« La drogue du pouvoir » par Harold Bernat

Le 22/11/2023 par Harold Bernat

« La drogue du pouvoir » par Harold Bernat

L’idée de démocratie telle que nous croyons l’entendre, à l’athénienne, est un leurre. Notre système ne ressemble en rien à une véritable démocratie. Soif de pouvoir, volonté de contrôle, soumission du peuple: voilà le trio gagnant de la société actuelle. Et d’ailleurs voulons-nous vraiment, nous aussi, autre chose? Ne méritons-nous pas ces sénateurs décadents qui ne pensent qu’à bouffer et à baiser, quitte à remplir les coupes de champagne de poudre euphorisante, le tout en crachant sur le peuple? Quid de notre envie véritable de collectif? Et du désir d’horizontalité que nous revendiquons fièrement? Le peuple semble hélas avoir développé une forme d’addiction à la dynamique qui le dépossède du pouvoir. Analyse aiguisée d’un système défaillant par Harold Bernat sur QG

Sommes-nous réellement démocrates? La lutte politique qui s’apparente bien souvent à vouloir conquérir le pouvoir de décider pour les autres, dans un monde où l’argent décide pour tous, s’interroge rarement. Pourquoi ? Pourquoi contester le pouvoir sinon pour le vouloir ? Quelle est la nature de ce vouloir ? Une compensation ? Un appétit de domination ? Une consolidation narcissique ? Un palliatif à l’ennui ? Une vengeance secrète ? Un désir d’en être ? Une conjuration de la mort ? Sommes-nous prêts à toutes les concessions, tous les tapins honteux, les mauvaises séductions et les mensonges éhontés que réclame nécessairement cette conquête ? Évidemment, quand on observe le personnel politique en fonction – les macronistes je n’en parle même pas – la réponse est évidente. Tapin honteux en entrée, mauvaise séduction en plat de fausse résistance, mensonges éhontés pour le dessert. Rails de coke, ecstasy et MDMA pour le café gourmand. Champagne pour tous avec, au fond de la coupe, la poudre euphorisante de la veille. Une connaissance, jadis électricien au Sénat, m’avait surpris par cette remarque brutale à l’heure de l’apéritif : « Tu sais, les sénateurs ne pensent qu’à bouffer et à baiser ». Une olive ? Simple remarque qui trouvera pourtant un certain écho dans les récents potins sénatoriaux. La conquête du pouvoir politique se résumerait-elle à ça ? Peut-être. On vote pour supprimer des aides sociales et taper sur les pauvres, en décidant à la place de celui qui sera concerné, mais là n’est pas la fin de l’histoire. Faire bander les rombières et mouiller les vieux flans, l’objectif est plus clair. Mélange des sexes et modernité pour les derniers ajustements.

Mais en ce qui nous concerne, nous qui luttons avec nos petits moyens contre les effets de cette malédiction du pouvoir, nous qui la dénonçons à nos heures perdues, alors que nous sommes au travail ailleurs, nous qui prétendons, peut-être à raison, faire mieux, où en sommes-nous au juste ? C’est ce point aveugle que je souhaite examiner ici. Il est certes pénible de se voir obligé par d’autres et l’ambition de décider par soi-même s’entend sans mal. On appelle cela l’autonomie ou la responsabilité. Mais il ne s’agit pas exactement de cela dans la conquête du pouvoir. Décider par soi-même n’est pas et ne sera jamais décider pour les autres. Vouloir se gonfler de pouvoir comme la grenouille de la fable, au-delà d’un âge où il serait autrement plus sage de cultiver son jardin en profitant de ses petits-enfants, c’est ce que l’on observe. A droite, à gauche, au centre, où vous voulez.

Décider par soi-même n’est-ce pas justement ce qu’il faut entendre par démocratie ? Alors il y a bien contradiction entre cette aspiration légitime d’autonomie et ce désir insatiable de vouloir décider pour les autres. Pire, pour leur bien. Il faut tout de même oser affirmer que l’on sait mieux que les autres ce qui est bon pour eux jusqu’à leur imposer la chose à grands coups de matraques et d’émissions télé. Combien de fois, dans ce contexte, ai-je pu constater, chez des démocrates en paroles, le peu de démocratie qui les animait en actes. La démocratie dans de grandes déclarations enflammées ; le pouvoir d’exclure qui ne se discute pas quand l’affaire devient sérieuse. Constatons que la démocratie, condition pourtant essentielle à la critique du pouvoir qui s’arroge le droit de décider pour les autres, est avant tout un jeu de signes. La sémiologie démocratique a ses mots de prédilection : débats, discussions, collectifs, horizontalité, participation, et bien d’autres. Les managers du nouveau monde manipulent même ces signes à la perfection. Qui s’oppose à un débat ? Qui n’est pas ouvert à la discussion ? Qui refuse d’entrer dans un collectif ? Qui ne promeut pas l’horizontalité ? Qui enfin crache sur la participation de toutes et de tous ?

Pourquoi ce double discours fonctionne-t-il si bien ? Mon hypothèse est la suivante : nous n’avons de cesse de maquiller notre peu de volonté pour l’autonomie, trop pénible, trop exigeante, trop coûteuse psychiquement, par un discours convenu sur la démocratie auquel au fond personne ne croit vraiment et qui n’engage surtout à rien. Nous parlons en démocrates, certes, mais nous restons fascinés par l’exercice autoritaire du pouvoir qui nous allège de notre propre responsabilité politique. Au fond, nous avons toutes les peines à être réellement responsables politiquement et à vouloir collectivement cette responsabilité. De là cette grande plainte chronique pour trouver l’homme ou la femme providentielle qui devra exercer le pouvoir, quitte à l’accuser ensuite de tous les maux. On cherche un dealer national. J’affirme, en ce sens, que nous méritons collectivement le type d’homme et de femme actuellement au pouvoir en France. Nous méritons ces sénateurs décadents qui ne pensent qu’à bouffer et à baiser, quitte à remplir les coupes de champagne de poudre euphorisante, le tout en crachant sur le peuple. Nous méritons cette présidence de l’assemblée nationale totalement creuse et méchante, bête sur le fond, stupide dans ses sorties. Nous les méritons parce que nous acceptons la fatalité de ce type de pouvoir, le type d’homme et de femme promu. Nous en sommes même drogués. Ils sont le résultat de notre pessimisme sur ces questions. Que voulez-vous, ainsi va le pouvoir politique. Difficile de guérir d’une addiction au fatalisme. Proposez par exemple, à la suite de Michel Clouscard, de remplacer cette assemblée inutile et parasitaire, le Sénat, par une assemblée populaire de travailleurs délégués. Une assemblée pas simplement représentative mais une véritable délégation. Vous et moi avec du roulement et du tirage au sort et vous constaterez que la démocratie, le type de responsabilité individuelle qu’elle engage, n’est pas en odeur de sainteté en France. Quantité de bons démocrates sur le papier crieront à l’irréalisme ou à la nécessaire stabilité du pouvoir politique contre de telles aventures jugées irresponsables. Ils veulent leur dose de pouvoir et le maintien en place de la ferme aux cochons. Curieux renversement tout de même. Ceux qui dénoncent l’irresponsabilité structurelle dans laquelle nous nous trouvons, nous rappellent au sérieux de la vraie responsabilité, celle du pouvoir justement, quand l’ordre en place se trouve menacé. Un ordre bourgeois de préférence. Parasitaire par vocation. Arrogant par principe. Faux par stratégie. Mais surtout profondément fataliste. C’est ainsi, que voulez-vous. Pour cette raison, nous finissons par accueillir tous ces discours ronflants sur la démocratie avec une ironie sarcastique qu’il est inutile de dissimuler. Nous n’y croyons pas tant que les pratiques de décision ne prouvent pas la réalité de ce qui est avancé dans des beaux discours. Nous voulons la cure pratique contre la drogue verbale.

L’enjeu est évidemment colossal. Nous ne pouvons pas contester un ordre profondément vicié et corrompu sans nous interroger individuellement sur ce que nous voulons, sur le type de responsabilité auquel nous aspirons. Aspirons-nous d’ailleurs à quelque chose ? Que voulons-nous dans nos luttes et nos combats politiques ? Le pouvoir ou la responsabilité ? La coupe de champagne chargée ou la liberté politique ? La bandaison et le mouillage encratiques ou une certaine idée de l’homme, responsable de ses œuvres, de ses errances, de ses réussites, de ses échecs. L’homme, toi, moi, lui, support et condition de sa propre déroute. Je dirais de la démocratie ce que Jankélévitch écrivait à propos de la philosophie pour ses états généraux en 1979 : la démocratie n’est pas un cadeau que l’on trouve tout emballé au pied du sapin de Noël. Elle est l’autre nom de notre responsabilité. Une responsabilité sans culpabilité. Le pouvoir qui sanctionne l’ordre en soi plus que l’ordre juste aura toujours tendance à faire jouer la culpabilité contre la responsabilité, la petite morale contre le politique. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons aujourd’hui au pouvoir en France une sorte de curaille, des prêcheurs de haine ou des distributeurs de bons points, des marchands de sacerdoces. Être démocrate, pour cette engeance, cette curaille vertueuse qui peut aussi droguer pour baiser, le peuple en prime, aucune contradiction quand l’ordre est bien tenu, consiste, pour le commun, à lui intimer de faire des efforts – je réduis, je coupe, je décale. Pour les autres, pour la collectivité, pour participer à l’effort national ? Pour leur gueule surtout. On peut même en débattre sur invitation mais sans élever le ton de la voix. Comme à confesse, à voix basse, un peu honteux de mettre son chauffage à 20 degrés ou de ne pas être allé manifester contre l’antisémitisme derrière les sandtroopers de l’Empire du Bien. Bref, une misère qui nous renvoie à nos degrés d’acceptation, voire de compromission résignée. Il va de soi que je n’ai pas vocation, en pointant cette néo-curaille, d’en devenir une à mon tour. Que chacun se débrouille avec l’idée qu’il se fait de la démocratie et du pouvoir. De sa résignation surtout, de son aquabonisme flasque.

Mais il faut s’efforcer d’être au moins cohérent à défaut du reste. Nous ne pouvons pas accuser chez les autres ce à quoi nous aspirons nous-mêmes, ce qui nous fascine, ce que nous regardons d’un œil complice et coquin. Nous devons être très au clair, le plus possible, avec ce que nous attendons du pouvoir si nous voulons être réellement démocrates dans nos pratiques. Non pas pour répondre à un idéal démocratique, supposément grec et antique, mais pour faire l’épreuve irréductible, aujourd’hui, de notre responsabilité. Oui, nous sommes responsables de ce qui nous arrive politiquement en France, de cette catastrophe, collectivement certes, individuellement surtout. Les gilets jaunes, il y a déjà cinq ans, ont essayé quelque chose. Une reprise en main, une affirmation collective à partir d’un courage individuel indéniable. Il y a eu des morts et une issue tragique dans une société qui bavasse sur la démocratie mais qui s’en éloigne chaque jour un peu plus que la veille. La mystification démocratique, c’est le nom que je lui donne, n’est autre que l’oubli de notre puissance d’agir. Il n’y a aucune réalité du pouvoir, un imagier tout au plus qui fonctionne comme une drogue. Le temps passé à se plaindre du pouvoir des autres est un temps perdu pour la confrontation nécessaire avec son propre rapport à ses images. Y croyons-nous vraiment ?

Nous avons ainsi à produire, loin de ce spectacle passif, notre propre narration, nos propres discours. Faire l’épreuve d’un certain inconfort au milieu des cotonneux, d’une incertitude irréductible et brutale, d’une angoisse personnelle qu’aucun homme providentiel ne viendra combler. Jamais. Politiquement, il n’y a aucun salut. L’expérience du vide est ici capitale. Il s’agit là de l’expérience démocratique essentielle. Rien au-dessus des têtes, fondement de tout anti-cléricalisme en politique. La curaille vertueuse qui baise son prochain sans son consentement, vous vend un plafonnier en guise de protection ? Nous voulons le plein air et l’amour consenti. Peu importe le nom de l’enfant qui naîtra : République sociale, démocratie radicale, souveraineté du peuple. Ce sont là des mots et des formules sur lesquelles on s’étripe, souvent aveugles à des modes de pensée et d’action qui nous éloignent de la réalité visée. Le problème démocratique : rendre possible la rencontre de chacun avec sa propre liberté, sa propre puissance et ses propres limites. Totalement illusoire quand une ingénierie sociale terrorise la liberté au nom de l’ordre, promeut l’impuissance sous couvert de contrôle social, nous fait oublier nos limites en nous droguant de forfaits illimités. Nous savons déjà tout cela ? Il ne suffit pas de savoir que le roi est nu pour ne pas se faire violer. Une vérité pratique.

Harold Bernat

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4 Commentaire(s)

  1. Je ne suis pas d’accord avec le postulat de cet article. Certes, cela concerne une partie des bidochons que nous sommes, toujours à critiquer, à comparer, mais ne s’engageant pas trop, afin de ne pas perturber son petit confort bien train-train du moment où je peux partir en vacances et acheter mon petit croissant tous les matins!
    Regardons le fonctionnement des nos ex-juré populaires : cela à plutôt marche bien marché .. mais ça coutait trop cher à l’état! Autre expérience réussie la convention citoyenne du climat; son échec n’est pas le fait du manque d’engagement des citoyens tirés au sort mais le fait du roi, qui a fait du cause toujours, tu m’intéresses.
    Autre exemple : la démocratie plus horizontale de la suisse voisine ou de nos modèles pays nordiques. C’est notre pays, qui a beau avoir coupé la tête aux rois , il a néanmoins préservé une élite abusive et méprisante, cachée derrière des manipulations à grande échelle à donner le tournis aux démocrates et républicains sincères. Car démocratie comme République sont bafouées à l’extrême par la Macronie qui applique à l’Etat la dictature des entreprise privées. Macron exècre le fonctionnement de l’Etat et des chambres, il n’a jamais été politique sur le terrain, incompétence crasse sur le sujet. C’est tellement plus efficace de cloner le fonctionnement des boites privées, fait d’une poignée de décideurs pour une armée d’exécutants..

    Enfin quel est l’intérêt d’être aussi grossier? En quoi cela nourrit-il la réflexion? A l’heure, où on veut sortir de la culture du viol?

  2. « Il ne suffit pas de savoir que le roi est nu pour ne pas se faire violer ». Cette phrase de conclusion présentée comme « une vérité pratique » coupe par sa crudité un peu le souffle. Mais l’auteur n’est pas là pour ménager son lecteur. Il ne se ménage pas d’avantage lui-même. Comment le pourrait-il puisque partie intégrante de cette société.
    « Oui nous sommes responsables de ce qui nous arrive politiquement en France, collectivement, « et surtout individuellement ». Le constat est amer et irréfutable, même et surtout pour qui ne veut pas à son tour devenir une néo-canaille. Mais il y a les G.J. ici mentionnés. Il y a aussi les mobilisations sur la retraite, pas mentionnées mais qui ne sont pas rien (bien qu’elle se soldent au final par une défaite, amère ici pour le pouvoir et cher payée, dont il faut examiner les motifs). Il y a aussi une analyse historique qui ici qui n’est pas faite.

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