« Le capitalisme financiarisé a vécu, passons à autre chose », par Dany Lang

10/04/2020

Crise financière et dépression majeure à venir, le membre des Economistes Atterrés, fait le point pour QG sur tout ce que la pandémie de Covid-19 va changer à notre monde. Lui-même rétabli de la maladie, il prône la socialisation de pans entiers de l’économie, et acte la fin d’une Union européenne qui n’aura été que le cheval de Troie pour imposer des politiques néolibérales mortifères

Cette crise du Coronavirus marque un moment clé dans l’histoire du capitalisme, en ce début d’année 2020. Il peut désormais se pérenniser, évoluer, ou être détruit, tant le monde entier est concerné. Ne rien changer aboutirait néanmoins à un suicide de l’humanité, la chose est désormais certaine. Pour Dany Lang, maître de conférences en économie à Paris XIII-Sorbonne Paris Cité, et membre du collectif « Les économistes atterrés », le temps est venu d’une réflexion sur la nationalisation, et la socialisation de l’économie, en faisant table rase d’un capitalisme financier qui a « trop vécu », et d’une Union européenne qu’il estime aujourd’hui « morte ». Testé positif au début de l’épidémie en France, suite à un séjour à Mulhouse, il est désormais rétabli. Interview par Jonathan Baudoin pour QG

QG : Quel regard portez-vous sur l’évolution de la crise du Coronavirus, allons-nous inéluctablement vers une transformation de la crise sanitaire en crise économique ?

Dany Lang : Ça me parait assez clair. À voir les prévisions sérieuses à ce propos, il y a deux scénarii qui se dégagent. Certains économistes pensent que les personnes qui ont été confinées vont sortir, vont faire la fête, vont consommer massivement, que tout va repartir comme avant. Donc, que nous aurons un rebond qui permet d’effacer cette situation. Un scénario alternatif, qui me semble plus crédible, consiste à envisager qu’un certain nombre d’entreprises vont casser leur pipe. Dans ce cas, elles ne vont pas resurgir de leurs cendres. Un certain nombre d’activités, privées et publiques, vont se retrouver dans des difficultés majeures. Les PME vont être particulièrement affectées. Avec le Coronavirus, nous avons affaire à un choc assez original, du point de vue de l’économiste. Ce choc majeur va provoquer une dépression majeure et qui n’est pas d’origine strictement économique, même si cette crise sanitaire est la conséquence de la destruction écologique provoquée par la mondialisation néolibérale, donc pas sans rapport avec cette dernière.

Contrairement aux crises de 1929 et de 2008, la crise économique majeure qui s’annonce ne vient pas de la folie des marchés financiers, ni des États-Unis. On a un choc qui vient d’une pandémie, et non de la dynamique économique stricto sensu, et qui touche à la fois la demande et l’offre. Cette crise, à la fois conjoncturelle et systémique, est donc extrêmement originale et il faudra veiller à apporter une réponse idoine et fine. Et cette réponse n’est pas simple. A court terme, la réponse à apporter devra fortement soutenir la demande tout en ayant une gestion fine de l’offre selon les secteurs, très diversement touchés. Cette crise pose également la question de la transition écologique et du changement radical de notre mode de production et de consommation, changement qu’il convient d’amorcer dès à présent.

Le fait que les gouvernements aient été incapables de fermer les bourses quand elles ont commencé à s’écrouler et alors même que cette situation exceptionnelle appelle des mesures exceptionnelles n’est guère rassurant. L’effondrement boursier généralisé qui va se produire dans les mois à venir ne va pas contribuer à améliorer la situation, bien au contraire, puisque la crise réelle se doublera de crises financières à répétition, que le gonflement des dettes publiques et privées ne va pas arranger. Les marchés financiers où jouent des mécanismes irrationnels par nature, déjà en temps normal, ne vont qu’amplifier la crise pendant les périodes d’incertitude radicale qui s’ouvrent. Il faudrait décider de fermer les bourses pour atténuer une situation qui s’annonce déjà grave.

QG : Que pensez-vous de la gestion gouvernementale de la crise ?

À mon sens, le gouvernement a trop hésité, a trop retardé à mettre en place le confinement. Il n’a pas fait le nécessaire pour les tests et les masques soient à disposition à temps, alors qu’un certain nombre de scientifiques sérieux disaient clairement que l’épidémie risquait de nous toucher. Il me semble aussi qu’à un moment donné, le gouvernement a eu comme stratégie celle de l’immunité de groupe, qui ne fonctionne pas et se paie en milliers de morts. Il a donc changé d’opinion à ce propos. C’est heureux mais trop tard, et cela s’est fait en catastrophe.

Au plan économique, à mon avis, la dépression qui vient va être bien pire que celle à quoi on pouvait s’attendre si la mise en confinement avait été mieux gérée et mieux anticipée. D’un côté, un certain nombre de mesures annoncées vont plutôt dans le bon sens, avec la mise en chômage partiel, avec l’interdiction partielle des licenciements, avec l’indemnisation d’un certain nombre d’entreprises. Mais d’un autre côté, pour les PME, c’est assez limité. Elles doivent prouver une baisse de leur activité sur une période qui inclut des semaines qui ont précédé le confinement, ce qui est assez problématique.

Je suis assez partagé, en fait, sur ce qu’a fait le gouvernement une fois le confinement décidé. D’un côté, il a accepté, quand même, de suspendre les licenciements, de décaler un certain nombre de choses, et en particulier le paiement des cotisations sociales pour un certain nombre d’entreprises. Ça va plutôt dans le bon sens. D’un autre côté, il a, très cyniquement, profité de cette crise pour encore plus détricoter le code du travail qu’il ne l’avait déjà fait depuis qu’il est au pouvoir. Par exemple, 60 heures de travail par semaine, c’est délirant, contraire au droit social et même irresponsable dans un certain nombre de secteurs, en particulier le secteur routier.

QG : Vous avez, vous-même, été contaminé, et testé positif au Covid-19 il y a quelques semaines, comment allez-vous aujourd’hui, et quelles leçons tirez-vous de cette très désagréable expérience ?

Dans mon cas, j’ai été contaminé parce que je donnais un cours à Mulhouse le lundi qui a suivi le fameux rassemblement évangélique – ou alors au concert auquel je me suis rendu le samedi suivant. J’ai été ensuite très malade durant deux semaines. C’est une maladie assez traîtresse ! Elle commence doucement. On a des maux de tête. On a un peu de fièvre. Mais on ne s’inquiète pas trop. Et puis ça dégénère rapidement. Pour ma part, je n’ai pas eu de complication pulmonaire. Je me trouve donc dans une situation éminemment plus souhaitable par rapport à un certain nombre de personnes qui ont dû faire un séjour à l’hôpital ou qui y sont restées.

QG : Est-ce que cette crise du Covid-19 vient illustrer à vos yeux une désindustrialisation mortifère pour la France, notamment dans le domaine de la santé, au nom du libre marché et de la mondialisation ?

Il me semble assez clair que le Covid-19 est un produit de la financiarisation et de la mondialisation libérale, à laquelle on assiste depuis maintenant quatre décennies. Le virus a pu circuler facilement avec les échanges de marchandises et des personnes que cela induit. Sa diffusion a été favorisée, si on en croit les travaux des scientifiques, par la dégradation de la situation écologique, elle-même liée à la destruction acharnée des habitats naturels. Un certain nombre de spécialistes de l’écologie alertaient déjà là-dessus. Au plan strictement économique, on a fait un certain nombre de choix industriels, lors des décennies passées, qui sont mortifères et dans la droite ligne de la logique des traités européens. On a décidé de délocaliser notre production de médicaments, notre production de masques, notre production de respirateurs. Rien que dans le domaine de la santé, on voit clairement l’impact de ces décisions aujourd’hui. Il y a encore peu, on avait encore de quoi largement produire des masques, des gels hydroalcooliques, etc. Nos dirigeants ont décidé, progressivement, d’aller produire ça dans des pays en développement, avec les conséquences que l’on observe aujourd’hui. Et arrivés au pied du mur, les pays ne respectent plus du tout les accords internationaux en matière de commerce. Il y a une concurrence, à la limite même de la piraterie, sur les masques. Cela illustre les effets de la mondialisation de l’économie à outrance et les effets des politiques néolibérales qui ont été menées par les différents gouvernements. En particulier les réductions du nombre de lits, la tiers-mondisation des personnes travaillant dans le monde de la santé, au nom du sacro-saint équilibre budgétaire et de la baisse des coûts au prétexte de compétitivité. On en paie aujourd’hui les conséquences graves. Ce sont des morts ! Ce sont des malades. Ce sont les conséquences économiques qui vont être dramatiques pour un certain nombre d’entreprises et pour un certain nombre de personnes. L’austérité tue.

QG : Dans nos colonnes, Paul Jorion a récemment déclaré que « l’État-providence doit être inscrit dans la Constitution ». Partagez-vous ce point de vue ?

En général, je suis fermement opposé à ce qu’on inscrive des principes économiques dans une Constitution. Une Constitution est un cadre qui définit le vivre ensemble. Le principe d’État-providence est une excellente idée. Donc vouloir inscrire des principes économiques précis dans la Constitution, comme l’avait fait l’URSS ou comme a voulu faire le Traité constitutionnel européen de 2005, est une très mauvaise idée. Je pense que le principe de l’État-providence aurait dû être inscrit dans la Constitution, dès le départ, puisque ça correspondait à l’idée du CNR et des personnes qui ont rédigé la Constitution de 1945. Mais si cela implique de mettre des critères économiques précis, comme les traités européens dans la Constitution, non merci. Ce n’est évidemment pas ce que souhaite Paul Jorion. Je connais son travail. Il fait souvent des propositions fort intéressantes. Bref, oui à la reconstitution d’un État social, notamment en matière sanitaire, qui a été détruit par les gouvernements successifs et aurait dû rester une priorité absolue. Mais attention à l’inscription, dans la Constitution, d’objectifs économiques précis.

QG : Dans la communication gouvernementale, le mot nationalisation a droit à un retour en grâce. Faut-il y voir une stratégie effective de politique industrielle, ou à nouveau une ruse pour socialiser les pertes et privatiser les profits, comme après la crise de 2008-2009, selon vous ?

Je crains que ça ne soit plutôt la deuxième branche de l’alternative, c’est-à-dire, la socialisation des pertes et la privatisation des profits, qui soit aujourd’hui à l’œuvre. Il n’est pas dans le logiciel idéologique de ce gouvernement de soutenir l’idée de nationalisation. La preuve, lorsqu’on parle de nationalisation auprès de ce pouvoir ou des économistes qui le conseillent ou le soutiennent, on passe pour un nostalgique de l’Union soviétique, du Gosplan, etc. De la même manière, lorsqu’on parle de planification, ces mêmes personnes vous prêtent l’intention de vouloir réinstaurer l’URSS ou de mettre en place un régime autoritaire !

J’ai donc peur que ce soit la socialisation des pertes qui soit privilégiée par ce gouvernement, même si évidemment je me réjouis que la nationalisation ne soit plus un tabou ou un interdit et qu’on puisse enfin en débattre. Mais si on décide de nationaliser certaines entreprises, il faudra aussi que le public y trouve son compte, et pas seulement que le contribuable mette la main à la poche pour renflouer des entreprises, et ainsi repartir comme en 2009 avec des entreprises qui font, ensuite, des profits monstrueux redistribués auprès de leurs actionnaires. Dans les discours de l’exécutif, j’ai noté avec beaucoup d’intérêt qu’il est question d’interdire aux entreprises qui bénéficient d’aides publiques, de fonds publics, de verser des dividendes. Je pense qu’il s’agit d’une très bonne idée. Il faudrait aller plus loin ! Par exemple, il faudrait interdire aux banques de verser des dividendes et les forcer à se recapitaliser, parce qu’elles vont rencontrer des difficultés majeures par la suite, liées au niveau extrêmement élevé de la dette privée dans un certain nombre de pays, dette qui va être fortement aggravée par la situation en cours, y compris en France. Un certain nombre de dettes privées ne seront jamais remboursées. À ce moment-là, il faudra recapitaliser les banques et je souhaiterais que, dès maintenant, ceci soit anticipé.

D’ailleurs, puisqu’il est question de nationalisation, je préfèrerais qu’on parle de socialisation, parce que l’État peut faire certaines choses, mais le privé aussi peut faire certaines choses. Quand l’activité concerne le bien-être et la vie de milliers d’individus, je préfèrerais que les secteurs stratégiques soient « socialisés », c’est-à-dire que toutes les parties prenantes, pas seulement les actionnaires ou l’État, aient leur mot à dire. Donc, y compris les salariés, les consommateurs ou les usagers. Dans une interview que j’ai donnée à l’Humanité, je propose de socialiser le secteur bancaire et il faudrait réfléchir très sérieusement à la chose car le secteur bancaire est le cœur et le poumon de l’économie.

QG : Quelles solutions à adopter pour déprivatiser l’économie ?

Personnellement, je suis un keynésien, un post-keynésien pour être précis. Je suis donc en faveur d’une économie mixte, où tout n’est pas public et tout n’est pas privé. Il est donc en effet urgent de déprivatiser. Je pense qu’il faut identifier un certain nombre de secteurs où la logique marchande ne fonctionne pas. Et cette liste de secteurs me paraît claire aujourd’hui. Si la crise actuelle ne nous apprend rien, à ce propos, c’est que nous n’aurons absolument rien appris. On voit bien que dans les pays où la santé est privée comme aux Etats-Unis, cela ne fonctionne absolument pas : c’est cher, inefficace et hautement problématique en cas d’épidémie, et même en temps normal. La santé relève du public. De la même manière, l’éducation, la recherche relèvent du public. Je pense qu’il faut repartir sur du bon sens.

Il faudrait réfléchir vraiment à ce qui relève de l’ordre de la gestion privée. Il y a des choses que le privé fait très bien. Il ne me viendrait pas à l’esprit de vouloir nationaliser la boulangerie, par exemple. Mais il s’agit de réaffirmer clairement qu’il y a un certain nombre de choses qui sont de l’utilité publique, comme la santé, l’éducation, la recherche, les transports, l’énergie. Alors que les gouvernements font le contraire ces dernières années. Il faudrait revoir complètement le crédit impôt-recherche qui bénéficie à des entreprises qui, pour l’essentiel, ne font pas effectivement de la recherche, alors que la recherche publique ne cesse de tirer la langue. Sans renoncer à la médecine libérale, qui fonctionne en France, il faudrait réfléchir très franchement à réarmer notre système de santé, à tous les niveaux. Que ce soit pris en charge par le public. Il me semble qu’il faudrait qu’il y ait une réflexion collective et un débat à l’échelle du pays sur ces questions, mais je n’ai pas l’impression de le voir poindre ça dans les stratégies aujourd’hui mises en œuvre, qui vont toujours dans le sens d’une marche forcée vers la privatisation de tout.

QG : Est-ce que cette crise pourrait fournir un point de bascule en direction d’une sortie du capitalisme, qui peut être considéré comme malade et rendant malade tout ce qui l’entoure ?

Je ne suis pas certain de savoir ce qu’est le « capitalisme ». Il y a des formes de capitalisme, des déclinaisons dans le temps et selon les latitudes. Nous sommes actuellement dans une forme de capitalisme mortifère. Cette forme s’est affirmée depuis les années 80 : il s’agit du capitalisme financiarisé, fondé sur la rente et le pouvoir des actionnaires, fondé sur la mondialisation des échanges et des flux de capitaux, fondé sur la délocalisation. La crise systémique actuelle est le produit de ce système. Les difficultés qui vont suivre à la fin de ce confinement montrent clairement les limites de cette forme de capitalisme qui ne fonctionne ni au plan économique, ni au plan écologique, ni au plan social. Les pays passent leur temps à se faire concurrence. C’est une concurrence qui se fait en termes de baisse des coûts, de baisse des revenus des gens en bas ou au milieu de l’échelle sociale, de baisse des recettes fiscales. Y compris dans des secteurs qui sont absolument prioritaires comme la santé. Donc, il est urgent de remettre ce système en cause.

Je ne sais pas si nos gouvernements réfléchissent à l’après dans ces termes. Très franchement, j’en doute, même s’il est plus que jamais temps de se poser des questions. Je pense qu’il est temps de s’interroger pour savoir quels sont nos besoins essentiels et quel sera notre mode de développement demain. Est-ce qu’on veut avoir une économie soutenable, au service des besoins essentiels et qui fonctionne pour le plus grand nombre ? Est-ce qu’on veut pouvoir face faire à la crise écologique majeure dans laquelle nous sommes et qui va se traduire par d’autres catastrophes sanitaires et écologiques majeures dans les années à venir ? Est-ce que le capitalisme, tel qu’il est aujourd’hui, est bien armé pour faire face à ça ? La réponse est évidente.

Est-ce qu’on aura une remise en cause du capitalisme comme système productif ? En soi, les gouvernements ne me paraissent pas armés pour aller dans cette direction. Les gouvernements en place sont les dignes représentants du capitalisme financiarisé, mondialisé, où tout est fondé sur l’actionnaire, où tout est fondé sur la globalisation, la délocalisation, etc. Il faudrait commencer par s’en débarrasser. Je pense par contre qu’il y a une prise de conscience écologique de la part des citoyens. Et j’espère que ce sera l’occasion de se poser la question de savoir quel type d’économie on veut. Il me semble que le socialisme, au sens de l’URSS, a échoué. Il est clair que le capitalisme, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, a également échoué, pour des raisons différentes. Mais le résultat est au moins aussi désastreux. Donc, pourquoi ne pas réinventer autre chose ? Je suis tout à fait ouvert à la discussion. Il me semble que la réponse à ces crises, ces malaises, est de réfléchir aussi à une politique industrielle, réfléchir à une relocalisation de certaines activités et réfléchir à comment on assure la transition écologique, comment on assure les circuits courts à l’échelle locale et à l’échelle nationale. Le capitalisme financier a vécu, trop vécu.

Bref, sortir du système actuel devrait être évident et urgent. C’est une nécessité absolue ! Vers quoi faut-il aller ? Je n’ai pas de réponse arrêtée. À mon avis, le monde vers lequel nous devrions chercher à aller est un monde beaucoup plus localisé, plus socialisé, où on prend le contre-pied sur ce qui a été fait ces quatre dernières décennies en matière de répartition des revenus, en matière sociale, en matière écologique. C’est tellement différent du capitalisme dans lequel nous vivons. Je ne sais pas si ce sera encore du capitalisme, et ça m’est bien indifférent. Il n’appartient pas au public de tout gérer, mais le secteur socialisé doit trouver sa place, une place centrale, au même titre que le local dans ce nouveau monde.

QG : On constate, une fois encore, des divergences entre les pays du Nord et du Sud de l’Union européenne, notamment sur l’idée de corona bonds. Est-ce que le Coronavirus pourrait faire imploser l’Union Européenne ? Si oui, de quelle manière ?

Qu’il y ait des divergences sur une idée qui constitue une avancée aussi peu significative que celle des corona bonds, me semble hautement illustratif de l’état de décomposition de l’Union européenne. Pour ma part, j’ai signé la pétition initiée par des économistes anglais pour lancer les corona bonds, parce qu’il paraît essentiel de mettre cela en place dans le contexte actuel. Mais c’est un tout petit pas. Voir le comportement égoïste de pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas sur cette affaire de corona bonds est plus qu’atterrant ! On est dans un délire complet ! Les corona bonds ne sont même pas à la mesure de ce qu’on est en train de vivre. Ça aurait dû être une évidence.

L’Union européenne, telle qu’elle s’est construite depuis les années 1980, est un ensemble mortifère dont cette nouvelle crise ne fait qu’illustrer l’état de décomposition. C’est un ensemble qui a été construit, finalement, pour contourner les législations sociales et les avancées sociales qui ont été obtenues dans un certain nombre de pays et imposer ces politiques néo-libérales qui vont dans le sens de cette mondialisation mortifère, et du capitalisme financiarisé.

Je n’ai pas de boule de cristal concernant une éventuelle implosion, mais l’Union européenne, telle qu’elle s’est constituée depuis Maastricht, me paraît davantage être de l’ordre du problème que de la solution. L’implosion a été évoquée à plusieurs reprises, en 2008-2009, et elle a pourtant tenu le choc, en grande partie grâce aux interventions de la BCE. La différence, cette fois-ci, est que la BCE a immédiatement fait ce qu’elle pouvait pour intervenir, pour injecter des liquidités. Ces injections de liquidités vont être très insuffisantes s’il n’y a pas, derrière, des États qui changent leur politique budgétaire, lâchent la bride. Le retour aux critères complètement délirants en matière de dette et de déficit du Traité de Maastricht et TSCG, le soi-disant Pacte budgétaire, n’est malheureusement pas à exclure, et cela ne ferait qu’accroître encore les difficultés qui s’annoncent.

Si les dirigeants européens essayent de continuer l’Union européenne, telle qu’elle s’est construite avant la crise du Coronavirus, elle va à sa perte. Mis à part quelques initiatives solidaires intéressantes et applaudies pendant cette crise, comme par exemple le fait que des patients alsaciens soient hospitalisés en Allemagne, il me semble que l’UE a, une fois de plus, montré son absence de volonté politique. On s’est même récemment retrouvé dans une situation où la Commission s’est montrée plus audacieuse que le Parlement européen sur l’affaire du Green New Deal ! Cette Union européenne-là me parait vouée à l’échec et à la disparition. Elle a montré, une fois de plus, son inhumanité dans cette crise, en grande partie en raison des égoïsmes nationaux qui s’expriment au sein du Conseil européen. Les gens qui, de bonne foi, ont promu l’Union européenne lors des décennies passées se sont lourdement trompés. Ces personnes pensaient qu’on finirait par avoir une capacité budgétaire significative au niveau européen, que l’UE saurait réagir aux crises économiques par des plans de relance. C’était le pari de Jacques Delors en 1986, mais aussi de celles et ceux qui ont défendu l’adoption du Traité de Maastricht et de la monnaie unique. C’est l’exact contraire qui s’est produit et à chaque crise, l’Union, plutôt que d’aller dans le sens de la solidarité, va de plus en plus dans le sens de l’expression des égoïsmes nationaux et de l’inscription de ces égoïsmes nationaux dans ses traités comme le TSCG dont le seul objectif est d’empêcher la solidarité entre les états. L’Union européenne telle qu’elle existe est morte et c’est une excellente chose !

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

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