« Le virus, c’est eux », par Sacha Mokritzky

02/04/2020

Avec la crise du Covid-19 s’ouvre une brèche qui permettra peut-être de porter le coup fatal à une caste qui nous veut du mal. Une tribune pour QG de Sacha Mokritzky, cofondateur du Mouvement national lycéen, et rédacteur en chef de Reconstruire

Aujourd’hui, une voisine est morte. Je la connaissais à peine, je ne me souviens même pas de son prénom, mais, enfant, elle me faisait signe le matin lorsque j’attendais le bus. Un encouragement quotidien, comme si elle savait à quel point il était dur pour moi d’aller en cours. Elle est morte ce matin du coronavirus. C’est l’autre voisin qui nous l’a dit. « Sacrée bestiole » grogne-t-il. Si seulement le virus était une bête que l’on eût pu dompter. C’est ce que semble avoir cru pouvoir faire Emmanuel Macron, Monsieur Loyal d’opérette, lorsqu’il s’est lancé dans une salsa ridicule avec la santé de ses citoyens.

Au-delà de l’incapacité honteuse de nos gouvernants à appréhender correctement cette épidémie après qu’elle a frappé à notre porte, il nous faut bien prendre conscience que la catastrophe aurait pu être évitée si seulement nous avions eu des dirigeants portés non par les intérêts financiers de quelques-uns, mais bien par l’intérêt général. Ma voisine n’est pas simplement morte d’un virus arrivé là par hasard. Cette crise n’est pas simplement aidée par le capitalisme néolibéral. Elle en est le résultat.

C’est à cause du capitalisme néolibéral, qui dicte éhontément les actes de nos ministres-bourreaux et de leur monde, que 100.000 lits d’hôpitaux ont été sacrifiés sur l’autel de l’austérité depuis vingt ans. Sur cette même période, et notamment à cause de la disparition progressive des médecins de village et l’expansion lente et cruelle des déserts médicaux, les passages aux urgences ont doublé. De 10 millions de patients annuels, nous voici à 21 millions. Comment expliquer alors que l’hôpital public ait ainsi été massacré ? La réponse semble limpide lorsque les tenanciers de ce nouveau dogme nous l’expliquent : « Il faut retrouver l’équilibre ». Sans cet équilibre, nous aurions eu, collectivement, les moyens de répondre correctement à l’épidémie sans risquer la surcharge sanitaire.

C’est à cause du capitalisme néolibéral, qui exploite et déforme les relations entre le monde animal et le monde humain, que le Sars CoV-2, ce coronavirus à l’origine de l’épidémie, a pu contaminer l’humanité. C’est parce que nous nous livrons sans merci, au nom du saint rendement, à la déforestation, à l’artificialisation des sols, parce que nous étendons sans cesse notre honteuse domination sur la nature, que cette zoonose, maladie se transmettant de l’animal à l’homme, a pu voir le jour. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement est formel à ce sujet : ce sont 31% des épidémies qui sont directement liées à la déforestation.

C’est à cause du capitalisme néolibéral, qui contraint les pays européens à suivre aveuglément les règles dogmatiques de l’Union européenne, que notre continent s’est retrouve asphyxié par l’épidémie. C’est parce que les menaces qui pèsent sur nos Etats sont telles que la peur des sanctions budgétaires a primé sur la peur d’une possible épidémie. Parce que depuis des années, nos Etats ont les mains liées par d’arbitraires règles d’austérité telle que cette absurdité des 3% de déficit, décidée sur un coin de table par des gens aussi experts en économie que les milliers de gens qu’ils ont envoyé vers la mort. Il fallait faire fi de ces règles dangereuses au nom desquelles les décideurs irresponsables ont coupé dans les budgets sociaux qui faisaient la fierté de notre pays !

Voici des mois que les rues résonnaient au son du cri des grévistes. Voici des mois que, partout, le peuple criait sa colère en réclamant une retraite digne, et s’inquiétait des coupes budgétaires que le gouvernement voulait lui imposer. Voilà où mènent ces politiques irraisonnables ! Voilà ce que nous redoutions ! Voilà ce pourquoi nous alertions ! Voilà ce à quoi ils nous ont mené ! Nous connaissons les responsables, nous savons qui ils sont, nous les avons vus, nous connaissons leurs noms, leurs visages. Passant d’un ministère à l’autre, n’ayant que faire du pouvoir populaire et de la démocratie, tout enfermés qu’ils sont dans leur caste cooptative, sévissant sans discontinuer pour désorganiser notre modèle social. Benjamin Griveaux, Gabriel Attal, Jérôme Salomon, membres du cabinet de la ministre de la santé Marisol Touraine alors que François Hollande et son gouvernement détruisaient tout ce que nous avions. Le candidat Hollande pouvait bien scander partout que son ennemi était la finance. Voici où sa politique nous a menés : ses marionnettes abattent des siècles d’Histoire sociale, au nom de ce monde qui n’aime rien sinon l’argent, entérinant des années de politique dont même ceux qui osent s’appeler socialistes n’ont su se défaire.

Le virus, c’est eux.

En France, ailleurs, partout dans le monde, ce sont les épouvantables conséquences de ce règne outrancier qui sont mises en lumière par la crise sanitaire que nous subissons. Un autre monde est possible, et c’est aujourd’hui qu’il peut se construire. Nous ne pouvons plus nous résoudre à laisser sévir sans crainte les puissants de ce monde qui nous contraignent, et n’ont que faire de la souffrance qu’ils génèrent. Face à cela, un autre monde est possible. Un monde où l’intérêt général prime, où les services publics sont la priorité absolue d’un système qui ne jure plus que par le bonheur collectif retrouvé. Un monde où la souveraineté du peuple n’est plus bornée par les diktats financiers. Un monde dans lequel les représentants politiques devront rendre des comptes. Un monde où l’impératif écologique et social dicterait tous nos actes. Lorsque viendra le moment de sortir, lorsque nous pourrons enfin nous retrouver, nous aimer, retisser ce lien social dont nous avons tant besoin pour construire ensemble une société, il faudra que nous mettions en action ce formidable élan de solidarité qui s’est donné à voir au sein des immeubles, des quartiers, des villages, des villes, lors de ce confinement. Il faudra que les applaudissements magnifiques qui rythment nos soirées se transforment durablement pour devenir le son d’un peuple qui se construit. Il faudra que partout fleurissent des initiatives portées par une seule volonté : celle de construire tous ensemble, l’espoir d’un monde meilleur où la vertu républicaine ressurgit par le peuple lui-même. Il faudra se constituer, transformer, vivre, s’engager. Engageons-nous ! Révoltons-nous ! Profitons de cet instant de sérénité forcée pour réfléchir, pour décider ce que nous voulons pour nous-mêmes et pour l’ensemble de l’humanité. Ce ne sont certes pas de vains appels incantatoires, comme on en lit trop souvent, qui pourront mettre fin au règne de cette idéologie mortifère ; personne n’a la recette magique, et de magnifiques initiatives se sont déjà heurtées à la carapace féroce du capitalisme néolibéral. Cela ne doit pas nous pousser à l’abandon, au contraire. Voici qu’une brèche s’ouvre qui peut nous permettre de porter le coup fatal à une caste qui nous veut du mal. Nous avons le pouvoir de la faire vaciller et s’effondrer sur elle-même, en soutenant toutes les initiatives qui vont dans le sens de l’intérêt général.

L’Histoire n’a jamais été linéaire. Cette crise épidémique pourrait sonner le glas d’un système qui ne tient pas la route. Ma voisine ne doit pas être morte pour rien, et plus personne ne doit mourir à cause d’un système incapable de protéger. À nous de jouer. À nous de croire enfin qu’il nous est possible de vaincre. Car c’est de l’espoir que naîtra la volonté, de la volonté que naîtra la combativité, de la combativité que naîtra la persévérance, de la persévérance que naîtra la victoire.

Sacha Mokritzky

Rédacteur en chef de « Reconstruire », Sacha Mokritzky est membre des Constituants et co-auteur de « Retraites : impasses et perspectives » aux éditions Eric Jamet

4 Commentaire(s)

  1. Bon, très bon édito (ou tribune). Tribune « dans la cible » et « compréhensible ». Bon ! je rigole !
    L’analyse des causes principales de la crise sanitaire est bonne. Certes il y a des « élans de futur » quelque peu naïfs : « lorsque nous pourrons enfin nous retrouver, nous aimer, … ». Mettre dans un projet politique le mot « amour », là, je sors mon flingue. Ca me rappelle trop les hippies d’il y a 50 ans. Tous des pacifistes. Cette prescription de l’amour, c’est une manie ! L’objectif est de vivre dans la décence et la justice, et l’amour ne fait partie ni de la décence, ni de la justice ; ça vient en surplus éventuellement (et c’est un sentimental qui parle).
    Sacha semble mettre l’enjeu écologique avant l’enjeu social : perso j’aurai fait l’inverse ! Mais bon.
    Pour terminer : le chainage des « affects » (pour parler comme Spinoza-Lordon ; mais je n’ai peut-être pas bien compris ce qu’est précisément un affect au sens spinozien) que propose Sacha est intéressant :

    espoir –> volonté –> combativité –> persévérance –> victoire (cette dernière n’étant pas un affect),

    Déjà, on voit que la « persévérance », ici, n’est pas une donnée naturelle de l’être (ici social) : c’est un aboutissement possible de l’espoir. Là je dis bravo, car je ne crois pas à la fameuse persévérance de l’être, persévérance « naturalisée » par Spinoza.
    Pour le reste, en partant d’un ras le bol (tout un programme : l’évaluation entre ce qu’on gagne et ce qu’on perd à combattre) j’aurai tendance a dire que c’est avant tout l’évaluation de notre puissance de combattre par rapport à la puissance de l’ennemi (les ennemis plutôt, qui sont parfois nos voisins, nos amis) qui engendre tout à la fois l’espoir, la combativité et la persévérance. La victoire restant un produit incertain de la réalisation de nos pronostics dans nos combats réitérés.
    A débattre !

    1. Bonjour, et merci de ce commentaire très construit. Il est toujours agréable de voir ses propos discutés avec intelligence et hauteur.

      Pour revenir rapidement sur cette « prescription de l’amour » dont vous parler ; l’idée n’est bien entendu pas d’entrer dans une sorte d’incantation naïve. Je souscris assez à l’idée défendue par Tolstoï selon laquelle l’amour aurait pour base le renoncement au bien individuel. Je ne parle pas ici d’amour au sens d’amour d’être à être comme il est le plus souvent vu dans la philosophie, mais bien de cette idée de renoncer à son propre bonheur pour construire ensemble les conditions d’un bonheur partagé et collectif. Et je pense ainsi qu’en projetant nos sentiments sur l’autre nous sommes capables à priori de dépasser l’idée dangereuse de l’individualisme pour construire un projet politique. L’amour n’est pas un projet politique en soi, mais le préalable à ce projet.

      Aussi, je ne mets pas l’enjeu social avant l’enjeu écologique. Disciple intellectuel d’André Gorz et militant écosocialiste, je ne fais en fait pas de différence entre les deux ; pour moi, il n’existera jamais de socialisme complet s’il ne s’accompagne pas d’une transition écologique. L’être humain est déterminé par toutes sortes de choses, et, avant tout, par son environnement – c’est d’ailleurs l’environnement qui est par essence liée aux spécificités de chaque société. Je crois donc que l’on parle d’une seule et même chose en parlant de l’enjeu social et de l’enjeu écologique.

      Quant à votre dernière remarque sur la victoire ( par ailleurs, vous avez vraisemblablement très bien saisi le sens que je donnais à ce chaînage), il ne faut pas oublier qu’il s’agit bien ici d’une tribune, donc d’un texte d’intention et d’intervention qui a pour objectif de mener à la victoire. Normal donc que je n’évoque pas une défaite potentielle. Par ailleurs, je crois chaque mot de ce que j’ai écrit, et l’espoir dont je parle est celui de la victoire. Je suis intimement convaincu que l’on peut gagner 🙂

      Bonne journée

      1. Je crois qu’on s’est compris, et qu’il n’y a pas de lézard méchant dans nos nuances. Oui, on peut gagner.
        En tout cas ce papier est très bon et on a du plaisir à le lire : il trouve bien sa place entre philosophie et terrain.
        Et je viens de finir de relire Anna Karénine.

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