«Ne le laissons pas étouffer nos intelligences et nos valeurs collectives» par Alexandre Charlet

16/10/2020

Suite à l’annonce du couvre-feu décrété par le gouvernement, l’acteur Alexandre Charlet a souhaité s’exprimer sur QG. Dans une situation politique où le monde de la culture et nos valeurs communes se voient sacrifiées sur l’autel de la productivité, sa tribune soulève des questions importantes

Comme les patrons de bistrot, restaurateurs, et tant d’autres, les artistes et artisans du monde du spectacle sont une fois de plus victimes de la politique inappropriée décidée et annoncée ex cathedra par le Président de la République.

Le « filet de sécurité » dont il se targuait le 6 mai 2020 en prolongeant les droits à l’assurance chômage des intermittents du spectacle n’était en réalité qu’un pauvre string sur un corps souffrant. En méconnaissance totale des réalités des « métiers de la culture » et particulièrement du spectacle vivant, il enchérissait pourtant « Ma conviction en faisant ça c’est que je vais donner, cette fameuse année blanche, je vais donner suffisamment confiance pour que quasiment on n’en ait pas besoin. Je vais vous dire pourquoi, c’est parce que je pense qu’on va donner par ailleurs avec beaucoup de projets les heures qui permettront de créer et à tous ces artistes et ces techniciens de ne pas activer ces dispositifs. »

Qui a vu ce qui a été « donné par ailleurs » ? Qui en a bénéficié ? Là encore, sa politique du ruissellement n’a pas fonctionné. Combien d’embauches en CDI d’artistes-interprètes dans les lieux de création ? Quel soutien aux auteurs ? Combien de « projets » ont réellement vu le jour lors du fumeux «été apprenant et culturel» ? Quel volume de travail alors rémunéré ?

Monsieur Macron a annoncé un couvre-feu pour les semaines à venir et la reprogrammation des spectacles plus tôt dans la journée. Pour qui ? Celles et ceux qui seront au travail ou entassés dans les transports en commun cherchant à rentrer à temps chez eux pour échapper à la verbalisation prohibitive pour simple « présence dans l’espace publique » ?

En creux, à travers ses propos, le Président de la République a mis en lumière une des réalités à laquelle un Ministère de la Culture digne de se nom devrait se colleter ardemment (comme le font de nombreuses relations publiques, partout en France, pourtant trop souvent méprisées par leurs directions) : permettre un accès réel et effectif de tous au spectacle vivant. Mais en effet, ce sont essentiellement des cadres (qui peuvent donc éventuellement réorganiser leur temps de travail), des enseignants (en  dehors  – et parfois en sus lorsqu’ils accompagnent leurs élèves – de leurs heures de cours), des élèves et étudiants qui vont au théâtre ou à l’opéra.

Comment comprendre ce choix de fermer certains lieux, alors que d’autres sont délibérément laissés ouverts à la propagation du virus ? Ce sont clairement les espaces de parole et de rencontre humaine non contrainte (et parfois non rentable) qui sont ciblés. Les lieux d’échanges profonds et donc de possible contradiction et de probable développement de la conscience individuelle et collective. 

De la part d’un Président qui ne voit le progrès que sous l’angle de la compétition et du profit, comment ne pas voir ce que ce choix d’éteindre les lumières signifie profondément ? Il aurait pu user d’une périphrase, mais il a bien choisi ce terme de « couvre-feu », qui signifie également étouffement de l’intelligence, des aspirations légitimes ; déclin ou fin de quelque chose qui représentait une valeur collective. Ne le laissons pas étouffer nos intelligences et nos valeurs collectives.

Alexandre Charlet

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1 Commentaire(s)

  1. On comprend parfaitement la détresse du monde culturel mais surtout du spectacle. La concurrence d’internet n’arrange rien. On a vu des compétitions de motos (sport que j’apprécie) se dérouler à huis-clos (normalement 100.000 spectateurs), mais les droits de diffusion (ainsi que les annonces publicitaires) sur les chaînes payantes ont permis de limiter la casse ; mais la perte a tout de même été considérable.
    Pour les spectacles plus modestes et plus vivants le public est vital, et encore plus la recette ! Pas de réserve j’imagine ! Que faire ? Les arbitrages entre « santé – tel type de commerce – tel autre type de commerce » sont bien difficiles et le pékin moyen non spécialiste ne sait que dire sinon compatir. Le plaidoyer de mr Charlet est percutant, on lui donne raison. Y’a de l’enjeu.
    Pour finir sur une note d’humour (aigre-doux) : heureusement que c’est pas Lallement le ministre de la culture. Le gendarme du Guignol lyonnais. toujours à cogner.

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