« Les angles morts du procès Benalla » par Marc Endeweld

30/09/2021

Alors que le procès Benalla, largement sous-traité dans les médias mainstream, est en train de s’achever, de nombreuses questions restent en suspens. Ainsi que le parquet le fait remarquer dans son réquisitoire, on ne parle pas en effet des fautes d’un personnage marginal de la macronie, mais de l’homme qui représentait le Président de la République pour tous les sujets de sécurité. Auteur du « Grand manipulateur », enquête sur les réseaux secrets de Macron, le journaliste Marc Endeweld livre pour QG l’analyse d’un procès frustrant

Trois ans après les faits, « l’affaire Benalla » continue d’être présentée comme la simple histoire d’une dérive individuelle. En dehors de Mediapart qui a raison d’évoquer « l’affaire Macron-Benalla », les médias dans leur grande majorité relaient le storytelling des soutiens du Président de la République. De nombreuses zones d’ombre subsistent pourtant, y compris en cette fin de procès. La presse, sans parler des télévisions, n’a pas seulement sous-traité le procès Benalla, elle a tout simplement décidé de passer à autre chose. Circulez, il n’y a plus rien à voir… Et pourtant, plusieurs éléments devraient interroger tout contrepouvoir dans une démocratie digne de ce nom.

Alexandre Benalla arrivant à l’ouverture de son procès le 13 septembre

Les multiples voyages d’Alexandre Benalla à l’étranger

D’abord, contrairement à ce qu’on a pu laisser entendre, les missions d’Alexandre Benalla n’étaient pas circonscrites aux seules questions de sécurité. Le « chargé de mission » n’a jamais été un simple garde du corps. Ainsi, à l’Elysée, il s’occupait d’abord des déplacements du candidat, notamment à l’étranger, ce qui explique pourquoi il a détenu plusieurs passeports diplomatiques et de service. En réalité, cette fonction a été occupée par Alexandre Benalla dès la campagne présidentielle. En février 2017, le jeune homme s’occupe, avec d’autres protagonistes qui ne font alors pas partie de l’équipe de campagne officielle, du déplacement du candidat Macron en Algérie, et a d’ailleurs lui-même accompagné ce dernier sur place.

Lors de la commission d’enquête au Sénat, si les parlementaires ont bien rappelé qu’Alexandre Benalla avait également été chargé de certains déplacements à l’étranger d’Emmanuel Macron, ils n’ont guère posé de questions à ce sujet, se concentrant d’abord sur les événements du 1er mai place de la Contrescarpe, et sur ses initiatives concernant la sécurité du président de la République à l’Elysée. Malgré ces éléments, le chef de cabinet de l’Elysée au moment des faits, François-Xavier Lauch, a expliqué très tranquillement au tribunal qu’Alexandre Benalla n’était pas chargé des déplacements internationaux du chef de l’État.

De son côté, Alexandre Benalla a apporté à la barre un élément supplémentaire : selon lui, il avait été en charge des déplacements privés d’Emmanuel Macron. Dans leur témoignage, les deux hommes ont multiplié les divergences, Lauch essayant de minimiser le rôle d’Alexandre Benalla à l’Elysée. « Il était jaloux de ma proximité avec Emmanuel Macron », a justifié Alexandre Benalla. « Il ne respectait pas mon autorité », explique  de son côté l’énarque Lauch, et après le 1er mai, « je n’ai plus eu confiance en lui ». Au cours de leur enquête, les policiers remarquent pourtant que le chargé de mission de l’Elysée était « totalement » impliqué dans l’organisation des déplacements du président, ce qui le conduisait, à ce titre, à participer à des réunions à la préfecture de police. Quant au chef du GSPR (Groupe de sécurité de la présidence de la République), le colonel Lionel Lavergne, il a précisé aux enquêteurs qu’Alexandre Benalla n’avait aucune autorité sur les services de sécurité, même s’il pouvait être amené à donner des consignes : « Lors des déplacements du Président de la République, c’était Alexandre Benalla, qui communiquait tous les souhaits du Président de la République, il était destinataire de tous les télégrammes, les notes confidentielles et des plans de service d’ordre. Alexandre Benalla représentait le Président de la République pour tous les sujets de sécurité, il exprimait “la volonté présidentielle” », remarque le parquet dans son réquisitoire définitif.

« Lors des déplacements du Président de la République, c’était Alexandre Benalla, qui communiquait tous les souhaits du Président, il était destinataire de tous les télégrammes, les notes confidentielles et des plans de service d’ordre. Il représentait le Président de la République pour tous les sujets de sécurité. »

De fait, la justice ne s’est intéressée aux déplacements internationaux d’Alexandre Benalla que sur la période entre août et décembre 2018, dans les semaines qui ont suivi son départ de l’Elysée. À l’époque, l’ex chargé de mission se déplace beaucoup à l’étranger, notamment en Turquie, au Maroc, au Cameroun, au Tchad, en Israël ou encore aux Bahamas. Il rencontre également à plusieurs reprises à Londres l’intermédiaire Alexandre Djouhri, alors sous contrôle judiciaire dans la capitale britannique, car poursuivi par la justice française sur le dossier du financement libyen présumé de Nicolas Sarkozy en 2007. Rappelons, au passage, qu’Alexandre Djouhri séjourne depuis fin novembre 2020 à Genève, comme je le révélais un mois plus tard dans la Tribune, sans que cela ne suscite de commentaires dans la presse française. Ce point pour le moins intriguant n’est pas évoqué au procès.

Aucun mot non plus sur les multiples voyages d’Alexandre Benalla en Afrique lorsqu’il était en poste à l’Elysée. Comme je le soulignais dans Le Grand Manipulateur (éditions Stock), Alexandre Benalla se déplace ainsi au Tchad dès 2017, avant et après l’élection d’Emmanuel Macron, et en juin de cette même année, il se rend en République Démocratique du Congo avec d’autres conseillers de l’Elysée. Ce n’est donc pas un hasard si on le retrouve en août 2018 en Dordogne dans le château de l’homme d’affaires Vincent Miclet, en compagnie d’Antoine Ghonda, ancien conseiller de Joseph Kabila (l’ancien président de la République Démocratique du Congo). L’ancien « chargé de mission » s’est aussi rendu à l’île Maurice. Comme on l’a souligné avec l’Algérie durant la campagne présidentielle, Alexandre Benalla a donc voyagé en Afrique d’une manière non officielle avant l’élection d’Emmanuel Macron, comme après.

L’imbroglio des vidéos du 2 mai  

Autre zone d’ombre de l’affaire Benalla : l’utilisation frauduleuse par l’Elysée et le parti de la République En Marche d’archives de vidéos surveillance de la Préfecture de Police concernant les événements du 1er mai sur la place de la Contrescarpe, pour tenter de dédouaner Alexandre Benalla sur les réseaux sociaux de ses agissements à l’encontre de manifestants. C’est cette partie du dossier qui vaut à deux fonctionnaires de police d’être aujourd’hui poursuivis devant le tribunal, en plus d’Alexandre Benalla et de son collègue Vincent Crase. Aucun autre membre du cabinet de l’Elysée n’a finalement été inquiété par la justice. L’ancien conseiller spécial d’Emmanuel Macron, le communicant Ismaël Emelien, qui a pourtant décidé de diffuser ces vidéos sur Internet (et de les monter avec d’autres vidéos amateurs qui n’avaient rien à voir), n’est entendu que comme simple témoin.

Ismaël Emilien, conseiller en communication d’Emmanuel Macron jusqu’à sa démission en mars 2019, consécutive à l’affaire Benalla

Face aux policiers de l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale), Ismaël Emelien a avoué être à l’origine de la diffusion de ces images. « Il ne s’agissait pas d’assurer la défense personnelle de M. Benalla, mais celle de l’Elysée et du président de la République, qui étaient pris à partie dans cette crise : il s’agit bien de communication politique », atil expliqué. Pour autant, les versions recueillies par les enquêteurs sont contradictoires. Des policiers sont accusés d’avoir une copie des images en question sur un CDROM. Dans la nuit du 18 au 19 juillet, c’est Jean-Yves H. (qui a bénéficié d’un non-lieu dans ce dossier), officier de liaison entre la préfecture de police et l’Elysée, qui apporte le CD-ROM à Alexandre Benalla, qui se trouve alors au Damas Café, un bar à chicha à quelques rues de l’Elysée, en compagnie de son collègue Vincent Crase. Le chargé de mission assure alors ne pas avoir regardé le disque, être rentré chez lui à Issy-les-Moulineaux, et l’avoir transmis seulement le lendemain matin à 8h30 à Ismaël Emelien, à l’Elysée. Voilà pour la version désormais retenue.

Selon nos informations, ces images n’auraient néanmoins pas été fournies à l’Elysée le 19 juillet au matin, mais dès le lendemain des événements de la place de la Contrescarpe. Que s’est-il passé durant tout ce temps ? À qui ces images ont-elles été fournies ? Dans le dossier judiciaire, il apparaît qu’au sein de la préfecture de police, l’extraction des fameux enregistrements vidéo dans les serveurs informatiques a bien été effectuée dès le 2 mai. On apprend également dans le réquisitoire définitif du parquet sur cette affaire, que le fameux CD-ROM détenu un temps par l’Elysée a été, en réalité, « créé le 2 mai 2018 », et « il contenait une vidéo ainsi qu’un fichier SIG gravés le même jour à 14h05 ». Même le parquet semble s’interroger sur l’enchaînement des faits : « L’expertise réalisée sur les CD saisis ne permettait pas de confirmer totalement le déroulement de l’extraction des images tel que décrit par Maxence Creusat [commissaire à la Direction de l’Ordre Public (DOPC), à la Préfecture de Police, qui fait partie des prévenus], dans la mesure où si c’était bien le CD gravé le 2 mai 2018 qui avait été remis à Alexandre Benalla, le CD saisi le 21 juillet 2018 à la DOPC avait été gravé la veille ce qui était plus difficilement compatible avec la chronologie des faits ».

Devant les enquêteurs, Maxence Creusat a expliqué qu’il savait que Jean Yves H. allait remettre le CD à Alexandre Benalla, mais n’avait pas envisagé ce qu’il allait faire de ces images. De son côté, Laurent Simonin, alors numéro 2 de la DOPC (Direction de l’Ordre public et de la Circulation), a expliqué en garde à vue: « J’ai eu plusieurs coups de téléphone avec Creusat mais je sais qu’il m’indique que son unité a des vidéos qui peuvent aider Benalla. Il se propose de passer au bureau pour faire une copie pour la donner à Benalla afin de l’aider dans sa défense et avoir des éléments de contexte par rapport aux violences des manifestants ».

Capture de la vidéo où l’on peut voir Alexandre Benalla (avec un casque) agressant un manifestant le 1er mai 2018 sur la place de la Contrescarpe à Paris

Devant l’IGPN, Emelien fait remonter son récit des événements au 2 mai, mais explique qu’il a été alors alerté par des proches « qui pensaient avoir identifié M. Benalla sur une vidéo en ligne sur les réseaux sociaux », alors qu’il est désormais établi que l’Elysée comme la Préfecture de Police ont été au courant des événements du 1er mai dès le lendemain. Justement, lors de cette même journée du 2 mai, M. Benalla serait venu le trouver dans on bureau pour lui confier une autre vidéo, « des images filmées sur Internet », montrant un individu violent qu’il présente comme celui contre qui il est intervenu. Ce qui est faux. Ces images seront pourtant intégrées à des montages vidéos mensongers, diffusés par les comptes Twitter anonymes gérés par LREM, comme l’a admis et justifié Ismaël Emelien à la télévision: « Vous savez, sur Twitter, c’est un peu la règle ».

Lors du procès, l’ancien conseiller de l’Elysée a dit à la présidente du tribunal qu’il ne savait pas que les images du CD-ROM provenaient des vidéos surveillance de la Préfecture de Police. Comme si de telles images pouvaient se confondre avec des images d’amateurs… Et pour cause: la réglementation prévoit qu’en dehors d’une enquête judiciaire, les images de vidéo surveillance ne peuvent pas être conservées plus de trente jours. Tout enregistrement qui n’a pas fait l’objet d’une copie pour les besoins d’une enquête judiciaire doit être détruit dans ce délai. L’extraction de vidéos en dehors d’un cadre d’enquête judiciaire, la conservation des vidéos audelà de la limite autorisée, et l’utilisation à des fins contraires aux finalités autorisées, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.

De son côté, alors qu’un conseiller du président s’est retrouvé en possession du fameux CD-ROM, Alexandre Benalla est licencié de l’Elysée le 19 juillet 2018, officiellement car il a détenu les fameux enregistrements issus des caméras de la Préfecture de police.

L’Elysée impliqué dans le déménagement du coffre ? 

C’est un élément de « l’affaire Benalla » qui ne fait pas partie du procès en cours. Le déménagement du coffre présent au domicile d’Alexandre Benalla avant la perquisition effectuée par les policiers a pourtant suscité depuis de nombreuses interrogations. La justice, pourtant, ne s’y est intéressée qu’après de longs mois après l’éclatement du scandale dans la presse. L’enquête est toujours en cours à ce sujet.

Les enquêteurs s’interrogent sur le rôle exact joué dans cette affaire par Ismaël Emelien mais aussi par son ami Ludovic Chaker, autre « chargé de mission » à l’Elysée, premier salarié d’En Marche en 2016, rouage essentiel de la campagne qui a d’ailleurs embauché Alexandre Benalla. En étudiant les « fadettes » des différents conseillers du palais, les policiers se sont aperçus que dans la nuit du 18 au 19 juillet Ismaël Emelien est le principal interlocuteur d’Alexandre Benalla. Les deux hommes s’envoient frénétiquement des textos jusqu’à 2 h 28, puis à nouveau peu après 5 heures. Après une courte pause, les échanges reprennent de plus belle entre « Isma » et Alexandre Benalla à partir de 8h28.

Mais dans la même nuit, Benalla échange aussi énormément avec Ludovic Chaker. Dès le lendemain, c’est ce chargé de mission auprès du chef d’état major particulier du président, « responsable des opérations » au cours de la campagne Macron, qui va mettre à l’abri des journalistes (mais aussi des enquêteurs dans les jours qui suivent…) la compagne de Benalla, Myriam B., et leur bébé, dans un appartement de l’avenue Foch, dans le 16ème arrondissement, appartenant à la femme d’affaires Pascale Jeannin-Perez, cette proche d’Alexandre Djouhri, que Chaker connaît bien. « Le 19 juillet, ma femme m’a appelé pour me dire qu’il y avait plein de journalistes devant la maison et dans le couloir qui mène à mon domicile », déclare Benalla lors de son interrogatoire de première comparution, avant de préciser avoir « demandé à un ami d’aller chercher [sa] femme et de récupérer tout ce qui pouvait être volé, des objets de valeur et notamment les armes ». Dans Le Grand Manipulateur, publié en avril 2019, j’affirmais que cet ami n’était autre que Ludovic Chaker.

Lors d’une audition libre le 10 juillet 2019, comme le révèle Le Parisien deux mois après, Ludovic Chaker a reconnu devant les enquêteurs avoir « exfiltré » la famille d’Alexandre Benalla le 19 juillet 2018. Le conseiller a reconnu devant les policiers s’être rendu sur place à la demande de l’intéressé pour exfiltrer Myriam, son épouse, et leur nourrisson, importunés par les médias. Mais, il dément catégoriquement avoir déménagé et même seulement aperçu un quelconque coffre. Ce soir-là, un van Volkswagen noir conduit par un chauffeur serait venu le chercher près de l’Elysée. Sur place, selon le conseiller, se trouvait Alexandre Benalla, contrairement à ce que ce dernier a toujours prétendu.

Le coffre, lui, n’a jamais été retrouvé, et les enquêteurs cherchent à savoir dans quelles conditions l’armoire forte de Benalla a pu disparaître avant la perquisition de son appartement, effectuée le 21 juillet 2018.

Un mystère de plus autour d’Alexandre Benalla qui n’est, à ce jour, pas résolu. 

Marc Endeweld

À relire sur le site de QG, l’enquête de Marc Endeweld sur Izzat Khatab, ancien employeur de Benalla, accusé de violences en réunion. Ici : https://qg.media/2021/09/16/exclusif-izzat-khatab-l-ami-dhollande-macron-et-benalla-fait-lobjet-dune-plainte-pour-agression-par-marc-endeweld/

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