« Réforme des retraites : choisis le présent, camarade! » par Harold Bernat

Le 21/01/2023 par Harold Bernat

« Réforme des retraites : choisis le présent, camarade! » par Harold Bernat

Sommes-nous prêts à comprendre les enjeux symboliques de cette réforme, qui ne concerne pas simplement le niveau de nos pensions dans le futur, mais qui relève ici et maintenant d’une résistance aux stratégies de privatisation intégrale de nos vies? Il ne s’agit pas seulement avec cette réforme d’une décote à venir, il s’agit de ce qui nous sépare, et nous séparera toujours plus d’une société décente, humaine. À lire sur QG

Il serait peut-être temps de renommer les élections présidentielles dans cette cinquième République passablement corrompue : un pacte de soumission. Les français doivent en effet savoir qu’en votant pour un fondé de pouvoir du capital afin d’éviter le pire qui sera, élections après élections, de plus en plus certain, ils acceptent la démolition de droits sociaux fondamentaux en toute légitimité démocratique. Emmanuel Macron, avant le suivant, n’a qu’une seule justification pour légitimer médiatiquement sa politique de casse sociale : une élection, la seule qu’il faut gagner, l’élection présidentielle. Le reste fait office de décor. Inutile de revenir sur les conditions de cette élection, l’appropriation des médias de masse par les intérêts qu’il sert avec zèle, son absence stratégique de campagne électorale ou ses fausses promesses. Son élection vaudrait acceptation de tout ce qui sera imposé aux français lors de ce second quinquennat. Mensonges inclus. Rappelons à ce propos qu’il existe un lien indéfectible, attesté par l’histoire, entre le mensonge et l’écrasement des peuples, la falsification de la vérité et la violence d’État. A ce titre, Macron, dans une version compatible avec le faux pluralisme médiatique contemporain, est le digne héritier des régimes politiques les plus liberticides. Le monde libre a besoin de vérités, nous ne le répéterons jamais assez.

A « l’assemblée générale éducation », à laquelle je participais à la Bourse du travail de Bordeaux hier matin avant la manifestation, nous étions une grosse centaine. Parmi les différents constats sur la violence des attaques du capital contre le travail, Macron n’étant qu’un chargé de mission particulièrement obscène d’une tâche mondialisée, une intervention parlait plus vrai que les autres. Elle était aussi beaucoup plus brutale, beaucoup plus directe. Je la résume ainsi : quel niveau de force sommes-nous capables collectivement de mettre en face de démolisseurs qui n’ont même plus besoin d’argumenter pour soumettre ? Ils peuvent se permettre de nier en fin de semaine ce qu’ils ont affirmé en début de semaine ? Du jour au lendemain, si besoin. Dans l’heure, allons-y. Question décisive qui doit être augmentée d’une autre. Sommes-nous prêts collectivement à comprendre les enjeux symboliques d’une « réforme » qui ne concerne pas simplement le niveau des pensions de retraite – qui seront toujours plus faibles – mais qui permet surtout d’évaluer la hauteur de la résistance aux stratégies de privatisation intégrale de nos vies ? Le président de BlackRock, Larry Fink, est pourtant parfaitement explicite à ce sujet lorsqu’il déclare sans trembler (de qui aurait-il peur lui ?) : « les comportements vont devoir changer et c’est une chose que nous demandons aux entreprises, vous devez forcer les comportements et chez BlackRock, nous forçons les comportements. » Jusqu’à quel point acceptons de nous de plier et de changer nos comportements, de nous soumettre face à ce type d’homme ? Quel type d’homme acceptons-nous de devenir ? C’est autrement plus profond que des calculs de décotes sur des sites éphémères, avec des publicités sur le côté, des calculs qui ne vaudront plus rien dans six mois.

Emmanuel Macron a la conviction que le test a été gagné. En bon élève de BlackRock et McKinsey, il est là pour que « ça passe » et faire de cette réussite un trophée, un scalp national pour rassurer les fameux marchés. La commission européenne, son grand oral à lui, celle qui peut punir l’Etat français. La France, bon ou mauvais élève de la liquidation des services publics ? Pour preuve de sa réussite et de ses gages, l’écrasement du mouvement des Gilets jaunes, la promotion du pass vaccinal, l’efficacité de la propagande anti-populiste et en définitive sa réélection dans un fauteuil. L’enjeu de cette énième vol des retraites dépasse ainsi très largement des déficits avancés de quelques milliards quand on sait les sommes colossales d’argent magique qui ont été dégagées sur le dos du contribuable lors de l’épidémie de Covid dans une situation de délabrement avancé de l’hôpital public et de manipulation grossière de l’opinion. Cessons de raisonner comme des pseudo économistes ou de singer une expertise scientifique dominée par l’idéologie la plus simpliste. Produire des richesses publiques en donnant toujours plus d’argent public à des intérêts privés n’est pas une science, à moins de classer au nombre des sciences les prédictions de Nostradamus ou autres délires. L’époque en est pourtant capable. Pensons en hommes, en résistants, faisons conscience à notre raison et à nos jugements. Choisissons ce que nous voulons et combattons ce que nous ne voulons pas. D’où la question de notre camarade de lutte hier : quel niveau de force sommes-nous capables collectivement de mettre en face des démolisseurs ? Cette question ne peut pas être laissée à la solitude d’une évaluation individuelle mais elle doit être prise en charge collectivement. Elle a toute sa place dans une assemblée de lutte. Elle est éminemment politique. Nous sommes contre le vol des retraites, très bien. Mais jusqu’à quel point ? Jusqu’à quel niveau d’engagement ? Que sommes-prêts à engager dans la bataille et que serait pour nous une victoire ?

Parlons moins des retraites et plus de notre volonté. C’est elle qui est mise à l’épreuve par les fondés de pouvoir du capital, c’est elle que Larry Fink veut mater, c’est elle qu’ils veulent casser. Une volonté collective, faite de solidarités et d’entraides, cette protection sociale collectivisée et qui permet aujourd’hui à la France de préserver de la pauvreté des centaines de milliers de retraités. Des millions demain. Mais nous sommes aussi responsables de la volonté de ceux qui se sont battus avant nous et qui ont œuvré pour que nous ayons aujourd’hui les droits sociaux qui font l’honneur de la France. De quelle puissance collective sommes-nous capables ? On ne répondra pas à cette question avec des simulateurs retraites ou des batailles de milliards ubuesques face à des gens qui ont pour objectif de changer nos comportements, nos vies. Cela n’a strictement aucun sens. C’est ici que le mot même de « réforme » nous égare. Comme si la « réforme » se situait loin de nous, au futur, dans un ajustement, un paramétrage lointain alors qu’il s’agit de nos vies au présent, de notre intimité, du sens que nous donnons à nos solidarités les plus précieuses aujourd’hui.

La dimension anthropologique du capitalisme n’est évidemment plus à démontrer. Nous peinons pourtant encore à en prendre la mesure exacte. De là ces sempiternelles leçons de morale sur la violence, la haine, la colère et la nécessité d’être bien démocrate comme il faut. Comme Emmanuel Macron en somme, c’est ça ? Cela fait justement partie du reconditionnement dont parle Larry Fink. Il est pourtant parfaitement légitime de ressentir de la violence face à celui qui me nie affectivement, de la haine vis-à-vis de celui qui m’agresse depuis sa hauteur de classe, de la colère sans reste quand on mesure les injustices sociales que créera inévitablement un nouveau recul de l’âge légal de départ à la retraite. La seule façon d’en faire quelque chose est justement de produire du commun, une puissance collective. Cela suppose de dépasser la gestion administrative de la résistance en proposant des dates et des défilés convenus. Il faut créer du désir et susciter la force de combattre.

Quand je pense à cette réforme, je ne vois pas en premier lieu un pourcentage de décote à venir pour ma pomme, je ne vois pas demain mais aujourd’hui, je vois ce qui nous sépare et nous séparera toujours plus d’une société décente, humaine. Nous ne pouvons pas économiser cette exigence morale, faire comme si elle n’était qu’une affaire individuelle, personnelle. Contrairement à ce que laisse entendre la privatisation intégrale de nos vies qui suppose ce changement de comportement, y compris et surtout par la force, ils n’ont plus que ça à faire valoir, cette exigence morale est collective. Penser cela n’est en rien se détourner de l’action. Comme si l’action était sa propre fin, comme si l’action était d’une autre nature que la pensée, comme si l’on pouvait agir bien en pensant mal. Les démolisseurs et les chargés de mission du capitalisme autophage nous font agir isolément et penser les uns contre les autres. Renversons la table : pensons les uns avec les autres et agissons ensemble. Ce mouvement social, à la suite des précédents, pour la défense de droits toujours plus essentiels, nous y oblige.

Au travail de la pensée et de l’action,

camarades.

Sans tarder.

Harold Bernat

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2 Commentaire(s)

  1. Bonjour à toutes et à tous,
    Il y a des jours ou mon manque d’études me saute au visage, Harold Bernat exprime tellement mieux que ma pomme ce que j’essaie péniblement d’exprimer dans certains de mes commentaires. » Pensons les uns avec les autres et agissons ensemble » dit il en fin de texte,OUI, mais il ne faut pas perdre de vue que lorsque nous sommes très en dessous du seuil de pauvreté nos systèmes d’entraide se font au départ « entre nous » car nous seuls sommes réellement capables de répondre à l’urgence du quotidien et çà c’est très chronophage et donc il nous est parfois difficile d’être toujours présents dans des luttes (des fois aller sur une manif est un investissement financier sérieux, si,si et dans diverses AG j’ai vu des salariés, des syndiqués ou autres,ne pas comprendre la valeur pour certaines et certains de 5euros).
    Merci pour ce texte que ma petite personne trouve brillant.
    Force et courage à toutes et tous les riens qui passent dans les gares

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