« Aube Dorée, échec et mat » par Nathalie Athina

08/10/2020

Le parti néonazi grec Aube dorée, autrefois troisième force politique du pays, a été reconnu comme « organisation criminelle », à l’occasion du procès pour le meurtre du rappeur Pavlos Fyssa. Un soulagement et une explosion de joie pour la gauche grecque et les antifas du monde entier. Reportage de QG à Athènes

Athènes, 7 octobre 2020, un soupir collectif de soulagement flotte dans l’air, après cinq années et demi de lutte judiciaire acharnée contre le fléau du fascisme. Il aura fallu ce temps à la justice pour faire son travail, et laisser place au soulagement, à l’émotion et à la joie populaire devant la cour d’appel d’Athènes.

Des militants antifascistes grecs, mais également venus d’autres pays d’Europe, des membres de la gauche, des syndicats, et des sympathisants, 20.000 personnes en tout, étaient ainsi présentes dans une sorte d’union sacrée. Dès 8h30 du matin, des milliers de manifestants ont afflué avenue Alexandras, électrisés par les slogans antifascistes, et les chants révolutionnaires. Vers 12h30, au moment de l’annonce du verdict, une clameur incroyable s’est élevée. Très vite, des mouvements de foule ont cependant débuté, suite à une agression de la police sur les manifestants,
afin de les disperser avec canons à eau et gaz lacrymogènes. La riposte fut immédiate avec des cocktails molotov et autres pavés, et en quelques instants, l’avenue s’est transformée en un champ de bataille. Scénario bien connu de répression gratuite, en réalité destiné à casser l’émergence d’un nouveau mouvement populaire, perçu comme inquiétant pour le pouvoir depuis les espoirs soulevés par Syriza en 2015.


Aube Dorée reconnue comme « organisation criminelle »


On sait que la Grèce, ayant vécu des années noires sous la dictature des colonels (coup d’Etat en 1967, NDLR), a connu un mouvement anarchiste et antifasciste alors très influent. A nouveau celui-ci est très présent depuis le début de la crise économique débutée en 2008, en raison de la montée en puissance de mouvements d’extrême-droite, qui profitent de la misère pour tenter de revenir dans le champ politique.
Ceci est certainement un des paramètres de la force de la riposte face à la montée du néonazisme, incarné par le parti Aube Dorée. Le chef et fondateur d’Aube dorée Nikos Michaloliakos, 62 ans, négationniste et admirateur du national-socialisme, a été reconnu coupable d’avoir « dirigé » et d’avoir « appartenu à une organisation criminelle », ainsi que six autres cadres du parti.
45 autres députés et membres ont été reconnus coupables d’appartenance au parti politique Aube Dorée, tandis qu’une quinzaine d’autres ont été acquittés. Aussi fou que cela paraisse, rappelons que feu le parti politique Aube Dorée était subventionné jusqu’en 2013 par l’Etat grec (873.000 euros leur avait été alloués à l’époque, NDLR). Il est même un temps devenu le troisième parti politique grec (devant les socialistes du PASOK et les communistes du KKE) et cela, en dépit de ses fortes accointances avec l’idéologie fasciste la plus glauque, de ses nombreuses provocations publiques au travers de l’utilisation de symboles nazis (la croix gammée stylisée par exemple, ou de saluts hitlériens lors de rassemblements).


L’assassinat de Pavlos Fyssas, déclenche l’indignation populaire


Les méthodes de ce parti, connues pour être foncièrement violentes, ont notamment causé la mort en 2013 de Pavlos Fyssas, poignardé par Yórgos Roupakiás, qui était alors employé par une section locale du parti néonazi, et dont le geste fut commandité par la hiérarchie de ce dernier. De nombreuses autres agressions contre des syndicalistes, ou membres de partis politiques de gauche, sont également à mettre à leur actif.
L’avocate de la famille de Pavlos Fyssas a d’ailleurs elle-même été agressée en 2018 par une dizaine de militants d’extrême-droite munis de barres de fer, preuve du fait que même bien affaibli, le parti avait, et a encore actuellement, toujours des sympathisants, adeptes des mêmes actions
violentes.
Pavlos Fyssas plus connu sous le nom de Killah P, était un rappeur très populaire, connu pour son engagement contre le fascisme sur la scène hip hop. C’est l’étincelle qui aura déclenché cette longue bataille judiciaire, menée de haut vol par la mère de Pavlos Fyssas, Magda, devenue depuis lors une icône de la lutte antifasciste grecque. L’ovation l’accueillant à sa sortie de la cour d’appel, vers 14h, a démontré la popularité de cette mère à la détermination sans faille.


Un cap important franchi au-delà des frontières de la Grèce


La qualification par la justice du parti Aube Dorée en tant qu’« organisation criminelle », est d’une importance capitale au-delà même des frontières de la Grèce. D’abord en raison des liens de ce parti, pas si anciens, avec d’autres groupes européens fascisants, qui pourraient à l’avenir se voir enfin discrédités eux aussi, suite à ce verdict. Des groupes de l’extrême-droite française sont proches du mouvement, parmi lesquels les Jeunesses nationalistes. Nostalgiques du pétainisme, ils considèrent les néo-nazis grecs d’Aube Dorée comme leurs camarades. Leur charte ne reconnaît pas « la légitimité du présent ordre démocratique et mondialiste » et insiste sur la « souche européenne » du Français. (1)

L’affaire Pavlos Fyssas fait écho en France à celle de Clément Méric, tué en 2013 à Paris par trois militants d’extrême-droite, membres des « jeunesses nationalistes révolutionnaires ». Un groupuscule fasciste dissous depuis, mais dont certains membres, dispersés, restent actifs ailleurs. Malgré un procès qui avait ordonné l’emprisonnement de l’assassin du jeune Clément, celui-ci a été libéré, jusqu’au procès en appel qui aura lieu à Paris.

On voit bien aux USA, avec le récent soutien du président Donald Trump aux militants d’extrême-droite armés, face au mouvement Black Lives Matter, que la banalisation de ces groupuscules demeure un danger tangible. Ainsi peut-on espérer que la « jurisprudence » grecque se généralise à l’international. La dissolution de tels partis est une mesure souhaitable, mais n’oublions pas que de leurs cendres renaissent souvent d’autres monstres, et que face à eux, la mobilisation populaire demeure, elle aussi, indispensable.
 
Nathalie Athina

A Athènes, 7 octobre 2020

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