Nous l’attendions et nous en avons eu confirmation le 10 avril au soir : le second tour de la présidentielle se jouera entre « l’extrême centre » et l’extrême droite. Après le « coup de tonnerre » de 2002, après le coup de semonce de 2017, la famille Le Pen est à nouveau en finale de l’« élection-reine », avec, en ligne de mire, la mise en œuvre d’un projet autoritaire et xénophobe. Face à cette funeste perspective, le mode de scrutin n’offre pas d’autre expédient que la reconduction d’un pouvoir arrogant et dont on peine à croire qu’il ne continuera pas sa politique antisociale. Quant au reste: l’élimination de la principale force de gauche, à un demi-million de voix près, entretient l’espoir bien fragile d’un succès futur, et les partis « de gouvernement » sont définitivement passés par pertes et profits. Qu’à cela ne tienne: la Ve République leur survivra, encore un peu, sous la forme d’une farce brutale et tragique.
Il flotte dans l’air comme un parfum de bas-empire.
De fait, la configuration à l’issue du premier tour ne représente pas l’état d’esprit du pays. Elle n’est pas le reflet fiable de l’opinion, mais son reflet monstrueux, au miroir déformant d’un scrutin auquel l’électorat croit de moins en moins. Bien sûr, les institutions ne sont pas l’élément déclencheur de la crise politique actuelle, dont les causes profondes sont à rechercher dans l’état du monde et dans l’état de notre société. Mais elles jouent dans cette crise un rôle de catalyseur ; elles l’amplifient en façonnant la physionomie que nous lui connaissons désormais trop bien : un premier tour où le « vote de conviction » se cherche sans se trouver vraiment, où le « vote utile » a toutes les apparences d’un vote par défaut; un second tour en forme d’impasse démocratique.
Ces circonstances devraient au minimum nous conduire à relativiser ce constat lu ici et là de la tripartition du « paysage » politique. Il y a certes trois blocs, mais ceux-ci sont liquides, tout d’opportunité, sans véritable enracinement dans la société, et peuvent s’évanouir comme ils sont nés, presque d’un claquement de doigts. C’est que les sentiments qui les habitent ne s’incarnent pas durablement dans les forces et autres mouvements (on ne dit plus « partis »…) nés sur les ruines du vieux monde, et dont ils poursuivent malgré eux les logiques partidaires. Ils vont, ils viennent, ils disparaissent. Peut-être le temps arrivera d’une restructuration plus pérenne, mais ce temps-là n’est probablement pas pour tout de suite. Et si l’on ne croit pas que les partis politiques aient jamais été la panacée, on a intérêt à lire Simone Weil, sa Note sur la suppression générale des partis politiques, d’une urgente actualité.
Soixante-quatre ans après la fondation de la Ve République, la vie démocratique est plus que jamais étouffée par son esprit césariste, qui cantonne, enferme, réduit la citoyenneté à sa plus simple expression et, en un sens, la dévoie. Lorsque les choses vont bien, ou ne vont pas trop mal, lorsque le progrès social existe peu ou prou, lorsque le théâtre politique repose sur des bases idéologiques et partisanes à peu près stables, comme ce fut le cas jusqu’aux années 1980, cette sorte de lot de consolation, pour peuple soi-disant orphelin de ses rois, peut encore faire son office, bon an mal an. Il peut même arriver qu’on croie à l’alternance, à la révolution par les urnes. Mais lorsque la société est ébranlée jusque dans ses fondations, comme c’est le cas de nos jours, « rien ne va plus ». Alors, les prestidigitateurs peuvent succéder aux magiciens d’antan, de l’époque où la société « croyait » encore – avant d’être eux-mêmes congédiés.
Les Français perçoivent-ils, en masse, les liens de cause à effet entre la crise démocratique en cours et la nature profonde du régime gaullien ? Ont-ils conscience des dangers potentiels auxquels ce régime les expose ? Cela n’est pas encore tout à fait certain, pas encore tout à fait acquis. D’aucuns en effet continuent de se persuader que l’affaire est une question de personnes, de programmes, d’aménagements à la marge… Pourtant, à bas bruit, le décillement s’opère. Ainsi, le 10 avril, des millions d’électeurs ont sacrifié au « devoir citoyen » sans aucun enthousiasme, quand d’autres, très nombreux (plus de 12 millions, NDLR), ont choisi de ne pas se rendre aux urnes. Sans forcément le savoir, tous partagent cette intuition que notre histoire politique touche à la fin d’un cycle; qu’il ne sortira probablement rien de bon d’une prochaine présidentielle; que le scrutin de 2022 pourrait d’ailleurs être le dernier de son type.
La peur profonde, longuement intériorisée, de ne plus être gouverné, retarde, encore un peu, la révolution des consciences. Et cependant, des jalons sont déjà là, qui balisent les chemins de l’intelligence collective. Ainsi, des parties considérables de la population aspirent à un système qui favorise la délibération plutôt que la confrontation des egos, la circulation et le partage du pouvoir plutôt que la compétition pour le pouvoir ; qui apaise, au lieu de les renforcer, les névroses sociales ; bref, l’inverse de la Ve République. De plus en plus d’habitants de ce pays conçoivent qu’une telle évolution ne pourra s’opérer que par un élargissement qualitatif et quantitatif de la citoyenneté, et les plus avertis de nos concitoyens promeuvent des réformes qui ont pour nom : tirage au sort, initiative populaire, etc. Face à l’idée, très présente mais mortelle, nourrie par la mystique césariste, que la crise actuelle pourrait être refermée par un individu « providentiel », il y a cette autre idée, également très vivace, porteuse de fruit, selon laquelle les défis du temps présent, climatiques, sociaux, moraux, appellent au contraire à une transformation véritablement démocratique de la société politique.
Faute d’être une solution, l’élection présidentielle dont nous connaîtrons sous peu de jours le dénouement pourrait être un déclic. Quelle qu’en soit l’issue – reconduction de Macron quasiment sans campagne ni débat, ou accession autrement redoutable de Le Pen à l’Élysée –, quel que soit également le résultat des législatives à suivre – Parlement toujours aussi impuissant, ou Parlement réhabilité par de nouveaux rapports de force –, cette séquence ouvre un temps, moins peut-être de recomposition politique, au sens partidaire du terme, que de chaos et de métamorphose. La crise ne couve plus seulement ; elle est là, parmi nous. Elle était démocratique et sociale ; elle pourrait devenir institutionnelle. Macron lui-même l’a reconnu en se disant prêt « à inventer quelque chose de nouveau« . Cet expédient d’entre-deux-tours était aussi une forme d’aveu : les rois sont nus, et le théâtre politique où ils jouaient jusqu’à présent leur rôle a dévoilé sa machinerie obsolète.
De cette crise, pourra-t-il sortir quelque chose de bon ? L’épure d’une société politique refondée, plus juste et plus démocratique ? Il serait téméraire de compter dessus, fou de ne pas le vouloir, audacieux d’y œuvrer. Ceci afin que le quinquennat qui s’annonce, plus ou moins sinistre selon le cas de figure, ne soit pas un énième épisode de la décomposition sociale à laquelle nous assistons depuis bien trop longtemps, mais une première étape, dans l’effort, vers un avenir meilleur.
S’il est encore permis d’espérer.
Alphée Roche-Noël
audacieux d’y oeuvrer,,nous dit ALphée,,,,..
La peur profonde, longuement intériorisée, de ne plus être gouverné, retarde, encore un peu, la révolution des consciences. Et cependant, des jalons sont déjà là, qui balisent les chemins de l’intelligence collective. Ainsi, des parties considérables de la population aspirent à un système qui favorise la délibération plutôt que la confrontation des egos, la circulation et le partage du pouvoir plutôt que la compétition pour le pouvoir ; qui apaise, au lieu de les renforcer, les névroses sociales ; bref, l’inverse de la Ve République.
De plus en plus d’habitants de ce pays conçoivent qu’une telle évolution ne pourra s’opérer que par un élargissement qualitatif et quantitatif de la citoyenneté, ..
..s’il est encore permis d’espérer ,? à cela ne nous y invite t t »il pas Alphée ,,?
,BRAS VOS ..
beaux soirs QG ………dameB
dameB