« Nous finirons par savoir ce qu’il en est » par David Koubbi

31/03/2020

Alors que le premier ministre Edouard Philippe sera auditionné aujourd’hui, 1er avril, par une commission présidée par Richard Ferrand, au sujet de sa gestion de la crise du Covid-19 en France, l’avocat David Koubbi fait le point pour QG sur les procédures en cours contre le gouvernement, et la réalité des risques encourus par le pouvoir

La gestion de la crise du Coronavirus en France par le Président Macron et le gouvernement, est fortement critiquée ces dernières semaines, au point que des citoyens, des collectifs de médecins, lancent déjà des procédures judiciaires à l’égard du gouvernement pour mise en danger de la vie d’autrui. Au-delà de la question des responsabilités, l’état d’urgence sanitaire désormais mis en application, suscite bien des inquiétudes concernant les libertés. L’avocat pénaliste David Koubbi, auteur en 2017 du livre Une contestation française : pour une justice, une politique, une finance au service des citoyens, appelle à une grande vigilance citoyenne par rapport à l’état de droit, qui suppose « une justice égale pour tous ». Interview par Jonathan Baudoin pour QG

QG : Pensez-vous que la mise en place de commissions d’enquêtes parlementaires pourrait permettre de déterminer la part exacte de responsabilité du pouvoir dans la gestion du Covid-19 en France ?

David Koubbi : Je ne vois que deux solutions pour y parvenir : commission d’enquête parlementaire d’une part, et juges d’instruction saisis sur plaintes d’autre part. Ce sont là, selon moi, les seuls moyens permettant de savoir ce qui se passe et c’est tout à fait indispensable qu’en tant que citoyens, nous soyons en mesure de comprendre la situation que nous subissons actuellement. Que ce soit sur commission d’enquête demandée par les oppositions, ou par l’instruction de plaintes pénales sous la direction d’un juge d’instruction indépendant, nous finirons par savoir ce qu’il en est.

QG : Souscrivez-vous aux multiples démarches lancées à l’encontre du gouvernement, notamment celle du collectif de médecins C19 demandant un procès pour Agnès Buzyn et Édouard Philippe devant la Cour de justice de la République ?

J’y souscris pleinement. Il s’agit d’un collectif de médecins, ils sont tout à fait à même de juger les conditions dans lesquelles ils travaillent. Ils nous alertent par le dépôt de cette plainte contre des dirigeants français, au premier rang desquels Agnès Buzyn et le Premier ministre Édouard Philippe. Qui de mieux qu’eux serait susceptible de dire si les conditions dans lesquelles ils travaillent sont acceptables ou pas ? Sans avoir fait d’études de médecine, nous sommes à même de comprendre que des médecins travaillant sans masques de protection sont dans une situation qui est inacceptable, surtout après avoir entendu le gouvernement dire et redire que tout était prêt pour faire face à cette épreuve. On se souvient, par ailleurs, des manifestations des hôpitaux français qui, avant même tout cela, soulignaient le fait que nos soignants travaillaient dans des conditions qui n’étaient pas acceptables. Nous pouvons imaginer ce qu’il en est depuis que cette crise s’est déclenchée.

QG : Au regard des confessions faites par l’ancienne ministre de la Santé, estimez-vous qu’il y a eu mise en danger de la vie d’autrui de la part du gouvernement ?

Tant qu’une commission d’enquête parlementaire ou un juge d’instruction n’aura pas fait la lumière sur la situation dans laquelle nous nous trouvons, il est difficile de dire si les déclarations de l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, sont destinées à se couvrir, ou si elle a réellement alerté et appliqué le degré d’alarme suffisant pour que le Premier ministre soit en capacité de comprendre si la situation était dramatique et nécessitait sa plus grande attention ; ou si c’était un e-mail parmi d’autres. À ce stade, je ne sais donc pas si cette dame a voulu se protéger ou si elle a réellement alerté et qu’elle n’a pas été suivie. J’ai lu avec attention sa déclaration dans le journal Le Monde, mais j’ai aussi entendu avec la plus grande attention l’interview qu’elle a donnée dans l’émission les Quatre vérités, où elle a indiqué qu’en quittant le ministère, tout avait été préparé ; que le passage en phase 3 était prêt ; qu’il y avait des masques et respirateurs en nombre suffisant. Or, on sait aujourd’hui que c’est un mensonge éhonté puisqu’à cette même date, sauf erreur de ma part, Olivier Véran, son successeur au ministère de la Santé, procédait à la commande de masques qui manquaient. Je ne pense pas qu’il faille reprocher à nos gouvernants de n’avoir pas vu arriver cette crise. En revanche, nous pouvons exiger d’eux qu’ils nous disent la vérité et ne pas tolérer de les voir nous mentir une nouvelle fois. La situation est sans précédent : nous sommes tous assignés à résidence, confinés, nous avons accès à des moyens d’information comme personne avant nous dans l’histoire, et malgré cela, nous n’avons aucune idée de ce qui se passe, masques pas masques, chloroquine pas chloroquine, confinement 15 jours, confinement jusqu’en mai, juin, juillet… septembre ? 

QG : Certains estiment la responsabilité du pouvoir français plus engagée encore dans l’affaire du Covid-19 qu’elle ne l’était à l’époque de Laurent Fabius et de l’affaire dite du sang contaminé. Qu’en pensez-vous ? Sur quels types de condamnations cela pourrait-il déboucher ?

Je ne connais pas techniquement l’affaire du sang contaminé, car je n’ai pas eu à intervenir dans ce dossier. En tout cas, dans les deux cas, cela ressemble à un scandale d’État. Mais je ne suis pas en capacité de vous dire ce qu’il en est, par comparaison. Quant aux peines, généralement, les ministres et anciens ministres français ne prennent pas grand risque pénalement. C’est bien ce que nous sommes un certain nombre à dénoncer. Ça pose la question, au sein de la démocratie qui est la nôtre, de l’application de la loi à tous, y compris à nos dirigeants. Ils ne s’inquiètent pas trop généralement. Les poursuites pénales et les peines qui sont prononcées contre eux sont plutôt souples.

QG : Si jamais ces démarches devaient mener à des procès, suivraient-elles des procédures judiciaires longues ? Iriez-vous plaider dans ce cas de figure ?

J’irais plaider dans tous les cas de figure si nous arrivons à créer un théâtre d’opérations où la voix de nos soignants et de nos concitoyens, victimes de la situation, serait susceptible d’être entendue. Cela dépendra de qui nous saisira et des conditions dans lesquelles nous serons en mesure de rassembler des preuves de l’incurie, de l’impréparation des personnes qui sont en charge aujourd’hui. Vous savez, ce qu’il y a de formidable dans une époque comme la nôtre, c’est que nous avons toutes les déclarations, au jour le jour, qui sont historisées, qu’on a gardées en mémoire dans nos têtes et dans nos ordinateurs, où on voit par exemple Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, dire début mars qu’il n’y a aucune chance que ce soit une épidémie, une pandémie, que tout cela n’est qu’une « grippette ». Le Président Macron continuait à sortir une semaine avant le confinement, souhaitant montrer l’exemple dans ce sens en allant au théâtre. Tout cela est totalement irrationnel et tellement imprudent quand on voit que l’Italie nous implorait de ne pas faire les mêmes erreurs.

QG : Pour le moment, le Premier ministre a été mis en cause dans l’espace public, ainsi que d’autres membres du gouvernement. Pensez-vous que le Président Macron puisse lui-même être directement visé un jour ? Après tout, Agnès Buzyn a également affirmé l’avoir personnellement mis en garde dès janvier.

Les décisions du gouvernement sont prises sous la responsabilité du Président de la République, il est responsable de l’action du gouvernement, tout comme le Premier ministre l’est. Je ne vois pas pourquoi le Président de la République ne serait pas personnellement mis en cause si des fautes pénales ont été commises et lui sont imputables.

QG : En cette période de confinement, les pouvoirs sont étendus pour les forces de l’ordre et plusieurs milliers d’amendes ont été recensées, visant notamment les quartiers populaires. Est-ce que ça ne va pas renforcer l’impunité face aux violences policières, selon vous ?

Les inégalités sociales, que nous sommes nombreux à dénoncer, se font de plus en plus criantes dans la période qui est la nôtre. Être en confinement dans de bonnes conditions ou être en confinement dans de mauvaises conditions, ça n’est pas exactement la même chose. Je ne sais pas si cela a un rapport avec l’impunité que vous mentionnez dans votre question, mais régler le sujet avec des amendes n’est sans doute pas la meilleure des solutions, quand on connaît le faible taux de recouvrement des amendes, évalué à plus d’un milliard d’euros de manque à gagner pour les collectivités locales et pour l’Etat, cela ressemble plus à un effet de communication qu’à une réelle mesure… S’y ajoute que les forces de l’ordre sont exposées au virus, sans plus de mesure de protections que nos soignants pour verbaliser, tout en sachant qu’il n’y aura pas ou peu de recouvrement… drôles de choix tout de même.

QG : Cette période de confinement que nous vivons a vu la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, avec plusieurs ordonnances potentiellement liberticides, notamment en matière de droit pénal. Craignez-vous qu’elles s’inscrivent dans le droit commun, une fois la crise sanitaire passée ?

En général, ce qu’on constate, malheureusement, c’est que toutes les mesures d’exception qui sont prises dans des périodes exceptionnelles, demeurent après, on n’y revient pas ensuite. On voit l’exemple avec les lois visant à combattre le terrorisme. Il est rare que le législateur revienne en arrière. Et nous devrons être particulièrement vigilants. Je pense à ce que j’ai pu lire sur l’utilisation de drones couplée, dans d’autres pays, à des procédés de reconnaissance faciale, etc. Ce n’est pas la société dans laquelle nous avons envie de vivre. Il faudra, une fois tout ceci terminé, une fois que la poussière de cette situation dramatique sera retombée, il faudra que nous soyons vigilants à revenir à un état de droit, si tant est que nous ayons été dans un état de droit précédemment. J’ouvre cette incise parce qu’un état de droit suppose une justice égale pour tous. Et je vous redis que, malheureusement, la justice ne s’applique pas de la même manière à nos dirigeants et à nos concitoyens. Et ça, c’est un sujet dont beaucoup d’avocats veulent, à raison, se saisir.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

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