« Quand on est entre les mains de la police, on ne devrait pas avoir la peur au ventre » par Amal Bentounsi

30/11/2020

Entretien avec la fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine », qui depuis plus de dix ans dénonce les violences policières et travaille à rendre justice aux victimes tuées par la police nationale

L’agression policière à caractère raciste envers Michel Zecler, producteur de musique, le samedi 21 novembre, et la diffusion de ses images sur le net, secouent l’institution policière et la classe politique, à l’heure même où la proposition de loi sécurité globale, votée le 24 novembre à l’Assemblée nationale, entend empêcher toute diffusion de violences policières, notamment à travers son article 24. Pour Amal Bentounsi, fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine », cette histoire illustre la nécessité impérieuse de filmer les policiers en action et d’être mobilisé de manière unitaire pour faire retirer la proposition de loi sécurité globale. Interview par Jonathan Baudoin pour QG

QG : Qu’avez-vous ressenti face à la vidéo montrant Michel Zecler passé à tabac par plusieurs policiers durant plusieurs minutes ?

Amal Bentounsi : Beaucoup de tristesse, beaucoup de colère, beaucoup d’indignation. Ce sont des images, même quand on est averti comme je le suis, qui sont compliquées à regarder parce que ça nous renvoie, parfois, à nos propres histoires, à des histoires de familles qui essaient de lutter pour obtenir justice. Ce qui m’indigne, c’est cette posture qu’ont les syndicats de policiers, sur les plateaux de télé, à demander le fameux contexte, alors qu’il n’a pas lieu d’être. À un moment donné, les policiers sont là pour appréhender une personne et la remettre entre les mains de la justice. À partir du moment où on est entre leurs mains, on devrait se sentir en sécurité. Ce qui n’est pas le cas depuis des décennies. Ça existe depuis plus de 30 ans dans les quartiers populaires. Aujourd’hui, parce que les journalistes sont touchés, parce qu’il y a eu le mouvement des Gilets jaunes, qui ont également montré ces violences policières et qu’aujourd’hui, il y a cette fameuse loi en réponse à la sortie de l’application UVP (« Urgence Violences policières »), en des gens prennent conscience et ont peur pour eux. Quand ça se passait dans les quartiers, nous en parlions déjà, mais c’était très compliqué de faire entendre notre voix. Je suis satisfaite, aujourd’hui, que certains s’emparent du sujet et se mobilisent contre cette loi.

Le 21 novembre dernier, nous étions avec plusieurs familles au Trocadéro. Aucun organisateur n’est venu nous voir pour nous donner la parole. Je trouve cela regrettable. Il faut qu’on attende qu’il y ait des vidéos comme celle de l’agression de Michel, pour qu’il y ait du buzz. On est là pour quoi en fait ? Soit, on est sincère dans le combat qu’on mène, ce qui est mon cas et celui des familles qui ont été touchées. Soit, on est juste là pour prêcher pour sa paroisse, à des fins politiciennes, et c’est regrettable. Si on veut être unis dans ce même combat, qu’on donne la parole à ces familles de victimes, à ces collectifs ! Depuis des semaines on parle de cette fameuse loi et à aucun moment, chez les organisateurs de cette marche, on n’a cité l’application UVP. On m’a même refusé la parole. Je suis allée à République cz samedi 28 novembre, bien évidemment. Mais je ne suis pas là pour quémander la parole, je sais ce que je fais depuis des années, je ne me trompe pas de combat. En tout cas, je suis contente de pouvoir le dire aujourd’hui, il fallait que ça le soit.

QG : Certains, sur les réseaux sociaux, affirment que s’il n’y avait pas les images, Michel aurait été condamné à de la prison pour « outrage et rébellion ». Partagez-vous ce raisonnement ?

Absolument. On reçoit, sur notre page Facebook « Urgence notre police assassine », énormément de témoignages. On suit les personnes. On les accompagne juridiquement. On leur présente des avocats. On sait que les images ont une force. Et que sans les images, les victimes sont rendues coupables, soit à titre posthume quand elles sont mortes, soit quand il y a des violences commises par les policiers. Bien évidemment qu’aujourd’hui, on n’a pas envie de voir ces images-là, que ça dérange et qu’on veut avoir l’image d’une police qui protège le citoyen. Mais ce n’est pas la réalité. Même si c’est une minorité, dans la police, qui se comporte ainsi, la majorité ne dénonce pas, ne s’indigne pas. Ces images-là ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Je vous laisse imaginer toutes les images, toutes les victimes qu’il y a pu y avoir en absence d’images.

QG : Dans la vidéo montrant les violences policières envers Michel Zecler, des insultes négrophobes sont proférées à son encontre, à ses dires et à ceux d’un témoin. Est-ce que cela illustre un racisme institutionnel dans la police française à vos yeux ?

On nous dit que la police, ce sont des gens ordinaires, des citoyens qui font partie de la société, et qu’il y a en leur sein des racistes, mais pas de racisme structurel. Bien évidemment que c’est faux, qu’il y a là un racisme structurel : s’il y avait des condamnations à chaque fois qu’un policier utilisait des termes comme ceux-là, ça se saurait ! Ce n’est évidemment pas le cas. Même dans les médias, il y a une parole, qu’elle soit islamophobe, ou raciste, qui est largement véhiculée, qui est impunie, et on s’en prend toujours aux mêmes personnes. Ce sont toujours les gens des quartiers populaires qui sont traités en responsables de tous les maux de la société. Il y a un racisme structurel. On vient nous dire que non, mais c’est clair quand on certains syndicalistes policiers s’exprimer. Comment peut-on mentir face à des images où on voit un homme se faire tabasser pendant plus de 20 minutes et dire, calmement : « Il faut attendre la justice. Elle est là. Elle tranchera » ? Quand des images montrent des policiers violentés, là ce sont des condamnations à tout va. Ce deux poids-deux mesures pose problème. Quand on se retrouve entre les mains de la police, on devrait être en sécurité, et non avoir la peur au ventre. Notamment les hommes issus des quartiers, qu’ils soient noirs ou arabes. Ils s’en sont pris à Michel, ce n’est pas anodin. Ça veut tout dire ! Michel, c’est un homme noir qui vit dans le 17e arrondissement. Ça fait des années qu’on crie cela, haut et fort, qu’on l’exprime. On nous dit qu’on raconte n’importe quoi. L’actualité nous donne de plus en plus raison.

QG : Peut-on dire, que cette vidéo illustre plus que jamais la nécessité de filmer les policiers en action, à l’heure où la proposition de loi sécurité globale souhaite condamner toute diffusion d’images de membres des forces de l’ordre en action ?

Il faut filmer, il faut sortir son portable ! Il faut être attentif, dès lors qu’il y a un contrôle, être sur le qui-vive, surveiller, filmer, appeler d’autres à filmer. Il faut que les citoyens s’organisent, de façon à ce que les policiers se sentent surveillés. Il faut rappeler que cette proposition de loi n’est pas la première. La première du genre avait été lancée par Éric Ciotti en mars dernier, juste après la sortie de l’application UVP, citée d’ailleurs dans cette proposition. Aujourd’hui ils savent qu’il y a un risque pour eux, si les images arrivent entre les mains d’experts comme nous, qui luttons depuis dix ans maintenant, et qui peuvent mobiliser des gens à travers les réseaux sociaux, de façon à les poursuivre en justice. Si les gens télécharger l’application et l’utilisaient dès lors qu’ils sentent qu’il y a un abus policier, ce serait la fin des passages à tabac. On essaie de faire croire que les policiers se font tuer dans les quartiers, qu’ils se font agresser. Ce qui est totalement faux ! Il y a en effet eu un cas exceptionnel, le couple de Magnanville en 2016. Depuis, il n’y a pas eu un seul cas. Ces rumeurs sont basées sur le seul témoignage de policiers qui, soi-disant, auraient été menacés. Pour l’instant, il n’y a aucune preuve. Quand vous prenez les chiffres de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale en 2015, sur sept policiers qui ont perdu la vie, quatre de ces cas sont des accidents de la voie publique et pour les trois autres, il s’agit d’une mauvaise manipulation de leur arme de service.

On a envie de faire croire à l’opinion publique que des policiers se font agresser, sont suivis chez eux. Je peux vous certifier qu’il n’y a rien de tout ça dans la réalité. Ce sont encore des mensonges de la part de certains syndicats, à des fins purement politiciennes. On nous dit également que la vidéo nuirait à l’image de la police, mais la vérité c’est que certains d’entre eux sont entrés dans la police pour casser des noirs, des arabes, des militants, des gauchistes, tout ce que vous voulez, et qu’ils seraient frustrés de ne plus pouvoir le faire. Avant, ça touchait les banlieues, les quartiers. Ensuite, ça a été les mouvements sociaux, les avocats, puis les journalistes. Maintenant, les producteurs. Tout le monde va être concerné à l’avenir ! On a intérêt à être unis, à avancer ensemble et à ne pas prêcher chacun pour sa chapelle.

QG : La manifestation contre la proposition de loi dite « Sécurité globale », grand succès de ce samedi 28 novembre, avait failli être transformée en rassemblement sur la place de la République par le préfet de police. Estimez-vous, à travers cet exemple, qu’il y a un recul sur nos libertés individuelles et collectives ?

Très clairement, oui. Cette proposition de loi, sans même parler de de l’article 24, comporte d’autres articles qui prévoient la surveillance de masse. On nous prépare à ça, en fait. Les protestations qui vont venir dans les prochains mois vont faire très mal. Il y a des gens qui ne vont pas sortir indemnes de la crise du Covid. Des gens qui vont se suicider, qui auront tout perdu. À un moment donné, après les Gilets jaunes, il y aura des gens comme les commerçants, qui vont se mobiliser, qui vont sortir dans la rue. Les gens vont péter des câbles. On est en train de préparer la population à se tenir à carreau ! C’est pour ça qu’on prépare ces lois toutes liberticides, sécuritaires, qui portent atteinte aux droits fondamentaux. Il faut être extrêmement vigilants, ne rien lâcher.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

1 Commentaire(s)

  1. « la police est là pour nous protéger, mais qui nous protège de la police ? »
    en fait la police protège le capital avant la population, c’est pourquoi de tels comportements violents, racistes et barbares sont admis en interne, car l’idéologie de la lutte des classes repose sur l’exploitation et les exactions avant le respect et la solidarité !
    le mal est connu, le remède existe, et ce n’est ni LREM, ni le RN, mais plutôt L’Avenir En Commun avec LFI

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