CONTRE-POUVOIR: « Une présidentielle qui pourrait être la dernière de son type » par Alphée Roche-Noël

12/04/2022

Une 5ème République exsangue nous livrera à nouveau, le 24 avril prochain, un second tour d’élection présidentielle entre l’extrême centre et l’extrême droite. Sera-t-elle la dernière de ce genre? Les douze millions d’abstentionnistes et l’écoeurement de nombreux votants à l’égard de nos institutions pourraient le laisser penser. C’est l’espoir que veut cultiver notre chroniqueur Alphée Roche-Noël dans cette nouvelle livraison de « Contre-Pouvoir » sur QG

Nous l’attendions et nous en avons eu confirmation le 10 avril au soir : le second tour de la présidentielle se jouera entre « l’extrême centre » et l’extrême droite. Après le « coup de tonnerre » de 2002, après le coup de semonce de 2017, la famille Le Pen est à nouveau en finale de l’« élection-reine », avec, en ligne de mire, la mise en œuvre d’un projet autoritaire et xénophobe. Face à cette funeste perspective, le mode de scrutin n’offre pas d’autre expédient que la reconduction d’un pouvoir arrogant et dont on peine à croire qu’il ne continuera pas sa politique antisociale. Quant au reste: l’élimination de la principale force de gauche, à un demi-million de voix près, entretient l’espoir bien fragile d’un succès futur, et les partis « de gouvernement » sont définitivement passés par pertes et profits. Qu’à cela ne tienne: la Ve République leur survivra, encore un peu, sous la forme d’une farce brutale et tragique.

Il flotte dans l’air comme un parfum de bas-empire.

De fait, la configuration à l’issue du premier tour ne représente pas l’état d’esprit du pays. Elle n’est pas le reflet fiable de l’opinion, mais son reflet monstrueux, au miroir déformant d’un scrutin auquel l’électorat croit de moins en moins. Bien sûr, les institutions ne sont pas l’élément déclencheur de la crise politique actuelle, dont les causes profondes sont à rechercher dans l’état du monde et dans l’état de notre société. Mais elles jouent dans cette crise un rôle de catalyseur ; elles l’amplifient en façonnant la physionomie que nous lui connaissons désormais trop bien : un premier tour où le « vote de conviction » se cherche sans se trouver vraiment, où le « vote utile » a toutes les apparences d’un vote par défaut; un second tour en forme d’impasse démocratique.

Ces circonstances devraient au minimum nous conduire à relativiser ce constat lu ici et là de la tripartition du « paysage » politique. Il y a certes trois blocs, mais ceux-ci sont liquides, tout d’opportunité, sans véritable enracinement dans la société, et peuvent s’évanouir comme ils sont nés, presque d’un claquement de doigts. C’est que les sentiments qui les habitent ne s’incarnent pas durablement dans les forces et autres mouvements (on ne dit plus « partis »…) nés sur les ruines du vieux monde, et dont ils poursuivent malgré eux les logiques partidaires. Ils vont, ils viennent, ils disparaissent. Peut-être le temps arrivera d’une restructuration plus pérenne, mais ce temps-là n’est probablement pas pour tout de suite. Et si l’on ne croit pas que les partis politiques aient jamais été la panacée, on a intérêt à lire Simone Weil, sa Note sur la suppression générale des partis politiques, d’une urgente actualité.

Soixante-quatre ans après la fondation de la Ve République, la vie démocratique est plus que jamais étouffée par son esprit césariste, qui cantonne, enferme, réduit la citoyenneté à sa plus simple expression et, en un sens, la dévoie. Lorsque les choses vont bien, ou ne vont pas trop mal, lorsque le progrès social existe peu ou prou, lorsque le théâtre politique repose sur des bases idéologiques et partisanes à peu près stables, comme ce fut le cas jusqu’aux années 1980, cette sorte de lot de consolation, pour peuple soi-disant orphelin de ses rois, peut encore faire son office, bon an mal an. Il peut même arriver qu’on croie à l’alternance, à la révolution par les urnes. Mais lorsque la société est ébranlée jusque dans ses fondations, comme c’est le cas de nos jours, « rien ne va plus ». Alors, les prestidigitateurs peuvent succéder aux magiciens d’antan, de l’époque où la société « croyait » encore – avant d’être eux-mêmes congédiés.

Les Français perçoivent-ils, en masse, les liens de cause à effet entre la crise démocratique en cours et la nature profonde du régime gaullien ? Ont-ils conscience des dangers potentiels auxquels ce régime les expose ? Cela n’est pas encore tout à fait certain, pas encore tout à fait acquis. D’aucuns en effet continuent de se persuader que l’affaire est une question de personnes, de programmes, d’aménagements à la marge… Pourtant, à bas bruit, le décillement s’opère. Ainsi, le 10 avril, des millions d’électeurs ont sacrifié au « devoir citoyen » sans aucun enthousiasme, quand d’autres, très nombreux (plus de 12 millions, NDLR), ont choisi de ne pas se rendre aux urnes. Sans forcément le savoir, tous partagent cette intuition que notre histoire politique touche à la fin d’un cycle; qu’il ne sortira probablement rien de bon d’une prochaine présidentielle; que le scrutin de 2022 pourrait d’ailleurs être le dernier de son type.

« Lorsque la société est ébranlée jusque dans ses fondations, comme c’est le cas de nos jours, « rien ne va plus ». Alors, les prestidigitateurs peuvent succéder aux magiciens d’antan, de l’époque où la société « croyait » encore »

La peur profonde, longuement intériorisée, de ne plus être gouverné, retarde, encore un peu, la révolution des consciences. Et cependant, des jalons sont déjà là, qui balisent les chemins de l’intelligence collective. Ainsi, des parties considérables de la population aspirent à un système qui favorise la délibération plutôt que la confrontation des egos, la circulation et le partage du pouvoir plutôt que la compétition pour le pouvoir ; qui apaise, au lieu de les renforcer, les névroses sociales ; bref, l’inverse de la Ve République. De plus en plus d’habitants de ce pays conçoivent qu’une telle évolution ne pourra s’opérer que par un élargissement qualitatif et quantitatif de la citoyenneté, et les plus avertis de nos concitoyens promeuvent des réformes qui ont pour nom : tirage au sort, initiative populaire, etc. Face à l’idée, très présente mais mortelle, nourrie par la mystique césariste, que la crise actuelle pourrait être refermée par un individu « providentiel », il y a cette autre idée, également très vivace, porteuse de fruit, selon laquelle les défis du temps présent, climatiques, sociaux, moraux, appellent au contraire à une transformation véritablement démocratique de la société politique. 

Faute d’être une solution, l’élection présidentielle dont nous connaîtrons sous peu de jours le dénouement pourrait être un déclic. Quelle qu’en soit l’issue – reconduction de Macron quasiment sans campagne ni débat, ou accession autrement redoutable de Le Pen à l’Élysée –, quel que soit également le résultat des législatives à suivre – Parlement toujours aussi impuissant, ou Parlement réhabilité par de nouveaux rapports de force –, cette séquence ouvre un temps, moins peut-être de recomposition politique, au sens partidaire du terme, que de chaos et de métamorphose. La crise ne couve plus seulement ; elle est là, parmi nous. Elle était démocratique et sociale ; elle pourrait devenir institutionnelle. Macron lui-même l’a reconnu en se disant prêt « à inventer quelque chose de nouveau« . Cet expédient d’entre-deux-tours était aussi une forme d’aveu : les rois sont nus, et le théâtre politique où ils jouaient jusqu’à présent leur rôle a dévoilé sa machinerie obsolète.

De cette crise, pourra-t-il sortir quelque chose de bon ? L’épure d’une société politique refondée, plus juste et plus démocratique ? Il serait téméraire de compter dessus, fou de ne pas le vouloir, audacieux d’y œuvrer. Ceci afin que le quinquennat qui s’annonce, plus ou moins sinistre selon le cas de figure, ne soit pas un énième épisode de la décomposition sociale à laquelle nous assistons depuis bien trop longtemps, mais une première étape, dans l’effort, vers un avenir meilleur.

S’il est encore permis d’espérer.

Alphée Roche-Noël

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16 Commentaire(s)

  1. audacieux d’y oeuvrer,,nous dit ALphée,,,,..

    La peur profonde, longuement intériorisée, de ne plus être gouverné, retarde, encore un peu, la révolution des consciences. Et cependant, des jalons sont déjà là, qui balisent les chemins de l’intelligence collective. Ainsi, des parties considérables de la population aspirent à un système qui favorise la délibération plutôt que la confrontation des egos, la circulation et le partage du pouvoir plutôt que la compétition pour le pouvoir ; qui apaise, au lieu de les renforcer, les névroses sociales ; bref, l’inverse de la Ve République.

    De plus en plus d’habitants de ce pays conçoivent qu’une telle évolution ne pourra s’opérer que par un élargissement qualitatif et quantitatif de la citoyenneté, ..

    ..s’il est encore permis d’espérer ,? à cela ne nous y invite t t »il pas Alphée ,,?
    ,BRAS VOS ..
    beaux soirs QG ………dameB
    dameB

  2. Pourquoi des gens aussi opposés au racisme aussi opposés au nationalisme conservateur imaginent le vote pour Marine Le Pen.
    D’abord mon ‘nationalisme’ part d’une volonté de ne pas être un sous-citoyen, un colonisé des USA en l’occurrence. Cela ne veut pas dire que les impérialismes, russe ou chinois ou autres, soient préférables. Tous les pays sont capitalistes même si des analyses plus fines devraient être faites.La logique impérialiste n’est que le prolongement du capitalisme.
    D’autre part ce qui se joue en Europe n’est qu’un prélude à la bataille pour la suprématie mondiale ou dans le meilleur des cas un monde multipolaire.
    Mais ce dernier cas, risque de tarder à s’imposer , il faudra attendre des destructions dont l’Europe sera la première à faire les frais.
    Les affirmations disant que l’UE nous protège de la guerre vont à l’encontre de la réalité et l’OTAN ne sera jamais qu’un organisme où les USA joueront leur intérêt, on le voit aujourd’hui. La paix pouvait être possible. Si la Russie a ouvert la boîte de Pandore , elle était bien rempli par la volonté des USA d’imposer leur loi. Biden compris : insulter Poutine dès son élection était établir un obstacle au dialogue et je pense que c’était prévu.
    Ce cadre là étant posé , sortir de l’UE et de l’ OTAN me semble vital. Mais ce souhait est porté par un nationalisme qui semble d’un autre temps.
    La logique de Le Pen qui est rationnelle et cohérente même si elle est portée par des valeurs réactionnaires, est perçue comme la seule issue par une
    grande partie du peuple, majoritairement du petit peuple. Ceux qui se targuent de valeurs supérieures auraient dû se remettre en question, mais la politique dont ils s’occupent n’a pas dépassé le stade de leur ego, et de leur croyance en leur supériorité.
    Les supérieurs, donneurs de leçons ne sont pas capables d’aller au bout de leur soi-disant désir de justice, d’égalité etc etc. Certains appellent même à voter Macron: le comble. Ils combattent le risque Le Pen par une non solution. Pire , je suis d’accord pour dire que la frontière entre ce qu’on nomme fascisme ( c’est vrai mais c’est pas très fin comme analyse) et macronisme est floue,très floue. Le capitalisme dans sa crise ira n’importe comment vers le fascisme. D’ailleurs à voir l’opacité des affaires à ce niveau et les paradis fiscaux , c’est un paradis pour les mafieux en tout genre. Les mafieux reconnus comme tels doivent se demander pourquoi on les embête, c’est vrai ils tuent. Mais les impérialismes tuent beaucoup plus,on n’a pas émis l’idée de génocide pendant la guerre du Vietnam ou la guerre d’Iraq faite sur la base d’un mensonge international en payant des sociétés de ‘sevices’ pour en accréditer l’idée.
    Le manque d’ambition et de lucidité du camp ‘progressiste’ nous met dans une impasse. . On a jeté le bébé avec l’eau du bain, on a jeté le modèle de Marx expliquant les racines objectives du capitalisme en le confondant avec son application pratique complètement sectaire et qui ne comprenait pas vraiment ce que représentait ce modèle. Marx vivant il aurait déjà bien évolué.
    Donc la seule logique en œuvre du camp progressiste est celle du capitalisme , plus ou moins contrôlé, plus ou moins fantasmé dans une UE ancrée dans un capitalisme financier totalement débridé qu’on ne veut pas voir : on a pas d’autres solutions!
    Ce progressisme aveugle est embourbé dans la réalité prévisible d’une auto-destruction de notre espèce dans son incapacité à prendre en compte l’écologie. Comme c’est pas le capitalisme le problème, le seul combat à mener c’est sur la conscience de l’homme, sa capacité à accepter des sacrifices , à se modérer tout ceci dans une société basée sur le fric , le produit, la pub, la carrière, l’objet de luxe, etc . On croit à la nature humaine bref la logique du bon et du mauvais , celle de Biden et de tout bon extrémiste croyant, et il faut agir sur la bonne conscience des hommes … que fait-on des mauvais?
    Double impasse.
    Refuser d’analyser les moteurs de notre société ne permet pas de construire une volonté de changer la société. On fait marche arrière et tous les chemins mèneront au fascisme.
    Je ne sais pas si voter Le Pen , c’est voter contre les immigrés français ou non. L’appel qu’avait lancé Youcef Brakni pour mettre au centre la lutte contre le racisme me paraît justifié , bien sûr à côté de la lutte des classes (telle que je la comprends, non ouvriériste pour résumer), personne n’a me semble-t-il relevé l’appel. Le racisme non officiel de Macron et des autres qui se pratique en laissant pourrir des gens dans des ghettos et en dressant une partie de la police pour la contenir dans ces camps n’a rien à envier à celui de Le Pen.
    N’importe comment on va droit vers la violence de tous les côtés. Personne n’a de solutions , même pas FI , que va devenir ce réformisme de combat au fil du temps : il s’arrêtera devant la remise en cause du capitalisme et finira dans du Hollande comme le PCF qui a connu Robert Hue et maintenant appelle à voter Macron. On n’arrête pas le progrès.
    Bon je ne sais pas si vous me lirez encore , j’ai plus rien à dire, tant mieux pour les uns tant pis pour les quelques autres Bon courage à tous.

      1. J’ai bien vu qu’on était sur la même longueur d’onde. Si je n’ai plus envie de commenter c’est que cela ne sert pas à grand chose et quand rien n’avance c’est pas très motivant. J’ai plein de centres d’intérêts, c’est égoïste si on a raison et si on n’a pas raison j’évite au moins d’encombrer les commentaires. Bonne continuation. Je continuerai à lire moins souvent sans doute.

    1. Je vous ai lu avec intérêt aussi, merci pour votre prose nourrie.

      《Double impasse》 tout est dit, le problème c’est que maintenant on y est. Si on veut s’en sortir, il faut remettre à plat tout notre schéma d’analyse. On peut plus penser quand on est en proie aux extrêmes. L’histoire nous montre que dans ce genre de situation, c’est la guerre qui l’emporte. Tout particulièrement en Occident où les guerres ont joué le rôle de mise à plat et de relance. Sauf que nous ne sommes plus seuls aujourd’hui, d’autres contrées qui ont une autre histoire et qui ont gagné en puissance, sont de mise.

      Ce que nous vivons n’est ni plus ni moins qu’une crise de la mondialisation, phénomène complexe induit par la conquête du reste du monde (ou de « ce monde constitué en reste » dixit Mohammed Arkoun), entamée par l’Occident il y a cinq siècles et qui se traduit grossièrement aujourd’hui, par l’opposition brutale entre finance mondiale, gouvernements et institutions d’un côté, et peuples et populations de l’autre, dans un contexte d’interdépendance et de métissage généralisées où l’argent fait la loi.

      Comment sortir de cette ornière qui ne nous annonce rien de bon ? Peut-être commencer par repenser ce qui fait « monde » et « civilisation » avec en ligne de mire ce qui fait Unité, par-delà les divergences de vues et modes d’existence qui font division.

      Vaste chantier qui mérite que l’on continue de lire et d’écrire, pour se donner une chance de penser et de s’en sortir. Sortir du monde de l’argent, repenser nos modes de gouvernance et la place de nos institutions, voilà bien les priorités, comme repenser ce qui fait peuple et Humanité.

      La difficulté de notre génération et qu’elle est plongée dans l’œil du cyclone dont elle ne voit ni le fond, ni la direction. À cela je ne peux opposer pour l’heure que patience et confiance dans ce qui reste d’intelligence et s’inscrire dans le temps long.

      Bien à vous,

      À bientôt j’espère comme j’espère que vous ne cesserez ni de lire ni d’écrire.

  3. Personnellement si j’ai l’impression d’être piégé, c’est effectivement par le système institutionnel: encore une fois, les Présidentielles ont joué le rôle de miroir aux alouettes, et ça a vachement bien marché. clair pour ma part que c’est la dernière fois où je vote. Le sort des petites gens ne s’est en réalité jamais joué entre Mélenchon, le pen, Macron: c’est l’impérialisme américain tractant ses multinationales, appuyés par l’Otan et l’UE qui sont en train de miner ce qui reste d’économie européenne. Flambée des prix, inflation, pénurie alimentaire, voilà ce qui nous attend. Dans une planète en perdition. Tout le reste n’est que foutaise, noyée dans la propagande de guerre (covid, maintenant Ukraine) acceptée par la majorité. D’où la montée de l’abstention dont tout le monde se fout. Et la preuve, c’est qu’on parlait il y a peu de souveraineté sociale, monétaire, politique à récupérer. Autant de thèmes disparus de la campagne.

      1. C’était juste une insinuation de ma part ! Un peu vacharde.

        Je la précise : pour moi, l’extrême droite c’est avant tout Macron. Le pire président de droite qu’on n’ait jamais eu (presque pire qu’Hollande, ce qui n’est pas rien).

        Or, du coup, pour moi, par soustraction, dans la présentation d’Alphée, c’est MLP qui devient « l’extrême centre ». Et ça, je le conteste aussi ; pour moi, elle est aussi d’extrême-droite (mais un peu moins que Macron).

        La présidentielle se jouera donc entre l’extrême-droite ET l’extrême-droite. Il n’y a pas d’extrême-centre dans cette présidentielle.

        La notion de « droite ou gauche » est floue, c’est vrai : il y a l’axe social et économique (« lutte des classes » : la retraite, etc …), et l’axe sociétal (en gros « luttes de moeurs » ou « wokisme »).

        Les deux candidats sont mauvais sur les deux axes : MLP en paroles jusqu’à ce jour, Macron en actes jusqu’à ce jour (n’oublions pas l’ignominie « sociétale » de la répression des GJ ayant des revendications sociales ; n’oublions pas, sur l’axe sociétal, Darmanin reprochant à MLP d’être trop molle sur l’immigration).

        Faut être vraiment indulgent pour classer Macron dans l’extrême-centre !!! Rien ne relève du centre chez Macron (privatiser l’Etat ne relève pas du centre, extrême ou pas). C’est très dangereux ces atténuations discursives. Le centre, extrême ou pas, est toujours plus social que la droite dans les consciences politiques ordinaires.

        On peut préférer Macron au second tour (c’est le cas d’Alphée, manifestement), mais assurer une victoire de Macron avec 85% des voix comme à l’accoutumée face à MLP, là ça m’emmerderait vraiment.

        1. Le mot 《extrême-centre》 que j’ai entendu pour la première fois dans la bouche d’Alain Denault sur cette même antenne face à Aude Lancelin il y a quelques semaines, me semble tout à fait approprié pour qualifier Macron et sa gouvernance. Il n’a eu de cesse depuis sa prise de fonction de gouverner seul au mépris de toutes les institutions, faisant prévaloir une extrême centralité du pouvoir que lui permet la 5e Constitution. Et contrairement à l’extrême droite dont le socle est le nationalisme, Macron s’inscrit dans une ligne dans le fond de commerce est l’argent. Ce qui se joue aujourd’hui entre Macron et Le Pen ce n’est ni plus ni moins que l’opposition entre mondialisation ou vassalisation de la France à la finance mondiale, et repli à l’intérieur des frontières sur fond de diabolisation de l’immigration. Nous sommes bien dans les deux cas face à 2 extrêmes qui entendent utiliser l’État comme un agent de mise au pas et de coercition pour toute ou partie de la population. Nous sommes bien dans les deux cas face à deux fascismes qui ne disent pas leur nom. Fascisme de la finance pour l’un, fascisme de la vile France pour l’autre. Il fallait bien ce tour de mots, extrême-droite contre extrême-centre, pour qualifier ce second tour des élections.

          1. Oulala, grosse confusion : le centre, dans l’expression « extrême-centre », ne désigne en aucune façon la « centralité » du pouvoir. C’est comme si l’on disait qu’Hitler n’était pas d’extrême-droite mais d’extrême-centre sous prétexte qu’il incarnait la centralité du pouvoir nazi.

            Par ailleurs, affirmer que l’extrême-droite de Le Pen n’est pas du centre, là je suis tout à fait d’accord, mais dire qu’elle ne représente pas des forces d’argent, là ça me pose un gros problème (c’est tout de même un peu le capitalisme oligarchique Russe qui finance Le Pen). Et, les « entre-soi » de la famille Le Pen (1er cercle) ne se font pas, je pense, avec la classe ouvrière !

            Historiquement, toujours, en France et dans le monde, la droite a désigné le capital, l’argent, la finance, absolument toujours (LR, LREM, UMP, RPR) … Les « centristes » eux intégraient beaucoup plus les aspects ruraux, la classe moyenne et même un peu le « travail ». Et donc, là où votre démonstration se termine mal, c’est qu’on peut en conclure (contrairement aux propos d’Alphée) que c’est Le Pen l’extrême-centre pour vous.

            Non, ce terme très gentil, très rassurant, « d’extrême-centre » (qu’on peut se représenter comme « extrême-mou ») sert opportunément à absoudre les pires gouvernements d’extrême-droite financière (fascisme financier) telle que la Macronie).

            Rajouter des « concepts » à d’autres qui existent déjà, et qui vont très bien, crée de la confusion (suspecte).

        2. Cher.e Ainuage,

          Je me permets de répondre à votre commentaire.

          La notion d’« extrême centre », forgée par l’historien Pierre Serna et mobilisée depuis lors par d’autres auteurs, et que j’ai volontairement mise entre guillemets dans mon papier, ne recoupe pas le « centre » entendu comme une position idéologique médiane sur l’axe gauche-droite (si tant est que cela soit possible…), ni encore moins le « centre » historique tel qu’on l’a connu de l’UDF au MoDem.
          Elle désignerait plutôt une force politique caractérisée par une double coloration libérale économiquement et autoritaire au plan de la gestion de l’ordre, plastique du point de vue des principes, mais qui se justifie par sa prétention, fallacieuse, à incarner une forme de juste milieu.
          Cette formule dont ont trouve les prodromes chez les thermidoriens et sans doute bien avant me semble s’appliquer à ce qu’est le macronisme – ici encore je renvoie à Serna et à sa chronique publiée dans l’Huma.
          Elle ne me semble en cela nullement relever de l’« atténuation discursive », mais plutôt, en l’occurrence, du souci de bien nommer les choses (car, comme on a fait dire à Camus, « mal nommer les choses, etc. »).

          Il me semblerait en effet non seulement sans nuance, mais dangereux, de confondre le macronisme avec ce à quoi l’histoire du siècle dernier à donné le nom d’extrême droite, famille de pensée bien plus caractérisé idéologiquement, bien plus « avancée » dans l’ordre de la brutalité – à tout prendre, d’ailleurs, d’une nature très différente… – et aujourd’hui incarnée, dans la lamentable joute électorale actuelle, par le prétendu « Rassemblement nationale » et sa cheffe Marine Le Pen.

          Cette typologie ne fait rien oublier des horreurs du quinquennat qui s’achève (« mutilés pour l’exemple », « gestion » plus générale de la question des violences policières, poursuite, dans les grandes largeurs, du travail de casse sociale) ni des scandales moraux qui l’ont jalonné (on ne les compte plus), mais je crois qu’elle permet de mieux penser le présent que les confusions sur lesquelles l’avenir proche pourrait, hélas, lever le voile.

          A.

          1. Bien reçu.
            Je regrette de ne pas pouvoir « faire acteur » avec des sommités historiques (et oui, on peut même « faire acteur » avec les morts dans le monde de l’idéologie).
            Malgré tout, en matière d’étayage je pense être dans le camp de Camus en nommant bien les choses. C’est justement ce qui motive mon commentaire.
            Macron est de l’extrême droite mondialiste.
            LePen est de l’extrême droite nationaliste.
            Tous les deux sont brutaux, tout comme les américains (extrême-centristes dans votre nomenclature) en Yougoslavie, en Irak, en Libye, au vietnam, en Afganistan etc …

            Extrême-Centre n’amène que confusion, et je le maintiens « atténuation ».

          2. En temps de guerre, « demander » à des militaires de tirer massivement sur des civils est-il un signe de brutalité, de brutalité inadmissible selon vous (je ne parle même pas des dommages collatéraux) ? Selon moi, oui, c’est inadmissible !
            Suite à une attaque « militaire » japonaise sur une base navale « militaire » américaine, les « centristes » américains, ont donné l’ordre à l’armée américaine de larguer volontairement, directement sur « des civils », deux bombes atomiques tuant directement 250000 civils. Pour moi, c’est une brutalité extrême-droitiste cad de fachos, et non pas d’extrême-centriste.
            Macron a-t-il rétrospectivement critiquer cela ? Non, il adhère, il cautionne, il applaudit par son silence, son désintérêt.
            Qui aide le régime d’extrême-droite Ukrainien, et d’autres partis d’extrême-droite dans le monde dont l’Amérique du sud ? qui entrainent des commandos nazis à Marioupol ? Biden et Macron. Quels dirigeants ont mis en place une presse monopolistique privée en France ? Hollande (le gentil) et Macron (le dynamique) ! des centristes quoi ! juste un poil extrêmes.
            Il faut vraiment arrêter -au motif qu’on est « habitué » au régime de notre cher pays, qu’on connait les bonnes stratégies pour s’en sortir- de considérer que notre régime actuel est pas si mal au fond, qu’il est seulement extrême-centriste. Tuer, ou faire tuer, illégitimement, dans d’autres pays est tout aussi horrible que de tuer en France ou en Amérique.

          3. Dans les faits, l’expression « extrême-centre » sert à sauver la droite ultra-libérale férocement anti-communiste, son mondialisme financier (basé sur la consommation et la spéculation mondiales) devant être « positivé » « distingué » par rapport aux nationalismes étroits de style FN.

            L’expression « extrême-centre » est avant tout un anticommunisme.

            L’idée que le centre constituerait la recherche d’un équilibre entre « capital et travail » est tout à fait erronée. Le centre est totalement à droite, car le centre sert à représenter les classes sociales « petitement » bourgeoises et « petitement » capitalistes comme les commerçants, les professions libérales, les artisans, les TPE, et même PME, tous possesseurs de leur outil de production et souvent petit employeur, autant de classes maltraitées par le grand capital dans leurs relations de dépendance féroce à ce dernier (filières de sous-traitance, quasi esclavagistes par exemple dans l’ubérisation). Le capitalisme petit ou grand c’est la guerre de tous contre tous, via la concurrence.

            La seule façon de rechercher un équilibre capital-travail c’est d’être explicitement de gauche et au mieux d’être communiste. Ca fait longtemps en France que le mot « socialisme » ne veut plus rien dire, malheureusement. Essayons de garder un sens clair au mot communisme (c’est mal barré mais ça tient encore un peu).

            Je ne souhaite pas d’alliance « législative » entre LFI et PS.

          4. Merci cher Alphée, auteur de cette chronique, de nous avoir éclairé ici sur l’emploi de ce terme 《extrême-centre》, utilisé pour qualifier le macronisme, que vous définissez ainsi et que je reprendrai volontiers à l’avenir :
            《une force politique caractérisée par une double coloration libérale économiquement et autoritaire au plan de la gestion de l’ordre, plastique du point de vue des principes, mais qui se justifie par sa prétention, fallacieuse, à incarner une forme de juste milieu.》

            J’avoue pour ma part avoir quelques peut joué sur les mots, pour donner à cette expression 《extrême-centre》, une autre coloration. Glissement de sens dont le trait forcé n’a pas échappé à Ainuage, et dont l’intervention m’avait quelque peu jeté dans la confusion. Vous remettez ici la balle au centre pour relancer le jeu mais il nous faut reconnaître que de part et d’autre des points ont été marqués. Notre difficulté à saisir par les classifications usuelles le jeu des forces politiques en présence montre bien que nous sommes sortis d’un paradigme et que nous entrons dans un autre. Macron et Le Pen ont en commun d’être perçus comme des extrêmes, c’est bien ce qui nous pose problème.

            Comment penser dans ce contexte où précipices et falaises nous guettent ? En ayant recours à de tout autres mots et concepts peut-être. Lesquels ? Je ne doute pas que nous participons ici d’une remise à plat qui préfigure une véritable remise en jeu à terme.

            Très rares sont les médias où l’on peut voir avancer ensemble en pensée, lecteurs-commentateurs et auteurs de qualité. La confusion (votre terme en fin de commentaie) dans laquelle est plongé ce monde tenté par le recours aux extrémismes, rend cet îlot d’autant plus appréciable, qu’il rend actif et visible ce qui manque le plus aux hommes pour sortir de cette crise : l’écoute, la mesure et le partage intelligent et sensible de points de vue parfois contraires voire contradictoires.

            Puissions-nous poursuivre ainsi pour que lumière surgisse. Belle est bonne fête de Pâques à tous.

            Éric

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