« Il n’est pas exclu que la gauche gagne les prochaines législatives »

13/06/2024

La manœuvre d’Emmanuel Macron peut-elle rapidement se retourner contre lui ? Si les électeurs de gauche modérés consentent à voter pour les « insoumis », et si ces derniers votent pour les « traîtres » souvent dénoncés par leur camp, elle est assurée dans beaucoup de circonscriptions d’être au second tour. Tout reposera ensuite sur les électeurs macronistes. Pour Rémi Lefebvre, auteur de « Faut-il désespérer de la gauche? », ce sont ces duels RN-Front populaire qui risquent de faire basculer le pays à l’extrême-droite. Les électeurs macronistes, chauffés à blanc pendant trois semaines par les médias du CAC 40, préfèreront-ils le barrage anti-Mélenchon au barrage républicain? C’est tout l’enjeu du 7 juillet qui pourrait changer le destin du pays

 

« Faut-il que tout le pays brûle pour qu’on combatte l’incendie ? » À cette question du groupe de reggae Sinsemilia sur la montée en puissance du RN, la gauche française a rapidement épondu par une nouvelle coalition, « le Front populaire ». Peut-on penser que ce front sera plus solide que la NUPES, qui éclata fin 2023 sur le conflit israélo-palestinien ? QG a interrogé le politiste Rémi Lefebvre, maître de conférences à l’université de Lille, notamment auteur de « ‘Faut-il désespérer de la gauche? » en 2022. Interview par Jonathan Baudoin

Rémi Lefebvre, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille et à l’IEP de Lille

QG : Lundi 10 juin, les principaux partis de gauche se sont mis d’accord sur le principe d’une coalition, intitulée « Front populaire ». Quel regard portez-vous sur cette alliance des partis de gauche?

Rémi Lefebvre : D’abord elle est de l’ordre de la nécessité électorale… comme en 2022. Pour avoir des députés, donc des groupes parlementaires et un bon financement public des partis, la gauche est trop fragmentée pour y prétendre sans cela. Ensuite, cette nécessité électorale est renforcée par l’idée de battre le RN, ce qui n’est d’ailleurs pas exclu. La gauche renoue avec un imaginaire du Front populaire [alliance politique de la SFIO, du Parti communiste et des radicaux, gagnant les élections législatives de mai 1936, NDLR] : l’union face à la menace de l’extrême droite. Le problème est que les divergences au sein de la gauche ont eu tendance à s’accentuer depuis 2022 et que l’attitude de LFI est de plus en plus mal acceptée dans un électorat de gauche modérée, ainsi que le bon score de Glucksmann l’a montré ce 9 juin aux européennes. Emmanuel Macron a dissous l’assemblée dans l’espoir que la gauche ne surmonte pas sa désorganisation et donc que la majorité présidentielle soit l’unique rempart contre l’extrême droite.

Les divisions tactiques et les divergences idéologiques à gauche sont réelles. La crise israélo-palestinienne les a exacerbées. Il y a une opposition très forte entre d’un côté la stratégie insoumise fondamentalement conflictuelle, tribunitienne et rugueuse et une option plus respectueuse du pluralisme, des institutions et plus réformiste des écologistes et des socialistes. Mais il ne faut pas surestimer ces désaccords. Ils sont souvent de forme plus que de fond. Les enjeux géopolitiques nouveaux ont certes exacerbé la mésentente entre les partenaires de feu la NUPES. Il y a des oppositions sur les questions « identitaires » mais elles clivent plus les mondes militants que les citoyens de gauche. Mais sur la question sociale et économique et même européenne les convergences sont fortes. La majorité des dirigeants socialistes ont rompu avec le hollandisme et son social-libéralisme. L’écologisation de la gauche est aussi un acquis. Il y a néanmoins le poison de l’élection présidentielle qui est une machine implacable à fracturer la gauche.

La liste menée par Raphaël Glucksmann, est arrivée devant la liste LFI, menée par Manon Aubry, ce 9 juin 2024

QG : Néanmoins ce 11 juin, les fédérations parisiennes du PS et de Place publique ont publié un communiqué laissant entendre leur intention de ne pas s’aligner sur l’accord national. Peut-on dire que l’unité de la gauche, annoncée la veille, vole déjà en éclats ? Est-ce que l’électorat de gauche sanctionnera ce genre de positions?

Il y aura des dissidences… Place Publique est un petit parti qui ne pèse pas beaucoup au-delà de son leader médiatique. Mais c’est sûr que l’alliance à gauche va susciter localement de nombreux mécontentements, au PS surtout. On peut donc penser que les dissidences seront nombreuses. Les électeurs de gauche auront à les trancher mais il y a une aspiration unitaire très forte à gauche et la menace du RN va encore l’amplifier dans les jours à venir.

QG: Quel axe programmatique serait le plus à même de convaincre les abstentionnistes, notamment la classe laborieuse, de voter pour ce nouveau front populaire, selon vous ? Ne risque-t-il pas de générer des tensions au sein de la coalition, notamment entre la FI et le PS ?

Les partis vont se mettre d’accord sur une base programmatique minimale, dire qu’ils trancheront les divergences après (sur l’international, l’Ukraine, Gaza…), vu qu’il reste trois ans avant la présidentielle, c’est-à-dire un temps assez court. Il n’est pas exclu que la gauche gagne les prochaines élections législatives. La manœuvre de Macron peut se retourner contre lui. Il n’y aura pas vraiment de campagne (la tendance s’accentue…). L’abstention risque donc d’être élevée : ce qui aura un effet puissant. Il y a aura peu de triangulaires (il faut 12,5% des inscrits pour se maintenir). Si la gauche est unie au premier tour (et si les électeurs de gauche acceptent ce rassemblement, ça veut dire pour les plus modérés accepter de voter pour les « radicaux insoumis » et pour les électeurs insoumis de voter pour « les sociaux traîtres »), elle est assurée dans beaucoup de circos d’être au deuxième tour. Comment voteront alors les électeurs macronistes ? J’en conviens, ce sont ces duels RN-Front populaire au deuxième tour qui peuvent faire basculer le pays dans l’extrême-droite si les électeurs macronistes refusent « les forces hors du champ républicain » selon eux. Un des enseignements de la législative de 2022 est l’affaiblissement du fameux « front républicain » dans toutes les configurations.

L’idée de Front Populaire, lancé par François Ruffin le soir du 9 juin, est aujourd’hui fortement plébiscité par les électeurs, y compris ceux de Raphaël Glucksmann

Les thématiques sociales restent au plus haut des préoccupations des Français : pouvoir d’achat, services publics, redistribution. Cet attachement à l’égalité peut être un point d’appui pour la gauche même si l’extrême droite le détourne vers un imaginaire de protection fermée, identitaire, xénophobe.

QG : Éric Ciotti, président du parti LR, a annoncé, ce mardi 11 juin, faire alliance avec le Rassemblement national pour ces législatives anticipées, déclenchant une crise majeure au sein de son parti. Est-ce la concrétisation de l’union des droites, désirée par l’extrême-droite ces dernières années? Et est-ce aussi la fin de la domination du courant gaulliste au sein de la droite française ?

C’est une clarification et une autre manifestation de la décomposition/ recomposition de la vie politique. LR va exploser… entre les élus qui vont rejoindre le RN et ceux qui vont basculer dans la majorité présidentielle. L’union des droites rend très crédible et probable la conquête du pouvoir par l’extrême-droite.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Rémi Lefebvre est l’auteur de: Faut-il désespérer de la gauche ? (Textuel, 2022) ; Les primaires socialistes : la fin du parti militant (Raisons d’agir, 2011), ou encore « Le Débat public: une expérience de démocratie participative » (La Découverte, 2007)

5 Commentaire(s)

  1. Gagner les élections ? Oui, sur le papier et avec une conjoncture favorable, c’est possible !

    Mais concernant l’appellation « front populaire » j’ai l’impression qu’on est en plein « pré-wokisme » : se dire Front Populaire, suffirait donc à l’être ? On pourrait décréter ce qu’on est sans discussion ? Après tout, n’est-ce pas cela la Liberté ?!

    Là, le rapport au réel s’estompe, et le rêve tient lieu de réalité dirait-on ! Quant on est américain (et « qu’on a les moyens de vous faire penser ») on peut se permettre ce genre de plaisanterie. Mais là, nous faire gober que Place Publique et le PS Hollandisé peuvent représenter l’intérêt du peuple, c’est une mauvaise plaisanterie.

    Les « mots et les choses » : l’archéologie (= simple constat d’apparences) du savoir pourrait donc remplacer l’historicité (= causalité et compréhension) ? C’est Mozart qu’on assassine.

    Front « bourgeois et populaire » aurait mieux convenu. Il faut arrêter de se foutre de la gueule du … peuple.

    1. dommage pour eux Front National est un peu chargé et encore une fois reprendre Front Populaire je trouve çà vraiment insultant mais en réfléchissant bien c’est pas un gouvernement front populaire qui a mis dans des camps les Républicains Espagnols??? amis gochos anarchos chaud chaud chaud çà sent le Roussel euh, pardon le roussi

  2. salutitoustes

    Perso, la gauche que ce soit la gauche molle, la gauche dure, la gauche extra molle ou extra dure, toute la gauche est responsable de cette situation et ce n’est pas le micron qui est fautif loin de la. Cela remonte à Miterrand qui a bien fait monter le Fhaine qui à l’époque aux présidentielles faisait moins que le PS actuel (c’est dire) et depuis la gauche de pouvoir a fait tout ce que la droite bien droite n’aurait put faire et le bébé de Hollande fini le travail. La gauche a perdu toute crédibilité ils ne se réveillent que (c’est ce que précise l’auteur de cet entretien) pour sauver la sousoupe qui est fort bonne. Ils n’ont jamais été foutu de lutter réellement ensemble (syndicats compris) lors des grands mouvement sociaux pire lorsque les différents maitres des horloges sifflent la fin de la récrée ils viennent se soumettre piteusement. Ils peuvent bien appeler çà front populaire çà ne les empêchera pas de faire pitié. Qu’ils se remettent sérieusement en question et que les jeunes virent tous ces vieux briscards avant qu’ils ne deviennent comme eux.
    Comme on dit dans la brousse profonde, avec des guignoles comme çà, on n’ a pas sorti le cul des ronces

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