« On est à un moment de rupture du contrat social » par Emilie Notéris

12/10/2020

L’auteur Emilie Notéris publie « Macronique. Les choses qui n’existent pas existent quand même », un court texte qui analyse conjointement le traitement médiatique et politique des violences policières et celui des violences sexuelles sous le quinquennat Macron. Entretien sur QG

 

Cette rentrée est marquée par différents essais et oeuvres cinématograpiques au sujet de la police, et plus particulièrement des violences policières. Parmi eux figure Macronique (éditions Cambourakis), livre écrit par Émilie Notéris. Un « livre de réaction, de colère » aux dires de l’auteur, face à la violence systémique qui s’exprime au niveau de l’institution policière, qui se retrouve également au niveau politique et par rapport aux violences faites aux femmes, aux migrants, ou aux personnes victimes de racisme. Interview par Jonathan Baudoin pour QG

QG : Qu’est-ce qui vous a incité à faire de la police le sujet principal de votre essai, Macronique ?

Émilie Notéris : Je ne sais pas si ça relève d’une décision, pour tout dire. Ce livre n’était pas du tout prévu. C’est un livre de réaction, de colère, écrit en parallèle aux manifestations auxquelles je participais. À un moment donné, j’étouffais tellement que j’étais incapable de continuer à avoir des relations avec des gens, de passer des dîners sans finir par craquer. Je commençais à trouver ces réactions relativement toxiques pour mon entourage et je me suis dit qu’il fallait que je travaille sur cette colère, que j’essaie de comprendre ce qui se passait autour de moi, et ça passe pour moi généralement par le biais de l’écriture. J’ai commencé à écrire un court paragraphe, posté sur Facebook. J’ai eu des réactions, et à ce moment-là, je préparais une performance avec la réalisatrice Callisto Mc Nulty pour une intervention au centre Pompidou sur les questions de manifestations et de foules en présence de Louise Moulin du collectif « Plein le dos », avec qui j’ai sympathisé. On a commencé à réfléchir et je me suis dit qu’il fallait, peut-être, que je développe le texte que j’avais commencé à initier sur les réseaux sociaux. Après cette performance, j’étais toujours plongée dans la critique et l’analyse textuelle des rapports de domination et de la négation des violences policières et ou sexuelles. J’ai prolongé l’écriture jusqu’à ce que cela puisse correspondre à un livre, que j’ai rapidement envoyé à deux éditeurs. C’est un processus éditorial relativement inédit qui s’est fait sur six mois.

QG : Avec une certaine ironie douce-amère, vous soulignez combien « le plan d’existence légal des violences policières diffère du plan d’existence social des violences policières ». Cela traduit-il la déconnexion entre la classe politique et la réalité du terrain selon vous ?

E.N : Je me suis penchée sur l’oppression et la violence qui sont présentes au sein des manifestations et dans les rapports de puissance entre personnes engagées politiquement (féministes, antiracistes, gilets jaunes et noirs) et représentants des forces de l’ordre. Cette violence est manifestée directement dans la langue politique, dans l’usage et la pratique. J’ai relevé des nœuds d’impossibilité de communication, qui passent par une négation des différents régimes de pensée et d’existence. Cela m’a fait penser à des travaux de l’antipsychiatrie des années 70, mis en lumière par Ronald D. Laing dans un ouvrage intitulé Nœuds. Ces régimes opaques les uns par rapport aux autres, et cette même volonté de nier la réalité par les mots, de sans cesse rappeler qu’il « n’y a pas de violences policières », c’est cela qui m’a frappée surtout. La violence de la langue, dans la lignée de travaux comme ceux conduits par Victor Klemperer (LTI), ou plus récemment, par Éric Hazan (LQR), travail auquel s’est également attelée l’auteur Sandra Lucbert dans Personne ne sort les fusils (Seuil), sorti en même temps que le mien, qui traite du procès Orange et de la violence de la langue néolibérale. Ces exercices d’écriture soulignent la manifestation du mépris et la négation qui passe par un régime de langage, une doctrine d’emploi des mots. Quant Macron dit « On ne peut pas parler de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un état de droit. », ce qui est inacceptable ce sont en réalité les violences policières, qui justement ne devraient pas se produire et encore moins se reproduire de manière systématique dans un état de droit. Dans un état de droite dure, par contre, oui c’est l’inverse. Il a récemment sorti à propos de l’ensauvagement, le 8 septembre 2020 : « Ce qui importe ce sont les actes. On a trop discuté sur les mots. » On peut aussi parler des actes, en effet. Il y a justement eu 65 actes de gilets jaunes entre novembre 2018 et février 2020.

QG : Est-ce que vous considérez que la police est un « État dans l’État » vivant dans l’impunité totale ?

E.N : Je considère surtout qu’il y a une violence systémique, un racisme systémique, intrinsèque à la structure même, politique et policière. Il ne s’agit pas simplement d’épingler des individus. C’est effectivement le système qui est en cause. Aujourd’hui, le geste que la justice tient pour violent c’est celui d’un manifestant, David Bruzzi, qui a abaissé de la main un lanceur de LBD et qui écope pour cela de 6 mois de prison avec sursis. Sur les images on voit pourtant clairement le CRS mettre un coup de poing au manifestant en réponse à son geste. Ce qui est violent ce n’est pas le fait de pointer sur la foule une arme à létalité pseudo atténuée, c’est d’abaisser l’arme. Ce qui est violent c’est l’interférence du manifestant, pas le coup de poing reçu. Le CRS a visé les manifestants puis a frappé au visage l’un d’entre eux mais ça, ça n’est pas de la violence! La violence, pour l’Etat, c’est d’arrêter le geste menaçant du CRS.

QG : A la fin de Macronique, vous revenez sur les violences conjugales subies par les femmes de gendarmes et de policiers, citant l’ouvrage Silence, on cogne de la journaliste Sophie Boutboul. Est-ce à dire qu’il y a un continuum entre la violence qu’exercent les forces de l’ordre dans leur travail et dans leur vie privée ?

E.N : J’ai justement rencontré Sophie Boutboul il y a quelques jours. Elle m’avait contactée parce qu’elle avait vu qu’elle était citée dans le livre. Son livre est extrêmement fort, très important et terrible à lire. Les violences faites aux femmes ont lieu dans la même société que les violences policières et ce sont les mêmes structures qui les provoquent et les entretiennent de concert. J’irais même jusqu’à dire qu’il y a un lien entre rupture du consentement démocratique et du consentement sexuel, et que ces notions devraient être interrogées en regard l’une de l’autre. Il existe un climat, un système, un régime politique et économique qui fabrique ces rapports de violence, exercées principalement à l’encontre des femmes, des personnes migrantes, des personnes victimes de racisme, et qui s’étend maintenant à toute personne qui conteste le gouvernement où bien se trouve « au mauvais endroit au mauvais moment ». Ça relève du même principe.

QG : Au-delà des tweets menaçants de syndicats de policiers envers des journalistes ou des féministes, peut-on dire que la liberté d’expression est une « vaste plaisanterie » par rapport à une telle institution ?

E.N : Alors, liberté d’expression, je ne sais pas, en ce moment ce sont surtout les réactionnaires racistes antiféministes qui crient à la censure et défendent la liberté d’expression, ou celle d’importuner. On est à un moment qui correspond à une forme de rupture du contrat social, qui est manifestée par la rupture du consentement démocratique, et la quasi interdiction de manifester. On a voit que c’est pointé dans le tout dernier compte rendu d’Amnesty International. Ce n’est pas nouveau. Le défenseur des droits, Jacques Toubon, avait déjà dénoncé les restrictions de la liberté de manifester en mars 2019. Cette rupture du consentement démocratique, qui est très inquiétante.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Émilie Notéris est une « travailleuse du texte ». Elle est auteur des ouvrages Macronique (éditions Cambourakis), La Fiction réparatrice (éditions Supernova), Séquoiadrome (éditions Joca Seria) ou encore Cosmic Trip (éditions IMHO).

1 Commentaire(s)

  1. Quel paradoxe et même quelle contradiction !
    Disons d’emblée que je trouve les idées exprimées ici plutôt sympathiques !
    Mais pour quelqu’un (l’auteure) qui argumente en dénonçant l’instrumentalisation des mots par le pouvoir, c’est cocasse d’utiliser le mot « performance » pour décrire son activité. Rappelons que le mot « performance », en français, est un des signifiants majeurs du néolibéralisme et du management d’entreprise; c’est ce « mot » répété à l’envi par le management qui tue ou détruit les salariés dans les entreprises. J’ai, ailleurs, déjà dénoncé l’usage véritablement inopportun de ce mot par les artistes. Certes, il vient ici – dans l’acception que lui donne l’auteure – de l’anglais ; mais c’est justement une raison de plus pour refuser son usage du côté des artistes; on commence par la performance qualitative et on finit par la performance quantitative avec « objectif » –> « contrôle » –> « notation » –> « sanction » ou « récompense ».
    Je ne suis pas contre la notion de mérite qui réfère plutôt à un engagement, mais le mot « performance » (qui réfère à un résultat en français, et à une activité en anglais) chez les artistes me sort par les yeux. Laissez ce mot au libéralisme concurrentiel, même si ça « classe » de parler british !!!!
    Les mots, c’est important. Si les artistes assument de faire des performances, il devient normal, et même « in », que les salariés fassent de même et le revendiquent; et qu’ils considèrent leur manager comme un artiste ! manquerait plus qu’ça !!!!!!!!

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