Qui veut la guerre sabote la paix
Le 23/03/2024 par Harold Bernat
La guerre sert désormais à Macron et aux siens à suspendre le temps du politique. Dire que l’on va envoyer des troupes en Ukraine pour plaire au spectateur lobotomisé qui confond allègrement réalité et fiction, ne nous dit rien sur les rapports de force en présence. De là le drame que nous sommes en train de vivre en France: celui d’une parole gouvernementale qui n’a plus aucun sens, qui ne renvoie à aucun sérieux, tandis que les Russes, eux, sont dans des enjeux vitaux. Cela émoustille sûrement une bourgeoisie qui se regarde le nombril, mais cela fait perdre toute influence diplomatique à la France. Un état des lieux d’Harold Bernat sur le rapport du pouvoir français à la guerre d’Ukraine, à lire sur QG
Retour sur la propagande de guerre et le délirant unanimisme des va-t-en-guerre
La satire trouve fatalement ses limites quand les cadavres s’accumulent. Mais quelle réponse apporter aux courageux causeurs, bien au chaud, derrière leur estrade et leur confort bourgeois, ces va-t-en-guerre ? Un tel dégoise sur la puissance nucléaire française, tel autre s’excite sur l’envahissement de la Russie par des troupes au sol, un troisième narre la future victoire totale comme il commenterait un match des six nations un dimanche après-midi les fesses dans son canapé. Contrairement aux bellicistes de l’heure qui parlent de la guerre comme d’une sauterie mondaine sans prendre le moindre risque d’y mourir, j’estime qu’il y a des sujets sur lesquels la dignité impose à la fois du recul, de la mesure, de la pondération et de l’objectivité. Las, ces vertus ne sont de toute évidence pas majoritaires à l’Assemblée nationale. Elles ne le sont pas d’avantage sur les plateaux télé où des soi-disant experts s’amusent à la guerre comme d’autres collectionnent des figurines en plastique de soldats de l’armée napoléonienne. La vieillesse masculine bourgeoise joue à la guerre pour oublier son cancer de la prostate ou la baisse fatale de sa libido. N’oublions jamais la réalité du terrain, c’est une des grandes leçons de la guerre. Qui se bat, qui cause, qui délire, qui s’engraisse. Qui crève.
Il va de soi que l’objectivité absolue est un mythe mais nous pouvons toujours nous efforcer de viser une certaine qualité d’objectivité, une exigence d’objectivité dans nos prises de position. Cela suppose de faire droit à une complexité du réel qui tranche forcément avec la bouillie de communication unilatérale pour zombies du spectacle qui fait aujourd’hui office d’information, pire de liberté d’expression à défendre. Derrière cette recherche d’objectivité, notre parti pris est très clair, c’est celui de la paix. Comme le rappelle justement Julien Freund dans son introduction au texte Le conflit de Georg Simmel, un Allemand, « les pacifistes se proposent de faire la paix entre amis, alors que l’amitié est un état de paix. Il faut donc la faire avec l’ennemi. En conséquence, ajoute-t-il, la paix n’est pas un état figé harmonieux, mais elle est l’oeuvre de tendances et de forces divergentes, qui se reconnaissent réciproquement comme telles et qui mettent provisoirement en veilleuse leurs impulsions polémogènes. » Cette réflexion a une conséquence directe : pour faire la paix avec l’ennemi, il faut le comprendre, le considérer dans sa logique propre, faire droit à sa réalité. Nelson Mandela, que l’on ne saurait taxer d’être « pro-Poutine », à moins de finir par sombrer dans la démence, résume en 1990 cette idée essentielle sur la nature de l’ennemi : « Une des erreurs que font certains analystes politiques est de penser que leurs ennemis doivent être nos ennemis. » C’est là une position radicale de compréhension et une méthode : l’ennemi déclaré doit être compris. L’extrémisme, d’où qu’il vienne, prend l’exact contrepied de cette attitude. Nous sommes aujourd’hui administrés en France, je ne dis pas gouvernés, par des extrémistes. Au lieu de comprendre l’ennemi, ils l’annihilent. Si vous cherchez à comprendre l’ennemi, vous êtes un ennemi à votre tour. Si vous souhaitez nuancer une position, vous faites le jeu de l’ennemi. Si vous trouvez des raisons à une offensive militaire, vous êtes comptables des morts sur le terrain. En d’autres termes, l’ennemi doit être notre ennemi et il ne doit être que cela. Dans cette logique, l’ennemi est ce qui doit être détruit, exterminé, nié dans sa réalité. Les logiques extrémistes sont anti-dialectiques et ne portent en elles aucune radicalité dans l’analyse. Il ne s’agira donc pas ici de victoire ou de défaite mais d’une tentative de compréhension des logiques de guerre sur le temps long. Loin du manichéisme qui est toujours étranger à la vérité. Cette idée de Bakounine, un Russe, reste inactuelle : « Les aristocrates de l’intelligence trouvent qu’il est des vérités qu’il n’est pas bon de dire au peuple. (…) Il n’y a pourtant pas d’autre moyen de lui rendre sa pleine liberté. » Cela devrait valoir comme ligne politique.
Le 12 juin 2002, suite à une déclaration de George W. Bush datant de décembre 2001, les Etats-Unis mettent fin au traité de contrôle et de limitation des armes ABM signé en 1972 par Brejnev. Deux semaines avant cette date, Poutine signait un accord de rapprochement OTAN-Russie. Deux semaines, le 28 mai exactement. Cette décision américaine allait définitivement mettre un terme aux tentatives de rapprochement OTAN-Russie. La finalité n’est pas la paix mais l’hégémonie dans la logique des faucons américains. La perspective de rejoindre l’OTAN était en effet envisagée par Vladimir Poutine et cela dès son arrivée au pouvoir. Les preuves sont nombreuses. Ainsi George Robertson, alors secrétaire d’Etat à la défense du parti travailliste britannique affirme, dès leur première rencontre, en février 2001, que Poutine souhaitait faire partie de l’Europe occidentale. Avant cette date, le 4 juin 2000, Bill Clinton a été reçu par Vladimir Poutine. La discussion était très claire à ce propos : « Nous devrions considérer l’option que la Russie puisse rejoindre l’OTAN. » Réponse de Clinton : « Pourquoi pas ? Aucune objection. » Même tonalité lors du Discours devant le Bundestag de la République fédérale d’Allemagne le 25 septembre 2001. Elisabeth Sieca-Kozlowski, dans Poutine dans le texte (CNRS édition, 2024) écrit à ce propos que « Poutine surprend et séduit son auditoire. Son discours est interrompu seize fois par des applaudissements nourris. Les membres du Bundestag lui font une ovation finale. » Il est question, dans ce discours qui « marque une avancée historique dans les relations entre la Russie et l’Occident ». Poutine choisit ses formules. Il présente la Russie comme « une nation européenne amie », il envisage « une paix stable pour le continent ». Il voit également l’Europe comme « une maison commune » pour la Russie. Mais plus fondamentalement, Vladimir Poutine refuse de parler d’une guerre de civilisation. Il convient de rappeler, dans le contexte de l’après-11 septembre, que la Russie avait fait face à une insurrection islamiste au Daghestan entre août et septembre 1999. Une entité politique islamiste, le Djamaat islamique du Daghestan, avait déclaré comme nulle la constitution russe et instauré la Charia dans de nombreux villages. S’en était suivi une alliance avec les forces tchétchènes. Les rebelles wahhabites seront repoussés avec un repli en Tchétchénie. Voici ce que déclare Poutine devant le Bundestag à ce propos. Son analyse ne se situe plus dans le contexte de la guerre froide contre le bloc Occidental mais contre de nouvelles menaces en affirmant que « le monde est devenu beaucoup plus complexe. » Il ajoute : « Je tiens à souligner d’emblée que parler d’une quelconque « guerre de civilisations » est inadmissible. Ce serait une erreur d’assimiler les musulmans dans leur ensemble aux fanatiques religieux. Peu avant mon départ pour Berlin, j’ai rencontré les chefs religieux des musulmans de Russie. Ils ont décidé d’organiser à Moscou une conférence internationale sur « l’Islam contre le terrorisme. Je pense que nous devons soutenir cette initiative. » La lecture manichéenne de l’histoire interdit de penser les déplacements, voire les renversements de perspective.
En 1949, l’URSS acquiert l’arme atomique ; l’OTAN est une réponse à cette militarisation. En 2002, George W. Bush met fin au traité de contrôle et de limitation des armes ABM (Traité sur les missiles anti-balistiques) signé en 1972. Dans le contexte post-11 septembre, les Etats-Unis veulent avoir les coudées franches. Mais pour faire quoi ? Envoyer des bombes atomiques sur Ben Laden au fond de sa grotte ? Ce sont bien les Etats-Unis des néo-conservateurs et des suprémacistes américains qui répondent au « terrorisme planétaire » de « l’axe du mal » comme s’il s’agissait d’une logique d’affrontement entre des États ultra-militarisés. C’est cette même logique qui sera à l’oeuvre en Iraq en 2003. Mais cette logique américaine est largement antérieure au 11 septembre 2001 qui n’est ici qu’un prétexte. Laurent Césari, dans un article intitulé « La France et le premier élargissement de l’OTAN vers l’Est » écrit à ce propos : « Certes, l’administration du président George Bush ne commença à réfléchir sérieusement à l’extension de l’OTAN vers l’Est qu’en octobre 1990, et seulement dans l’hypothèse d’un retour de l’URSS à l’hostilité envers l’Occident. Mais quel que fût le comportement de Moscou, cette option rallia l’ensemble des ministères américains entre l’été 1991 et l’été 1992, du fait de l’affaiblissement de la Russie, des guerres de partition de la Yougoslavie, des réticences allemandes et françaises envers l’Uruguay Round et des projets français d’Europe de la défense. » Il va de soi que les promesses de ne pas étendre l’OTAN au-delà de l’Allemagne réunifiée n’ont pas été tenues.
Pourquoi, alors que la Russie ne présentait aucune menace, l’OTAN a décidé de rapprocher la puissance de frappe américaine de la frontière russe ? Comme le rappelle à juste titre Jacques Baud dans L’art de la guerre russe (Max Milo, 2024), c’est justement en 2002 que les Etats-Unis « entament des négociations avec la Pologne, la Tchéquie et la Roumanie pour y installer des lanceurs à usage dual (antibalistiques et nucléaires). Les Russes perçoivent une menace directe. C’est ce qu’exprime Vladimir Poutine en 2007, à Munich, et ce qu’il souligne le 7 février 2022, à Moscou, lors de sa conférence de presse avec Emmanuel Macron. Le problème est que nous n’écoutons pas ce qu’il nous dit. » Le propre d’une provocation stratégique est justement de ne pas se présenter comme une agression directe mais de se cacher derrière une défense face à une supposée menace. L’hypocrisie consiste ici à pointer des armes de destruction massive aux portes de la Russie et de s’étonner ensuite, ingénument, que cela puisse poser un quelconque problème. En somme, si tu veux la guerre, bousille la paix en créant les conditions de l’affrontement mais en restant naïf, en recherchant le conflit mais dans la sécurité, en augmentant le niveau de tension tout en construisant des bases sur la zone conflictuelle. Pour sécuriser l’OTAN, les pays de l’Alliance, on se rapproche au maximum d’une zone potentiellement conflictuelle. Etrange logique qui ne semble pas déranger la majorité des parlementaires français. Combien se sont exprimés sur la chronologie de ces événements ? Combien ont pris au sérieux les déclarations de Vladimir Poutine à ce sujet ? Combien ont eu ne serait-ce qu’un embryon de pensée critique à l’égard des stratégies américaines de faire de l’UE, sous couvert d’une adhésion à l’OTAN élargie, une zone tampon ultra militarisée entre eux, la Russie et la Chine ? Pour prendre au sérieux ces déclarations, il faut au préalable ne pas dissocier la guerre de la politique. Pour les communicants éventés, formés à l’école de l’éloquence et du baratin médiatique, de l’inculture aussi, les macronistes ne sont qu’un échantillon de cette engeance du vide, ce sérieux ne fait plus sens. Las, les rapports de force réels, sur le terrain, les forces militaires engagées, nous rappellent le sérieux du principe de réalité. Dire que l’on va « vaincre la Russie » pour plaire au spectateur lobotomisé qui confond allègrement réalité et fiction, ne nous dit rien sur la réalité militaire et les rapports de force en présence. Vladimir Poutine part de cette réalité quand nos communicants de la dernière demi-heure se demandent, cabinets de communication en renfort, quelle image sera la plus rentable dans le marais parisien en vue des prochaines échéances électorales.
Un petit détour par le célèbre livre – plus célèbre que lu – du prussien Carl von Clausewitz s’impose. Ce rapport très strict entre la politique et la guerre, un rapport sérieux, apparaît constamment dans le livre de Clausewitz. « L’intention politique écrit-il, fort de ses analyses sur le terrain, est la fin, la guerre est le moyen et jamais le moyen ne peut être sans la fin. » La guerre dépend du politique et n’a de sens que relativement à lui. Vouloir vaincre dans un brouillard stratégique, sans aucune boussole politique, n’a strictement aucun sens. De telles paroles bellicistes ne méritent pas d’être prises au sérieux. De là le drame que nous sommes en train de vivre en France, celui d’une parole gouvernementale qui n’a plus aucun sens, qui ne renvoie à aucun sérieux. Cela émoustille sûrement une bourgeoisie qui se regarde le nombril dans l’entre-soi mais cela fait perdre toute influence diplomatique à la France. Pire, cela confirme, aux yeux de très nombreux pays non-alignés, une forme d’arrogance occidentale. Parler des « valeurs de l’Occident » à défendre n’est pas un objectif, ni militaire, ni politique. Juste la preuve, un peu grotesque au demeurant, d’une soi-disant supériorité morale. Ce discours est aujourd’hui, comme hier, irrecevable. Si l’on met de côté son irréalisme, il nous empêche de comprendre que la stratégie russe évolue avec le temps. Le discours sur les valeurs nous rend aveugles aux enjeux politiques réels. Discours de communication, non de raison. Quand ce type de discours se répand partout, nous finissons par ne plus rien comprendre à la réalité de la guerre, à Gaza, Au Yemen, au Sahel ou sur le front ukrainien.
Retour sur le front ukrainien justement. Le premier des mensonges, celui qui aura fait capoter les tentatives de négociations en mars 2022, puis en août, reste la survalorisation des moyens de défense ukrainiens face à l’offensive russe. Cette survalorisation est le résultat d’un calcul cynique afin de bénéficier au maximum d’une aubaine : la déclaration de guerre par Poutine dans les conditions que l’on connaît. L’idée qu’il était possible de vaincre l’envahisseur russe a contribué à déformer la réalité des rapports de force. Dire cela ne consiste pas à justifier l’agression ou à penser que l’Ukraine ne devait pas se défendre mais à évaluer le plus vite possible ce que pourrait être une issue à ce conflit. Dissocier l’affrontement militaire de la négociation, dans un tel cas de figure, est une faute. S’il est en effet impossible de se défendre immédiatement contre une agression territoriale tout en cherchant à négocier dans le même temps, il est bon de se rappeler que le 25 février 2022, soit trois jours après le début de l’offensive russe, Volodymyr Zelensky appelle à des négociations. C’est ce que relate la journaliste de The Kyiv independent le même jour : « The leadership of Ukraine is open to negociations with Russia and the sides are now discussing the format of the talks, according to Serhiy Nykyforov, spokesman for President Volodymyr Zelensky. » Le 27 février, le président ukrainien accepte une rencontre, à Gomel, en Biélorussie. Poutine exige la reconnaissance de la Crimée et la neutralité militaire de l’Ukraine. Voici ce qu’écrit en France L’Express le même jour : « Décryptage. Le Kremlin propose des négociations à Gomel, la deuxième ville de Biélorussie. Un signe de plus que le pays dirigé d’une main de fer par Loukachenko devient le vassal de Moscou, mettant ainsi en danger sa souveraineté. ». La presse belliciste en France ne veut pas entendre parler d’un cessez-le-feu qui serait conditionné par le recul de la stratégie de l’OTAN sur l’Ukraine alors que la réalité sur le terrain est catastrophique. La guerre doit se prolonger, s’accentuer. Le même jour, le 27 février, l’UE se positionne dans le conflit avec un apport de 450 millions pour acheter des armes. Les négociations doivent capoter. Un second paquet d’aides à l’armement arrivera mi-mars. L’objectif est de détourner Zelensky des négociations. Le président ukrainien, pris entre le jeu russe et la stratégie atlantiste via l’UE doit choisir. L’intervention de Boris Johnson finira par réduire à néant les négociations comme le révèle les journalistes Iryna Balachuk et Roman Romaniuk dans Ukrainska Pravda le 5 mai 2022. Tous les plans de paix sont jugés « fumeux ». Boris Jonhson est à la manœuvre et avec lui la branche atlantiste de l’UE. Il n’y aura pas de négociations à Istanbul. Nouvel échec.
La presse française ne couvre pas ces manœuvres mais commence à construire une narration belliciste de laquelle il faut exclure l’idée même de négociation. On ne négocie pas avec le mal absolu. La moralisation au service du complexe militaire en lieu et place d’un corps diplomatique exténué. La guerre ne doit pas être une étape vers une négociation de paix mais une finalité ultime. La guerre, dans une logique contraire aux idées de Clausewitz, sera désormais le temps de suspension du politique. Elle sert d’ailleurs à cela : à suspendre le politique, autrement dit la recherche d’un commun, y compris dans une situation où les morts quotidiens se comptent par centaines. Le traitement médiatique de ces premiers semaines va donner le ton. Le travail de désinformation doit rendre possible une cristallisation des émotions, pour reprendre la formule d’Edward Bernays dans Crystallising Public Opinion en 1955. L’enjeu n’est plus seulement Poutine ou Zelensky mais les Russes en général. Le traitement qui sera réservé aux athlètes russes, dès l’été 2022, ne vise pas ces sportifs en particulier mais l’opinion publique. C’est tout un groupe national qui doit être visé sans distinction. Il s’agit de simplifier à outrance le conflit, d’isoler un homme, Poutine, puis une nation, la Russie, de purifier les émotions en produisant un discours binaire – ce fut également le cas lors d’épidémie Covid avec les fameux anti-vax – et enfin de solidifier le tout dans une doctrine qui pourra tourner en boucle à la télévision, relayée par des soi-disant, mais authentiques lobbyistes comme Nicolas Tenzer, « experts » qui n’ont aucune intention de faire droit à un discours nuancé et équilibré sur le sujet. C’est ainsi que la période qui aura vu des tentatives de négociations, entre février et août 2022, doit disparaître totalement de la narration officielle, voire des mémoires. La possibilité d’une paix est enterrée. La propagande de guerre fait évidemment partie de la guerre et Poutine n’est pas en reste. Mais ne considérer qu’un seul aspect de la propagande est une autre forme de propagande, insidieuse, cette fois à destination des pays dits « libéraux » et « démocratiques ». Cette propagande est d’autant plus nécessaire que ces pays, embarqués dans une aventure technocratique globale qui peine de plus en plus à se justifier auprès des peuples européens, cherche dans le narratif de la guerre à se doter d’une consistance externe. La guerre en partage à défaut de politique. Elle crée l’ennemi, elle a besoin de l’ennemi quitte à le nourrir. Comment ne pas s’interroger sur la volonté farouche d’implanter des bases militaires de l’OTAN autour d’un pays qui, quelques années auparavant, voulait se rapprocher de l’OTAN ? Voici ce que déclarait Poutine au Figaro en 2009 : « Il ne faut pas inventer des menaces imaginaires provenant de la Russie, des guerres hybrides, ou autres spectres de ce genre, vous les inventés vous-mêmes. Vous vous effrayez vous-même et c’est en se basant sur ces données imaginaires que vous cherchez à baser vos politiques. » Le bon bourgeois qui fait de l’histoire sans le savoir nous renvoie à Munich 1938. Nous lui rappelons Baudrillard 1991 : La guerre du Golf n’aura pas lieu. Comment imposer un ordre du monde hégémonique et ultra militarisé sans créer l’ennemi ? N’est-ce pas cette création de l’ennemi qui a permis aux Etats-Unis d’envahir l’Iraq en 2003 avec les résultats que l’on sait, y compris et surtout sur notre propre sol. Cette idée de Poutine, quoi que l’on puisse penser de son honnêteté, le doute doit être toujours de mise, nous rappelle que la guerre est avant tout une guerre cognitive. Quand on matraque à des téléspectateurs captifs les effets d’une arme atomique sur une ville comme Paris, quand on délire sur l’envahissement de le la Russie par des troupes françaises, quand on affirme qu’il faut vaincre la Russie, les vies ukrainiennes sont très loin et avec elles la paix. Elles n’ont d’ailleurs aucune réalité ses vies. Ce qui est en jeu, c’est la propagande de guerre et l’acclimatation des esprits à la guerre. Une acclimatation qui sert aussi et surtout de marche pied pour imposer un projet globaliste, l’UE, qui n’a aucune réalité pour les peuples sommés de s’y soumettre. C’est aussi ici que réside le travail quotidien de dépolitisation : diabolisation de l’ennemi, manichéisme, simplisme. Le bras de fer qui s’engage en Europe est moins entre la Russie des ténèbres et le monde libre qu’entre les oligarques qui ont besoin de la guerre et de son imaginaire et les peuples qui n’ont rien demandé. Mais pour les promoteurs de guerre, ceux qui aujourd’hui brandissent l’esprit de Munich pour se dédouaner de leur paresse intellectuelle et de leurs mensonges cette idée de peuple n’a pas de sens. Là est le fond du problème. Les néo-libéraux, depuis Walter Lippman et Edward Bernays, ne croient absolument pas à la politique depuis le peuple et pour le peuple. Pour eux, ces idées n’ont strictement aucune réalité. Leur propagande n’est pas simplement une simplification de la réalité mais la condition normale d’administration des hommes au service d’une rentabilité marchande qui se paye en vies humaines. Les vrais munichois, ceux qui n’ont pas le courage d’affronter les vraies puissances, ne sont pas là où l’on croit. Mais ça, nous n’avons pas attendu la guerre en Ukraine pour le savoir.
Harold Bernat
Très, très bon édito de Harold.
Je propose, un petit développement sur Munich, le fameux Munich dont on sature nos méninges : Munich 38-39 est sans cesse mis en avant pour justifier l’entrée en guerre de « l’occident » contre la Russie.
Mais « qui est qui » dans « la métaphore munichoise » ?
Dans « leur » sens à eux (eux = l’Amérique et ses fantassins ukraino-européens), sens qui se limite bien évidemment à l’enjeu des Sudètes germanophones, il est clair que Poutine est Hitler, et l’Amérique « serait » les dirigeants anglo-français de l’époque (Chamberlain, Daladier) si cette Amérique acceptait l’annexion par Poutine des zones russophones ukrainiennes (Donbass …).
Mais dans « un autre » sens, celui qui n’occulte rien de Munich, cad qui n’occulte pas la question, l’enjeu absolument majeur de « laisser les mains libres à Hitler à l’Est », cad de laisser à Hitler la liberté d’envahir/d’annexer la Russie soviétique, en échange de la paix avec ce même Hitler côté ouest (paix avec l’Angleterre, la France, l’Italie, .…), l’affaire devient très différente. Cet enjeu « des mains libres » ne figure pas par écrit dans les conférences et le traité de Munich : il a été formulé par oral uniquement, et c’est d’ailleurs pour cela que la Russie soviétique n’a pas été invitée à ces négociations de Munich : la Russie ne devait pas entendre qu’il s’agissait bien de pousser Hitler à envahir cette Russie, enjeu considérablement plus important pour le capitalisme occidental que la question somme toute modeste des Sudètes.
Donc dans cet autre sens, aujourd’hui, qu’est-ce qui se magouille vraiment aux yeux du monde entier ? sinon la volonté archi-présente mais non-dite -tout aussi silencieuse que « les mains libres »- de l’Amérique d’envahir, d’affaiblir politiquement la Russie cad de l’annexer à sa zone d’influence géopolitique, en la divisant, en la fracturant en territoires indépendants, plus petits donc plus faibles, tout comme elle l’a fait avec la Yougoslavie par exemple. Par exemple mais pas que.
Dans la métaphore munichoise, aujourd’hui, cet enjeu caché « des mains libres » pour l’annexion idéologique et géopolitique de la Russie, c’est l’Amérique qui le porte ; le projet de contrôle -initialement hitlérien- de la Russie, c’est l’Amérique qui le porte aujourd’hui ; l’Amérique qui s’efforce, qui a le culot, de faire porter le chapeau hitlérien … à la Russie poutinienne. N’est-ce pas le monde à l’envers ? N’est-ce pas ici le paradoxe et le contre paradoxe réunis ? L’Amérique cherche à faire porter le chapeau de ses turpitudes impérialistes à la Russie, cad à la victime visée par cet impérialisme ?
George Orwell : « le coupable c’est la victime » et … réciproquement !