens était trop faible pour être salaud. C’est une aristocratie inouïe, de la victime, je le sais. Mais on n’arrivait pas à maltraiter les autres, on était trop faibles. Maintenant nous sommes entrés dans l’histoire. Maintenant il y a, je sais que c’est une question infiniment compliquée, mais il y a des réfugies qui sont réfugiés parce que nous habitons dans leur maison. C’est pour moi, je l’avoue, une chute dans l’ordinaire, dans la norme historique, une chute profondément tragique. Il y a dans cette déchéance, dans cette chute de la grâce, dans cette disgrâce, ce beau mot, dans ce désastre, une certaine vengeance posthume d’Hitler. Sans l’holocauste, l’Etat d’Israël n’aurait probablement pas été créé. Dans l’enfer de notre pensée, dans cet enfer mondain, dans ce livre, j’ai évoqué son rire. »
Dans l’enfer mondain qui est le nôtre, les propos de George Steiner seraient qualifiés d’antisémites par Raphaël Glucksmann, par Raphaël Enthoven ou par Aurore Bergé. L’héritage des médiocres après la disgrâce et le ravage de l’anti-totalitarisme de tout confort. Cette fausse gauche, celle qui a grandi à l’ombre du mitterrandisme, du PS : antirépublicaine, antisociale et antidémocratique. N’ayant pas réussi à battre la gauche sociale dans les urnes, pire, elle est aujourd’hui largement minoritaires (dans un rapport, en ce qui concerne l’élection présidentielle, du simple au décuple en 2022), elle en appelle à la métaphysique de la victime éternelle. Mais ce temps est révolu. Les victimes d’hier peuvent être les bourreaux d’aujourd’hui. C’est justement cela l’ironie tragique de l’histoire dont parle George Steiner dont la qualité de l’œuvre et la puissance intellectuelle renvoie ces faiseurs de bouillie à leur néant mondain. C’est aussi une histoire de courage, penser contre sa tribu, son clan, quel qu’il soit. Penser, contre soi-même. Penser tout court.
Pourquoi l’élite, une élite qui n’a jamais été aussi puissante, dominante socialement se mettrait à penser contre elle-même quand il lui suffit de convoquer la métaphysique de l’homme souffrant en niant, par ses silences, l’homme souffrant réel ? Cette élite, d’autant plus violente qu’elle se sait largement minoritaire, mène sa guerre idéologique contre le peuple en utilisant les ruses les plus sales et les dévoiements les plus abjectes. Elle en a les moyens. Elle est le cercle de la raison. Un cercle qu’il s’agira d’embraser au risque de la guerre civile. Durer au milieu des flammes, c’est le seul objectif d’un projet politique survivaliste qui n’a plus rien avoir avec une quelconque préoccupation commune. Mesurons le cynisme de cet usage excommuniant de l’antisémitisme pour mener un combat social et une lutte à mort contre ce qui la menace. Évaluons l’obscénité de cette référence quand on sait à quoi correspond la réalité de l’antisémitisme dans l’histoire de notre pays. C’est ici que se fait le lien avec l’anti-complotisme et ces officines d’État qui utilisent des fonds publics pour mener leurs croisades en excommunications. La honte, la vraie.
Richard Malka présente un de ses témoins à la barre. « Rudy Reichstadt, fondateur du média en ligne Conspiracy Watch, décrypte les thèses complotistes avancées par le leader insoumis avant d’analyser la présence de stéréotypes antisémites dans certains de ses discours. » Nous sommes ici en présence du Bernard Gui internétique de la sainte inquisition macroniste. Décryptages, glissements, analyses implicites, traque du double langage, retour de l’ésotérique, ostensoir et marque noire. Lisons l’inquisiteur dans Libération, 25 avril 2023. Le voilà en train de désigner l’espace de l’ennemi, le cercle de feu : « Zemmour dit des choses qui auraient pu être écrites par Lordon. » L’extrémisation part du centre et rayonne. Zemmour et Lordon dans la même marmite avec les crapauds visqueux du net, les insectes antisémites, les yeux du borgne en sauce. Un crachat mélenchoniste et la soupière du diable se met à bouillonner contre la démocratie. Dire que ces délires revendiquent une rationalité implacable. Ce n’est qu’à la faveur d’un immense effondrement politique et moral, éducatif, que l’on peut prêter crédit à de tels sermons. Du crédit et des fonds publics sur le dos d’un collègue atrocement assassiné. Aucune limite pour la sainte inquisition.
Mais au fait, quelles sont ces choses qui pourraient être dites par les deux ? J’imagine que votre raison s’impatiente, la jugeote en ébullition. Cette fameuse critique et cette honnêteté que Malka appelle de ses vœux à la barre, la sentez-vous titiller votre esprit ? Vous n’en saurez pourtant pas plus mais lui sait. Le pouvoir, c’est le silence et les dossiers. Richard Malka sait ce qui relève réellement de l’antisémitisme et de la critique à 1000 % de l’État israélien. Il sait ce que vous ne savez pas, il sait mieux que vous ce que vous pensez du juif quand vous essayez de faire entendre la voix étouffée des enfants suppliciés de Gaza par milliers. L’installation de l’instance de la raison ne se discute pas, l’imposition de la norme excommunicatrice, qu’il s’agisse d’antisémitisme ou de complotisme, se tient au-delà du jugement. C’est certainement pour cette raison que Richard Malka, malgré toute son honnêteté affichée, ne peut produire qu’une litanie de mots d’ordre creux sur la démocratie à défendre contre le retour de la bête immonde : « LFI coche toutes les cases antisémites. Après Auschwitz, c’est un tragique exploit, qui présage des temps obscurs pour nous. »
Ce condensé d’outrances et de délires paranoïaques, de projections magiques sur les murs du vide historique, d’excommunications dérisoires relève de plein droit de la liberté d’expression et de la critique. Relève, en retour, de la critique et de l’honnêteté intellectuelle et morale, une analyse qui fait de l’utilisation d’Auschwitz et du génocide des juifs d’Europe à des fins politiciennes en vue de la défense d’un strict intérêt de classe une disgrâce absolument honteuse au sens que George Steiner donnait à ce mot. Ce degré de cynisme dans l’utilisation du génocide juif, afin de renvoyer dans les pires abîmes de l’histoire un mouvement politique qui représente aujourd’hui des millions de citoyens qui ne cherchent qu’à vivre mieux, ensemble, est tout simplement infect. Nous voyons dans cette offensive un durcissement sans précédent de l’oligarchie d’Etat qui est en train d’épuiser ses dernières ressources humaines. Difficile en effet de trouver un Mozart de la finance qui ruine le pays tous les cinq ans sans susciter la « grogne » (le peuple dépourvu de Logos pourrait ressentir dans sa chair l’outrage et la spoliation) des sans-dents. A partir de là, toute attaque contre l’oligarchie financière et sa haute fonction publique sera déversée du côté de l’antisémitisme. C’est à cela que servent les agents provocateurs comme Raphaël Enthoven. C’est exactement ce que fait Richard Malka devant la 17ème chambre en lui emboîtant le pas.
Richard Malka, parlant du « chef des insoumis », alors que ce mouvement politique n’existait pas encore d’ailleurs, illustre à satiété son propos. « Nous sommes en 2013 et lors d’un meeting entre deux « salopards » adressés au PS, Jean-Luc Mélenchon qualifie Pierre Moscovici, dont le père a été déporté, de « petit intelligent qui a fait l’ENA » qui aurait « un comportement de quelqu’un qui ne pense plus en français, qui pense dans le langue de la finance internationale ». Le message est à peine crypté. » Ne pas pouvoir parler de ce que pense un homme, que ce soit vrai ou faux d’ailleurs, sans rapporter cette parole à ses origines ethnique est une forme d’assignation racialiste. Avant d’être un haut fonctionnaire qui peut suivre une idéologie contestable – ou pas – Pierre Moscovici serait avant tout juif. Cette essentialisation place l’intéressé au-dessus de toute critique. Pour des hommes qui se revendiquent de la philosophie des Lumières, il y a ici un énorme problème. Qu’il existe, ce qui factuellement est exact historiquement, des théories faisant du juif éternel le grand manipulateur argentier du monde ne veut absolument pas dire que la critique ici formulée relève de ces théories. A moins de considérer que toute critique du capitalisme financier et de ses pires dérives est de fait antisémite. Cela suppose au moins un débat public afin que tout le monde puisse être très au clair, avant convocation au tribunal, sur les limites absolues et infranchissables des critiques économiques qu’il entend produire en public. Rien de tel évidemment dans le texte de Richard Malka. Les sous-entendus (« le message est à peine crypté ») suffisent à introduire une connivence avec l’auditeur sans avoir besoin de produire du sens. Comme avec l’inquisiteur Bernard Gui Reichstadt, le contenu est toujours déjà contenu dans la forme. Nous retrouvons ici les méthodes de l’inquisition qui devine l’intention mieux que l’accusé pourrait le faire lui-même.
« Devant l’émotion suscitée, en particulier dans les rangs du PS – Harlem Désir dit que cela lui a donné un haut-le-coeur -, le chef insoumis prétend, pour se justifier, qu’il ne connaît pas la religion de Monsieur Moscovici. Qui peut y croire ? Pas même un militant LFI, je pense. Cette excuse signe le crime. Et voilà Pierre Moscovici obligé de se justifier d’être Français. Jean-Luc Mélenchon s’est approprié la langue et les mots de l’extrême droite. » On notera la caution d’Harlem Désir dans la délimitation du cercle moral. François Mitterrand, bien avant Richard Malka, avait d’ailleurs compris cela : « touche pas à mon pote » mais surtout à mon pognon. Si on peut dissimuler quelques belles magouilles dans la caution anti-raciste, le bénéfice est double. Nous écrivons là l’histoire du PS et de son utilisation cynique des Français issus de l’immigration. Les nouvelles générations ne se laissent plus prendre par ses vilaines manœuvres et c’est d’ailleurs un très gros problème pour le parti socialiste en face de la France insoumise. Quant à la conclusion (« Jean-Luc Mélenchon s’est approprié les mots de l’extrême droite ») cela signifie, en 2013, mettre un signe équivalent entre le Parti de gauche et le Rassemblement national, exactement comme Rudy Reichstadt met un signe égal entre Zemmour et Lordon. L’extrême-centre ne fait pas dans le détail.
Plus encore, il s’assume désormais publiquement. Ainsi Denis Olivennes, influent patron de presse, sorte de baromètre de l’extrême-centrisme en cours de fascisation fait part de sa « contribution au combat ». Il se trouve à la croisée des chemins : stigmatisation permanente de la France insoumise, désormais antisémite et pro-musulmane ; soutien inconditionnel à l’extrême-droite israélienne ; lien avec les intérêts israéliens en matière de défense (scandaleuse affaire Pegasus) et discours néolibéral de longue date sur les chômeurs et la nécessité d’une mise au travail beaucoup plus coercitive. En se présentant explicitement comme un agent au service des intérêts d’Israël, Olivennes qui gère les intérêts de Kretinsky actionnaire de Franc Tireur annonce lutter aussi contre les « extrêmes ». Inutile de rappeler que Raphaël Enthoven est éditorialiste attitré chez Franc tireur. Le propos est sans ambiguïté. « Si vous regardez l’évolution de Marianne et de Libération depuis quelques mois, j’essaie de pousser ses journaux et franchement, je lis Libération tous les jours et je peux vous dire que l’évolution comparée de Libération et d’un autre grand journal du soir au cours des cinq derrières années et précisément depuis l’affaire de Gaza est simplement la nuit et le jour. » Avant de rappeler qu’il a fait son « coming out » sur ses origines juives « pour répondre aux 10 % qui nous emmerdent ». La réponse est toute trouvée, ce sera l’antisémitisme. Mais ne nous trompons pas, c’est bien le peuple qui est pris pour cible, c’est lui qu’il faut tenir en courte laisse car c’est lui, depuis une base sociale qui ne s’en laisse plus compter, demande désormais des comptes à ses petits pères la morale adossés à une oligarchie financière pour eux très généreuse qui a décidé de passer à l’offensive idéologiquement.


L’extrémisation de l’adversité politique, toujours contre le social, a trouvé son contre-feux ultime, parfois aidé par des déclarations qu’il est juste de critiquer. Mais voilà, on peut à la fois critiquer certains propos – ainsi le terme « résistance » pour qualifier le Hamas suite aux attaques terroristes du 7 octobre 2023 – tout en critiquant en même temps ceux qui utilisent cette critique pour renvoyer un mouvement politique tout entier dans un procès en antisémitisme qui n’a aucun sens. Cette nuance n’est absolument pas de mise car la stratégie de l’extrême-centre n’a jamais été de clarifier quoi que ce soit. Il lui faudrait pour cela un petit personnel politique autrement plus cultivé que ces cacatoès alignés sur les plateaux télé. Prisca Thévenot est un magnifique spécimen. La stratégie cynique et concertée consiste à expulser hors du cercle de la raison républicaine tout ce qui vient percuter sa domination de classe. Tout cela en taisant volontairement un nettoyage ethnique absolument catastrophique pour ceux qui ne sont pas à 1000 % anti-israéliens mais simplement soucieux de justice et de respect des droits humains les plus fondamentaux. Nous ne pouvons, à ce titre, que remercier ce triumvirat d’extrémistes du bloc bourgeois. Ils libèrent un espace d’honnêteté et de réflexion qui, je n’en doute pas, fera honneur aux Lumières dont ils se réclament, avec nous.
Harold Bernat
