« Politique de la terreur contre des élus CGT », par Aude Lancelin

Le 02/02/2020 par Aude Lancelin

« Politique de la terreur contre des élus CGT », par Aude Lancelin

Menacés de révocation pour « faute lourde », des responsables syndicaux comparaissent aujourd’hui en entretien disciplinaire suite à la grève. Deux rassemblements sont prévus pour les soutenir ce lundi 3 février à 11h aux dépôts de Vitry et de Flandre

Afin de précipiter la fin du mouvement de grève générale, les autorités font le choix de la répression tous azimuts. Ce lundi 3 février, dans deux dépôts distincts, à la même heure, deux figures bien connues de la CGT à la RATP se voient ainsi convoquées pour un entretien préalable en vue de mesures disciplinaires « pouvant aller jusqu’à la révocation pour faute lourde ». Cette politique de la terreur ne frappe pas au hasard. Les deux dépôts en question, celui de Vitry et celui de Flandre à Pantin, sont des fiefs puissants de la CGT, où les militants ont été particulièrement mobilisés durant la grève. Les deux élus convoqués sont des personnalités appréciées, des « meneurs » aux yeux de leurs directions, qui se sont évidemment montrés très actifs depuis le 5 décembre.

Le premier d’entre eux, Ahmed Berrahal, 41 ans, secrétaire général de la section CGT à Flandre, est salarié de la RATP depuis seize ans. La violence du combat syndical, il la connaît bien, lui qui a fait l’objet de plusieurs procédures au fil des ans, toutes gagnées aux prud’hommes. Cette fois, il se voit reproché d’avoir participé à plusieurs dates de blocage pendant la grève, et d’avoir « insulté » un responsable, ainsi que des collègues non grévistes sollicités par la direction contre lui. (Voir sa lettre de convocation pour le 3 février plus bas en annexe, NDLR) Autant de faits qu’il dément, fort de sa longue expérience syndicale. « Je ne me serais jamais mis en faute. Je connais la loi sur le bout des ongles. Il y a des huissiers sur place lors des piquets de grève, nous le savons tous. »

L’autre élu de la CGT convoqué ce même lundi, au dépôt de Vitry cette fois, est Alexandre El Gamal, 36 ans. Pour lui, il s’agit d’une première mise en cause (voir sa lettre de convocation pour le 3 février plus bas en annexe, NDLR). Chauffeur depuis quatorze ans à la RATP et délégué depuis 2010, il se voit reprocher huit dates de blocage, ainsi que la participation à des opérations de filtrage. Lui aussi nie catégoriquement les actes qu’on lui impute, qui relèveraient à ses yeux de l’amateurisme pur et simple de la part d’un responsable syndical. Il s’indigne du storytelling de la direction, qui accompagne les mises en cause de ses collègues et lui. « Certains se voient accusés de se comporter comme des terroristes, d’autres d’avoir tenu des propos homophobes. Autant de mensonges éhontés pour salir notre combat. Une entreprise qui se conduit comme ça ne peut plus se regarder en face, ce n’est plus possible. »

Le sentiment général chez les collègues, c’est qu’Alexandre El Gamal paye plein pot son leardership durant la grève. D’autres sont déjà passés récemment en entretien disciplinaire dans le même dépôt, Yassine et Alexandre, et attendent désormais de connaître leur sort. Particulièrement mis en cause depuis plusieurs semaines, le directeur du dépôt de Vitry, Pierre Harislur-Arthapignet, se voit unanimement décrit comme coutumier des intimidations et coups de pression très directs sur les grévistes. « Dès le deuxième jour, il a émis des menaces, et nous a promis une troisième mi-temps saignante », affirme un agent de Vitry présent à la soirée de soutien à Ahmed et Alexandre qui s’est tenue hier soir, samedi 1er février à Pantin. Joint en ligne par QG ce dimanche, M. Harislur-Arthapignet a sans surprise refusé de s’exprimer sur la situation des agents convoqués, et les nombreux propos menaçants qui lui sont prêtés. « Seul le service de communication de la RATP est habilité à s’exprimer sur ce sujet. Je suis dans une entreprise, je respecte le cadre de l’entreprise. », a-t-il répondu, restant résolument dans un registre très corporate. Joint également ce dimanche, le DRH du dépôt de Vitry, M. Augry, n’a pas donné suite à notre appel.

Autre agent de Vitry menacé de révocation depuis quelques semaines, François L. était absent ce samedi 1er février, à la soirée de Pantin, où Olivier Besancenot, Nathalie Arthaud et Anasse Kazib, syndicaliste SUD, étaient notamment venus en signe de soutien. Figure très populaire du dépôt, animateur jovial et infatigable des piquets de grève depuis le 5 décembre, l’homme de 53 ans a tenté de mettre fin à ses jours lundi dernier. Après avoir été convoqué pour un entretien disciplinaire, dont il attend toujours le résultat, il venait de reprendre le travail le jour même. Le matin du 27 janvier en arrivant au dépôt, très angoissé, il avait cherché à parler au directeur, et s’est entaillé les veines quelques heures plus tard sur son lieu de travail. Actuellement, il est en maison de repos. « Entre la culpabilité de ne pas être allé jusqu’au bout de cette grève, et l’épée de Damoclès de la révocation, tous les éléments sont là chez beaucoup pour péter un câble », analyse Olivier Terriot, délégué CGT du dépôt d’Asnières, et l’un des visages désormais médiatiques du mouvement social. « Si la grève devait se terminer de cette façon, ce serait une vraie boucherie ».

Particulièrement inquiétant pour l’avenir, et symptomatique de la dégradation générale des libertés fondamentales dans le pays, un autre élu note que les responsables syndicaux sont de moins en moins protégés au sein des entreprises. « Depuis 3 ou 4 ans, depuis la Loi Travail en fait, tout semble possible. Avant, pour dégager un élu syndical, il fallait se lever de bonne heure. » Couper des têtes, et réprimer dans la rue, telle est la seule réponse proposée pour le moment au plus long mouvement social qu’ait connu la 5ème République. L’inquiétude est grande concernant le sort des deux élus convoqués aujourd’hui, car les directions semblent prêtes à aller jusqu’au bout, et à profiter de cette grève pour « nettoyer » leurs fortes têtes. La meilleure façon de lever ces sanctions, et d’obtenir l’abandon de toutes ces procédures, serait évidemment de gagner cette grève, rappelait à juste titre Olivier Besancenot ce samedi soir à Pantin. Pour cela il faudra que d’autres salariés se mobilisent eux aussi. « Pourquoi les routiers n’ont-ils pas encore saisi l’occasion ? Les raffineries, pourquoi ne sont-elles pas déjà toutes en grève ? Les flics, pourquoi n’ont-ils pas posé le bouclier ? », s’interroge non sans mélancolie un élu CGT.  La partie est cependant loin d’être jouée. D’autres dates de mobilisation alimentent encore l’espoir, ainsi qu’un appel unitaire avec les Gilets jaunes, perspective à laquelle certains oeuvrent en coulisses. « Nous sommes prêts à nous remettre en illimitée à tout moment. Il suffira d’une étincelle, d’un 49-3 ou autre événement, pour que tout s’enflamme à nouveau. » confirme un agent qui a repris le travail. « La grève ne s’essouffle pas, elle reprend son souffle. » aime à répéter Olivier Terriot, qui fait partie de ceux qui poursuivent la grève à la RATP. Une victoire éclatante, beaucoup en rêvent encore.

A.L.

Lieux de rassemblement ce lundi 3 février à partir de 11h :

Dépôt de Vitry, 149 boulevard de Stalingrad, 94400 Vitry-sur-Seine/ et dépôt de Flandre, 168 avenue Jean Jaurès, 93500 Pantin

Annexe 1:

Lettre de convocation d’Ahmed Berrahal pour le 3 février 2020

Annexe 2:

Lettre de convocation d’Alexandre El Gamal pour le 3 février 2020

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