Tchernobyl: nous mentirait-on aussi ?

30/04/2020

Que s’est-il passé dans la zone d’exclusion de la centrale nucléaire de Tchernobyl le 4 avril 2020 ? Les autorités ukrainiennes disent l’incendie sous contrôle, mais les craintes pour l’environnement et la santé restent importantes, des particules ayant été retrouvées jusqu’en Lorraine. Nathalie Athina fait le point pour QG avec Vassilis Pontikis, ingénieur au Commissariat à l’Energie Atomique et à l’Institut de la Recherche fondamentale

Le feu de forêt ukrainien qui a touché, le samedi 4 avril 2020, la zone d’exclusion autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl a provoqué un nuage de fumée qui s’est dispersé sur toute l’Europe, y compris la France. C’est ce qu’a montré une modélisation en couleurs réalisée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). En date du 14 avril 2020, l’Ukraine, dans un communiqué officiel, déclarait avoir sous contrôle l’incendie qui ne concernait plus que des « foyers isolés ». Des éléments d’inquiétude subsistent cependant sur les conséquences possibles de l’incident sur l’environnement et la santé. Le plus préoccupant est la dispersion des particules radioactives contenues dans cette zone, depuis 1986, sur les arbres ou feuilles mortes, qui une fois brûlés, sont emportés par les vents. Dans un paysage mondial déjà survolté par une situation sanitaire alarmante, tout nouvel événement nous porte à nous interroger sur la transparence du discours d’Etat. Nous avons interrogé Vassilis Pontikis sur la réalité des risques liés à cet incident. Il est ingénieur au Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives, et à l’Institut de la Recherche fondamentale (IRF) depuis 1989. Il livre ses réflexions sur la situation en Ukraine à Nathalie Athina pour QG.

QG : Tchernobyl, la seule évocation de ce site nucléaire, théâtre d’une catastrophe aux conséquences dramatiques sur l’environnement et les vies humaines, fait froid dans le dos. Peut-on faire un parallèle en termes de gravité, entre la catastrophe de 1986 et l’incendie du 4 avril 2020 ?

Vassilis Pontikis : L’incendie du 4 avril 2020 est survenu dans la zone d’exclusion à proximité du site nucléaire de Tchernobyl. Sur la comparaison avec l’accident nucléaire de 1986, on doit rappeler que le terme de gravité lui-même est ambigu d’un point de vue scientifique. Il est nécessaire de le préciser en termes de risque. Ce dernier est le produit de la probabilité de dispersion de substances toxiques quantifiée, en fonction de la distribution des distances de re-déposition avec les conséquences produites, c’est-à-dire le nombre de victimes ayant été atteintes. (NDLR : Le risque lié à un évènement donné est donc la probabilité multipliée par les conséquences que l’on pourra constater, et qui sont, elles, étalées dans le temps.)

Par exemple pour un virus, on pourrait calculer la probabilité a priori pour qu’il se répande en France en venant de Chine. Le risque sera évalué en fonction du rapport entre la probabilité et les conséquences (morts, malades), et ne peut être à évidemment évalué qu’a posteriori. En l’absence de données quantifiées, on peut difficilement procéder à cette comparaison autrement que de manière qualitative : la dispersion nouvelle de matières radioactives, du fait de l’incendie, est vraisemblablement infiniment moindre comparée aux atomes radioactifs répandus lors de l’accident nucléaire de 1986. 

QG : Pouvez-vous nous décrire les processus de dispersion des panaches de fumées, dans de telles situations ? Risquent-ils être transportés et répandus loin de la zone source ?

Lors des incendies se produit un panache de fumée composé de gaz, vapeurs mais aussi de particules fines possédant un spectre de taille étendu (granulométrie). Il existe peu d’études actuelles concernant la granulométrie des particules contenues dans le panache de fumée d’incendie. Il n’est pas moins vrai que ces dernières se dispersent au gré des conditions météorologiques, mais peuvent aussi être transportées très loin. Il en est ainsi pour les incendies récents en Australie, puisque les particules qui en étaient issues ont été transportées à de très grandes distances, et ont même atteint la haute couche atmosphérique, appelée stratosphère.

Plus près de nous, l’incendie de Notre-Dame en 2019, a généré de fortes craintes de pollution au plomb ayant motivé des études approfondies, en raison de la forte toxicité du plomb sur la santé, et des questionnements sur les aspects géographiques de sa dispersion.  Par exemple, on sait que le panache s’est répandu sur toute la vallée de la Seine. Dans le cas de Tchernobyl, nous ne pouvons pas savoir par anticipation combien de temps, ni à quelle distance ces particules pourraient se disperser et perdurer. L’incendie de Notre-Dame et la question de la dispersion du plomb sont de premier intérêt au regard de la question posée, car les radio-nucléides sont des éléments de poids atomique comparable à celui du plomb. En absence d’études spécifiques, on pourrait admettre, dans un premier temps, qu’ils se comportent de manière similaire du point de vue de leur transport et de leur dispersion.

Enfin, il faut se rappeler la situation similaire créée par l’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen en septembre 2019. En ce qui concerne ce dernier événement, on peut notamment se demander si des raisons politiques n’ont pas contribué à minimiser les conséquences.

QG : Et pour cet incendie y a-t-il selon vous, de vrais risques en termes de radioactivité localement, ou sur des zones géographiques plus étendues ?

Il est très vraisemblable que les radioéléments dispersés dans la zone d’exclusion au moment de l’accident nucléaire du 4 avril 2020, pourraient être à nouveau dispersés localement et peut-être transportés sur des grandes distances par le panache de fumée généré par l’incendie. On a remarqué une augmentation de césium 137, atome radioactif à durée de vie très longue, présent dans l’air à Kiev, mais aussi en Lorraine, en France.  « Les vents ont en effet déplacé ces masses d’air contaminées par l’incendie. Et certaines se sont retrouvées pendant plusieurs jours dans le ciel de l’Hexagone. »

Notons aussi que ce sont pour l’heure uniquement des organismes officiels qui affirment que le niveau de radioactivité accru est compatible avec les normes en vigueur.

QG : Aujourd’hui on dit ironiquement, de la catastrophe de 1986 que « le nuage n’avait pas passé les frontières« . Y avait-il eu selon vous une volonté politique de ne pas alerter les populations en 1986 ?

En 1986, la volonté de rassurer la population a conduit le pouvoir à exercer des pressions sur les experts scientifiques, au point de ridiculiser ceux qui ont cédé à cette raison d’état, et de les exposer durablement à l’opprobre publique. Notons que, durant la décennie qui a suivi, le nombre de cancers de la thyroïde observés en France a largement dépassé les fluctuations statistiques habituelles.

QG : L’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté) est un acteur important en France dans le relai des informations à la population. Qui sont-ils précisément, en termes d’indépendance et de mode de fonctionnement ?

En principe, l’IRSN est un organisme indépendant de l’autorité gouvernementale, qui s’appuie sur des scientifiques et ingénieurs de haut niveau pour rendre des avis, exercer le contrôle sur les acteurs du nucléaire et informer les citoyens ou rendre compte aux gouvernants. Observons tout de même que son directeur ainsi que la quasi-totalité des membres du conseil d’administration sont nommés par décret. (6) Il en résulte, que la capacité de l’IRSN à résister à des pressions de diverses origines et notamment gouvernementales s’en trouve amoindrie.

Nous avons un exemple similaire, avec le mode de désignation du président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Le président du CSA est directement nommé par le président de la République tous les six ans pour un mandat non révocable ! (NDLR : Un point sur lequel la réforme de l’audiovisuel de 2020 en cours ne revient pas.) N’est-ce pas la signature d’une mainmise gouvernementale visant à contrôler l’information ?

QG : Le scénario de 1986, à savoir la rétention des informations, avec conséquences ultérieures sur l’environnement et les vies, serait-il encore possible aujourd’hui, ou considérez-vous comme incontestables et plutôt rassurantes, les données scientifiques fournies par l’IRSN ?

Vassilis Pontikis : La confiance que le citoyen devrait et pourrait avoir dans les déclarations d’un organisme officiel est sérieusement entamée lorsque la représentation est biaisée par le mode de désignation des instances dirigeantes. Pour des situations graves en termes de santé publique, tout dépend de la responsabilité de ceux qui sont nommés, car aucun mécanisme démocratique ne permet de s’affranchir des personnalités fluctuantes des dirigeants, plus ou moins éphémères de l’organisme. Tchernobyl, l’Australie, Notre-Dame, Lubrizol, nous savons qu’il y a dispersion de matières toxiques, et nous avons de quoi nous interroger sur les conséquences à long terme.

Le traitement actuel par les autorités, en termes de transparence de l’information distillée publiquement, que ce soit aujourd’hui avec le scandale de la pénurie de masques, ou par le passé avec l’arrêt d’un nuage radioactif à la frontière – les stratégies sont toujours les même…- relève manifestement du mensonge et de la manipulation d’Etat à des fins politiques.

Propos recueillis par Nathalie Athina

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