« Netanyahu espère peut-être attirer l’Iran dans une réplique qui lui permettrait de recoller avec les États-Unis »

02/08/2024

Alors que le Pentagone a annoncé hier, 1er août 2024, une attaque imminente de l’Iran contre les intérêts israéliens en réplique à l’assassinat du chef politique du Hamas sur son sol, l’inquiétude ne cesse de gagner les chancelleries du monde entier. Ce soir, Pascal Boniface, fondateur de l’IRIS et spécialiste du Proche-Orient, répond aux questions de QG sur la stratégie extrêmement risquée du pouvoir israélien dans cette affaire, et évoque au passage l’interdiction d’antenne croissante dans les médias français des défenseurs de la cause palestinienne.

Pas de trêve olympique pour Israël. Les bombardements se sont poursuivis tout le mois de juillet sur la bande de Gaza et les « frappes ciblées » au Liban et jusqu’en Iran, tuant Fouad Chokr et Ismaïl Haniyeh, respectivement chef militaire du Hezbollah et leader politique du Hamas, suscitent de nombreuses inquiétudes sur la scène internationale, faisant craindre à une escalade imminente dans l’ensemble du Proche-Orient. Selon les informations du New York Times, une réplique sanglante aurait déjà été actée par le pouvoir iranien. Dans un entretien accordé ce jour à QG, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), estime que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu joue l’escalade afin de se maintenir au pouvoir, garder le soutien des pays occidentaux, à commencer par les États-Unis, quitte à ne pas toujours mettre en priorité la libération des otages. Interview par Jonathan Baudoin

Pascal Boniface, géopolitologue, fondateur de l’IRIS, dans « La France malade du Proche-Orient », avec Aude Lancelin sur l’antenne de QG, en novembre 2023

QG: Quel regard portez-vous sur les frappes israéliennes au Liban puis en Iran, tuant Fouad Chokr, chef militaire du Hezbollah libanais, et Ismaïl Haniyeh, leader politique du Hamas palestinien?

Pascal Boniface : On peut dire que Netanyahu joue l’escalade, dans la mesure où en tuant Ismaïl Haniyeh, il ferme la porte à des négociations avec le Hamas sur la libération des otages, auquel ses deux partenaires au gouvernement, Ben Gvir et Smotrich, sont violemment hostiles. Au Liban, des dirigeants occidentaux, y compris américains, lui avaient demandé de ne pas frapper Beyrouth. Il n’a pas suivi cela. Il prend le risque de distendre un peu plus la relation avec Joe Biden, et probablement encore plus avec Kamala Harris, parce qu’il joue le temps court et qu’il espère que Trump va gagner l’élection.

Ce qu’on peut dire aussi, c’est que jouer l’escalade est la meilleure façon de se maintenir au pouvoir. Les familles d’otages et certains membres des services de renseignement, de sécurité israéliens, estiment que sa survie politique comme Premier ministre compte plus, dans les décisions qu’il prend, que l’avenir à long terme d’Israël, ses alliances, et la libération des otages.

Peut-on dire que pour Benjamin Netanyahu, la vie des otages israéliens importe peu?

En tout cas, il ne la prend pas en considération. Quand il a lancé les frappes sur Gaza, l’objectif affiché était la libération des otages et l’éradication du Hamas. Au bout de 10 mois, à quelques exceptions près, des otages ont été libérés à la suite de négociations, et non pas suite aux bombardements, et le Hamas n’est toujours pas éradiqué. C’est ce que lui reprochent certains membres de familles des otages. La libération des otages passe assez loin dans le rang de ses priorités.

Faut-il craindre une « dangereuse escalade » imminente au Proche-Orient, comme le souligne le secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres?

Oui. À chaque fois, on dit que les acteurs vont être raisonnables, qu’ils ne vont pas passer la limite. Mais celle-ci est reculée de plus en plus chaque fois. Il y a eu des frappes sur l’Iran, sur Beyrouth. Le calcul de Netanyahu est que si l’Iran réagit contre Israël, les pays occidentaux qui commencent à émettre quelques murmures de protestation contre son action à Gaza, se rallieront à Israël ; comme on l’a vu lorsque l’Iran a voulu frapper le territoire israélien, tous les pays occidentaux ont alors fait front commun pour défendre Israël. C’est ça que Netanyahu opère comme calcul. Peut-être qu’il espère attirer l’Iran dans une réplique, lui permettant de recoller un peu les liens avec les États-Unis, et les pays européens.

Est-ce que des pays membres de la Ligue arabe, comme l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan ou le Maroc, qui ont opéré des rapprochements diplomatiques avec Israël ces dernières années, peuvent empêcher ladite escalade et sont-ils même encore considérés comme des soutiens de la cause palestinienne?

Ce qui est certain, c’est que l’offensive israélienne a un peu gelé les relations avec ces pays, qu’elles ne se développent pas normalement et que ces derniers sont très gênés parce qu’ils ont opéré une opération de rapprochement avec Israël, au moment même où ce dernier commettait les actes les plus horribles à l’égard des palestiniens. Or les populations de ces pays, notamment au Maroc, soutiennent la cause palestinienne. Au Bahreïn, la population ne peut par contre pas trop se faire entendre. Les Émirats sont très gênés. Le Soudan, étant soumis à une guerre civile interne, a d’autres préoccupations que ce qui se passe en Israël et en Palestine.

Et j’ajouterais: quand on voit que même les États-Unis n’ont pas d’influence sur Israël, on imagine que ces pays, qui ont signé un traité de paix avec Israël, ne peuvent pas espérer en avoir une.

Est-ce qu’en cas de riposte, notamment de l’Iran, cette initiative israélienne contraindra les États-Unis à soutenir mordicus leur allié?

Oui. On l’a vu quand l’Iran a répliqué suite au tir israélien dans des établissements diplomatiques iraniens à Damas, les États-Unis, qui n’avaient pas condamné la frappe israélienne, ont condamné la frappe iranienne, ainsi que les européens. Disons que la nature du régime iranien, les relations difficiles, voire hostiles, qu’ont les pays occidentaux avec l’Iran, fait que l’Iran est un parfait repoussoir. Ce qui n’est pas le cas du Liban. Si Netanyahu frappait plus durement le Liban, les pays occidentaux, notamment les États-Unis et la France, devraient prendre plus de distances, du fait de leurs liens avec le Liban. Mais avec l’Iran, on a un adversaire commode pour Israël, car c’est l’ennemi parfait pour les pays occidentaux.

Dans une vidéo que vous avez publiée, vous indiquez ne plus être invité dans l’émission du service public « C dans l’air » concernant la guerre israélo-palestinienne. Au-delà de votre cas personnel, est-ce que cela signifie qu’émettre une position qui n’est pas pro-israélienne est désormais un tabou dans le débat public en France?

Ce n’est pas un tabou, mais c’est difficile. Des gens comme Rony Brauman, Dominique Vidal, Alain Gresh, sont désormais interdits d’antenne. J’ai encore quelques endroits où je peux aller, mais dans d’autres, non. Je n’ai jamais vu de personnes avoir de tels problèmes pour avoir soutenu l’action israélienne. J’observe que les gens qui dénoncent l’action israélienne et les crimes de guerre qui sont commis là-bas, sans même ouvrir des débats sur le génocide, ont des difficultés à pouvoir s’exprimer. Je constate aussi que beaucoup de gens ont un discours privé et un discours public tout à fait différent. Certains sont très critiques de l’action israélienne en privé, mais en public n’émettent pas les mêmes critiques.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Image d’ouverture: Le chef d’état-major général de l’IDF, Herzi Halevi, menant une évaluation de la situation au centre des opérations de l’armée de l’air israélienne à Kirya en 2024

Pascal Boniface est géopolitologue, Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut Écoles européennes de l’Université Paris 8. Il est notamment l’auteur de Geostrategix (avec Tommy, livre I et II, éditions Dunodgraphic) Comprendre le monde : Les relations internationales expliquées à tous (éditions Armand Colin), de 50 idées reçues sur l’état du monde (Armand Colin) et de L’art de la guerre, de Sun Tzu à Xi Jinping (Dunod). Il a également un blog d’analyses (http://www.pascalboniface.com/) et une chaîne Youtube (Comprendre le monde)

1 Commentaire(s)

  1. J’ai toujours apprécié Pascal Boniface et je suis outrée qu’il soit écarté ainsi. Je le soutiens, son discours et ses écrits sont la voix de la vérité et de l’humanisme.
    Il est vrai que tout le monde commence à savoir que ce qui mène notre pays est sous influence totale des lobbys qui sont tous de connivence, alors peu de surprises mais que de déception et de découragement.
    Courage Monsieur Boniface ainsi que pour vos collègues qui subissent le même sort que vous.

Laisser un commentaire