La police, un État dans l’État

18/09/2020

Dans un ouvrage collectif, « Police », qui paraît aujourd’hui à la Fabrique, des auteurs tels que David Dufresne, Julien Coupat ou encore Frédéric Lordon, évoquent le caractère toujours plus répressif de la police française. S’en dégage l’image d’une institution de défense de l’ordre social, au service du capital, renvoyant l’idée qu’elle puisse un jour se retourner contre le pouvoir à la simple utopie

Après Flic, le livre du journaliste Valentin Gendrot racontant ses deux années d’infiltration au sein de la police parisienne, un autre ouvrage se concentre sur l’institution reliée au ministère de l’Intérieur, dans cette rentrée des essais. Sobrement intitulé Police, édité à La Fabrique, la maison d’Eric Hazan, il paraît ce 18 septembre, et regroupe les textes de plusieurs auteurs – Amal Bentounsi, Antonin Bernanos, Julien Coupat, David Dufresne, ou encore Frédéric Lordon –, qui reviennent sur la répression policière des mouvements sociaux ces dernières années, notamment celle des Gilets jaunes, et sur la toute-puissance de cette institution, devenue une menace pour les libertés publiques, alors qu’elle est censée les garantir, et s’y soumettre, ainsi que le souligne le journaliste David Dufresne, s’appuyant sur l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, relatif à la « force publique ».

Bras armé de l’ordre social

Les images de violences policières (qu’elles viennent de France comme dans le cas des Gilets jaunes, des manifestations contre la réforme des retraites, ou encore de la mort de Cédric Chouviat), ou bien des États-Unis, comme dans le cas de George Floyd, permettent de contrebalancer une version policière, qui demeure aujourd’hui encore quasi unique dans les médias dominants, notamment à travers le rôle des « journalistes de préfecture », dont Dufresne estime que la fonction se décrédibilise au fur et à mesure des évolutions technologiques (smartphones, réseaux sociaux, etc.). De la même façon, l’économiste et philosophe Frédéric Lordon souligne que les médias mainstream sont, dans le meilleur des cas, extraordinairement lents à la détente face aux violences policières, rappelant par exemple que le journal Le Monde mettra un an à travailler « sérieusement » sur les violences policières.

Si le quinquennat d’Emmanuel Macron est marqué par un pouvoir lâchant la bride à sa police pour se maintenir face à la peur d’une insurrection, le bras armé de l’ordre social s’inscrit dans une histoire longue. David Dufresne rappelle l’existence de la lieutenance de Paris, ancêtre de la Préfecture de police, sous Louis XIV. De quoi être raccord avec la formule de l’actuel préfet de police de Paris Didier Lallement : « Nous ne sommes pas dans le même camp ». L’histoire de la police est également liée à la colonisation. Antonin Bernanos, jeune militant antifasciste toujours sous contrôle judiciaire, évoque ainsi la BAC, héritière des Brigades de surveillance des Nord-Africains, qui symbolise à ses yeux le racisme institutionnel de la police. Cette dernière étant elle-même, selon Amal Bentounsi, le reflet d’un racisme structurel consubstantiel à la société, tout aussi broyeur, à travers la justice, la loi, l’économie.

Enfin, Bentounsi et Bernanos soulignent l’importance de la loi sur la sécurité intérieure, votée début 2017, sous le quinquennat de François Hollande, obtenue par des manifs sauvages de policiers armés et cagoulés en octobre 2016, et renforçant leurs pouvoirs, notamment en cas de légitime défense. De quoi penser la police comme un « État dans l’État », pour reprendre la formule attribuée à Richelieu à l’égard des huguenots au début du 17e siècle.

Fraternisation utopique

Face à cette institution, dont les liens avec l’extrême-droite sont avérés, ainsi que l’on révélé des enquêtes montrant qu’au moins la moitié des policiers envisageaient de voter pour le Rassemblement national, peut-on imaginer un scénario de fraternisation ? Pour Éric Hazan, avoir comme slogan « Tout le monde déteste la police » est une erreur, et clamer « La police avec nous » pourrait au contraire donner de bien meilleurs résultats, citant des exemples historiques de moments insurrectionnels où la police a, soit arrêté de réprimer, soit pris les armes aux côtés de ces derniers (révolution de 1830, et bien sûr, cas d’octobre 1917 où l’armée se retournera massivement contre le Tsar). Et ce, d’autant plus que les séries policières, comme Engrenages par exemple, sont grandement populaires, ce que déplore du reste Julien Coupat.

Ce slogan « La police avec nous », a été scandé par les Gilets jaunes au tout début du mouvement, dans un souci de fraternisation avec des policiers ayant des conditions sociales elles aussi difficiles. La répression policière féroce reçue en guise de réponse a désormais renvoyé l’idée de fraternisation entre la police et le peuple à une simple utopie. Ce qui renforce la conviction de Bernanos à vouloir constituer une force antifasciste autonome, s’inscrivant dans une logique « d’autodéfense populaire », et d’alliance avec des mouvements issus des quartiers populaires (MIB, et désormais le Comité la Vérité pour Adama). A ses yeux, une confrontation avec la police serait « un point de départ » forgeant la « patiente construction d’un bloc social subalterne à même d’abattre le bloc bourgeois ».

Jonathan Baudoin

Police, collectif, La Fabrique, 136 p., 12 euros

2 Commentaire(s)

  1. Une suite d’actions sans pensée n’est pas une mobilisation mais de l’agitation. Ce n’est pas la force ni le courage qui a manqué aux républicains espagnols contre franco mais un parti révolutionnaire. Un bras armé sans Parti Révolutionnaire subira le même sort. Ce ne sont pas les volontaires qui manqueront c’est le parti.qui doit faire appel à eux..Et il faut le construire sur la base qui s’impose à nous. .

    1. Je plussoie totalement. Le léninisme est aussi important que le marxisme sinon plus ! Entre autre (et entre autre seulement), agir c’est faire certains compromis avec la théorie pour « convenir » aux inflexibles réalités de terrain (praxisme vs théoricisme), et seul un parti révolutionnaire peut assumer cela (outre que le parti c’est d’abord la force organisée).

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