On va encore me reprocher quelques inepties.
« Inepties » ? Le terme est impropre. C’est plutôt aux idées et aux sentiments logés, jour après jour, dans les cervelles disponibles et dans les cœurs incertains, par les hauts-parleurs de l’idéologie ambiante, que l’on devrait réserver l’usage de ce mot ! Encore ces derniers jours nos médias ont fait s’agenouiller une partie des Français devant le trône d’Angleterre comme si c’était leur propre reine qui était morte, sans même qu’une de nos personnalités les plus éminentes, si chatouilleuses en matière de dévotion républicaine, ose suggérer à haute voix que dans des pays comme l’Angleterre ou la France, au XXIe siècle, c’est le principe monarchique lui-même qui devrait être rangé au rayon des « inepties ».
« Inepties » ? Prenez un primate de n’importe quelle espèce et saturez-le de ces pensées et de ces émotions qui, chez nous, sont entretenues à grands frais par les rédactions de presse et leur com’ quotidienne, et aussi par l’école, les clubs et les mouvements sportifs, les associations et une kyrielle d’autres institutions politiques et culturelles avec leurs establishments (partis, syndicats, organisations professionnelles, clergés religieux ou laïques, aréopages, académies, cénacles artistiques, etc.), qui se voient invités à donner en permanence au commun des mortels le spectacle de leur importance, et vous en ferez à coup sûr un être à peu près totalement inepte, un humain achevé, un sujet plein à ras bord de sornettes et de balivernes mais vide et vain, capable de tout et propre à rien ! C’est ce dont l’évolution biologique des espèces, combinée avec la « civilisation », a finalement réussi à accoucher, cette sorte de chimère, aussi monstrueuse que débile, baptisée Homo sapiens, à laquelle nous nous flattons d’appartenir sans réaliser que cette filiation ne fait jamais de nous que des spécimens d’une engeance infirme, perverse et dangereuse. Les Hommes ont beau être des tueurs, pourvus néanmoins d’états d’âme, des assassins, pétris toutefois de scrupules et des meurtriers, accessibles malgré tout au remords, ils n’en restent pas moins de sanguinaires bêtes de proie !

Tout se passe comme si la transmission des patrimoines culturels, en quoi consiste pour l’essentiel le processus de civilisation des mœurs, avait bloqué la sélection biologique dans notre espèce et empêché le phylum (souche d’où est issue une série généalogique, NDLR) de l’Homo sapiens de bifurquer une fois de plus sur notre arbre généalogique pour donner une espèce d’hominidé nouvelle et peut-être mieux pourvue en structures nerveuses centralisées (et donc mieux équipée pour la « sapience ») que celle de Sapiens sapiens. Mais peut-être le déterminisme biologique a-t-il besoin de davantage de temps pour opérer…
En vérité, cette catégorisation de Sapiens qui met l’accent sur le développement cérébral et la capacité de réflexion me paraît être excessivement généreuse et même un peu usurpée. Il me semblerait plus juste de donner à notre espèce l’appellation d’Homo Loquens, ou Loquax, voire Loquacissimus, tant la parole articulée et surabondante est essentielle à notre existence, pour le meilleur et surtout pour le pire. Que constatons-nous en effet sinon que, depuis le néolithique, grosso modo, les sociétés humaines, bien que, génétiquement, elles ne forment qu’une seule et même espèce, ont été incapables de vivre dans l’harmonie et la concorde, a fortiori dans la fraternité et l’amour et qu’à défaut d’inscrire ces vertus dans l’essence même de l’espèce (« dans son ADN » comme disent les médias), elles en ont, au mieux, fait des principes généraux, des devises abstraites et des valeurs universelles, c’est-à-dire des ingrédients pour une forme d’irénisme œcuménique, capable à la rigueur d’inspirer des proclamations onusiennes solennelles entre deux conflagrations (sur l’inusable thème du « plus-jamais-ça ! »), mais en aucun cas de régir effectivement et de façon durable des relations internationales toujours aussi brutales et mensongères.
« Chez le genre humain, le côté violent et instable de Mr Hyde l’emportera toujours sur le caractère paisible et bienveillant du Docteur Jekyll »
Il y a beau temps que nos prédécesseurs sur la planète ont constaté que « l’Homme est un loup pour l’Homme ». Pour être exact, il faut rappeler que dès le début ce constat a été corrigé par l’affirmation que « l’Homme est un dieu pour l’Homme », affirmation qui ne dit pas tout à fait le contraire de la précédente, car les dieux ne sont pas toujours animés de bonnes intentions. Et donc, depuis des millénaires, par la voix de ses plus prestigieux représentants, l’Humanité se partage, selon l’occasion, entre ces deux points de vue. Personnellement je tendrais à me ranger du côté de ceux qui, tout bien considéré, si on en juge par notre effrayant passé et notre présent non moins inquiétant, sont plutôt d’avis que dans les démêlés internes du genre humain, le côté violent et instable du criminel Mr Hyde l’emportera toujours sur le caractère paisible et bienveillant du bon Docteur Jekyll. La jungle ou la préhistoire, comme on voudra l’appeler, nous n’en sommes pas encore vraiment sortis, bien que, présomptueusement, nous prétendions nous en être déjà tirés.
Mais quoi, m’opposeront les éternels objecteurs, que leur optimisme humaniste, obstiné et candide, conduit à extrapoler à l’histoire tout entière des civilisations, quelques courts épisodes historiques de répit entre populations exténuées de tueries et de dévastations réciproques, que faites-vous de tous les admirables progrès de cette conscience universelle dont les nations ont gravé les commandements dans le marbre de leurs constitutions ? Que faites-vous de ce droit des gens, de ces droits de la personne humaine, de ces droits de l’Homme et du Citoyen, de ces droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, de toutes ces avancées juridiques et morales qui ont fini par faire le tour de la planète et par s’imprimer dans les cœurs ?

Je répondrai à cette rassurante objection qu’un droit-pour-tous n’est rien qu’un flatus vocis s’il n’est en permanence vécu comme un ardent devoir par le plus grand nombre ; qu’il faut à cette fin un investissement éducatif autrement plus important et plus cohérent que celui qui a été consenti jusqu’ici ; et enfin qu’il faut avoir vraiment des oeillères pour oser seulement mettre en balance, aujourd’hui autant qu’hier, les déchaînements constants et massifs de la violence dans l’histoire des peuples et des individus, et les tentatives timides, sporadiques et toujours extrêmement précaires pour instaurer la paix, la liberté et la justice, à grande échelle et à long terme. Qu’il s’agisse de pax americana aujourd’hui, ou de pax romana il y a vingt siècles, la paix établie n’a jamais été que l’ordre imposé manu militari, par le vainqueur, au prix d’un sur-armement écrasant, créant de nouveaux déséquilibres, des convoitises et des menaces nouvelles plus qu’il n’assure de protection et de stabilité. La géographie politique et humaine de la planète entière a été modelée continûment, au fil des siècles, par les guerres et le déferlement des instincts, des pulsions, des terreurs, des passions et des appétits les moins avouables, au mépris des droits les plus sacrés et des engagements les plus solennels.
Y a-t-il eu une période, une seule, dans l’histoire du genre humain, au cours de laquelle on ait vu s’établir durablement sur la majeure partie de la planète, des relations paisibles et désintéressées entre les peuples, caractérisées par le respect mutuel, la solidarité, l’entraide, la volonté de partage, le souci de corriger les iniquités et l’amour sincère du prochain ? Jamais. Nulle part.
Je ne nie pas qu’il y ait eu par endroits, par moments, des efforts visant à civiliser, adoucir, organiser, rationaliser et euphémiser les rapports sociaux ou les relations inter-personnelles dans le genre humain, précisément pour atténuer autant que possible un degré de violence devenu insoutenable et rendre un peu plus fonctionnels les systèmes d’exploitation mis en place par les vainqueurs. Apparemment toute domination qui veut durer doit, à un moment ou un autre, se préoccuper de ménager les « ressources humaines », comme diraient aujourd’hui nos ineffables DRH. Je prétends seulement que – comme tout le monde peut le constater – les résultats de ces efforts restent dérisoires et fragiles face à la violence intrinsèque inhérente à des rapports sociaux fondés sur le principe même de la subordination, de l’exclusion et de la ségrégation entre populations aux intérêts irréconciliables. A telle enseigne qu’après quelque dix millénaires passés à s’entre-déchirer et à s’auto-détruire, à se décomposer et à se reconfigurer de toutes les manières, le genre humain découvre avec effarement qu’il a installé les conditions de son propre anéantissement et que celui-ci pourrait bien ne plus tarder beaucoup. Quant à la caritas humani generis, dont le monde occidental et chrétien a toujours aimé à se gargariser (tout en exploitant et en opprimant avec férocité le Tiers-monde au moins autant que son propre prolétariat), inutile de remonter aux entreprises coloniales de l’Angleterre, du Portugal, de l’Espagne ou de la France du XVIe siècle pour en tâter l’étoffe : le traitement par les pays riches des problèmes liés à l’arrivée des populations de migrants actuels, en est une édifiante illustration, d’une terrible actualité.

Mais bon, évitons de reprendre ici l’antienne chantée déjà plus d’une fois ailleurs. J’aimerais aujourd’hui préciser mon point de vue en y ajoutant quelques réflexions de nature un peu plus « philosophique » afin d’éclairer davantage, pour les autres et pour moi-même, mon propre cheminement et plus particulièrement ce qui pourrait apparaître à certains – à tort selon moi – comme un changement de perspective dans ma vision des choses.
En effet, plutôt que d’un changement dans ma façon de voir le monde, il me semble plus exact de parler d’une correction de certains défauts de la vision que j’en avais précédemment et qui, bien qu’elle se voulût déjà expressément matérialiste, était encore trop imprégnée de l’idéalisme propre à l’humanisme rationaliste de ma tradition intellectuelle.
Le propre de cette tradition, étendue aujourd’hui à la majeure partie du monde « civilisé », est de procéder en quelque sorte par incrémentation, (si l’on peut se permettre ici cette analogie avec l’informatique), des différentes cultures les unes par rapport aux autres de sorte qu’elle parvient à faire dialoguer sans trop d’effort les expressions les plus anciennes de la conscience humaine avec les plus modernes, les plus primitives avec les plus avancées, en dépit de différences énormes et d’oppositions irréductibles entre les unes et les autres. Comme si l’Humanité n’était qu’un seul et même Homme, cheminant sans interruption sur la même voie et intégrant avec toujours plus de cohérence les données multiples de son expérience millénaire.
« Comme si l’Univers n’avait jamais eu d’autre finalité que d’engendrer l’espèce humaine »
Je crois avoir compris, en lisant Norbert Elias, que c’était ce genre de critique qu’il adressait à tous ceux qui déclaraient ne pas arriver à comprendre pourquoi un peuple aussi civilisé que le peuple allemand avait pu sombrer dans la barbarie nazie. Elias leur faisait remarquer, à juste raison, que leur incompréhension tenait au fait qu’on entretient le plus souvent une idée fausse de ce qu’est la civilisation, conçue comme un processus univoque et irréversible, qui ne cesse de gagner du terrain, de façon mécanique et quasi automatique, ajoutant ses avancées présentes à ses progrès passés, sans jamais connaître de phases de régression. Or il n’en est rien. Sans entrer ici dans l’examen détaillé de l’argumentation d’Elias, (cf. son étude de la dé-civilisation de l’Allemagne nazie, dans Les Allemands) je me bornerai à remarquer que la vision linéaire et continuiste si l’on peut dire, de la civilisation, a ses avantages comme ses inconvénients, mais n’a été rendue possible que parce que l’objet principal, pour ne pas dire exclusif, de toute culture humaine a été l’Humanité elle-même, sous toutes les latitudes, à toutes les époques et sous ses multiples aspects : « Qui sommes-nous, d’où venons-nous, à quoi sommes-nous destinés, que savons-nous, que devons-nous faire, et pourquoi ainsi et pas autrement et comment nous sauver, à qui devons-nous allégeance, etc. ? », c’est à ces questions existentielles et quelques autres, toujours les mêmes, que la culture n’a cessé d’apporter des réponses, d’où son anthropocentrisme permanent et le nombrilisme parfois délirant que celui-ci n’a cessé d’alimenter, de l’Antiquité à nos jours, à travers mythologies, religions, métaphysiques et même prétendues « sciences humaines », comme si l’Univers n’avait jamais eu d’autre finalité que d’engendrer l’espèce humaine et de se mettre à son service. Les cultures humaines n’ont eu de cesse qu’elles n’aient dénaturé l’Homme pour mieux le surnaturaliser.
Aujourd’hui encore, malgré les progrès du savoir scientifique et les gifles retentissantes qu’il a administrées à la vanité humaine, on peut voir persister cette disposition spontanée à se prendre à la fois pour le nombril de la Création et pour son point d’aboutissement, depuis l’éclosion du Fiat lux jusqu’à son « point oméga », dans un syncrétisme surprenant où Teilhard de Chardin viendrait donner la main à Hegel. Il n’est pas jusqu’à une certaine interprétation du marxisme lui-même, dans la mesure où il lui est arrivé de se réclamer d’un hégélianisme remis à l’endroit et d’un humanisme conséquent, qui n’ait à sa façon contribué à donner au matérialisme moderne une sorte de gauchissement téléologique en y introduisant la capacité d’agir selon des stratégies rationnelles délibérées, d’où cette teinture de finalisme, cette apparence d’intentionnalité, qu’on la qualifie ou non de « dialectique » (on a pu aller jusqu’à parler de « messianisme » prolétarien, à cause de l’homo novus que la Révolution était censée devoir enfanter).

Je ne serais pas hostile à ce point de vue, mais dans une perspective praxéologique, c’est-à-dire pour autant qu’il peut mobiliser des peuples de la planète Terre et les inviter à se saisir de leur devenir (comme ce fut le cas avec les luttes de libération nationale un peu partout et comme c’est encore le cas, en dépit des dérives communautaristes actuelles, avec les luttes de classes contre la mondialisation capitaliste). Marx et Engels avaient évidemment raison, ce sont les peuples qui font l’histoire, sans très bien savoir ce qu’ils font et notre monde sera ce que nous serons capables d’en faire. Nous sommes assez mal partis, et de bien bas, il faut avoir l’honnêteté de le dire, mais nous devons bien nous persuader que cette histoire n’a de réelle importance que pour nous seuls, les Humains et qu’en soi, elle n’en a pas plus que celle des dinosaures ou des lichens et des fougères et que si d’aventure elle avait quelque importance pour d’autres que nous, nous n’aurions aucun moyen de jamais le savoir. Ce qui implique qu’il ne nous est intellectuellement pas permis d’extrapoler le sens que nous pouvons, ou voulons donner à l’histoire terrestre de l’Humanité, du plan de l’observation empirique au plan d’un paradigme philosophique. Très franchement je ne suis plus du tout certain, comme je tendais à le croire en un autre temps, que la dialectique de l’histoire puisse se confondre avec celle de la nature. Il me semble plutôt qu’il y a de l’une à l’autre un saut, un seuil correspondant à un changement qualitatif qui porte l’humain à un ordre de réalité différent de son environnement objectif naturel et qui se traduit par le saut de l’être au devoir-être, du fait à la valeur. Ce saut, qu’on ne peut que se borner à constater sans pouvoir se l’expliquer vraiment, rend les différents ordres, plans ou perspectives incommensurables logiquement les uns avec les autres et donc invalide tout essai d’extrapoler d’un plan à un autre, par exemple de la nature à la culture et réciproquement.
En parvenant avec Homo Sapiens au stade de la conscience réfléchie, la matière vivante est passée de la nécessité subie à la nécessité choisie pour des raisons perçues tantôt comme « bonnes » (le Bien, la Vertu) tantôt comme « mauvaises » (le Mal, le Péché). À partir de là, c’est la bouteille à l’encre, Babel et la grande confusion ! Il faudrait être plus précis et plus explicite dans l’expression de cette pensée, car on touche là à un point délicat par où il est toujours possible de réintroduire dans la vision des choses tout ou partie de la fantasmagorie idéologique « pré » ou « anti »-scientifique de naguère. Mais nous en sommes précisément au stade où le travail critique de la raison (la Science) entrepris au cours des siècles, a sinon fini de dissoudre le ciment des illusions religieuses et métaphysiques qui faisait tenir ensemble les composantes de la réalité perçue, du moins sérieusement fragilisé leur capacité de nous convaincre. Ce faisant, nous avons ruiné le régime de la transcendance théologique au profit d’un nouveau régime où les discours de omni re scibili (« De toutes les choses qu’on peut savoir », devise de Pic de la Mirandole, NDLR) ne sont plus soumis à aucune censure d’un Sur-moi quel qu’il soit, plus exactement un régime où ne subsiste plus aucune autorité unanimement reconnue capable d’imposer à tous les esprits la reconnaissance des mêmes valeurs.
Pour le dire plus trivialement mais peut-être plus explicitement, je dirais que s’il est capital pour le genre humain de choisir clairement et délibérément une orientation plutôt qu’une autre, cela ne relève plus que de sa seule responsabilité et ne concerne plus que lui. Du moins, en principe. L’univers, qu’on l’entende à la façon relativiste, ou à la façon quantique, ou de quelque façon que l’on voudra, se fiche éperdument, selon toute probabilité, de notre misérable existence et de nos préférences. C’est là qu’est le nœud du problème.
Je crois en effet qu’il est temps pour notre espèce d’encaisser son dernier coup de pied au derrière, celui qui lui permettra de franchir la distance la séparant encore de la vérité ultime (que les penseurs matérialistes seuls jusqu’ici ont été assez cohérents intellectuellement pour affronter, depuis au moins Démocrite) : à savoir que l’existence de l’Humanité est une conséquence infinitésimale dans la concaténation infinie des causes et des effets de l’univers. Le genre humain n’est rien de plus qu’un accident de la matière, un épisode dans « l’aventure du protoplasme » (comme aimait à dire Jean Rostand), une péripétie dont la contingence le dispute à la nécessité, pour reprendre l’analyse de Jacques Monod dans Le Hasard et la Nécessité (1970) et, en tant que telle, un processus ni plus ni moins important, signifiant, précieux ou digne d’attention que des milliards d’autres phénomènes. Discerner dans la multiplicité grouillante des choses et des êtres des différences de toutes sortes, de grandeur, d’ordre, de valeur, de sens et hiérarchiser le tout, établir des taxinomies en fonction de critères particuliers, en rapport avec nos intérêts, c’est là le propre de ce qu’il est convenu d’appeler culture, travail symbolique qui en apprend plus, dans tous les cas, sur ses auteurs que sur ses objets. D’où l’attention anthropologique que nous lui portons.
Il devrait être évident – mais il ne l’est pas du tout – que ce sont les préférences inspirées à chaque groupe humain par sa situation historique concrète dans le temps et dans l’espace qui sont à l’origine des valeurs si importantes dans l’existence de chacun.
« Un monde avec une certaine moralité me paraît plus beau qu’un monde dépourvu de moralité »
Mais, à moins de pousser le délire transhumaniste jusqu’à nous imaginer éternels, on peut poser avec assurance qu’un jour il n’y aura plus personne pour s’intéresser à l’histoire humaine et préférer tel aspect ou tel moment à tel autre. Ce jour-là, qui à l’échelle des durées astronomiques ne peut être qualifié que de prochain, c’en sera fini de l’interlude qui nous a tant occupés et que nous avons joué avec tant de sérieux pendant quelques fugaces millénaires. Sic transit gloria mundi…
Nous devrions assurément y penser davantage et nous pénétrer de cette certitude : le monde humain, individuel et collectif, que nous connaissons, n’est qu’une courte parenthèse, un rapide battement de paupières de l’Univers. Quelques-uns pourraient en conclure que cela n’entraîne pour nous aucune obligation particulière. Je fais, quant à moi, partie de ceux qui voient dans cette fugacité une raison de plus pour ne pas faire n’importe quoi, bien peser chacun de ses choix et s’y tenir. En attendant la fin des temps, il importe de gérer au mieux de nos capacités, le temps qui reste. Par devoir envers soi-même et ses semblables. Devoirs qui persistent, inchangés. Je ne crois pas que personne (en dehors des adeptes des différentes mythologies) sache ni puisse découvrir à quoi rime exactement cette conviction de devoir faire certaines choses et pas d’autres. Mais personnellement je tiens à conserver ce germe de moralité, d’où qu’il me soit venu. Et s’il me fallait absolument justifier cette prise de position décisoire, je dirais, en désespoir de cause, qu’un monde avec une certaine moralité me paraît plus beau, plus agréable et plus accompli qu’un monde dépourvu de moralité. Après tout, on sait depuis longtemps qu’à un certain niveau d’approfondissement, les valeurs fondamentales de l’éthique et de l’esthétique peuvent se rejoindre et se confondre. Je n’ignore évidemment pas que la foi religieuse tire l’essentiel de sa force de cette volonté si largement répandue chez les Humains, en tous temps et en tous lieux, de soustraire leur propre histoire à la précarité et à la contingence qui caractérisent tout ce qui existe.
En fait, pour être sincère, je crains que le genre humain, au stade actuel de son évolution intellectuelle et morale, caractérisé par l’exacerbation individualiste et la frénésie des désirs hédonistes, ne soit plus en mesure, s’il l’a jamais été, d’endurer le surcroît de désenchantement provoqué par une nouvelle gifle à son narcissisme. Prendre vraiment conscience que nous ne sommes pas grand-chose, individuellement ni collectivement, cela n’a jamais été possible, pour autant que l’on puisse en juger, qu’au prix d’une compensation d’amour-propre par le renforcement de croyances religieuses et mythologiques d’un extravagant créationnisme (nés d’un « souffle divin », façonnés « à l’image du Créateur », destinés à « dominer le monde », à devenir « maîtres et possesseurs de la Nature », etc.), mais tellement vivaces qu’elles ont résisté jusqu’à aujourd’hui, en dépit de l’affaiblissement de la foi religieuse dans les populations modernes. Le ciron humain est capable de s’accommoder de son insignifiance, voire de son humiliation présente, pour peu que des voix autorisées lui assurent qu’il trouvera sa récompense ailleurs, dans une autre vie, et pour peu qu’on lui ménage un accès aux réjouissances d’ici-et-maintenant, pour le faire patienter. Discothèques, matchs de foot et jeux vidéos ont avantageusement remplacé à cet égard le pain et les jeux du cirque d’autrefois.
Il est trop tard, semble-t-il, pour renverser la vapeur d’un train qui va désormais trop vite pour continuer à poser ses rails devant lui à mesure qu’il avance, comme il a fait pendant des siècles, de révélations en conversions, de conquêtes en adhésions, de réformes en restaurations ou d’aggiornamentos en renaissances. De toute évidence, nous avons commencé à poser nos rails dans le vide. Expérience nouvelle et vertigineuse, qui risque de tourner court. Privés d’un viaduc permettant de traverser l’abîme, mais bénéficiant encore un peu de la vitesse acquise, nous conservons notre illusion d’être sur un tremplin en évitant de penser aux ténèbres glacées (au propre et au figuré) où nous nous engloutissons toujours davantage avec des frissons d’excitation et des giclées d’adrénaline.
Il est même assez sidérant de voir à quel degré de bêtise et d’abjection peut tomber un peuple dont l’histoire a donné à croire qu’il était capable d’atteindre, dans certaines circonstances et sur certains plans, à un niveau élevé d’intelligence et de moralité. Nous nous prenions, nous Français et quelques autres avant nous ou avec nous, pour des enfants chéris du Ciel, des peuples élus, des commensaux des dieux. Nous nous regardions comme des modèles exemplaires, des parangons de civilisation. Tout se passe aujourd’hui comme si, par une espèce de sortilège que rien ne peut plus exorciser, les sociétés humaines étaient placées alternativement, par le développement même de leur mode de production, devant le choix d’une des deux versions, l’une « propre », « correcte », « éthique » et l’autre « sale », « irresponsable » et « immorale » de leur évolution en tous domaines et comme si elles étaient irrésistiblement et systématiquement entraînées à choisir le scénario comportant le bilan global le plus décevant. Il est permis de dire désormais, avec le recul dont nous disposons, que ce choix systématiquement pernicieux est l’expression même de l’efficace capitaliste qui a toujours conduit, par essence, les collectivités humaines et leurs membres à privilégier l’accomplissement du pire des modèles humains possibles, par la poursuite et l’accumulation du profit économique à court terme, au mépris de toute autre considération et au détriment d’un progrès humain plus moral ou spirituel, inévitablement plus lent, plus difficile et plus immédiatement coûteux.
« La numérisation a enlisé un peu plus encore les dominés sociaux dans le sentiment de leur irrémédiable insuffisance »
S’il ne fallait donner qu’une seule illustration actuelle de ce phénomène de choix forcé (à savoir de propension irrésistible à tirer la carte du pire scénario) on pourrait se borner à évoquer l’exemple particulièrement significatif par son ampleur et sa nouveauté de la numérisation et de l’informatisation massives de la vie sociale au cours des dernières décennies. Tout le monde a sans doute en mémoire le discours enchanteur et à peu près unanime qui a accompagné et soutenu, jusqu’à aujourd’hui encore, cette transformation technologique du mode de vie: le numérique, l’ordinateur, le portable, Internet, les réseaux sociaux, l’interconnexion généralisée et autres merveilles d’ingénierie informatique devaient entraîner une foule de conséquences éminemment positives, bénéfiques, libératrices, dans tous les azimuts de la pratique sociale et au total, c’était toute la vie démocratique qui devait s’en trouver vivifiée à la grande satisfaction, pensait-on, de tous les citoyens, à qui on promettait d’entrer dans un nouvel éden, un monde de convivialité, de collégialité, de transparence, bref, de communication et de communion démocratique. Alors que, une fois de plus, il ne s’agissait que de l’ouverture d’un nouveau marché de consommation de masse livré à l’appétit des grands et petits investisseurs. Très rapidement il est apparu que si certains effets novateurs de l’informatisation pouvaient être regardés ponctuellement comme des améliorations des pratiques et des usages en vigueur, globalement on devait constater que conformément à la logique gouvernant de longue date le marché capitaliste, là où le « progrès » technologique bénéficiait un peu à la vie démocratique, il bénéficiait infiniment plus à la domination ploutocratique (comme, par exemple, avec l’accélération du trading informatique). Dans l’ensemble, il est d’ores et déjà patent que l’esprit public et la mentalité démocratique, à en juger par leurs expressions sur le plan institutionnel et politique comme sur celui des moeurs, n’en ressortent pas grandis mais au contraire abîmés, dégradés davantage encore, au bénéfice des oligarchies, des lobbies, des cartels, des enrichis en capital financier et culturel et des « élites » diverses. Loin d’aider les classes populaires dépossédées à réduire les écarts sur tous les plans de la vie sociale, où leur condition se caractérise par la privation, le choix du nécessaire, la frustration et le renoncement, la numérisation a enlisé un peu plus encore les dominés sociaux dans le sentiment de leur irrémédiable insuffisance, tandis qu’à l’autre bout du continuum des dignités et des honneurs s’étale le bonheur indécent des nouveaux riches, toujours plus riches, gavés et inconscients. Nul doute qu’à sa façon faussement neutre et objective, le « progrès technologique » ne soit devenu, une fois de plus, comme la télévision en son temps, un instrument à la fois économique et idéologique de surveillance, de division et d’aliénation des masses, avec cet effet pervers imprévu que celles-ci ne croient plus à la démocratie et même se tournent de plus en plus vers ceux qui voudraient bien en finir avec l’idéal démocratique parce qu’en effet, cet idéal est aujourd’hui parvenu à l’acmé de sa contradiction centrale: en encourageant chacun à faire de soi « le plus irremplaçable des êtres », selon le slogan gidien des Nourritures terrestres, il a contribué à instaurer un régime de concurrence généralisée impitoyable qui ne peut se résoudre que par une forme plus ou moins violente d’élimination mutuelle et une minoration, voire un mépris, de la part des individus pour leurs obligations envers la collectivité. On voit aujourd’hui avec évidence que la démocratie est un régime pour schizophrènes qui, sur le modèle américain, confondent Dieu et Mammon, encensent les pauvres le dimanche au Temple et idolâtrent les riches tous les autres jours à la Bourse.

Ce qui fait la force du capitalisme industriel et financier en tant que régime libéral, c’est qu’il a su fédérer toutes les aspirations, toutes les ambitions, sur la base d’un seul et même dénominateur commun, sur toute la planète : l’argent et le désir d’être riche qu’il alimente. Aucun Olympe ne serait plus aujourd’hui assez vaste pour contenir tous les aspirants à la divinisation, c’est-à-dire à la richesse, que fabrique le capitalisme. Les places sont de plus en plus chères, à mesure que les titres se dévalorisent. L’idéal démocratique, adultéré et pénétré par ce que l’on a appelé le nouvel esprit du capitalisme, a d’ores et déjà déstabilisé l’ensemble des structures traditionnelles de domination, en incitant – entre autres effets majeurs – à faire passer, (plus ou moins selon le secteur considéré), les rênes du pouvoir des mains habituellement masculines à des mains féminines.
On aurait le droit de tenir sans réserve cette offensive féministe et les victoires qu’elle a d’ores et déjà remportées, pour un grand progrès dans la lutte séculaire contre les inégalités, dont tout démocrate sincère aurait à se réjouir. Mais une remarque s’impose qui devrait tempérer pour le moins la confiance dans le féminisme politique et entretenir le scepticisme quant à ses capacités objectives et subjectives de mettre fin à la domination sociale. Cette remarque est la suivante : la critique féministe a remis en question – et c’est tant mieux – toutes les structures traditionnelles de la domination sociale. Toutes, SAUF – quel terrible lapsus, quel oubli révélateur – celles du pouvoir de l’argent (par l’accumulation et la transmission de la propriété capitaliste) qui s’en trouvent plutôt renforcées, du fait de la conjonction du capital culturel avec le capital financier, par le biais des alliances matrimoniales, des stratégies scolaires, des « profils de carrière », etc. Pour le dire plus prosaïquement, du point de vue de la reproduction capitaliste, il importe peu que ce soit une « fille à papa » ou un « fils à maman » qui « fasse le job » d’hériter et de gérer la transmission de la fortune acquise. Dans tous les cas la succession se fera dans les règles et le Capital restera en de bonnes mains. Bien sûr, il se produit toujours des cas où les héritiers dilapident le capital acquis au lieu de le faire fructifier. Mais ils ne sont statistiquement pas en nombre suffisant pour inverser les rapports de domination. Toute notre histoire séculaire est là pour témoigner que, presque toujours et presque partout, de génération en génération, le pouvoir sous toutes ses formes reste, avec le consentement de la plupart, aux mains des familles de nantis, des dynasties d’aristocrates ou des lignées de bourgeois, tous grands propriétaires, eux-mêmes héritiers d’antiques clans guerriers, envahisseurs et conquistadores ayant imposé par la force, la ruse et autres violences, leur domination patricienne. Comme son nom l’indique celle-ci se transmet des pères aux enfants dûment préparés à leur succéder. Il suffit d’être né(e) de façon topique, là où il faut, quand il faut, en bon rang dans la bonne famille. On peut le vérifier sous toutes les latitudes, à toutes les époques. Bref, les féministes devraient s’aviser que les analyses relatives à la sociogenèse du petit-Bourgeois Gentilhomme sont, mutatis mutandis, exactement applicables à son pendant féminin, la petite-Bourgeoise Gente Damoiselle.
Jusqu’ici, chez nous, les classes dominantes, grâce à leur monopole étatique de la violence légitime et à leur savoir-faire en matière de tambouille électorale (alliances, mœurs parlementaires, modes de scrutin, découpages et répartition des sièges, stratégies d’union, désistements, etc.), ont pu contenir les revendications démocratiques dans les bornes du jeu établi, « républicain » et consensuel. Mais des précédents historiques nombreux, partout dans le monde, montrent à l’évidence, à la façon de l’épisode archétypique de la réaction versaillaise contre la Commune de Paris, que lorsque les masses populaires prennent la phrase démocratique au mot, et se donnent comme objectif, non plus seulement les sempiternelles augmentations du pouvoir d’achat (réduit aux augmentations de salaire) mais le pouvoir politique lui-même, la bourgeoisie régnante n’hésite pas à faire appel à ses Messieurs Thiers ou Pinochet pour exterminer la « canaille » des faubourgs et la « racaille » des banlieues. Avec la même cruauté dont les légions envoyées par Rome en renfort à Crassus usaient contre les esclaves de Spartacus, en les crucifiant pour l’exemple le long des routes.

Photo: fpealvarez
Dans les sociétés développées et moyennisées comme la société française, le double mouvement de désagrégation-intégration culturelle des générations issues de l’ancien prolétariat, (par l’École, le Sport, le Spectacle, la Presse et autres filtres intellectuels et artistiques), rend hautement improbable l’hypothèse d’un sursaut révolutionnaire digne de ce nom, c’est-à-dire qui serait autre chose qu’une émotion passagère suscitée et exploitée par les journalistes, les designers, les conseillers et les coachs médiatiques au service de leurs employeurs officiels. D’ailleurs le concept même de révolution a pratiquement perdu ses connotations politiques, économiques et sociales de naguère, pour ne plus conserver que le sens figuré, très affaibli, qu’il a fini par prendre dans le domaine intellectuel et artistique où les différentes fractions de la petite bourgeoisie rivalisent de « créativité » et d’une ardeur révolutionnaire toute symbolique. Il ne se passe de jour que des petits-bourgeois en mal de notoriété n’inventent, dans un domaine ou un autre, esthétique de préférence, quelque chose qui n’a de « révolutionnaire » que l’étiquette que les médias y accolent. Et même dans l’ordre esthétique, il est clair que pour les nouvelles générations, il n’y a plus guère qu’une seule recette pour faire figure d’artiste « révolutionnaire » : le procédé du métissage, appliqué indistinctement, mécaniquement et sans grand travail et qui, dans sa forme élémentaire la plus paresseuse, consiste à associer des éléments jusque-là dissociés. Le résultat du mélange est aussitôt présenté comme une « révolution ». C’est en somme ce que naguère on eût appelé « pot-pourri », une sorte de réalisation au moindre coût du bon vieil idéal surréaliste de « la rencontre fortuite sur une table de dissection, d’un parapluie et d’une machine à coudre ». Comme le soulignait Reverdy, « Plus les rapports des deux réalités sont lointains et justes, plus l’image sera forte ».
Cela, Aristote l’avait déjà compris qui s’intéressait au travail de la métaphore bien avant que Reverdy et Breton ne nous fissent part de leur émerveillement devant la beauté insolite des images de Lautréamont. Hélas, avec le temps et la multiplication des tentatives avortées, la révolution a cessé d’être une idée neuve pour n’être plus qu’un procédé marketing éculé.
Avec l’espèce humaine, le monde du vivant, à l’apogée de son évolution, avait même réussi à inventer l’Amour et l’Espérance, la Joie et l’Abnégation, expériences et accomplissements de soi imparfaits mais qui touchent à des sommets tant en matière d’éthique que d’esthétique, d’émotion que d’intelligence. Mais le Désespoir, la Haine de soi et des autres ont fini par l’emporter après le triomphe du scénario capitaliste-productiviste et de son implacable logique de concurrence, d’appropriation privée, de ruine et d’exclusion mutuelles.
Nous n’avons aucun moyen de savoir si cela présente quelque importance objective que ce soit, au regard du Cosmos ou même seulement de notre misérable petit système planétaire de banlieue galactique. Cela n’a jamais eu d’importance que pour nous, « pauvres pécheurs », débiles au point d’être incapables de décider si cela en valait la peine ou au contraire ne justifiait pas le dérangement.
Qu’on me permette de revenir, pour finir, sur un dernier point.
« La nature humaine a horreur du vide. D’où sa dégringolade accélérée vers des ersatz d’idéaux »
Il est clair, en tout cas à mes yeux, que l’une des caractéristiques essentielles de notre être et de notre condition, c’est la finitude. Nous sommes bornés de toutes les façons, dans le temps et dans l’espace, intérieurement et extérieurement, physiquement et mentalement. Tout dans notre univers est fini et même si étroitement que nous ne pouvons pas même concevoir quelque chose qui serait infini ou plutôt nous ne pouvons en avoir qu’un concept vide, ne correspondant à aucune expérience sensible, aucun contenu empirique, comme cet espace et ce temps dont nous parlent les cosmologistes et qui n’ont de réalité que dans leurs équations, si cela a une réalité. L’infini n’est dans notre entendement qu’une catégorie vide, un concept sans intuition, une case dans laquelle nous fourrons tout ce qui, sur le plan de l’expérience sensible, nous semble, à tort, être immensément, démesurément grand, long, interminable, et semble ne devoir jamais s’arrêter, mais qui n’est pas pour autant infini. C’est sans doute pourquoi, quand l’espèce humaine s’est mise à fantasmer sur les puissances divines dont elle peuplait l’univers, dans son effort pour le comprendre et se comprendre elle-même, elle leur a prêté des propriétés dont aucun humain n’avait la moindre expérience, comme celle d’être infini, tout-puissant, immortel, etc., sans aucune de ces limites spatio-temporelles qui caractérisent l’espèce humaine et la condamnent à une existence de bonsaï.
A cet égard, le succès du monothéisme en religion a efficacement contribué à ancrer la croyance que seule une puissance divine absolue, relative à rien d’autre qu’elle-même, invincible et éternelle, avait pu façonner, à son image, mais une taille au-dessous, la « créature » humaine en particulier et toute création en général. Une telle croyance, malgré la prégnance qu’elle a conservée aujourd’hui encore dans les esprits, a beaucoup souffert évidemment de la diffusion de la connaissance scientifique. Croire en un dieu tout-puissant est vraiment un acte de foi qui défie la raison et ne persiste, semble-t-il, que parce qu’il sert de socle intangible à tout le reste. Autant dire qu’il répond à un tabou.
On touche là au point névralgique de la conscience humaine. Sans la croyance à la toute-puissance (l’éternité, l’omniscience, la providence, etc.) de Dieu, tout se passe comme si le monde humain était incapable de se soutenir et devait s’effondrer dans le vide ou le Néant. D’où le dilemme de l’esprit contemporain : ou bien on doit, pour faire ce qu’on est socialement tenu de faire, croire dans le Dieu de ses pères, ou bien on doit lui substituer un autre fondement capable de supporter tout l’édifice de l’univers naturel et de la civilisation. On retrouve là la mission que s’était fixée, pratiquement dès ses origines présocratiques la philosophie classique, occupée pendant tant de siècles, à bâtir des métaphysiques, des arrière-mondes spéculant sur la raison d’être de tout ce qui existe et de tout ce qui advient. Nous savons aujourd’hui que cet impressionnant assemblage n’était – parfois à l’insu même de ses imaginatifs architectes – qu’un échafaudage d’hypothèses et d’hypostases servant à consolider par des arguments d’apparence rationnelle la statue divine plus ou moins vacillante, à telle enseigne que la philosophia perennis s’acquit (au Moyen-âge) le titre significatif de « servante de la théologie » (ancilla theologiae).
Dès lors qu’on ne peut plus, ni s’appuyer sur (ou s’abriter derrière) la volonté divine, ni se réclamer de quelque principe métaphysique fétichisé c’est-à-dire perçu comme transcendant et absolu (la Liberté, la Justice, le Respect des personnes, la Propriété, le Droit, etc.) on est dans le vide. Or la nature humaine a une insurmontable horreur du vide. D’où la dégringolade accélérée, sous l’appellation moins dégradante de modernité, de l’ensemble des sociétés humaines, le long de ce que l’on pourrait appeler l’échelle des ersatz, des imitations d’idéal ou, si l’on préfère, des succédanés du capital qui viennent tour à tour, la mode aidant, se substituer à notre base de sustentation civilisationnelle. Avec le triomphe du capitalisme mondialisé, les niveaux de l’échelle ont été pratiquement tous remplacés par les différentes espèces de capital, (économique, social, culturel, etc.) et plus particulièrement par l’Argent, succédané universel de tous les degrés d’élévation de l’être humain, équivalent général de tout ce qui permet, sur la Terre, au stade actuel de son naufrage, de continuer à croire qu’on peut vivre sans Dieu, mais pas sans argent.

Mon propos est justement de prendre acte de la transformation qui affecte l’évolution de l’espèce Homo Sapiens, qu’on pourrait caractériser comme une crise insurmontable de la société capitaliste provoquée par le blocage et le pourrissement de sa contradiction centrale entre le capital vivant et le capital mort. La masse prodigieuse et toujours croissante de celui-ci, orientée vers le cycle Argent > Marchandises > Argent +, c’est-à-dire vers la spéculation financière et la consommation distinctive des privilégiés, plutôt que vers la recherche d’un bien-être commun et d’un bien-vivre égalitaire ou d’un vivre-ensemble démocratique, est en train d’étouffer l’ensemble des structures sociales, d’asphyxier toute autre aspiration que celle à l’enrichissement en argent et à l’hédonisme outrancier qu’il permet.
Blocage parce que, dans l’état présent des intérêts et des mentalités des différentes classes sociales, la situation est nettement à l’avantage des plus riches qui utilisent toutes les ressources, financières, politiques et autres pour empêcher toute évolution qui leur serait défavorable. Empêché d’évoluer par le blocage d’un pouvoir institutionnellement verrouillé aux mains de la classe possédante et dirigeante, le corps social tout entier croupit sur place, se décompose et s’enfonce toujours plus dans la matérialité d’un monde sans âme. D’aucuns veulent y voir une sorte de « retour à la Nature », du moins à ce qu’ils ont hypostasié sous cette appellation. Ce qui complique dramatiquement les choses, c’est que seule une minorité de citoyens est conceptuellement outillée pour juger sainement de la situation et imaginer d’y remédier. C’est en effet le processus de blocage et de décomposition lui-même (la « modernité ») qui est perçu par la plupart comme l’expression continue d’une émancipation des peuples, comme la marque même du « progrès » c’est-à-dire de ce que l’on tient désormais pour la vie sans limites, sans plus rien qui la contraigne en dehors de l’argent qu’on a « gagné », peu importe comment. Comme le souligne avec justesse une métaphore bien connue: trop de gens croient aujourd’hui qu’ils s’émancipent quand ils ne font que « se déboutonner ». Une évolution lexicale intéressante confirme la tendance du sens commun à confondre le laisser-faire classique cher au système libéral avec un principe de vie généralisé à l’ensemble de nos activités, la règle étant désormais, quoi qu’on fasse, de « se lâcher » c’est-à-dire de s’éviter tout effort, toute contrainte et toute retenue.
« Osciller entre le sentiment de la déréliction et celui de totale licence ouvre la porte à des scénarios de régression barbares »
Tout se passe comme si l’évolution du vivant en général était gouvernée par une double pulsion affective irrésistible, à la fois vers la liberté-jouissance et vers l’ordre-sécurité, dont les effets se contrarient ou se composent selon le moment et selon le domaine, avec des conséquences qui aux yeux de l’historien, du sociologue ou de l’anthropologue peuvent paraître inattendues. En vertu des changements intervenus depuis au moins le siècle dernier, et même avant, sur le plan des mentalités collectives et individuelles, les esprits oscillent perpétuellement entre le sentiment de la déréliction (« Dieu nous a abandonnés, nous sommes perdus ») et le sentiment de totale licence (« Dieu est mort, tout est permis »). Dans la pratique cela conduit à une même perte de sens et ouvre la porte à des scénarios de régression plus barbares les uns que les autres.
J’aimerais ajouter que, contre toute apparence d’être engagée dans une impasse sans autre issue que le retour à l’obscurantisme et au sous-développement ou à une oppression totalitaire pas même déguisée en régime démocratique, une société humaine civilisée conserve, peut-être, une petite chance de continuer à exister et à avancer dans la voie d’un véritable progrès humain. J’y ai fait allusion un peu plus haut en évoquant le succès du monothéisme en religion. J’ai souligné à ce sujet que selon le récit biblique (auquel je ne fais référence que pour son autorité aux yeux des occidentaux, mais cela était déjà vrai semble-t-il de nombre de récits mythologiques du polythéisme) les créatures humaines étaient censées avoir été façonnées à l’image de leurs démiurges. Même sans prendre au pied de la lettre cette façon prétentieuse et auto-mystificatrice de s’exprimer, on peut l’interpréter comme la reconnaissance qu’il y a dans l’être humain une capacité d’agir de beaucoup supérieure, en intelligence logique et en intérêt pour le prochain, à ce qu’il démontre habituellement (sauf exception) et qui reste en général médiocrement « humain-trop humain ». Les croyants, surtout les chrétiens, conscients de ce fâcheux déficit moral, arguent qu’il a pour cause qu’il ne suffit pas d’être à « l’image de Dieu » (quoi que cela veuille dire) pour agir bien, encore faut-il en avoir reçu « la grâce » (c’est-à-dire la force agissante). Ce qui revient à dire, en termes non confessionnels, que les êtres humains disposent en propre d’une energeia ou de ressources psychiques, (quelle qu’en soit la provenance), très supérieures à celles qu’ils mettent en œuvre dans les circonstances ordinaires de leur existence. Dans la vie quotidienne, en effet, les individus ont un peu trop tendance à se réfugier dans cet asile d’irresponsabilité et de démission que sont les « décrets de la Fortune », les « arrêts du Destin », les « coups du Sort », les « desseins de la Providence », et autres prétendues manifestations de la volonté insondable des puissances supérieures invoquées par des acteurs toujours dépassés, qui cherchent à se dédouaner de leurs propres erreurs ou de leurs lâchetés.
Tant qu’à faire son nécessaire examen de conscience, il serait temps que le genre humain procède une bonne fois à son aggiornamento philosophique, c’est-à-dire à une nouvelle Renaissance qui, plus de cinq siècles après viendrait, sinon achever, du moins poursuivre et corriger la métamorphose entamée et laissée en plan aux XVe-XVIe siècles en occident. Nous sommes mûrs pour finir de dépouiller la chrysalide de l’homo religiosus qui nous emmaillote encore dans un statut hybride, ni chair ni poisson, où nous cumulons les handicaps sans optimiser les avantages. Il ne s’agit pas de répudier le renfort d’humanité apporté par la religion lorsque celle-ci prêche l’amour et non la haine, la fraternité et non le mépris. mais de l’assumer, laïquement si l’on peut dire. En quoi le principe de charité et de générosité envers autrui serait-il plus difficile à faire accepter par la raison que par le cœur. On ne peut croire au(x) dieu(x) seulement à demi. Puisque nous sommes des animaux, des créatures de l’évolution des espèces, acceptons de nous prendre pour ce que nous sommes ou plutôt cessons de nous prendre pour des anges déchus, des esprits purs proscrits de l’Eden par leurs déviances ou leurs désobéissances, assumons enfin notre appartenance au monde de la matière dont nous commençons à peine à entrevoir les mécanismes. Toute cette fantasmagorie de mythes abracadabrants dont nous avons voulu, pendant des millénaires, ennoblir nos origines, nous devons bien l’admettre à présent, n’aura pas ajouté beaucoup de noblesse, de dignité ni d’amour du prochain à l’histoire réelle des peuples. Mais il semblerait que nous soyons enfin au stade où nous pouvons nous regarder en face, en assumant une vision matérialiste de notre propre histoire. En n’omettant pas de préciser que nous ne nous reconnaissons absolument pas dans le matérialisme caricatural, sordide et insultant que la théologie chrétienne et la philosophie d’inspiration chrétienne (y compris le spiritualisme) ont jeté en pâture, et en toute mauvaise foi (c’est le cas de le dire), à l’Occident chrétien dont nous sommes bien placés aujourd’hui pour savoir quel usage aberrant il en a fait.

Mais dans l’état actuel des mentalités, il semble exclu qu’un tel processus puisse s’accomplir de façon parfaitement pacifique. Trop de forces sur la planète, et trop puissantes, restent attachées au monde ancien et à son chaos générateur de toutes sortes de privilèges et de profits. Les Etats-Unis d’Amérique en restent l’éloquente illustration.
Ce qui est frappant en effet pour l’observateur des comportements humains sur la longue durée, c’est l’incapacité des peuples à tirer toutes les conséquences de leur expérience historique et à apprendre de leurs erreurs. La cause principale, peut-être même exclusive, d’une telle inertie, c’est le fait que les erreurs commises ne révèlent qu’après coup toute leur nocivité. Il faut du temps généralement pour prendre vraiment la mesure des choses, identifier les problèmes et imaginer des solutions, un temps souvent beaucoup plus long qu’on aurait pu le penser et pendant lequel tout suit son cours et tend à s’invétérer davantage. Plusieurs générations peuvent ainsi se succéder sans qu’on ait seulement l’idée qu’il est possible de changer quelque chose au statu quo. A cet égard, contrairement à une idée toute faite caractéristique du jeunisme intéressé de notre époque, « la jeunesse » n’est pas nécessairement un vecteur sociologique de changement social et moins encore de « progrès ». Soûlées de bruit, de fureur sportive, de gesticulations artistiques, dans un enfer audio-visuel incessant sous l’influence de la mode toutes tendances conjuguées, les fractions les plus jeunes du public sont exposées en permanence au pilonnage publicitaire, à des fins toujours intéressées économiquement. Eduquer toute une jeunesse à se comporter en insatiables consommateurs et à adopter n’importe quelle innovation technologique pourvu qu’elle double clique ou qu’elle tik-toke plus vite et plus giga que la précédente, n’est pas forcément la meilleure façon d’aider au développement spirituel de l’individu, ni le meilleur service à rendre à la collectivité, à moins que celle-ci ne soit une société de consommation capitaliste, ce qui est précisément notre cas. En France comme partout ailleurs dans le monde, car on sait aujourd’hui ce que signifie l’expression « capitalisme mondialisé ». Elle signifie soumission inconditionnelle des peuples à l’argent et émulation généralisée dans la course à l’enrichissement. On en est là et il ne semble pas qu’il y ait une seule force sociale organisée sur la planète pour changer cette trajectoire catastrophique, du moins dans un laps de temps prévisible et raisonnable et sans recourir à la critique des armes qui semble être devenue, plus encore que par le passé, l’ultima ratio, le recours exclusif des Maîtres du monde, ce monde sourd et aveugle à la montée des souffrances et des misères humaines tout autant qu’à celle des océans.
« Les multimilliardaires tentent aujourd’hui de transformer le capitalisme mondialisé en capitalisme intergalactique »
A différents moments, au fil des millénaires, des peuples ont senti s’aiguiser la conscience qu’ils prenaient de l’irrémédiable finitude humaine. A chaque fois ils ont réagi par le déni, en récusant cette finitude sur le mode du fantasme et de la fiction mythologique. Ils se sont inventé des missions sacrées, des mandats impératifs d’ouvrir au genre humain de nouveaux espaces sur la planète. Pour certains ce furent des espaces géographiques, prometteurs de contrées et de richesses nouvelles en abondance, pour d’autres ce furent des espaces de pensée et de savoir qui s’ouvraient à l’intelligence. Mais dans tous les cas, il s’agissait de repousser les limites matérielles et symboliques sur lesquelles butait l’Humanité de leur époque. Ces entreprises d’élargissement de l’espace vital des peuples avaient des motivations diverses et souvent même moralement injustifiables, mais elles ont puissamment contribué à orienter le cours de l’histoire de la plupart des pays et des populations. Si criminels qu’ils soient, le génocide et l’esclavagisme ont contribué à faire des Etats-Unis d’Amérique la première puissance mondiale. Mais le monde a pleinement accepté ce fait historique (idem pour toutes les grandes puissances).
Ce qu’il importe de souligner ici c’est la fonction d’évasion que jouent ces entreprises dans l’histoire des sociétés aux prises avec les difficultés de leur finitude. Il est quand même remarquable que dans la plupart des cas où des peuples ont entrepris de conquérir et de s’emparer de terres étrangères, ils aient pris soin d’arborer la bannière de la « civilisation » et de transformer ainsi leur démarche en croisade légitime, aux yeux du monde mais aussi à leurs propres yeux. Cela éclaire d’un jour nouveau, plus cru mais plus révélateur, des entreprises aussi manifestement insensées que celles des archi-milliardaires de notre époque qui cherchent à embarquer les nations dans une nouvelle croisade pour repousser plus loin les inexorables limites de la vie humaine (transhumanisme) et les non moins contraignantes limites de l’aventure spatiale (colonisation de l’espace interplanétaire).
En apparence, le projet fou d’offrir aux Humains l’immortalité et l’immensité infinie de l’Univers, permet à nos ultra-riches, de prendre place sur le podium parmi les héros de tous les temps, les médaillés de platine du citius, altius, fortius toutes catégories.
Et si en réalité, ils s’imaginaient, peut-être en toute sincérité, mais pas moins absurdement, qu’ils vont sauver le système capitaliste de sa finitude et le transformer, de « capitalisme mondialisé » en « capitalisme intergalactique » ? De même que Christophe Colomb et les nouveaux capitaines hauturiers du XVe siècle ouvraient sans le savoir expressément un monde au capitalisme commençant, de même Elon Musk et ses émules cherchent-ils à ouvrir un espace salvateur au capitalisme finissant sur la Terre… Si c’est pour nous faire une seconde version, spatiale celle-là, des États-Unis d’Amérique, non merci Elon, on a déjà donné ! Quant à l’immortalité, qu’on laisse les humains « s’endormir du sommeil de la terre », c’est l’ultime service qu’on puisse leur rendre !
Alain Accardo
Sociologue, professeur émérite à l’université de Bordeaux, proche de la pensée de Pierre Bourdieu, Alain Accardo a notamment participé aux côtés de celui-ci à « La Misère du monde ». Collaborateur régulier du Monde Diplomatique et de La Décroissance, il est notamment l’auteur de : « Le Petit-Bourgeois gentilhomme » et « Pour une socioanalyse du journalisme », parus aux éditions Agone
9 Commentaire(s)
Immersion avec Alain Accardo pour une plongée dans le noir. Je passe en mode furtif. Hérodocte en primo commentateur a bien cerné le fond du propos de l’article et balisé sa protestation de repères sur l’homme, sa nature et sa destinée, que je pourrais retendre. Inutile d’y revenir. J’ai imprimé l’article et les lignes en filet pour lecture et archive, et posé pierre en réponse au dit commentaire pour faire pont. Je poursuis ici ma réflexion.
Je ne lis pas la prose acérée d’Accardo pour nourrir une déception, une rage ou la perte d’illusions. Je le lis pour passer mes vues au tranchant de son verbe, pour éclairer les faux-semblants hérités de la Culture qui tapisse mon hère, culture pernicieuse en cela qu’elle prend toujours les apparences de l’Évidence, alors qu’elle n’est que conditionnement inconscient et paravent à notre ignorance, et donc en constante échappée à nos regards. Elle se fond dans le décor comme on dit. Le moins que l’on puisse dire d’Alain Accardo, est qu’il n’y va pas de main morte et que peu de breloques échappent aux brassages de son branle-bas-le-combat. Je parviens ainsi à sentir et éprouver dans ce qui résiste à son jeu de lames, les forces qui me fondent en propre et tiennent la barre.
Ses virées dans le noir brillent d’un éclat tout particulier, que cet article pointe pudiquement d’un mot totem, « tabou », et dont il cerne les contours en remisant au placard les chimères de naguère (croyances religieuses, théologiques, philosophiques, et même métaphysiques) et celles d’aujourd’hui (sciences informatique, économique, sociale, politique…).
Devant leur impuissance avérée à combler le vide laissé par la perte de la foi et des idéaux de toutes sortes, que ni l’hédonisme triomphant, ni le capitalisme et ses leurres comme l’argent n’ont réussi à combler, en dépit d’une communication massive, l’homme mis en pièces par Accardo se sent comme pris de vertige, au bord d’un abîme qui va bien au-delà du simple constat de déclin ou d’effondrement de civilisation, puisqu’il est question désormais de l’extinction de ce qui fait Humanité dans l’homme, voire même de l’extinction de l’espèce animale qui la porte.
La crise géopolitique actuelle et ses guerres, les sombres perspectives économiques et sociales anthropologiques et climatiques qui s’annoncent ont mis à mal dans le passé civilisations et sociétés. Mais jamais l’homme n’a été confronté à la perte totale de sens et de raison intime d’aller de l’avant. Gloires et richesses, explorations et conquêtes, luttes et avancées, qu’elles soient civilisationnelles, artistiques, métaphysiques, sociales ou intellectuelles, qu’elles furent bénéfiques ou destructrices, ont tous été promues par « une soif » de l’homme, par sa propension à se sentir happé par quelque chose au dehors de lui-même jusqu’à vouloir saisir, et même posséder jusqu’à l’absurde, la ou les choses et buts poursuivis, dans la furie ou la frénésie.
Ce feu en l’homme qui le meut, est en passe de s’éteindre sous les coups de butoir de l’Histoire et de ses échecs répétés, par épuisement des sens et du sens dans nos contrées. Le risque que l’Occident en proie à ses démons, entraîne le monde entier dans sa chute finale, comme il l’a fait par deux fois au cours du siècle dernier par la guerre, grandit de jour en jour, jusqu’à menacer de point de non-retour. C’est le drame que pointe Accardo de sa lame. Ce grand vide profond et aspirant comme un trou noir qui menace tout un chacun et le monde des hommes, d’asphyxie fondamentale : l’absence de raison d’être dans l’univers et la volonté sourde d’en finir rageusement pour crier sa misère. Que répondre à cela ?
Que Dieu Lui-même, conscient du point de non-retour, que l’Homme, sa créature, est sur le point de franchir, est revenu parler à l’homme en personne pour lui redonner son Feu et l’aider à sortir de la mouise ? Qui le croirait même si c’était vrai, puisque le problème de nos jours, c’est que l’on ne croit plus, que l’on ne veut plus croire et que l’on est même en passe de ne plus pouvoir croire en rien !?
Accardo signe à la perfection cette désespérance marneuse pétrie par le sentiment d’abandon quand il déclare : « L’univers, qu’on l’entende à la façon relativiste, ou à la façon quantique, ou de quelque façon que l’on voudra, se fiche éperdument, selon toute probabilité, de notre misérable existence et de nos préférences. C’est là qu’est le nœud du problème. »
« Selon toute probabilité »… Voile levé sur le tabou, je peux enfin m’engouffrer dans la faille que recèle ce texte d’Alain Accardo qui signe avec ces trois mots, « selon toute probabilité », l’honnêteté intellectuelle qui arme et donne force à son propos. Qui peut dire en effet ce que pense ou ressent vraiment l’Univers ? Alain Accardo s’aventure là dans le « nœud du problème », avec une conviction (ou est-ce une supposition plaintive ?), qui est la sienne et qui relève selon lui, du « probable ». Hypothèse donc.
Lancer mon hypothèse contre la sienne ne ferait pas avancer le schmilblick. Je peux cependant, puisqu’il est reconnu que nous sommes et resterons ici, quoique l’on en pense ou dise, avec les mots sur le terrain du spéculatif (hypothèse, hypothèse,…) me hasarder à évoquer la figure de Pascal et son Pari, sa combinatoire et ses intégrales infinies, pour tendre la toile de l’espace dans lequel l’homme s’inscrit, quand il évoque (ou invoque c’est tout comme), l’Univers dans son argumentaire.
La France a peu d’auteurs ou penseurs qui ont arpenté les questions métaphysiques et les réalités physique à la fois à haute altitude et grande échelle de surcroît. Pascal est de ceux-là et compte probablement parmi les plus brillants esprits. Je n’évoquerai pas la Grâce par laquelle il voit le Salut et le Destin des êtres, concepts trop chargés religieusement et à mettre historiquement en perspective avec les idées de son temps pour les cerner et les manier élégamment de nos jours. Mais si je me plonge dans sa Mathématique et ses Pensées qu’y trouvai-je ? Un univers non-fermé, mû par des lois probabilistes qui font fi de toute déterminisme, s’étendant à l’infini dans tous les directions et ondulant permanentement comme une mer étale, dont l’homme peut tresser table des éléments et matrice combinatoire anticipée de ses mouvements.
N’est-il pas prodigieux de pouvoir concevoir, à partir d’un échafaudage de notions portées par de simples mots, des images-signes arbitraires de surcroît, un truc aussi immense et démesuré que L’UNIVERS, jusqu’à pouvoir modéliser échafaudage permettant de se figurer son Étant et en même temps penser sa fin et son commencement ? Bref pouvoir se glisser subrepticement, même si c’est scabreusement, le temps de quelques pensives, hors du l’espace-temps pour enjamber sa courbure du regard ?
Comment expliquer qu’une micro-poussière, vile et débile de surcroît, je ne dédierai pas Alain sur ce point, puisse aborder en pensée dans sa caboche inervée de sang, l’immensité dans laquelle il est plongé, s’il n’avait partie liée de quelque manière que ce soit, avec le cœur ou la pensée la structure de cet « Immense » ou ce qui l’a engendré ? Curieuse voltige j’en conviens. Mais les précipices escarpés et les trous noirs tendus par Alain Accardo dans son article m’ont fait virevolter en trombe comme une toupie et je n’ai pas vu d’autre issue que lui tendre en retour l’espace dans lequel je navigue pour lui répondre ceci.
Si l’homme peut penser l’Univers tout en se mouvant en lui, c’est qu’il a plus que partie lié avec cet Univers, c’est qu’il y participe de plein pied, en pensée et action. Il ne tient qu’à lui de décider de la place qu’il veut y occuper. Il est aujourd’hui tenté par l’auto-destruction et là où ça se complique, c’est que l’homme n’est pas seul à bord et que son destin humain se joue peu ou prou avec toute l’humanité, passée-présente-avenir. Je renvoie à ce sujet ce que j’ai écrit précédemment en réponse à Hérodocte sur l’intermutualité humaine.
Je peux me laisser aller au désespoir jusqu’au spleen, pour approcher par la douleur et transmuer par le verbe poétique, Feu s’il en est, l’absence ou la perte d’Idéal, je peux peindre le cri et les tourments à venir pour tenter de réveiller les âmes. Mais le temps des présages et des prévenances est révolu. Le vide s’avance et avec lui danger de profonde désespérance, et c’est peut-être ce qui happe l’homme éperdument aujourd’hui, jusque dans les cris de son agonie. Car acter sa perte de raison de vivre et d’être, ce grand vide tabou dont il est question ici, serait acter la perte délibérée de ce lien intime avec cet Immense qui le dépasse et l’attire, tout autant que le vide le fascine et l’aspire. Ce serait mettre follement un terme à sa libre participation à la Création de laquelle il n’aspire qu’à se donner jouissance et puissance. Réduit à rien, à rien d’autre que des regrets et des souvenirs, des tourments tournoyants pour ainsi dire, voilà le triste sort en effet qui attend l’homme en proie à la désespérance aujourd’hui et qui explique la profonde noirceur et l’angoisse prenante qui sourd de ses cris comme de son agonie.
Sans raison valable de croire en quoique ce soit, quel autre choix me reste t-il que celui du Pari ? Quand on a plus rien à perdre, miser devient plus facile. Et puisque l’enjeu est de taille à nous anéantir, pourquoi ne pas à l’inverse parier sur l’impossible ?
Je ne vais pas développer ici la place prépondérante qu’occupe le Jeu dans l’accès à l’espace qu’ouvre la métaphysique et ses troubles choix de conscience (« que nul n’entre ici s’il n’est géomètre »), ni l’importance qu’il joue dans la glisse et le maillage des événements. Je me contenterai de dire qu’actionner ce levier de l’impossible possible que l’homme possède de part ses liberté de choix et force de création, en pariant sur sa faculté de se redresser et tirer lumière de sa nuit, est l’unique réponse sensée que je peux faire à l’ultimatum lancé par Alain Accardo qui ne voit pas d’autre solution que de se raccrocher à ce qui lui reste de morale valable pour tenir et marcher dans le vide.
Le noir que nous affrontons aujourd’hui est des plus épais et tenace. Mais par contraste, la lumière que nous sommes appelés à faire éclater promet d’être des plus sublimes. C’est souvent dos au mur que l’homme par instinct de survie prend les plus grands risques, fait les choix les plus insensés qui peuvent s’avérer les plus porteurs.
Rien ne va plus ? Faites vos jeux !
Merci pour ce texte fort intéressant bien qu’il me paraisse que je n’ai pas tout compris.
J’espère qu’Alain Accardo lira votre réflexion, l’appréciera à sa juste valeur et en saisira lui toute la teneur.
Si je devais parier sur l’avenir de l’humanité… je ne miserai pas, non qu’il faille voire là quelconque pessimisme mais plutôt une aversion pour le jeu de hasard. Si par ailleurs à l’instar de Pascal on arrive par le calcul à se jouer de la chance et maximiser ses chances de gain, est-ce encore du jeu notamment vis-à-vis des autres joueurs ?
Le seul avenir qui m’intéresse en réalité est le mien et il n’obéit pas je pense au hasard (d’autant que j’ai déjà pris de nombreuses décisions irrévocables). Quant à celui de l’humanité je m’interroge en quoi cela aura-t-il encore un sens pour moi une fois que je serai mort ? et quelle importance cela avait-il quand je n’étais pas né ?
Finalement la réponse est sûrement que les générations précédentes, toutes les générations précédentes, ont préparé notre arrivée et nous leur sommes redevables. Et que les générations suivantes hériteront de cela elles aussi, plus notre apport personnel si apport, moins ce dont on les aura définitivement privé.
Qu’en feront elles ? En réalité les plus concernés sont les générations qui viendront après elles. Et sans doute les plus concernés sont ceux qui ont des enfants ce qui ne sera jamais mon cas. Quant à l’ultime génération, je ne doute pas qu’un jour cette terre ne sera plus et qu’il y aura une génération finale. Est-ce la nôtre ? On finira bien par le savoir.
Que notre fin se confonde avec celle de l’humanité ou que cela soit reporté à plus tard, j’invite chacun à réaliser que l’évènement le plus important à conceptualiser est qui dans les deux cas est le même (ne fait pas l’objet de doute) est notre mort. Cette certitude devrait être notre seul souci. Après notre naissance que nous n’avons pas vu venir, ni sans doute souhaité, ne soyons pas inattentifs à ce qui mettra un terme à ce passage qui à l’échelle de temps de l’univers n’aura été qu’un clignement d’œil. De sorte que nous réalisions que le sablier s’égraine inexorablement et que notre temps est compté. Seul compte ce que l’on en aura fait. Le reste, quel reste ?
Traité l’Homme comme une espèce c’est oublier l’individu et que nous ne serions être responsables des actes d’autrui mais que nous ne sommes responsables que de nos actes. Aussi et bien qu’il soit commode ou nécessaire pour les anthropologistes, la science, de classifier, d’organiser les espèces dont la nôtre. Et que cela fait sens pour distinguer les groupes les uns par rapport aux autres (s’il n’y avait que des humains sur terre cela n’aurait par exemple aucun sens). Il faut raison gardé sur ces subterfuges qui à l’échelle qui compte, l’individuelle, n’ont pas de matérialité.
Certes nous partageons des caractéristiques communes avec nos semblables, mais nous sommes tous différents. Un peu comme nos empreintes digitales, si proches à première vue et si différentes dans le détail. N’est-il pas prodigieux qu’aucun être humain sur les milliards que compte cette planète et sur tous ceux qui sont passés aient les mêmes empreintes ? (À ce sujet Les conclusions mathématiques de Galton ont prévu l’existence possible d’environ 64 milliards de configurations différentes d’empreintes digitales, quand Pearson en compte 10 puissance 41 mais dans chacun des calculs il faut prendre en compte le nombre de point de références de comparaison. A partir de 18 points il est considéré que la probabilité d’avoir deux empreintes identiques est nulle sur la population humaine actuelle voir peut-être toute celle qui a existé. Pour un pays de la taille de la France, 12 points seraient suffisants ceci dit vu que les frontières ne sont pas perméables et que les 65 millions de français ne vivent pas en vase clos le doute m’habite. Bon de toute façon l’ADN se substitue progressivement aux empreintes et il est possible que la méthode soit à terme abandonnée).
Tout cela pour dire que les empreintes ne sont pourtant qu’une petite partie de notre corps, alors quand on en vient à des plus grandes, le cerveau, l’âme il faut raison gardé, être réaliste, nous sommes certes semblables, une espèce. Nous sommes aussi différents, des individus. De la plus grande division, celle qui sépare en 2 l’espèce, en mâles et femelles, aux plus petites telles que le QI, la force physique, la beauté… dans la catégorie des différences physiques. Aux différences morales, de vertus, de caractère, d’âme…. A partir de là extrapoler des conclusions collectives qui s’imposerait aux individus me parait plus que douteux. Notons que dans les religions monothéistes, Dieu ne fait pas cette erreur, et juge les individus et non les peuples ou l’espèce.
« Les sociétés humaines, bien que, génétiquement, elles ne forment qu’une seule et même espèce, ont été incapables de vivre dans l’harmonie et la concorde » c’est précisément le fait que nous sommes différents en tant qu’individus, et en tant que groupes d’individus (peuple, nations, communauté) partageant des valeurs, des histoires, des langues, des aspects physiques différents…qu’on ne peut rester à l’échelle humaine, à celle d’espèce. Cette échelle aurait un sens si un jour des créatures (les fameux petits hommes verts, expression problématique car elle contient homme or ce ne seraient pas des Hommes, disons les martiens) débarquent d’une autre planète et veulent nous attaquer. On peut espérer à ce moment que les humains s’uniraient pour se défendre et chasser l’envahisseur un peu comme dans la série les visiteurs ou le film indépendance day (même si je pense qu’il est plus probable que l’humain étant ce qu’il est, des collabos essaieront de s’allier aux espèces extra terriennes pour tirer leur épingle du jeu et que les traitres seraient foisons…) Mais bon partons du principe que l’espèce en question ne veut rien avoir à faire avec les humains, ce qui à mon avis s’ils sont à ce stade au courant de notre histoire est compréhensible, et veut juste la Terre et n’accepte pas les collabos, donc ne donne aucun choix autre qu’une union entre humain. Hélas ou heureusement, il semble bien que ce scénario soit impossible, personne ne va venir d’une autre planète pour nous envahir. Et il apparait que nous sommes seuls dans l’univers visible à être des individus conscients d’eux-mêmes et du monde ou l’univers qui les entourent. Il n’y a personne sur mars et personne ailleurs. Bon on peut toujours chercher et envoyer des sondes comme Pioneer mais cela m’a l’air en pure perte. En parlant d’ailleurs de Pioneer la plaque que nous (je dis «nous » mais je devrais dire les Américains, mais là on va faire comme si on était une espèce, bien que ces derniers aient plantés leur drapeau sur la lune et pas un symbole de l’humanité). J’invite chacun à regarder cette plaque et à voir que les personnes représentées sont blanches bien que l’on n’ait pas la couleur. Les autres « races » apprécieront de ne pas être représentées. Tout comme les femmes peuvent apprécier que si le pénis de l’homme est visible (et qu’il n’a pas l’air circoncis), leur vulve a quant à elle disparue. Les aliens comprendront que l’on est un peuple pudique. Tellement pudique que d’ailleurs aucun des adultes n’a de la pilosité, ce qui me fait remarquer qu’il n’y a pas d’enfants. Ça se trouve il faut comprendre que le couple représenté est un couple d’ado prépubère, c’est peut-être pour cela qu’il ne se tienne pas la main ou ne se touchent pas ? ils sont timides. En réalité si les aliens sont intelligents, ils vont comprendre qu’en plus d’être pudiques on est désuni rien qu’entre homme et femme (rappelons que c’est le plus grand diviseur). Remarquez bien ce que l’on a osé envoyer aux extraterrestres comme représentation de nous-mêmes… A moins que finalement on ait envoyé ce message aux peuples de la terres ?
Mais bon si un jour un extraterrestre débarque avec la plaque, je suggère aux humains de dire que tout cela est une invention américaine et qu’ils doivent la considérer comme une insulte, que l’homo-americanus qui fait signe de la main après avoir soumis la terre, ses peuples et ses femmes, veut soumettre l’espace et qu’ils devraient se débarrasser des USA et leurs sponsors qui sont un grand danger pour eux et qu’ils finiront par leur faire à l’envers (qu’ils se méfient particulièrement de cette main tendue en l’air et non vers eux même si je n’ignore pas qu’en Asie la main tendue de cette manière est signe de paix). Et qu’à moins les aliens à défaut de vouloir à leur tour ne plus apparaître sur le futures plaques qui seront envoyées qui sait en dehors de l’univers visible ? ils devraient mieux se débarrasser des USA. On pourra aussi leur dire que de toute façon s’ils leur prennent leur bout de terre, ils auront autant de légitimé que les « américains » vu que ces derniers ont fait la même chose aux « indiens » qui leur avaient offert l’hospitalité en plus (c’est peut-être pour cela que l’homme ne tend pas la main ?) et que pour ma part en tout cas, ils auront autant de légitimité et que cela ne me dérange pas tant que l’on aura toujours des visas pour aller à New-York ou Los Angeles bien sûr faut pas déconner. Et que nous enfin en tout cas moi veut la paix avec les aliens (ils seront donc nos libérateurs et espérons qu’ils seront plus intelligents et ne profiterons pas de leur position dominante pour nous soumettre ou nous éradiquer, après tout s’ils ne sont pas humains, il y a peut-être de l’espoir ?).
Quand je vous dis que l’on n’est pas unis… Trêve de plaisanteries ou de rêveries, j’imagine par ailleurs que pour la dessinatrice de la plaque, il était compliqué de produire quelque chose. On va dire que c’est l’intention qui compte. Et que même les non-blancs peuvent se reconnaitre dans ce couple d’humain ado prépubère blancs et sans enfants (de toute façon vu que la femme n’a pas d’organe sexuel, il leur serait compliqué d’en avoir). On regrettera néanmoins que si l’idée était bonne, dans la réalisation, ils auraient pu faire un concours au lieu de confier la tache à une personne nommée, là aussi on voit bien le caractère humain. Même si à l’époque organisé un tel concours est plus compliqué qu’aujourd’hui.
Nous sommes seuls, enfin nous sommes des milliards, mais dans cet univers visible il semble bien qu’il n’y ait que nous. Et sur cette terre les humains sont multiples, en identité, en peuples, en croyances…et individuels en responsabilité. Je réfute donc la thèse du tous responsables, tous coupables. Les horreurs qu’ont pu faire certains humains n’engagent qu’eux, parfois ils engagent leur état, leur civilisation et encore à un instant T mais elles ne sont pas imputables aux autres membres de l’espèce. C’est pour cela que je suis en désaccord avec le biais pris par l’article, moi je me désassocie des crimes commis par d’autres et dans lesquels je n’ai aucune responsabilité même si l’on fait partie de la même espèce, eux c’est eux, et moi c’est moi. Je ne suis responsable que de moi et de ceux dont j’ai la charge c’est-à-dire moi. J’ajoute par ailleurs que certaines personnes sont irresponsables de leurs actes soit en raison de leur état psychique (les fous). Ou en raison du fait qu’elles sont contraintes dans leurs actions. On peut citer les esclaves par exemples qui dépendent de leur maitres, on peut citer les militaires qui s’engagent pour défendre leur nation et se retrouvent à faire des guerres coloniales. Parfois les gens n’ont pas connaissances ou consciences des tenants et des aboutissants et ils sont dupés. La caractéristique de l’être humain est aussi de mentir et tromper. Tout le monde n’est pas aussi éclairé que les plus intelligents des êtres, et certains sont trompés. Dieu jugera les intentions. Les intentions ont cela de supérieures aux actions qu’elles ne sont pas tributaires des contingences de l’environnement.
La mort de la reine d’Angleterre qui termine sa vie terrestre est à ce sujet éclairant. Quel choix cette femme a-t-elle eu au cours de son existence ? comprenait-elle toujours ce à quoi elle participait ? Qui sait la nature (vraie ou fausse) des notes qu’elle recevait par les services de l’état dont elle était totalement tributaire même si on suppose qu’elle avait accès à la télé, on l’imagine mal par exemple se déguiser et sortir de son palais pour se renseigner sur le vrai état de son peuple ou du monde. Son symbole au-delà d’être une incarnation de la structure administrative britannique est aussi celui d’un humain qui a sacrifié sa vie pour un système qu’elle n’a pas pensé mais qu’elle a juste perpétué. Ayant grandi dans le luxe, il n’aurait pas été facile pour elle de renoncer à ses privilèges. Là aussi c’est humain, on s’habitue vite au luxe et au confort, et peut-être encore plus les femmes. Le simple fait qu’elle ait accepté d’être un souverain, un monarque, dépourvu du pouvoir dont le plus élémentaire celui de donner son opinion, s’exprimer librement, réduite à lire des discours écrits par d’autres. En dit long sur les compromissions qu’elle a acceptées pour toutefois être un symbole de sa nation (utile notamment en temps de crise et de division) et une garante de certaines valeurs et d’une organisation. Elle a fait le job mais si on enlève l’apparat des bijoux et des châteaux, cela ressemble plus à une fonction d’esclave que le travail d’un Homme libre. Et certains quittent la monarchie pour recouvrer leur liberté.
« La géographie politique et humaine de la planète entière a été modelée continûment, au fil des siècles, par les guerres…au mépris des droits les plus sacrés et des engagements les plus solennels. » c’est historiquement faux, on a vu au cours de l’histoire des unions pacifiques, des nations s’unissant à la faveur d’un mariage arrangé entre deux souverains aux constructions politiques comme l’Union européenne. Les êtres ne sont pas toujours sanguinaires. Certains peuples vivent en paix depuis longtemps et ne veulent ni envahir, ni être envahi. Encore une fois il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. L’auteur se demande s’il y a eu une fois une période de paix dans l’histoire ? il faut peut-être qu’il arrête d’être ethnocentré et voyage sur terre pour découvrir qu’il y a d’autres histoires que la française ou européenne et qu’en plus la construction européenne ou l’histoire de France devrait l’amener à réviser ses convictions. « – les résultats de ces efforts restent dérisoires » c’est encore une fois une question de point de vue, pour un être humain, passer toute sa vie dans la paix n’a rien de dérisoire et de nombreux humains n’ont connu que la paix et n’ont jamais connu la guerre, pour eux cela n’a rien de dérisoire. Par contre à l’échelle de l’histoire qui n’est pas une échelle humaine, certes il y a alternance de paix et de guerres, rien n’est immuable dans un sens ou l’autre mais nous nous sommes mortels, cette échelle n’est pas la nôtre. Personne ne peut raisonner dans une échelle historique sur des problématiques humaines. L’Echelle historique c’est celle des personnes morales que sont les nations, pas des personnes physiques qui les constituent. Nous ne sommes pas responsables des actions de ceux qui nous ont précédés et nous sommes innocents de celles de ceux qui nous succéderont. Nous ne sommes responsables que de nos actions et notre époque.
Et c’est là où il est intéressant de remarquer que contrairement à une théorie exprimée par l’auteur « vision linéaire et continuiste si l’on peut dire, de la civilisation » le fait que chacun est responsable de sa vie et son époque crée des ruptures avec le passé et l’évolution des civilisations n’est pas toujours vers le mieux, ni prendre le meilleur du passé et modifier le pire (d’ailleurs selon quels critères objectifs ?) il y a des reculs civilisationnels et des retour en arrière voire même des choses jamais vues dans le passé pires que celles qui ont existées. Plus exactement la modernité apporte des éléments pires que ceux auxquels elle est sensée se substituer. Par exemple l’industrialisation et la mécanisation et demain la robotisation font que les guerres modernes sont pires que par exemple celles du moyen-âge qui se voyaient affronter des nobles sur un champs de bataille établie qui n’était pas comme aujourd’hui les villes des civiles. Je ne suis pas sûr que les chevaliers des temps anciens auraient osé même s’ils l’avaient eu, bombarder des villes de civiles avec des bombes nucléaires, ils avaient des limites et un code de l’honneur. Peut-être pas écrit dans des conventions que peu respectent mais donnés par leur cultures, leurs valeurs, leurs éducation et leurs croyances. Le progrès scientifique n’est pas que facteur d’améliorations, il est aussi facteur de nouveaux problèmes, nouvelles questions, nouveaux possibles et souvent il semble que l’humain soit attiré par le pire d’une découverte avant de rebrousser chemin vers un mieux. Et il ne le fait d’ailleurs pas marche arrière par bonté d’âme mais souvent après avoir subies les conséquences désastreuses. Il semble qu’il ait besoin d’expérimenter même les choses les plus viles à partir du moment où cela lui devient possible (explorer tous les champs des possibles y compris les plus vils) même en connaissance du fait que cela est mal. Personne ne peut considérer que nucléarisé des civils dont des enfants peut par qui que ce soit être tenu pour progrès ou un hommage à la civilisation. Cela était possible et ils l’ont fait. Cela fait penser aux invasions barbares des hordes qui détruisaient tout sur leur passage et encore souvent ces groupes d’hommes épargnaient les femmes et les enfants qu’ils savaient pouvoir assimiler à leur peuple. Avec cette arme c’est l’insulte suprême, même les femmes et les enfants, les vieillards et les impotents font partie de ceux qu’il convient d’éradiquer… Or s’il y a eu des barbares dans l’histoire, il y a aussi eu et probablement de tout temps des gens qui avaient un code d’honneur en ce sens le continuum est toujours double, la continuité du bien et la rémanence du mal, l’un ne se substitue pas à l’autre, les deux ont toujours existé en parallèle et les deux d’ailleurs existent en chacun d’entre nous. Qui n’est que bon ou mauvais ? il en va de même des époques précédentes et de celles qui suivront.
Certains allemands pendant le nazisme ont été bons, il n’y a pas eu qu’un groupe de gens mauvais où tout le monde serait coupable des pires actions du pire de ses membres. D’ailleurs quelles connaissances avaient les Allemands de la réalité du front ou de celle des camps ? ce sont des cas individuels et nullement collectifs. Par exemple la Wehrmacht notamment à l’époque où elle était constituée de vrais soldats (qui au fur et à mesure de la guerre disparaissaient) et pas d’adolescents ou de repris de justice avait meilleure réputation et se comportait mieux que les fanatiques de la SS et les soldats d’infortunes improvisés de la fin de la guerre. Quant aux civils ils étaient par ailleurs endoctriné par une propagande et un régime de terreur qui laissait peu de place à la possibilité d’une remise en question ou d’une rébellion. Et pourtant il y a eu des courageux qui ont payé de leur vie leurs tentatives de révoltes ou d’opposition. Ces gens étaient pourtant tout aussi allemands. C’est bien que les responsabilités sont individuelles. S’il est facile de juger les vaincus ou les faibles, le vrai courage en réalité consiste à s’opposer aux tyrans en position de force même quand ils sont vainqueurs.
A cet égard on voit peu de voix dissonante dans l’affaire ukrainienne à la propagande américaine et à ses mensonges pourtant énormes. C’est bien de parler du passé ou du futur mais le présent est bien plus important. Et d’une manière générale on voit peu de voix dissonantes dans cette partie du monde (l’occident) aux crimes des USA au cours de l’histoire. Les plus anciens se souviendront par exemple comment nous avons été abreuvés à une époque de western présentant les Indiens comme des sauvages. Pas de manichéisme cependant le native américain comme tout le monde avait ses bons et mauvais côtés de là à les rendre responsables de leur propre extermination… Et là aussi on pourra remarquer que même en minorité il y a eu des voix dissonantes comme celle de Marlon Brando qui a laissée une Indienne recevoir à sa place son oscar et délivrer un message courageux devant une audience qui lui était hostile sur le problème posé par la représentation erroné, on pourrait dire criminelle par complicité postérieures au fait, des Indiens dans le cinéma étasunien. Et si cela ne s’était arrêté qu’aux indiens, mais les noirs, les rouges (les communistes) et d’autres ont tout autant été stigmatisé et calomnié. Une fois de plus, il convient de voir la réalité, c’est au niveau individuel qu’il convient de porter un jugement si jugement au niveau humain.
A un moment où le public célèbre la couronne britannique qui se souvient du génocide des tasmaniens et qui portera leurs voix maintenant qu’ils ne sont plus là ? Mais est-ce à dire que la défunte reine qui est née après celui-ci en est responsable, certainement pas à titre individuel, mais qu’a-t-elle fait en tant qu’héritière de la couronne sur ce crime et sa reconnaissance comme par exemple l’exposition de Truganini qui s’il est parvenu jusqu’à moi par le défunt Vergès ne pouvait sans doute lui être inconnu ? En parlant de Jacques Vergès résistant pendant l’occupation, résistant pendant la guerre d’Algérie, mais dont une zone d’ombre subsiste sur les années où il a disparu et pendant lesquelles il aurait pu les passer au Cambodge, Cuba ou en URSS, il illustre à lui seul la complexité humaine et le fait qu’il s’agit bien de responsabilité individuelle. Le même Vergès qui a servi l’armée française en exile sous l’occupation a su la défier pendant sa sale guerre en Algérie et être fidèle à des idéaux et non (seulement) un drapeau. Bien qu’il ait fait plus pour la France que beaucoup, d’autant plus qu’il est probable qu’il était lié aux services secrets d’une manière ou une autre. Maintenant qu’il est mort les services secrets pourraient réhabiliter sa mémoire mais ça n’est pas dans leur usage de quitter l’ombre et d’être dans la lumière, d’une certaine manière ce sont des vampires. Lui en défendant Barbie avait saisi la complexité humaine et évitait les caricatures. Quant aux habitants de l’ile de Pâques eux aussi ont disparus pour d’autres raisons. Une théorie est que suite à des changements climatiques, les conditions d’existences se seraient compliquées sur l’ile entrainant une guerre civile puis l’extinction des humains. Il ne subsiste plus que de leur passage sur l’ile que leurs vestiges.
Tous les drames ne sont pas liés qu’à la malfaisance humaine, il y a aussi des accidents tragiques de l’histoire pour lesquels l’humain n’est pour rien et qui s’abatte sur lui, ce qui d’ailleurs renvoie au concept de destin qu’il soit bon ou mauvais. Et répond à la question de l’article de savoir si « la dialectique de l’histoire puisse se confondre avec celle de la nature ». Il n’y a pas qu’un seul sens dans lequel ces dialectiques s’alimentent, l’humain agit sur la nature, la nature agit tout autant si ce n’est plus sur lui. Il y a des situations favorables et défavorables, que ce soit le climat ou la santé par exemple. On peut parler de la tragédie des 50 millions de morts de la seconde guerre mondiale on peut aussi parler des 100 millions de morts de la grippe espagnole (nommée d’ailleurs du nom d’un pays non belligérant à la première guerre mondiale). Inutile de dire que ces évènements hors du contrôle humain ont eu au cours du temps des répercussions énormes sociales et politiques. De même que suite au débarquement des conquistadors, ce sont les maladies qu’ils ont apportées qui ont fait le plus de morts parmi les populations locales alors même qu’ils en avaient exécutés un nombre considérable. Et forcément ces maladies ont joué un rôle dans la capacité des autochtones à se défendre et donc dans la victoire des vainqueurs. Aujourd’hui on a eu un rappel avec le Covid même si l’origine naturelle ou non humaine du virus pose débat. Et que les armes biologiques ouvrent un nouveau champ de possible qui comme on l’a vu précédemment dans l’histoire humaine, l’apport initial des nouveautés est rarement bien. On voit bien que depuis qu’il est possible de cloner des animaux certains n’hésitent pas à essayer de le faire sur des humains. Quand il va naître des individus difforme et monstrueux peut-être qu’ils arrêteront ?
« Nous en sommes précisément au stade où le travail critique de la raison (la Science) entrepris au cours des siècles, a sinon fini de dissoudre le ciment des illusions religieuses et métaphysiques qui faisait tenir ensemble les composantes de la réalité perçue, du moins sérieusement fragilisé leur capacité de nous convaincre. » Je pense que l’auteur généralise son cas particulier aux communs de ses contemporains, si ce n’est des mortels. Là aussi il faut raison gardé, et ne pas oublier que beaucoup des avancées scientifiques dont il se gargarise et qu’il oppose à la foi, ont été réalisées par des croyants. D’ailleurs souvent l’ont-ils fait pour se rapprocher de Dieu et dans une quête métaphysique. Parmi ces personnes on peut compter Newton et Einstein. Même les penseurs de la Grèce antique avaient leurs croyances et certains croyaient en Dieu. Aussi si lui est athée, il ne devrait pas généraliser son cas. Il existe encore de nos jours des hommes et des femmes de sciences et de foi, les deux ne sont pas incompatibles. Hélas certains n’ont ni l’un, ni l’autre, ce qui est aussi une réalité.
S’il pense pour de vrai que l’existence humaine est le fruit du hasard, comment explique-t-il que sur les milliards de galaxies, de constellations, de planètes et d’étoiles nous soyons seuls dans l’univers visible ? Gagner au Loto demande beaucoup de chance, du hasard, pourtant ce phénomène se répète et il y a plus d’un vainqueur du gros lot même si parfois personne ne le gagne. Comment alors si nous sommes le résultat du hasard, ce hasard ne se serait pas répété ailleurs et serions-nous les seuls à avoir tirer le ticket gagnant ? Et où sont les petits hommes verts ? Mieux où est l’autre terre ? pourquoi les extraterrestres n’ont-ils toujours pas trouver la sonde Pioneer et ne nous ont-ils pas répondus ? C’est d’autant plus étrange que ces civilisations d’autres galaxies pourraient en théorie être plus anciennes que nous et donc en être à un autre stade de leur développement. Si par exemple ils ont ne serait-ce qu’un million d’années d’avance sur l’apparition de l’être humain dans sa forme actuelle sur terre ce serait énorme. Si les humains sont encore là dans un million d’années on peut penser qu’au niveau de la connaissance des découvertes stupéfiantes auront été réalisées dans l’intervalle et peut-être même arriveront ils à voyager entre les galaxies et que les mutations sur le génome humains leur permettront de vivre dans l’espace et de s’y déplacer. Certaines galaxies par exemple en sont déjà au stade où leur soleil est devenu une géante rouge. Pourquoi ne n’ont-ils pas envoyé qu’un signal radio ? Pourquoi même n’ont-ils toujours pas débarqué ? (On ne peut pas partir du postulat qu’ils sont plus cons que nous, ou qu’ils se sont tous autodétruits. D’ailleurs cette seconde hypothèse pourrait suggérer qu’en fait l’inéluctabilité de la vie intelligente est la destruction ou plutôt l’autodestruction. Et si tel est le cas, nous sommes peut-être innocents et victime simplement de qui nous sommes, de notre intelligence, comme nos semblables d’autres galaxies).
L’exemple sur la numérisation illustre en réalité que puisque l’homme est au cœur de ces changements, et qu’il n’a pas changé depuis les premiers temps de l’histoire moderne, on peut remonter aux Babyloniens, Egyptiens, ou plus proche les Romains. Ce qui est autour peut changer, ce n’est jamais que du décorum, à l’instar d’acteurs qui joueraient des pièces différentes dans des décors différents mais qui sont toujours les mêmes. La modernité n’a par exemple pas inventer le fait de parler, mais là où on ne pouvait le faire qu’avec des personnes physiquement proches, on peut le faire à distance. Dans l’absolu, cela ne change rien au fait que l’on ne fait que parler. Et comme par le passé, comme aujourd’hui, comme déjà dit, il y a du bon et du mauvais, du bien et du mal à toutes les époques. Les formes des problèmes sont différentes mais le fond reste le même.
Les fraudes aux élections il devait y en avoir même du temps des athéniens, personne n’a attendu l’informatique. Quant au fait qu’ils ne favorisent qu’un clan, faut-il rappeler qu’au début la démocratie ne concernait qu’une caste ? et rappeler que les femmes en France n’ont eu le droit de vote qu’en 1945 ? Il faudrait arrêter de croire que notre époque est fondamentalement différente parce que le décor a changé ; les acteurs sont les mêmes. Bien avant l’essor du capitalisme et donc : « l’argent et le désir d’être riche qu’il alimente », « les aspirants à la divinisation ». Les Égyptiens voyaient bien que leur Pharaon vivait dans une opulence de son vivant (palais, harem, serviteurs…), et après sa mort (Pyramide) qu’il leur jetait au visage et qui devait faire l’objet de discussions entre les gens (ils n’avaient pas la télé mais les informations circulaient d’une personne à l’autre). Sans doute nombreux sont ceux qui rêvaient d’être pharaon, chacun cependant vivait une vie à la hauteur de ses moyens et bien souvent de sa naissance, et une mort à la hauteur de sa sépulture. Le monde moderne n’a rien inventé sauf peut-être l’illusion que tout le monde pourrait être le plus riche.
Mais chacun comprend bien que tout le monde ne sera pas roi d’Angleterre et que l’argent ne peut pas tout acheter. Musk ou Bezos ne peuvent racheter Buckingham ni forcé l’administration britannique a travaillé pour eux. Ils n’auront probablement pas un enterrement à la hauteur de celui de la reine malgré leurs milliards. L’argent n’achète que ce qui peut être acheté or tout n’est pas à vendre. La loyauté par exemple ne s’achète pas. Les gens qui sont allé se recueillir devant la reine après des queues de plusieurs heures, l’ont fait de leur libre arbitre, sans être payé. En réalité il semble que l’auteur réalise que l’égalité non de droits mais d’attributions (d’opportunités) est un mythe et que les gens ont toujours été différents, ont des destins individuels et non collectifs même si parfois leurs destinée se rejoignent dans des constructions collectives où chacun à sa place. Tout le monde ne peut par exemple pas être chef. Le fait d’hériter d’argent n’est qu’un type d’opportunité, certains héritent d’un cerveau leur permettant de faire ce qu’ils veulent dans les études, d’autre d’une belle gueule, d’autres de conditions physiques exceptionnelles leur permettant d’être sportif de haut niveau… Il faut arrêter de croire cher auteur que la vie se résume à l’argent qui semble vous obnubiler. Richard Branson n’était ni exceptionnellement riche à la naissance, ni doué à l’école et pourtant il a fini Lord et milliardaire. C’était son destin et il a su aller le chercher, il n’est pas resté chez lui à regarder la télé ou s’est contenté de vendre des glaces à la plage. Il a eu une ambition et le système lui a permit de la réaliser. C’est certes plus facile pour un blanc au Royaume-Uni. Mais c’est loin d’être l’ambition de tout le monde d’être milliardaire ou simplement riche plus que le nécessaire pour une vie digne.
Quant au pouvoir, dans une démocratie il est censé appartenir au peuple, avec une voix, un vote. Si maintenant vous contestez la réalité que nous sommes en démocratie c’est un autre débat. Pour l’heure Bernard Arnault et un chômeur ont exactement le même pouvoir de vote. Quant à la révolution, la française ou la soviétiques n’ont prouvé qu’il ne s’agissait en termes d’autorité que d’un changement de devanture et que la masse était tout autant négligé quelques soient les régimes, monarchique ou républicain, tsariste ou soviétique. A la fin il y a toujours un ou un groupe de gens qui dirige et il semble qu’il ne puisse en être autrement si l’on veut une direction vers laquelle aller. Et même dans les entreprises, il y a un patron, parfois un conseil d’administration. Et puis il y a une masse d’exécutant, chacun a sa place, chacun selon ce qu’il peut apporter. Sans les salariés ou les esclaves, disons les subordonnés aucune réalisation rien ne serait possible et tout resterait au stade de textes ou d’idées, une vision, un rêve.
C’est là où je pense vous sombrez de l’égalité mythologique à l’égalitarisme utopique. Si tout le monde dirigeait alors cela serait l’anarchie, plus personne ne dirigerait en réalité, puisqu’il n’y aurait plus personne à diriger. Le moindre projet pourrait échouer en raison du bon vouloir d’un de ses membres qui étant libre et codécisionnaire pourrait décider de faire capoter l’ensemble selon son bon vouloir. On en reviendrait à un chacun pour soi, à des constructions individuelles et non plus de collectives. En musique il y a un chef d’orchestre et des musiciens, en sport un entraineur et des joueurs…c’est une réalité de l’existence qu’il y a des leaders et des suiveurs. Il faut de tout pour faire un monde et la survie d’une espèce dépend plus de sa diversité et sa capacité à s’adapter que d’être monolithique. C’est là où il y a une aporie dans votre raisonnement : favoriser notre survie mais rendre tout le monde semblable.
Or le monde est vaste et il est différent. J’ai l’impression que vous lui calquez votre réalité : « Avec le triomphe du capitalisme mondialisé » en oubliant que votre réalité n’est pas universelle et que de par le monde de nombreux gens ont d’autres valeurs que l’argent ou n’ont pas simplement l’argent comme valeurs et ne sont pas eux dans le vide. Et que pour eux le capitalisme cela a représenté l’exploitation, les guerres et la mort comme en Afrique, en Amérique Latine ou en Asie. Prenez par exemple le cas des amazones, ils vivent en Amazonie et sont tout à fait pas intéressé par votre vide. Idem des aborigènes et de tant autres. Par contre en effet les amazones sont confrontées à la réalité que leur habitat naturel est détruit pour de l’argent, tout comme les aborigènes ont été dépossédés d’une partie de leur terre sans doute pour les mêmes raison. Si bien que vos problèmes sont les vôtres pas les leurs, même si hélas ils les impactent. Les problèmes des européens ou des occidentaux qui ne sont pas le monde ni même son centre ne sont pas les problèmes du reste du monde. Les Japonais qui font partie de cet occident n’ont pas vos problèmes existentialistes, ni même une partie des Américains d’ailleurs. Le déclin européen issue de son vide civilisationnel croissant et une fin de cycle est un problème européen pas mondial. Il est une crise de la civilisation européenne et pas une crise mondiale.
D’ailleurs cette crise n’est pas la même selon les pays européen, entre les nations de l’Ouest comme l’Allemagne ou la France qui ont tué leur Dieu et vivent de manière hédoniste et qui maintenant que l’abondance est terminée sont en crise et ne comprennent plus ce qui se passe. Et les nations d’Europe de l’Est qui conservent une religion culturelle ou spirituelle notamment après une époque passée sous le joug communiste qui était contre les religions, la réalité n’est pas la même. Le vide apparait quand l’objet du plein qui l’a précédé ou plutôt ce qui remplissait son être disparait. Pour celui qui pensait exister par ce qu’il consommait, c’est sûr que s’il ne consomme plus, il se sent vide. Pour celui qui pense que son bien le plus précieux est sa beauté, le jour où celle-ci défraichit il se sent vide, et ainsi de suite, celui par exemple pour qui le statut social était son plein, le jour où il est déclassé il sen sent vide…
Je ne sais pas si c’est en raison de l’horreur du vide ou simplement de la capacité d’adaptation propre à être l’humain, mais on observe par exemple que chez les personnes en situation d’handicap qui perdent l’usage de leur jambe, de leur bras ou même de la parole… il y a une capacité d’adaptation, une capacité à se réinventer et à se donner de nouveaux objectifs. On peut citer le cas de Philippe Croizon qui a traversé la manche à la nage bien qu’il ait perdu ses membres. Ou de Stephen Hawking qui a su dépasser son handicap, d’ailleurs grâce à la technologie moderne, pour vivre une vie pleine et longue (mort à 76 ans).
Le vide il est surtout pour celles et ceux qui refusent l’adaptation, qui refusent de faire marche arrière sur leurs erreurs, qui s’obstinent et ne comprennent pas « qu’errare humanum est, perseverare diabolicum ». Eux ils sont dans le vide, mais en réalité ils l’ont toujours été bien qu’ils n’en avaient pas conscience. Ceux-là même qui pensent que la vie ne se résume qu’à un élément plus ou moins futile comme la richesse, la beauté, l’amour, le travail… et qui l’ayant perdu sans possibilité de retour se sentent perdu. La vie est beaucoup plus complexe et est un tout. Les générations qui nous précédées ont connu des difficultés horribles comme le servage et pourtant elles ont survécu et transmis la vie. On ne voit pas pourquoi il en serait différemment aujourd’hui. Sauf bien sûr pour ceux qui refusent l’adaptation et vont droit dans leurs désillusions.
Après la chute de l’URSS, la Russie a su elle faire une autocritique et a par exemple arrêté la persécution des religions, et a su faire un travail sur elle-même, on pourrait dire un retour en arrière sur le moment où son idéologie l’a fait dévier et où elle est devenue athée, on pourrait dire vide. Le projet communiste étant un projet du vide qui hélas s’est vu jusqu’aux étales des supermarchés vides, voilà où conduit l’égalitarisme. Comme l’a dit Thatcher un partage équitable de la misère au lieu d’un partage inégal de la richesse. Une réponse au plus bas instincts humains que sont la jalousie peut-être, mais à quel prix ?
Il ne faut pas croire que la religion est pour tous un opium du peuple, et nombreux sont ceux qui croient et qui vivent leur vie par ailleurs, aspirant à une amélioration de leur situation terrestre et dans l’au-delà. Le modèle productiviste actuel bien qu’il se morde la queue et fait fit des réalités de finitudes de certaines ressources, a quand même sorti de nombreuses personnes de l’extrême pauvreté et cela ne les a pas rendus pour autant des consuméristes dépourvus d’âme ou de conscience. Parce qu’ils ont conscience eux de la finitude de la vie terrestre, là où certains pensent qu’ils ne mourront jamais ou que leurs profits seront infinis. Nombreux sont ceux dont leur équilibre est ailleurs que dans l’argent qu’ils gagnent même si celui-ci y contribue car il leur permet de financer par exemple leur passion, ou plus basiquement par les temps qui courent le simple fait de trouver l’amour et pouvoir fonder une famille. Je ne sais pas quels sont les gens que vous fréquenter mais il faudrait peut-être aller voir ailleurs.
Quant à la religion laïque elle est à l’origine des plus grandes barbaries de l’humanité. Et de nombreuses injustices envers les plus faibles, qui ont été volés et pillés sous couvert d’un droit des races supérieurs. Qu’y a-t-il de supérieur à être un voleur, un assassin, un violeur et un fauteur de troubles, de paupérisation de gens pauvres, et d’exploitation des plus faibles ? Les concepts sont une choses et la réalité des faits une autre. Et l’histoire nous a appris que sous couvert des plus hautes valeurs, les plus basses actions étaient menées en toutes impunité, en tout cas ici-bas. Et cette réalité n’est pas que notre passé, elle est aussi notre présent avec des guerres pour le pétrole et les matières premières de nos jours maquillées en guerre contre l’obscurantisme et la promotion de la démocratie.
Si les USA par exemple étaient intéressé par la démocratie et le bien des peuples, il leur eut été facile de l’exporter en Haïti (pas loin de chez eux, petit pays) et d’utiliser une petite fraction de leur dépense militaire à améliorer le sort des Haïtiens. Au lieu de cela non seulement ils ont déstabilisé ce pays pour s’enrichir (on peut citer les accords commerciaux qui ont détruit la production locale) mais on apprend que de l’argent destiné à la reconstruction de ce pays après le tremblement de terre par des dons aurait été détournés par les Clinton. Les Clinton qui comme on le sait sont des parangons d’export de la démocratie et des valeurs humanistes dans l’esprit du parti démocrate qui est du reste assez similaire à celui de la gauche française qui elle aussi a voulu exporter la démocratie en Lybie et ailleurs. Ces gens depuis des siècles à présent pillent le monde sous couvert de leur pseudo-valeur et leurs idéaux. La réalité des faits est implacable pour eux, ce sont des assassins, des voleurs et des individus malfaisants, que personne ne soit dupés par des discours ou des écrits.
Quant au prétendu temps pour « prendre vraiment la mesure des choses, identifier les problèmes et imaginer des solutions, », qui peut être assez naïf pour croire en cette excuse surtout quand il y a eu la répétition des mêmes injustices, encore et encore, et qu’au colonialisme succède le néocolonialisme, et qu’au guerre coloniale ont succédées les interventions « démocratiques » qui n’ont apporté que le chaos à ceux qui les ont subis et la richesse à ceux qui les ont produites ?
En conclusion, chacun est responsable de ses actes, les responsabilités sont individuelles. Les situations sont plus complexes qu’une simple lutte du bien contre le mal. Les analyser demande de faire du cas par cas et de prendre le temps. Au final l’histoire fera le tri car l’histoire a le temps. Le futur montrera à chacun sa fin inéluctable que ce soit au niveau de l’être humain (la mort) ou la collectivité (les civilisations, les états, les peuples même les idéologies…) et même la terre un jour ne sera plus. Et si ce jour était demain et que la terre soit détruite du fait de l’Homme (qui d’ailleurs à ce stade serait bien incapable de la détruire même en utilisant toutes ses bombes nucléaires) ou de la providence, plutôt que de voir le verre à moitié vide et qu’elle aurait pu perdurer beaucoup plus longtemps (en théorie). Pourquoi ne pas réaliser que dans le passé il y a eu beaucoup de bonnes choses ? que les humains ont profité de leur période sur cette planète et que le temps que cela aura duré, ce n’était pas toujours mal, il y a même eu de bons jours. Si le destin est à la fin, l’humain ne pourra l’empêcher. Si le destin est la continuation l’humain ne pourra s’en soustraire. Certaines choses ne dépendent pas de nous et pour celles qui sont de notre fait alors chacun devrait faire son autocritique et voir ses intentions et ses actions à titre individuel.
J’ai lu avec grand intérêt cette longue prose riche en réflexions et arguments qui bousculent le texte d’Alain Accordo. Cela donne un beau relief à ces pages que je n’ai pas hésité à imprimer pour les lire. L’écran n’imprime pas la rétine de la même manière que le papier. Les mots-écrans (dé)filent. Les mots-papiers pénètrent. La rémanence de la première n’équivaut pas la persistance de la seconde. Le dépôt de l’encre s’offre à la macèration lente et se mêle plus subtilement à la pensée. La pensée critique en ressort stimulée. Peut-être n’écris-je ces lignes que parce que j’ai appris à lire et écrire avec un stylo. Qu’en est-il des nouvelles générations ? La « crétinisation des esprits » n’a pas attendu l’informatique pour se répandre. L’informatique, uniformisante, a certes accéléré le phénomène jusqu’à le mondialiser mais elle a aussi permis le développement de créativités singulières. Et c’est elle qui nous permet d’échanger ici.
Tout comme le déclin de notre civilisation ne date pas d’hier. Des auteurs le présentaient déjà et le décrivaient début 20ème. Le vide auquel on fait face aujourd’hui est réel et alarmant. Ses racines sont profondes. Alain Accardo l’aborde en pessimiste d’inspiration quasi nihiliste, et vous l’abordez armé d’un rappel des possibilités et potentialités de l’humain salutaire.
Une fois de plus je vous remercie de nous offrir si belle matière à réflexion, à partir d’un texte, qui mérite tout autant l’attention. Et qui me semble t-il à justement été écrit dans le but de stimuler la pensée en ayant recours au tranchant de la provocation. Qui a dit que « la sociologie était un sport de combat »?
J’interviendrai plus tard pour livrer ma réaction à cette nuit brillante que nous offre Alain Accardo. Je voudrai juste rebondir sur un des leitmotiv de ce commentaire : « chacun est responsable de ses actes, les responsabilités sont individuelles »… et la « culpabilité » qui en découle au plan collectif. Sans vouloir polémiquer, ni même entrer dans un débat, je me permets d’introduire ici un concept qui permettrait d’appréhender les relations inter-humaines, à la fois dans le présent partagé, et à travers les époques et l’histoire des nations, en évitant d’entrer dans le jeu du jugement.
Il s’agit d’intermutualité humaine. Chaque un est créateur de son existence et par là responsable de ses actes, mais aucun de nous ne peut prétendre pouvoir exister sans les autres. Ne serait-ce que par notre naissance qui nous a fait être engendré par deux pairs avant d’endosser nos responsabilités et d’engendrer nous-même notre propre existence voulue.
Nous portons tous en nous le lien avec l’immense toile humaine qui se déploie depuis des millénaires. Ce lien nous rend sensible à l’ensemble et tout ce qui l’affecte. Je ne suis pas responsable de la colonisation, des guerres passées mais je subis, pis j’incarne leurs conséquences jusque dans ma chair et dans la vie que je mène aujourd’hui, et ma responsabilité m’oblige à me déterminer par rapport à elles. La part de mon existence qui m’appartient en propre et qui signe mon individualité est infime en réalité. Notez tout ce que l’on doit à ceux qui nous ont précédé à commencer la langue, les concepts et outils de pensée qui nous permettent de nous penser nous-même.
Je ne peux dès lors me soustraire à la charge de porter comme un fardeau autant qu’un baggage, ce leg parfois encombrant, parfois stimulant, toujours structurant. Qu’il s’agisse de l’histoire personnelle ou nationale, du leg culturel, des richesses, biens, positions sociales… Responsable de mes actes et créateur de mon existence, je peux même de faire le choix d’endosser cette intermutualité comme raison d’agir, de servir, de se dévouer, de lutter, parfois jusqu’au sacrifice pour « réparer » ce qui nous été légué de fait. La grandeur de l’être humain gît là. Dans sa capacité à se créer Un certes, mais surtout à sortir de lui même et se dépasser et l’intermutualité humaine bien perçue, peut offrir nombre d’occasions de se créer un petit moi grandi par l’élargissement aux autres. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre.
L’individualité n’est qu’un trait dans l’être humain et la durée de sa vie si infime à l’échelle de l’univers, qu’il paraîtrait presque à peine plus signifiant qu’un brin d’herbe s’il n’était nanti de la capacité de penser l’origine et la fin de l’Univers, et de se penser lui même en miroir. S’unir en pensée à l’immense toile humaine passée-présente-avenir qui a potentiellement la possibilité de se déployer à l’infini, ouvre au regard et à la conscience une toute autre perception dont peut découler de fortes raisons d’agir et de fortes forces d’action, indépendantes de tout sentiment de culpabilité, voire de responsabilité, ne ressortant plus alors que du vouloir être et du vouloir vVivre.
Addendum. Je me relis ce matin et je corrige un oubli. Dernier paragraphe cette fois-ci à propos de l’humain. Je complète la phrase comme suit :
« s’il n’était nanti de la capacité de penser l’origine et la fin de l’Univers, et de se penser lui-même en miroir » de ce schème*. (*cf. Kant. Ce scheme renvoyant à la représentation que se fait l’homme de l’Univers et plus largement au voile d’Isis qu’il tisse dans sa Pensée)
Merci pour votre réponse qui me touche d’autant plus que j’ai le sentiment que vous avez lu mon long texte avec attention et en avez ainsi soulevez un point pertinent.
l’ntermutualité humaine. En effet vous avez raison, elle existe et je ne la nie pas.
Ma réponse au texte d’Alain Accardo était relative aux concepts qu’il développait dans son écrit intitulé « Une chimère aussi monstrueuse que débile appelée l’homme ». Dans ce cadre j’ai essayé d’apporter des éléments de contradictions, qui je préfère le dire sont pour moi comme vous l’avez justement indiqué des « réflexions ». Je ne prétends pas détenir la vérité et tiens à dire que j’expérimente avec les réponses que je propose sur le site. Celles-ci me permettent de réfléchir donc de proposer à moi d’abord, passer le temps (en ce moment j’ai le temps et en profite mais cela peut ne pas durer et ne soyez pas surpris si un jour je ne poste plus) et parfois prolonger l’échange quand une personne se donne la peine d’y répondre. J’ajoute que ne souhaitant pas faire trop long (bien que je réalise déjà la longueur de mes réponses) j’évite de trop développer. Néanmoins j’essaie aussi d’éviter de faire trop de raccourcis. Et essaie de trouver un équilibre. On en arrive avec des manques voire des contradictions apparentes qu’il convient parfois d’expliciter et puisque votre réponse me permet de le faire, je vous en remercie.
Si j’ai parlé d’individus par rapport au long exposé à charge sur notre espèce, c’est bien pour faire ressortir que pour moi l’espèce était constituée d’individualités et que l’amalgame de toutes ces individualités d’aujourd’hui aux premières d’entre elles, me semblait quelque peu fumeux comme concept, c’était la première partie de ma réponse.
Il est bien évident que si nous sommes des individus, je ne suis pas pour autant individualiste. Et que je reconnais l’existence de groupe d’individus, d’ailleurs vous aurez noté dans ma réponse « c’est précisément le fait que nous sommes différents en tant qu’individus, et en tant que groupes d’individus (peuple, nations, communauté) » il y a bien évidemment des groupes d’individus et ceux-ci ont un sens et un impact sur les individus, nous naissons dans un endroit, à une époque, dans une famille…. Si ma réponse vous a donné le sens que j’étais individualiste, ce n’était pas mon souhait.
Néanmoins et bien que ces groupements nous impactent, je réfute en effet l’idée d’une culpabilité universelle à titre individuel d’actions réalisées par d’autres dans lesquels je n’ai aucune responsabilité (parfois je n’étais même pas né, d’autres fois, cela ne dépendait pas de moi) c’est ce que j’ai essayé d’exprimer « sur cette terre les humains sont multiples, en identité, en peuples, en croyances…et individuels en responsabilité. Je réfute donc la thèse du tous responsables, tous coupables. » Mais disant cela je ne dis pas que les groupements en question n’ont pas une responsabilité collective pour le passif qui leur a été légué et pour l’actif qu’ils légueront aux génération futures. Je ne suis pas un nihiliste vivant seul sur son ile comme Robinson Crusoé et me lavant les mains de tout. Je pense bien que les personnes morales que sont les états par exemple quand ils continuent d’exister sont responsables de leur passif. Et que par exemple il est salvateur pour eux de reconnaitre les erreurs, voire les crimes du passé commis en leur nom. Ou alors ils repartent de 0 et changent d’état. Et que cette question est pour les responsables de l’état et ceux qui les portent au pouvoir. Et que donc il n’y a pas d’impunité dans mon esprit pour le passif reçu du passé et transmis par les structures qui continuent d’exister et nous impactent en effet.
Ceci étant dit, je réfute qu’à titre individuel ce coup-ci les personnes doivent se sentir responsable des actions qui ne les concernent pas. Mais qu’il devrait plutôt s’occuper de leurs propres actions. Par exemple certains pays ont entrepris une reconnaissance des erreurs de leurs passé, par exemple les canadiens avec les indigènes, Trudeau s’est même excusé je crois au nom du Canada. Idem les USA et d’autres ont fait des efforts sur le passé. Que dire de l’Allemagne qui semble encore porté 77 ans après la fin de la guerre la croix des crimes du 3ème reich. Et certainement que cela a sa légitimité. Mais quand je vois que les mêmes qui font repentance pour les crimes de leurs ancêtres, sont les mêmes qui après se chargent de leurs propres crimes je m’interroge. Et c’est là où j’aime à rappeler que chacun est responsable de ses actions, c’est bien beau de s’excuser pour les crimes du passé, mais si c’est pour en faire dans le présent à quoi bon ? les américains sont les pros de cela, ils font des crimes, s’excusent, puis recommence, s’excusent et ainsi de suite… les indiens ne les a pas empêcher de faire les noirs, les noirs pas empêchés de casser du Viet Kong et balancer du napalm sur la population, puis après ils s’excusent mais cela ne les empêche pas de faire l’Irak. En même temps qu’ils s’excusent envers les indiens, ils vont détruire l’Irak… tout cela n’est pas très sérieux. Autre exemple si des excuses de la France seraient bienvenues pour la guerre d’Algérie (où là aussi il y a eu utilisation de napalm, torture…), une guerre inutile, où des gens biens sont morts dans les deux camps pour rien, plus d’un camp que l’autre. Plus que des excuses pour l’Algérie j’aurais autant aimé que de mon vivant je n’assiste pas à l’intervention en Lybie. Tout cela pour dire qu’en effet j’attache beaucoup plus d’importance aux actions pour lesquelles nous sommes responsables que celles des générations passées ou futures qui ne nous engagent pas à titre individuels. Et j’invite chacun à faire attention au fait qu’il est toujours plus facile de s’excuser pour les crimes d’autres que les siens et qu’en plus cela donne une bonne image. Il y a aussi le problème que pénalement certains pourraient aussi être condamnés de leur vivant. Ce qui s’ils sont responsables de crimes devrait être réalisé. C’est dans l’impunité d’aujourd’hui et d’hier que les crimes de demain tirent leur source.
Enfin en effet on peut considérer que l’espèce humaine est au niveau de la connaissance et génétiquement une « immense toile qui se déploie ». Et que toutes les civilisations y ont contribué, se sont mélangées…. Que la nation leader aujourd’hui n’est qu’héritière de toutes celles qui l’ont précédés. Cela est vrai et cela est bien beau de manière philosophique. Et loin de moi l’idée de dire qu’il faut retourner au 0 et faire fi de tous les apports du passé. Bien au contraire il faut s’en nourrir, s’en inspirer, construire dessus, surtout quand on la chance d’avoir des générations précédentes qui nous ont légué un héritage. Il faut si possible y ajouter notre pierre à l’édifice et pas se contenter de ce que l’on a reçu. Et transmettre si possible plus ou mieux à ceux qui prendront le témoin. Mais quand on revient dans le monde réel, c’est à chacun à titre individuel (dans sa collectivité) et à chaque nation dans le concert des nations de tirer son épingle du jeu. Il n’y a pas un pot commun. Bien sûr Neil Amstrong a dit que le pas sur la lune était petit pour un homme et un grand pas pour l’humanité. Bien sûr que cela a fait avancé la connaissance humaine et repousser les limites du possible. Mais au final il a planté le drapeau américain. Et c’est à chacun de savoir à quel groupes il souhaite appartenir et pourquoi il se bat. Mais dire on se bat pour l’humanité me semble un peu utopique, un projet d’hippie ou d’anarchiste, dans la réalité les humains ont une personne, une famille, un drapeau et bien que ce n’ait pas vocation à être forcément conflictuel, c’est une compétition. Et la compétition n’est pas nécessairement mal, c’est aussi elle qui permet l’émulation. Les soviétiques ont émulés les américains avec la course à l’espace, les américains ont émulés les russes avec la course aux armements et c’est une réalité que les intérêts des humains sont parfois divergents et qu’il faut aussi savoir défendre ses intérêts (dans un premier temps les comprendre en avoir une vision) dans le respect évidemment de ses valeurs et du fait que l’on est responsable de ses actions. Mais l’idée d’une espèce toute solidaire, est une utopie, et c’est avec ce genre de discours lénifiants que les petits sont mangés par les grands. il y a des ennemis et des amis, même parfois au sein de sa famille ou de son pays. Il y a une partie lutte dans l’existence qui n’est pas nécessairement violente mais compétitive. C’est peut-être ce que vous vouliez exprimer par « sortir de lui même et se dépasser et l’intermutualité humaine bien perçue, peut offrir nombre d’occasions de se créer un petit moi grandi par l’élargissement aux autres. » J’espère juste pour vous que votre petit vous ne sera pas ravagé des élargissements de gens qui voudront vous la faire à l’envers, et manipulé votre bon état d’esprit pour vous nuire.
Erratum à mon précédent commentaire. J’ai mal orthographié le nom de l’auteur de l’article dans le premier paragraphe. J’ai changé mon A en O (dans l’espoir de le changer en vin ? 😜). Qu’il me pardonne ce glissement. Il faut bien sur lire « Alain Accardo ».
Un vieux communiste se rend compte de l’impossibilité de son idéologie. Est-ce déprimant ou réjouissant ? Va savoir…