« La police est d’abord l’outil des dominants ou des possédants »

15/11/2024

Surveillance accrue des populations, scission entre le peuple et les forces de l’ordres, police française aux méthodes de plus en plus violentes, dans Global Police, passionnante bande dessinée publiée aux éditions Delcourt/Encrages, le dessinateur Florent Calvez et Fabien Jobard reviennent sur l’histoire, l’évolution et la place de la police dans nos différentes sociétés mondialisées. Directeur de recherches au CNRS, ce dernier a travaillé sur la question des violences policières et a publié à ce sujet des travaux reconnus mondialement. Pour QG, il revient sur les questions de fond qui hantent l’institution policière à travers le monde

Nouvelle tête à Place Beauvau, nouvelles dérives sécuritaires. Bruno Retailleau, issu de la frange très droitière des Républicains et nouveau ministre de l’Intérieur, a rapidement annoncé la couleur : ses policiers sont presque ses “enfants”. Une relation entre pouvoir et police qui s’est forgée au fil des siècles. De Londres à Paris en passant par Amsterdam, Fabien Jobard et le dessinateur Florent Calvez reviennent sur l’histoire de la police à travers le monde, sa relation avec les pouvoirs publics, la société civile et les technologies dans une BD passionnante parue aux éditions Delcourt: « Global Police« . Pour QG, Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des questions policières, revient en profondeur sur la naissance du maintien de l’ordre, l’arrivée d’un Nicolas Sarkozy à la tête de l’État en 2007 grâce à son alliance avec les syndicats de police, ou encore les conséquences possibles d’une arrivée prochaine du RN au pouvoir. Notre journaliste Thibaut Combe l’a rencontré

QG: Vous ouvrez votre BD par une situation d’intervention d’un policier en “danger”, suivie d’une discussion où ce même policier et son frère débattent de la police et de son image négative.Le lecteur est plongé immédiatement dans le quotidien de la profession. C’était votre but ?

Fabien Jobard : Oui, absolument. J’ai voulu qu’on entre vraiment dans la réalité du métier. Contrairement à ce que l’on à voir, les policiers s’occupent peu de manifestations et de terrorisme en réalité. Et assez peu aussi, en fait, de délinquance. Leur quotidien, c’est la misère sociale et des situations extrêmement difficiles à démêler, car ils se retrouvent pris au milieu des conflits qui sont souvent des conflits privés. Je voulais qu’on rentre dans cette réalité de la manière la plus immédiate possible, avec un double mouvement: leur exposition brute à la misère sociale et cette discussion en famille, qui est une situation que tous les policiers ont vécu, qu’ils connaissent forcément. Le policier s’éloigne de son frère, qui le rejette, et c’est tout un corps professionnel qui se referme sur lui-même, qui devient étranger à la société, alors qu’il en est au cœur.

Une des planches de « Global Police », BD de Fabien Jobard et Florent Calvez, éditions Delcourt/Encrages

QG : Vous expliquez que la police, avant sa naissance, c’était quelques personnes qui protégeaient les intérêts des possédants, notamment à Londres. La police est avant tout une construction de la bourgeoisie pour maintenir l’ordre, et protéger ses biens ?

La police est d’abord l’outil des dominants ou des possédants. On protège leurs biens, on garantit leur protection contre ceux qui en veulent à leurs possessions. En cela, la police prolonge les milices bourgeoises, formées des notables des bourgs (les bourgeois), qui portaient l’épée et défendaient les leurs. Avec la police, au début du XIXe siècle, l’Etat s’approprie une fonction qui était une fonction privée. La sécurité du capitalisme industriel, c’est d’abord la sécurité des lieux de production, entièrement dans les mains des patrons et de leurs nervis, ce qu’on appellerait aujourd’hui la sécurité privée. Et cette police en uniforme qui est créée dans les années 1820 va d’abord faire la police des zones frontières, pour assurer l’étanchéité entre quartiers ouvriers et quartiers bourgeois. Elle récupère aussi la fonction d’hébergement et de mise au travail des pauvres. Peu à peu, elle pénètre ces zones ouvrières et contribue à la diffusion de la justice et du droit dans des couches qui en étaient très éloignées. En Angleterre, l’article historique le plus connu sur l’expansion du modèle du  Bobby dans les zones ouvrières, s’appelle « The Policeman as Domestic Missionary » (1976). Il montre comment le policier diffuse les normes urbaines, civiles, de comportement : ne pas cracher, ne pas jurer, ne pas se battre, ni organiser de combats (d’hommes, de coqs ou de chiens).

Les « Bobbys » sont les policiers anglais, intégrés à la société dès 1828. Leur mission est aussi sociale avec l’éducation à la justice, au droit ou encore la mise au travail de la classe ouvrière.

QG: Vous pointez du doigt le fait que l’ordre et la police, telle que l’Occident l’entend, ont été exportés dans les colonies et ont remplacé les milices et communautés qui assuraient la sécurité. Y a-t-il un rapport entre la peur de la décolonisation dans ces pays et cet import du maintien de l’ordre occidental?

Dans les colonies, les polices occidentales européennes ont été exportées d’abord sous une forme militaire. Leur mandat était de seulement protéger les colons blancs et les lieux de commerce. Dans les colonies de comptoir, on assure la protection des lieux de commerce et des ports. Dans les protectorats, la police est là pour assurer la sécurité des quartiers blancs, rien d’autre. Le cas de l’Algérie est très particulier. C’est une colonie de peuplement, avec trois départements français, des préfectures, des sous-préfectures, des polices urbaines, la gendarmerie. Il y a des forces de maintien de l’ordre et des forces militaires. C’est une colonie de peuplement, donc la police coloniale n’est pas d’abord une police d’oppression, mais une police de protection des blancs et de règlement des conflits internes aux blancs, de mise à distance  des populations locales.

QG: L’anti-communisme justifie d’avoir recours à d’anciennes recrues nazies, et à une militarisation de la profession notamment en Allemagne. L’autre élément essentiel est la décolonisation qui va justifier l’importation de méthodes militaires, surtout en France

À Paris, plus on monte dans la hiérarchie policière et plus on a un anti-communiste très fort. L’idée est que on ne va pas se faire bouffer par la « banlieue rouge » et les menées du Parti. Mais très vite, dès la fin des années 50, il y a le conflit algérien qui s’exporte en métropole avec le FLN. La police parisienne est en quelque sorte régie par l’état d’urgence prononcé en 1961 et a les mains libres pour répondre à cette guerre sur le sol parisien et en proche banlieue. Mais dans les années 1920, il y avait déjà une brigade de police exclusivement consacrée aux Arabes, la « brigade nord-africaine ». Après la guerre, la Préfecture demande sa re-création aux parlementaires, mais la guerre et la déportation des juifs sont passées par là, c’est évidemment impossible. La France a signé des conventions internationales sur les droits de l’homme, en quelque sorte : ça ne se fait plus. Alors la Préfecture de police créée une brigade dite « des agressions et des violences », qui en réalité va, elle aussi, se consacrer exclusivement aux citoyens arabes, avec déjà des supplétifs algériens chargés de seconder les policiers français dans leurs missions de surveillance, de fouille, d’arrestation ou de descente dans les lieux de vie du quotidien. Tout ceci se mêle pour faire de la Préfecture de Police un bastion de police obsédé par « la question nord-africaine ».

QG: En France, le maintien de l’ordre est aujourd’hui très brutal, les expressions populaires sont matées et réprimées durement dans la rue. De quand date ce basculement ?

Il y a eu un mouvement en deux temps. Le premier à la fin des années 1990 avec un affrontement gauche-droite qui devient de plus en plus centré autour des questions de sécurité et de police, ce qui est dû à plusieurs causes. La première, c’est que les derniers à avoir eu des idées fortes en matière économique sont la gauche avec les 35 heures. Ensuite, la polarisation gauche-droite se fait moins socio-économiquement donc on est allé chercher ailleurs : la sécurité. On a eu les années 90 qui ont été un cycle de révolte dans les banlieues qui a été incessant à partir de Thomas Claudio à Vaulx-en-Velin, tué dans un accident avec la police. Les élections municipales de 2001 sont marquées par les émeutes qui se déroulent à Lille, avec la mort de Riad Hamlaoui, tué par un policier d’une balle en pleine tête. Enfin, on a eu la résurrection de la grande peur de « l’Arabe terroriste”, une figure policière consacrée depuis le FLN. Le 11 septembre 2001 amène la loi sur la sécurité quotidienne de novembre 2001. Elle intègre des éléments de prévention des violences à caractère terroriste : des rassemblements dans les halls d’immeuble jusqu’à la prise en chasse des avions civils. Ensuite, l’essentiel de la campagne électorale d’avril 2002 tourne autour de ces questions et Nicolas Sarkozy, qui est alors ministre de l’intérieur d’un président de la République qui le déteste, conquiert son autonomie, son indépendance et sa force, son « capital politique », grâce à l’allégeance qu’il prête aux syndicats policiers et à la constitution d’Alliance en clientèle. On a un encastrement des forces de droite et du syndicat policier Alliance, que ces forces avaient fortement encouragées à la fin des années 1990, qui devient très fort.

Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, a bâti tout son capital politique sur une ligne dure concernant la sécurité. Il sera élu président de la République en 2007, dans la foulée des émeutes de 2005

Quelles seraient les conséquences d’un Rassemblement National arrivant au pouvoir et gérant directement le ministère de l’Intérieur?

Tout dépend de ce qu’il veut faire du pouvoir. Si ce parti veut se notabiliser définitivement en s’installant au pouvoir, il va plutôt avoir intérêt à calmer les forces radicales ou extrémistes au sein de la police. Les policiers sont les fonctionnaires les mieux payés à l’heure travaillée en comptant les primes et indemnités, ils se tireraient une balle dans le pied en voulant renverser le système. La République est particulièrement « bonne fille » avec les policiers. En revanche si le RN est dans une dynamique de sortie de l’Europe, une dynamique orbano-trumpiste qui ferait sortir la France de la convention européenne des droits de l’homme (comme l’Angleterre après le Brexit), les extrémistes seront en position de prendre le pouvoir à l’intérieur de l’institution policière.

La France est pointée du doigt par l’ONU et la CEDH (Commission européenne des droits de l’homme) pour ses violences policières, mais aussi pour un racisme systémique au sein de l’institution. Pouvez-vous expliquer vos travaux sur la question, notamment sur l’héritage colonial au sein de cette profession?

Il y a un problème de racisme institutionnel, qui est un héritage de l’Histoire. Le propre du racisme  institutionnel, c’est qu’il est indépendant des préférences, des attitudes et des convictions individuelles des agents. Il signifie que si l’on expurgeait la police de tous ses agents racistes, sans doute la dynamique générale ne changerait pas. Envoyer une CRS en sécurisation et effectuer des contrôles d’identité parce qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose d’autre sur les ronds-points à la sortie des cités, sachant que dans les cités, ce sont essentiellement des populations migrantes ou des descendants de migrants est déjà du racisme institutionnel. Être citoyen blanc de centre-ville fait de la police une réalité très lointaine. En revanche, lorsque vous n’êtes pas blanc ou lorsque vous vivez dans les cités, vous êtes surexposés au contrôle. Et les réquisitions qui sont envoyées aux procureurs ne mentionnent pourtant jamais la couleur ou l’origine des gens. Le racisme systémique perdure parce que notre société est organisée en partie sur des clivages territoriaux, sociaux, qui recoupent des clivages raciaux ou des clivages d’origine nationale, hérités de la façon dont on a géré à la fois les demandes de main d’œuvre et les mouvements de population issus de la décolonisation. Donc, les policiers, qu’ils le veulent ou non, tant qu’on ne change pas la manière de faire la police, sont pris dans ce système. Néanmoins, il y a des choses qui bougent. Tant qu’on a une police des espaces publics qui fait de la police de basse qualité, de bas rendement, il ne faut pas se faire d’illusion, le racisme systémique irriguera les pratiques. Si on a une police qui vient au secours des populations les plus faibles au sein des couches sociales auxquelles elle ne s’intéressait pas il y a vingt ans, comme avec les violences intrafamiliales, on aura alors une toute autre police.

Souvent pointée du doigt, notre police a un usage de la force disproportionnée selon les instances internationales. En 2023, l’ONU avait notamment appelé la France à s’attaquer aux « profonds problèmes » de racisme au sein de nos forces de l’ordre

QG : Le corporatisme policier en France est souvent dénoncé, notamment depuis les Gilets jaunes. Néanmoins vous soulignez que les policiers ont un sentiment d’injustice qui contribue à les renfermer sur eux-mêmes. Ils se soutiennent entre eux, en ayant l’impression que personne ne les comprend. Pour autant, au sein de l’opinion publique politisée, demeure le sentiment de leur impunité, notamment dû aux dysfonctionnements de l’IGPN (la police des polices)…

Oui c’est un universel policier. La société n’est jamais assez reconnaissante à l’égard des policiers. Des Etats-Unis à l’Inde, en passant par l’Allemagne ou la France, c’est très clair. Il y a des pays dans lesquels ce sentiment-là est très vivement instrumentalisé par des forces politiques et il y a des pays dans lesquels ça reste une affaire interne à la police. La France se caractérise par une politisation de cette question-là, alors qu’en Allemagne la question reste propre à la police. Les dynamiques des partis politiques vont se greffer à ça, s’approprier la revendication et en faire l’un de leurs leviers politiques principaux. Sinon, je ne pense pas que l’IGPN soit faible. C’est sans doute les procureurs qui, bien souvent, ne poussent pas la curiosité très loin. L’IGPN est une institution plutôt crainte par les agents, je pense qu’il y a quelques raisons à cela.

QG: Vous expliquez que plus on apporte de technologies dans le vécu policier, de statistiques ou de science, plus les policiers souffrent. A-t-on remplacé le rapport humain, sa sensibilité, par des pratiques pas forcément souhaitées par les policiers eux-mêmes?

Absolument, c’était la fameuse politique du chiffre qui avait été développée par Nicolas Sarkozy sur le modèle new-yorkais de la police de William Bratton. On a poussé les policiers à des logiques de rendement qui étaient un peu contraires à une rationalité de hiérarchisation de l’importance des missions selon les demandes locales des habitants, des maires ou même des préfets. Il n’y avait plus aucune autonomie, au point que les mauvais préfets se faisaient convoquer par Nicolas Sarkozy, Place Beauvau. Nicolas Sarkozy avait un mantra où il disait : « l’état 4001« *. Il y avait 4 millions de faits de délinquance transmis au parquet et il disait, « Regardez, on est passé de 4 millions à 3 999 000, ça fait 1000 victimes en moins. » Or l’écrasante majorité de ces 4 millions de faits, c’étaient des atteintes aux biens. La politique du chiffre est une politique de l’affichage politique. Mais c’est aussi une politique de management, qui permet de faire au plus simple. Évaluer le travail policier, c’est récompenser les policiers et les policières lorsque rien ne se passe : les gens vont d’un point à un autre sans crainte, leurs biens sont protégés, les foyers sont tranquilles. Comment traduire cela en chiffres ? On ne sait pas récompenser aujourd’hui le policier qui évite le crime ou nourrit un sentiment de sécurité. Alors on se concentre sur les chiffres de la délinquance, qui sont les chiffres de la répression.

*L’Etat 4001 est un outil de mesure des forces de sécurités. Il recense tous les délits et crimes dans un tableau afin de mesurer des évolutions mensuellement. Dedans, 107 index répertorient par exemple vols, violences conjugales, ventes de stupéfiants ou homicides rapportés par la police ou la gendarmerie.

QG: La surveillance algorithmique fait de plus en plus son entrée en Occident. La Chine est le grand symbole de ce procédé dystopique. La France s’inspire-t-elle de ce modèle?

Le modèle chinois fait envie et peur en Occident. Et pourtant, tous les deux ans, il y a quelque chose qui se met en place en ce sens. Mais il faut voir ce que c’est que la Chine: un milliard 350 millions d’habitants, d’abord régis par une surveillance humaine (les concierges, les contremaîtres, les amicales de personnes âgées, les camarades du Parti….) et cette surveillance humaine est première en Chine. Le crédit social n’a jamais vraiment fonctionné, c’est un peu un fantasme occidental. En revanche, la Chine a promu cette dystopie comme modèle gouvernemental de surveillance des populations. Par ailleurs, si la Chine veut mettre les moyens, elle met les moyens et dans le Xinjiang, à l’égard des Ouïghours, elle met les moyens.
Le modèle qui est le plus proche du nôtre, c’est le modèle anglais avec les lectures de plaques minéralogiques, la surveillance algorithmique. Et les Anglais ont effectivement introduit la lecture des visages connectés aux fichiers, mais la police l’a interrompu. Les policiers attendent des heures dans un van de tomber sur un visage que le système va reconnaître pour, au final, qu’il détecte une femme qui n’a pas versé sa pension alimentaire, comme je le montre dans la BD, ce qui engendre un fort mécontentement du côté des policiers qui se vivent comme les exécutants d’un programme informatique. La CNIL a interdit la reconnaissance faciale en France. Et je pense que si cette reconnaissance faciale arrivait, alors, vous pourriez imaginer une reconnaissance faciale sur les cas les plus lourds de personnes recherchées pour crimes terroristes, etc.

QG : Un premier pas a tout de même été franchi avec la surveillance algorithmique. Vous pouvez-nous expliquer son fonctionnement ?

La surveillance algorithmique est une surveillance des mouvements de foules et de mouvements de personnes dans les foules. Une caméra repère des mouvements qui dérogent aux bonnes « marches ». Un individu qui s’arrête au milieu d’un flux, c’est suspect. Un autre qui change ostentatoirement de direction au milieu d’un flux, c’est suspect. Un gars qui titube au milieu d’un flux, c’est suspect. Alors, on envoie rapidement une brigade sur une personne qui a oublié ses lunettes et rebrousse chemin, ou sur deux personnes qui se battent. On comprend que les policiers, qui tiennent à leur capacité d’initiative sur le terrain, ne soient pas les plus grands supporters de ces technologies.

Le maintien de l’ordre en Angleterre est basée sur la discussion et le désamorçage des situations. Peu d’armes équipent les policiers britanniques sur le terrain

QG: Les mouvements de gauche évoquent la nécessité d’une police de proximité, dont la mission première est de remettre le rapport police-population au centre des opérations. Quelles sont les alternatives à la police actuelle?

La police de proximité est louable, mais ça commence à devenir un mot dont on ne sait plus très bien à quoi il renvoie. La police de proximité, pour quoi faire ? Est-ce qu’on paye vraiment des policiers pour être proche des gens ? Quand Nicolas Sarkozy est arrivé et qu’il a dit qu’être policier ce n’était pas jouer au foot ou au rugby avec les gamins, mais arrêter les délinquants, il a énoncé une forme de lapalissade contre laquelle il est difficile de se dresser. Car on paye (ou plus exactement : on devrait payer) des animateurs, des travailleurs sociaux, des éducateurs pour être proches des jeunes. Pas des policiers. Les municipalités l’ont compris : elles ont investi dans des polices municipales, des agents de médiations locales, des correspondants de nuit. A mon avis, une police qui accueille dignement des victimes d’infractions et qui offre des solutions, y compris des solutions non pénales à des infractions, avec des travailleurs sociaux en nombre pour accueillir les gens et les orienter dans son commissariat, permet une police de proximité sans police de proximité. Et cela serait plus efficace.

QG : Un modèle anglais basé sur le dialogue, sur le désamorçage des situations est-il souhaitable?

Pour le modèle anglais c’est des années de travail qui consistent à faire en sorte que l’information et le contact soient les meilleurs possibles entre les manifestants et les policiers. Il faut voir ce que c’est que manifester quand on a 16 ans aujourd’hui, et se retrouver face à des golgothes de 2 mètres, 2 mètres de haut, 2 mètres de large, équipés de flashballs et compagnie. On introduit en France une culture de la confrontation et de la rébellion intrinsèque à la manifestation. Et c’est tout à fait nocif.

Propos recueillis par Thibaut Combe

Fabien Jobard est directeur de recherches au CNRS (au CESDIP), spécialisé dans l’étude des polices dans le monde, et directeur du Groupement européen de recherches sur les normativités. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Police, questions sensibles (PUF, 2018) avec Jérémie Gauthier, de Politische Gewalt im urbanen Raum (De Gruyter, 2019) avec Daniel Schönpflug, de Politiques du désordre (Seuil, 2020) avec Olivier Filleule ou encore Bavures policières (La Découverte, 2002).

2 Commentaire(s)

  1. La discussion ? pourquoi pas ! Mais la vraie vie ce n’est pas que ça. Le dialogue, c’est un truc de la gôche de droite.
    Quand la vie devient invivable pour certains au profit d’autres qui se vautrent dans le luxe, ceux-ci vont opposer le « mérite » aux premiers.
    Sartre, le félon, dirait que les pauvres sont « libres et donc responsables » de leur pauvreté.
    Parfois, faut qu’ça cogne … des deux côtés !

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