« Les promesses du RN sont du vent, et ils reviennent dessus chaque jour »

22/06/2024

Le parti de Jordan Bardella, qui pourrait se trouver nommé à Matignon après le 7 juillet, n’exclut pas de mener une austérité plus dure encore que celle des macronistes. Tandis que la plupart des médias dominants pilonnent sans surprise le programme du nouveau Front Populaire, l’économiste Dany Lang revient pour QG sur les mesures phares des différents partis d’opposition en lice pour ces législatives. Pour lui, le RN demeure dans la stricte logique austéritaire de la politique menée par Macron depuis 2017, et ne s’en prendra jamais à la question fiscale, levier important pour dégager des marges budgétaires ambitieuses. Si le RN passe, indépendamment de la catastrophe morale et civique que cela entraînera pour la France, c’est surtout une catastrophe économique qui nous attend. Le cœur de son électorat populaire en sera la première victime

Au-delà de la crise politique totale générée par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, cette dernière renforce une incertitude économique grandissante concernant la France, au point que la Commission européenne a décidé de lancer une procédure pour « déficit excessif » à l’égard ce 19 juin. Pour QG, l’économiste Dany Lang, salue certaines mesures proposées par le nouveau Front populaire et pointe les contradictions programmatiques du Rassemblement National. La crainte est même que ce parti ne mène une austérité plus sévère que celle des gouvernements macronistes, ce qui ciblerait directement les classes populaires et moyennes, cœur même de l’électorat qui a mis le parti d’extrême-droite en tête des européennes. Interview par Jonathan Baudoin

Dany Lang est économiste, maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord

Quel regard portez-vous sur le programme économique du « nouveau Front populaire », notamment ses mesures comme le blocage des prix, l’instauration d’un prix plancher pour les agriculteurs, l’abrogation de la retraite à 64 ans, ou encore un SMIC à 1.600 euros net ?

Dany Lang : Première remarque, qui concerne l’ensemble des programmes, si vous me permettez : ces élections interviennent dans un contexte extrêmement compliqué, économiquement. Notamment à cause de l’incertitude qui a été créée par Emmanuel Macron avec cette dissolution. Les spreads de taux entre la France et l’Allemagne augmentent jour après jour. Ils étaient à 0,8 mardi dernier. Cela montre que les marchés financiers s’inquiètent. Certes, ceux-ci ne devraient pas être l’alpha et l’oméga de la politique. Le problème, c’est que si les taux sur la dette française s’envolent trop, cela va nous mettre dans une situation budgétaire extrêmement compliquée. Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra affronter sérieusement la finance et savoir mettre en place des mesures courageuses face à elle. Il appartient donc à chacun de s’orienter vers la coalition qui saura faire preuve de courage.

Deuxième point de contexte, la Commission européenne a lancé une procédure de « déficit excessif » contre la France. Ce qui veut dire que la France pourra, potentiellement, payer des sanctions dès l’année prochaine si elle ne rentre pas dans les clous. Là aussi, il faudra du courage et beaucoup de diplomatie vis-à-vis de la Commission et de nos partenaires européens, si on ne veut pas payer des amendes en raison de notre déficit. Je ne pense pas qu’il faut choisir une politique économique en fonction de ça, mais il est clair que dans ce contexte, la politique économique qui sera choisie devra être audacieuse sur le plan fiscal, et notamment engranger de nouveaux impôts.

C’est un préliminaire important car en tant qu’économiste, je n’ai jamais été favorable à ce qu’on donne la main aux marchés financiers, et encore moins enclin à les défendre. Mais on est aujourd’hui dans cette situation et cela ne changera pas du jour au lendemain. Je le répète : il va falloir affronter la finance, prendre des décisions courageuses, notamment sur le plan fiscal, car on ne pourra pas faire l’économie de hausses d’impôts si on veut orienter une autre politique économique.

Sur le « nouveau Front populaire », il faut reconnaître que pour un programme écrit en quatre jours, celui-ci est ambitieux et cohérent ! Notamment sur les points que vous soulignez. Le SMIC à 1.600 euros net, je pense que c’est une nécessité absolue. Notamment parce qu’il y a beaucoup de nos compatriotes qui n’arrivent plus à faire le plein, et qui n’arrivent plus à manger trois fois par jour. Il y a une augmentation du taux de pauvreté très documentée. Il ne faut pas oublier que ces 1.600 euros, c’est pour des personnes qui sont à temps plein. Or une grande partie des smicards est à temps partiel. Ils tirent encore plus la langue. Je pense qu’il faudra envisager des mesures d’accompagnement pour les PME, pour lesquelles ce sera assez compliqué de mettre en place rapidement ce SMIC. Je plaide depuis longtemps pour une augmentation des salaires et la manière la plus sûre d’y parvenir est d’augmenter ce salaire minimum. Je plaide également depuis quelques mois pour une indexation des salaires au voisinage du SMIC. Dans le programme « du nouveau Front populaire », on aurait une indexation intégrale. Je ne suis pas super enthousiaste là-dessus. Mais l’indexation est seulement dangereuse quand on est proche du plein-emploi. Dans les conditions actuelles, on a de la marge, sur ce point, en France. Et l’indexation, en place en Belgique, n’y n’a pas généré de l’inflation ces derniers mois. Les Belges sont même en déflation. L’augmentation du SMIC va au demeurant permettre de faire rentrer des sous dans les caisses de l’assurance chômage et de l’assurance-maladie, en raison de la hausse des cotisations. Il faudra pour financer cela réorienter une partie des 160 milliards d’euros annuels d’aides aux entreprises.

L’augmentation du SMIC à 1600€ et le retour de la retraite à 60 ans sont parmi les mesures phares du « Nouveau Front Populaire » lancé par les partis de gauche

Sur la retraite à 64 ans, je comprends le symbole politique de vouloir l’abroger tout de suite, pour redonner de l’espoir. Néanmoins, c’est quelque chose qu’il faudra financer rapidement. Je me suis opposé à la dernière réforme des retraites. Maintenant, pour financer le retour à 62 ans, voire 60 ans, il faudra établir tout de suite les impôts et taxes qui vont avec.

Les 14 tranches d’impôt, c’est une excellente chose. La taxe sur l’héritage également car en France, plus qu’ailleurs, il y a des inégalités encore plus violentes sur les stocks (patrimoines) que sur les flux (revenus). Le patrimoine est la principale cause d’inégalité : les 10 % les plus fortunés possèdent 46,4 % de l’ensemble du patrimoine des ménages[1] ! Les taxes progressives sur l’héritage, c’est quelque chose que je défends depuis longtemps – je l’ai même fait dans le magazine « Challenges »[2]. Il serait normal et juste que les petits patrimoines continuent de ne pas payer de droits de succession, mais que plus le patrimoine est gros, plus les héritiers paient.

Mais un retour à la retraite à 60 ans n’est pas l’urgence économique pour moi à très court terme. Le plus urgent, c’est le retour des services publics dans les zones délabrées, parce que c’est le premier déterminant du vote pour le Rassemblement national. Les travaux empiriques sont assez clairs. Il y a un manque des profs à l’école, dans les collèges, à l’Université. Les services publics ne sont plus là, il n’y a pas de gare, de poste, etc.

Le prix plancher pour les agriculteurs est une excellente proposition. Je reconnais là la patte d’Aurélie Trouvé, qui est une spécialiste de la question agricole, rappelant souvent dans ses travaux, ses interventions, en tant qu’ingénieure agronome, que cette mesure existait dans la PAC, dans les pays capitalistes d’Europe donc, et non pas en URSS. Il y avait un prix plancher et un prix plafond sous les premières PAC. Cela a été supprimé dans les années 90. Ces prix plancher répondent aujourd’hui à une revendication des agriculteurs, à savoir : pouvoir vivre de leur travail et non pas de subventions. C’est quelque chose qu’on entend régulièrement, y compris chez des gens de la FNSEA, qui ne sont pas des gauchistes. Il y avait certes, des problèmes dans l’agriculture avant les années 90. Mais nous n’en étions pas au point de recenser un suicide d’agriculteur tous les jours, comme c’est le cas en France aujourd’hui ! On n’avait pas cette situation désastreuse où les agriculteurs ne vivent que des subventions, et sont littéralement poussés à faire de l’agriculture intensive pleine de pesticides. Avec un prix plancher, il y avait la possibilité de se projeter sur 5 ans, sur 10 ans. Un tel outil permet de réorienter l’agriculture vers quelque chose de plus local, de beaucoup moins intensif en matière de pesticides, avec aussi des barrières douanières sur des produits qui ne respectent pas nos normes environnementales et sociales. Cette mesure-là, en plus d’être nécessaire, elle est réaliste. Pour moi, c’est juste le retour de la raison.

Les prix planchers pour les agriculteurs, une mesure urgente et tout à fait réaliste présente dans le programme du « nouveau Front Populaire » selon Dany Lang

Le blocage des prix fait, lui, l’objet de discussions assez controversées. Ça peut créer des pénuries sous certaines conditions. Cela étant dit, le gros problème est qu’un certain nombre d’industries, dans la grande distribution, ont profité de la situation d’inflation ces deux dernières années pour augmenter leurs marges, au-delà de l’augmentation des coûts de production. Le blocage des prix est toujours une mesure temporaire. C’est une bonne idée pour faire face à l’inflation, mais celle-ci est en train de se tasser. Le gros problème que vont rencontrer un certain nombre de ménages, ce n’est pas l’inflation de cette année qui devrait se situer autour de 2,5 %, ni celle des années à venir, mais l’inflation passée. Il faut rappeler qu’elle a été autour de 22% pour les produits agro-alimentaires. La facture au supermarché a augmenté en moyenne de 22% !  Comment remédier à ça ? Je pense qu’il faut remettre les acteurs des négociations autour de la table et dire clairement aux industriels qui ont augmenté leurs marges qu’il faut revenir à des marges plus raisonnables sur un produit, quitte à envisager des mesures de rétorsion. L’État va devoir se mêler de ça parce que certains ménages n’arrivent plus à payer leurs factures. L’augmentation du SMIC les aidera un peu, mais quand même, il ne faudrait pas se contenter de bloquer les prix. Pour certains produits de première nécessité, il faut envisager de les baisser.

Est-ce que le budget du programme, estimé par la députée socialiste sortante Valérie Rabault à 106 milliards d’euros, est suffisant pour à la fois stimuler l’activité économique et réduire le déficit public selon vous ? Ne risque-t-il pas d’être torpillé par les instances européennes, par simple opposition idéologique ?

Il faut souligner, une fois de plus, que c’est le seul programme chiffré parmi les programmes des 3 grands blocs. Par le passé, la droite reprochait toujours à la gauche de ne pas chiffrer ses programmes. Le RN chiffre son programme avec ses pieds. Et de toute façon, ce dernier change chaque jour. Et puis Macron, qui a pourtant encore une grande partie de l’intelligentsia dominante derrière lui, ne semble pas non plus prévoir de sortir un chiffrage. Ce n’est vraiment pas sérieux !

Les gens qui sont proches de « la France insoumise » ont beaucoup de défauts, mais ils savent chiffrer sérieusement. Ce qu’il faut redouter, c’est la Commission européenne qui risque de tout bloquer, et de faire rentrer la France dans une procédure de « déficit excessif ». Il va falloir négocier ça sérieusement avec les gens de la Commission, sans rien lâcher. Il faut éviter l’effet Syriza, où l’on se voit contraint de faire le tournant de la rigueur avant même d’avoir fait un peu de relance. Ce serait un cauchemar parce qu’après ça, le RN serait installé à coup sûr en France pendant plusieurs années – il y a des travaux qui montrent le lien très clair entre austérité et vote pour l’extrême droite.

Est-ce que le lancement d’une procédure pour « déficit excessif » contre la France, de la part de la Commission européenne, ce 19 juin, peut être vu comme une provocation en pleine période électorale ?

Je n’irais pas jusque-là. Il y a d’autres pays qui sont visés aujourd’hui par ce type de procédure, cela a été annoncé en même temps. Mais il est vrai que ce n’est pas très habile de la part de la Commission de nous sortir ça maintenant. Il faudrait vérifier si cela devait paraître maintenant dans le calendrier officiel ou si cela pouvait attendre 15 jours de plus. Cela contribue clairement à augmenter l’instabilité politique et économique dans ce pays, et à décupler l’incertitude, ce qui sont les dernières choses dont on a besoin dans la situation actuelle. Personnellement, j’ai toujours dit que les critères de Maastricht, plus ceux ajoutés par les traités suivants, étaient du flan, qu’ils n’avaient aucune rationalité économique, et que le bon niveau de déficit et le bon niveau de dette étaient différents selon les pays, selon les besoins, selon la structure des populations. Sacraliser ces chiffres des traités est d’une absurdité sans nom.

« Il n’y a pas de bon niveau de dette ou de déficit et sacraliser ces chiffres par des traités est d’une absurdité sans nom » affirme Dany Lang

L’histoire des 3% de déficit par rapport au PIB, a été inventée sur un coin de table en 1982 entre M. Guy Abeille et Monsieur François Mitterrand, après que ce dernier lui a demandé d’inventer une règle pour les ministres trop dépensiers. Monsieur Abeille, qui était chargé de mission au ministère des Finances sous Valéry Giscard d’Estaing puis au début de l’ère Mitterrand, lui répondit trois, parce que c’était un chiffre répandu dans la culture judéo-chrétienne, et que ce ratio était de 2% à l’époque. Cela n’a rien de sérieux. Cela ne devrait pas être sacré ! Les priorités sont ailleurs. Aujourd’hui, on a besoin de remettre de l’argent dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les services publics, de remettre en œuvre des petites lignes de train, de prendre enfin le virage de la transition écologique. Toutes ces dépenses vont se traduire par une augmentation temporaire du déficit. Mais il ne faut pas avoir une vision statique des choses. Quand on mène ce genre de politique, il y a des rentrées fiscales derrière. Forcément, les entreprises vont mieux. Elles paient plus d’IS et plus de TVA. On ne peut pas raisonner pour l’économie comme pour un ménage. Un ménage endetté doit se serrer la ceinture, pour veiller à la tenue de ses comptes et à ne pas payer d’agios. Pour un État, c’est très différent. En tant que ménage, ce n’est pas parce que je vais dépenser plus que demain, que j’aurais plus de rentrées. Pour un État, au contraire, quand il dépense plus, il a plus de rentrées fiscales et cela d’autant plus que ces dépenses sont bien ciblées. N’oublions pas ça parce qu’on a tendance à entendre dans les médias mainstream qu’un État qui fait trop de déficits serait irresponsable. Ce raisonnement ne tient pas.

Il va falloir négocier avec la Commission, en raison des traités que nous avons signés qui, au fond, sont délirants. Comme si le déficit et la dette étaient des choses absolument dramatiques, alors qu’en fait, les vraies priorités des politiques économiques devraient être un chômage bas, une population bien éduquée, un taux de pauvreté en constante diminution, une inflation raisonnable, un environnement vivable. L’exemple italien sous M. Conte en 2018 montre qu’une telle négociation est possible. À l’époque de la coalition du « Mouvement 5 étoiles » et du mouvement de M. Salvini, l’Italie risquait une procédure de « déficit excessif ». Ils ont obtenu que cela se calme, pour mettre un terme à l’instabilité politique du pays. Mieux encore, ils ont pu dépenser, créer l’équivalent du RSA. C’était dans le programme du « Mouvement 5 étoiles ». Cela a été fait, puis supprimé hélas par le gouvernement de Mme Meloni.

A contrario, quel regard portez-vous sur le programme économique du Rassemblement national ? Est-il d’ailleurs grandement différent de celui du camp présidentiel ?

C’est dommage qu’il n’y ait plus « Les Guignols » car en ce moment, on aurait chaque jour le tirage du Bardella ! On fait tourner la roue et on tombe sur le Bardella du jour, la promesse sur laquelle on revient, la promesse qu’on remet en jeu. Si ce n’était pas l’extrême-droite, on en rirait !

Abrogation de la réforme des retraites reportée, ou TVA à 0% décalée, le RN va de renoncements en reniements quasi quotidiens depuis le 9 juin dernier

Sur la comparaison entre les deux programmes, j’avais écrit en 2022 une note pour les Économistes Atterrés, avec Virginie Monvoisin, indiquant que le programme d’Emmanuel Macron et celui de Marine Le Pen sont les deux faces d’un même néolibéralisme. Pour avoir étudié ces programmes depuis un moment, le programme du RN de 2022 était déjà beaucoup moins social qu’en 2017, qui était un programme assez néolibéral, même s’il y avait des bouts de social contradictoires avec le reste. Le programme de 2022 était clairement devenu d’inspiration néolibérale. Il prévoyait par exemple, une baisse de 10% des cotisations sociales pour augmenter les salaires. Ce qui veut dire concrètement moins de rentrées pour la Sécu ou la retraite. En clair c’était un faux cadeau aux salariés, puisqu’ils auraient dû payer davantage pour les mutuelles et accepter de voir baisser les pensions. Aux dernières nouvelles, à moins que Jordan Bardella ne l’ait remise dans le programme, c’est oublié aujourd’hui.

Dans le programme du RN, il y a aussi la baisse des taxes sur l’énergie. Je ne suis certes pas fan de ces taxes, ni de la TVA, qui pèsent très lourd dans le budget des ménages modestes et des classes moyennes. Mais si vous baissez les taxes sans bloquer les prix, ça va juste augmenter les superprofits de Total et compagnie. Total, la pauvre petite entreprise, a bien besoin d’aide en ce moment ! Baisser les taxes sur l’énergie, ça a l’air sympa, à première vue, mais si les entreprises ne sont pas obligées de répercuter cette baisse, cela se traduira par une hausse des profits. On a eu une expérience récente de ce genre, en France, avec la baisse de la TVA sur la restauration sous M. Sarkozy. C’est surtout allé dans la poche des restaurateurs. Si vous baissez les taxes dans un domaine, sans bloquer les prix et sans obliger les entreprises à répercuter cette baisse, les actionnaires seront très contents !

Pour la retraite, on ne sait plus. Un jour, c’est renvoyé aux calendes grecques. Le lendemain, c’est remis à aujourd’hui. Le surlendemain, le discours change encore. Le problème est qu’on ne sait pas comment ils financent le retour souhaité à 62 ans. Il n’est pas question d’augmenter les salaires. Donc pas d’augmentation de cotisations sociales. Alors comment?

Une des seules mesures auxquelles ils ne renoncent pas dans leur programme, c’est la privatisation de l’audiovisuel public. Ils l’ont chiffrée eux-mêmes à trois milliards d’euros. Ce n’est pas avec ça qu’on finance le retour à la retraite à 62 ans. Cela veut dire qu’ils vont encore plus étatiser le système des retraites, alors que c’est normalement au patronat et aux syndicats de prendre ce genre de décision, ce système étant payé grâce aux cotisations. Les gens du RN sont donc dans la continuité de la politique menée par Macron depuis 2017, à savoir étatiser la protection sociale.

Pour financer leur programme, ils ont avancé l’idée de lutter contre la fraude sociale. La fraude sociale, c’est, au grand maximum, 1,5 milliards d’euros par an. Il n’y a pas là de quoi promettre des lendemains qui chantent ! Vous ne financerez pas un programme avec ça. Ils veulent faire croire que si ça va mal, c’est à cause de cette fraude là. Le hic, c’est que si cette dernière représente entre 1 et 1,6 milliard d’euros par an, tandis que la fraude fiscale est estimée entre 60 et 100 milliards d’euros annuels. Récemment, Monsieur Jacobelli, député RN, a annoncé vouloir lutter contre la fraude fiscale et sociale, en les mettant sur un même plan, comme si c’étaient les mêmes niveaux !

Il y a eu quelques efforts de lutte contre la fraude fiscale sous Macron, ces dispositifs peuvent et doivent être améliorés. Mais j’imagine pas le RN mener une lutte contre la fraude fiscale. Cela n’a jamais été leur philosophie.

« La fraude sociale, c’est seulement 1,5 milliards d’euros par an. La fraude fiscale est estimée entre 60 et 100 milliards d’euros annuels. Mais la philosophie du RN n’est pas de s’attaquer à ça »

Là où le RN est cohérent, c’est dans sa volonté de mettre en œuvre des mesures racistes. Pour eux, il y a des fraudes qui sont plus graves que d’autres parce qu’elles sont commises par des pauvres « de couleur ». Je pense qu’il est important à ce stade de donner les montants. Fraude au RSA: 800 millions d’euros par an. Fraude aux arrêts maladie: 149 millions d’euros par an. Fraude aux prestations familiales: 119 millions d’euros par an. Je ne dis pas que c’est tolérable. Il faut lutter contre parce que ça décrédibilise le système, parce que c’est injuste pour ceux qui jouent le jeu, parce que notre système social est déjà très dur pour les gens qui sont en bas de l’échelle sociale. Mais cela reste budgétairement marginal. En parallèle, regardons les chiffres de la fraude fiscale. Fraude à l’impôt sur les sociétés : 27 milliards d’euros par an. Fraude aux cotisations sociales de la part des entreprises: 14 milliards d’euros annuels. Fraude à l’impôt sur le revenu: 17 milliards d’euros par an. On voit bien que c’est là qu’il faut frapper.

Cette semaine, BFM business a révélé que les dirigeants du RN ont rencontré les grands patrons, pour leur assurer qu’ils n’allaient rien faire. Les promesses du RN sont du vent, et ils y reviennent dessus chaque jour. Il y a sans doute des gens qui votent RN parce qu’ils se sentent perdus, parce qu’ils croient en leurs promesses économiques. La seule chose qui ne change pas, c’est le racisme qui est systémique et qui transpire à la lecture de ce programme, au point que ces gens sont prêts à provoquer des épidémies en supprimant l’aide médicale d’État ! C’est tellement facile, en période de crise, de pointer du doigt des individus, de les présenter comme la cause de tous les maux. Et pourtant, tous les travaux économiques sérieux montrent clairement que les immigrés rapportent davantage à la sécurité sociale que ce qu’ils lui coûtent – il s’agit d’un des rares résultats consensuels en économie !

Pour en revenir à l’économie, ma crainte, c’est le grand retour de l’austérité budgétaire avec Jordan Bardella, une austérité d’autant plus dure qu’elle sera mise en œuvre par un État policier. Et les premières victimes de l’austérité sont, essentiellement, les classes moyennes inférieures et les ouvriers. Ce qui est ironique, quand la majorité des employés et des ouvriers votent RN.

Si le RN passe, indépendamment de la catastrophe morale et civique, c’est surtout une catastrophe économique qui nous attend, dont le cœur de son électorat sera la première victime.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Dany Lang est économiste, maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord, membre du collectif les Économistes Atterrés. Il est coauteur de l’ouvrage collectif des Économistes Atterrés Macron, un mauvais tournant (Les liens qui libèrent, 2018)


[1] Chiffre 2021. Source : https://www.inegalites.fr/IMG/pdf/rapport_sur_les_inegalites_2021_-_l_essentiel_-_c_observatoire_des_inegalites.pdf

[2] https://www.atterres.org/il-faut-revoir-la-fiscalite-sur-les-successions/

6 Commentaire(s)

  1. Ouf ! le programme du NFP est « socialement » au-dessus de celui des deux extrême-droites crypto-coalisées que sont les RN-EM.

    Hollande et Glucksman vont pouvoir, encore, faire semblant de le soutenir face à cette crypto-coalition d’extrême-droite qui « probablement » va remporter ces élections.

    On se souviendra que Hollande est le spécialiste des félonies politiques, des promesses non-tenues :

    – « mon seul ennemi c’est la finance » et on a vu ce que ça a donné.
    – « j’ai signé les accords de Minsk, mais en sachant pertinemment que je ne les respecterai pas ».

    Comment peut-on encore accepter de bosser, de s’allier avec une telle crevure ? C’est de la COMPLICITE, consciente et assumée, dans la trahison !!!! Assumée.

    Accepter que la trahison, le mensonge, soit une norme politique, c’est absolument dégueulasse. Hollande devrait être définitivement banni du landernau politique.

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