« La phyto-aromathérapie: médecine générale, développements scientifiques et retard français »

Le 16/03/2024 par Laurent Mucchielli

« La phyto-aromathérapie: médecine générale, développements scientifiques et retard français »

Les plantes constituent la plus ancienne des médecines, issue de l’expérience et de l’observation empirique des humains depuis la nuit des temps, et elles demeurent des outils thérapeutiques majeurs dans beaucoup de pays. Elles sont par ailleurs à la base de très nombreux médicaments utilisés couramment. En outre, la recherche scientifique ne cesse de se développer en la matière. Pourtant, force est de constater que, en France, la phyto-aromathérapie fait l’objet de campagnes de dénigrement régulières, au même titre que l’homéopathie. En cause le lobby des industries pharmaceutiques et ses influenceurs, très présents sur Internet et dans les couloirs de nos institutions politiques. Auteur de plusieurs ouvrages de référence et d’un site Internet pédagogique, le Dr Jean-Michel Morel a près de 40 ans d’expérience dans le domaine de la phyto-aromathérapie. Il nous éclaire sur le sujet.

1) Bonjour docteur Jean-Michel Morel. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs : quelles sont vos diplômes, votre parcours et vos expériences professionnelles ? D’où vient votre intérêt pour les phytothérapies et les aromathérapies (basées sur les huiles essentielles) ? Enfin, question indispensable, avez-vous des conflits d’intérêts quelconque (par exemple avec des fabricants de produits phyto-thérapeutiques) ?

Je suis « tombé dans la marmite » de la phyto-aromathérapie très tôt, dès le début de mes études médicales. Lorsque j’étais en 3° année de médecine, je me suis inscrit à un colloque parisien organisé par le docteur Jean Valnet, artisan du renouveau de la phyto‐aromathérapie depuis les années 1960, auteur de best sellers, toujours édités et appréciés de nos jours. Cette rencontre a bouleversé mon parcours professionnel. D’origine franc-comtoise comme moi, Valnet devint mon maître et mon mentor. Ainsi, dès mon installation en 1980, j’ai intégré cette discipline à ma pratique médicale, ce qui m’a permis de construire progressivement une expérience clinique solide.

Sur son conseil, j’ai rapidement fondé une société savante locale, réunissant médecins et pharmaciens, pour une coopération professionnelle efficace, et nous nous sommes rapprochés de la Faculté. Ces contacts amicaux et fructueux ont permis de créer en 2001, à Besançon, l’un des premiers Diplômes universitaires de Phyto-aromathérapie de France, ce qui reste une grande fierté. J’y enseigne toujours, au sein d’une équipe pédagogique de passionnés, universitaires, médecins praticiens et pharmaciens d’officine.

J’ai ensuite écrit divers ouvrages dont un Traité pratique de Phytothérapie, et créé WikiPhyto, un site internet participatif surtout dédié aux professionnels de santé, libre d’accès. WikiPhyto est une base de données francophone, fiable, gratuite, destinée à la connaissance et à la pratique des plantes médicinales. Le but de cette encyclopédie est d’asseoir la légitimité des plantes médicinales en apportant de la bibliographie scientifique, afin d’édifier les praticiens, et de sécuriser leurs prescriptions.

Ultérieurement, j’ai fondé l’IFTAC, un organisme dédié à la formation et au perfectionnement en phyto-aromathérapie pour les professionnels, qui délivre aussi des conseils scientifiques à certaines entreprises du secteur. L’IFTAC peut être rémunéré pour cette activité. C’est le seul très éventuel conflit d’intérêt que je pourrais déclarer !

Depuis ma retraite professionnelle, je continue à participer activement à la promotion de cette discipline passionnante, et particulièrement adaptée aux maux de notre époque.

2) Vous commencez votre manuel La Phyto-aromathérapie (Presses Universitaires de France, 2020) par une anecdote édifiante. Une mère amène son fils chez le médecin. Elle lui signale qu’elle consulte également un phytothérapeute. Le médecin lui rétorque que « tout ce qui est phytothérapie, aromathérapie ou homéopathie, c’est de la blague, voire du charlatanisme » et il prescrit à son fils un médicament… qui contient un fluidifiant phyto-thérapique, une huile essentielle désinfectante et décongestionnante et un calmant homéopathique. Vous en concluez que « Les médecins, à l’instar de monsieur Jourdain, font de la phyto-aromathérapie sans le savoir ». Et surtout vous vous interrogez sur ce qu’on apprend aux futurs médecins dans les facultés de médecine. Pouvez-vous développer votre propos ?

Le docteur Jean Valnet aimait déjà citer cet aphorisme, qui illustrait de son temps, et illustre toujours les carences de l’enseignement médical en ce qui concerne la connaissance et l’emploi des molécules naturelles à usage thérapeutique. Les médecins français méconnaissent le plus souvent l’origine naturelle de nombreux remèdes. L’absence d’apprentissage universitaire des possibilités préventives et curatives offertes par le règne végétal est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de nos confrères mésestiment la place de la phyto-aromathérapie dans l’arsenal thérapeutique, et la considèrent avec condescendance, voire avec un mépris totalement injustifié. La situation est très différente dans d’autres pays européens, Allemagne et Suisse par exemple, qui bénéficient d’une formation initiale en phytothérapie. Au niveau mondial, la tendance à s’intéresser aux plantes médicinales est quasi généralisée. Notre retard dans ce domaine s’accentue et sera difficile à rattraper.

La différence est encore plus marquée avec les pays qui possèdent une tradition continue reposant sur l’écrit, comme la médecine traditionnelle chinoise ou la médecine ayurvédique en Inde. La Chine dispose de deux filières distinctes de formation de praticiens, titulaires d’un diplôme, soit de Docteur en médecine conventionnelle, soit de Docteur en médecine traditionnelle. Des centres de recherche ultramodernes leur sont adjoints, destinés à étudier les effets des remèdes ancestraux et à apporter des preuves. En Chine, les plantes médicinales sont considérées comme un « trésor national ». En associant la pratique médicale expérimentale et la recherche scientifique, je considère la situation de la phytothérapie chinoise comme un modèle à suivre. La plupart des chercheurs des pays émergents savent, en étudiant et en développant leur pharmacopée, qu’ils ont des pépites entre leurs mains. Sur ce plan, ils sont plus en avance que nous, accumulent un savoir et des bases de données considérables.

Chez nous, l’usage excessif de médicaments industriels dans des pathologies courantes, celles qui relèvent de la médecine générale en première intention, génère des coûts importants et parfois indus. En particulier, cette exagération est source de deux fléaux :

– l’augmentation des pathologies iatrogènes (maladies générées par la thérapeutique du médecin) ;

– la pérennisation des traitements dans les pathologies chroniques courantes, appelées parfois maladies « de civilisation » (hypercholestérolémie, maladies cardiaques, obésité, diabète, maladies dégénératives…), offrant une rente de situation aux industriels.

Trop souvent, on applique la maxime : « Aux petits maux les grands remèdes ! ». Pourtant, nous connaissons les ravages de la surconsommation médicamenteuse, qui pourrait être largement contenue en incitant les prescripteurs à utiliser en première intention les médications naturelles, qu’on ne doit plus ignorer. Cet apprentissage ouvrirait en outre un regard critique mais constructif sur la pharmacopée disponible. En attendant, l’ignorance profite à l’industrie du médicament.

La phytothérapie satisfait de plus en plus aux critères exigés par la médecine moderne : une médecine « basée sur les preuves ». Prenons l’exemple du safran Crocus sativus. Cette épice, utilisée depuis 4 000 ans dans les zones géographiques de sa production, est parfaitement sécurisante. Son cœur de cible est la dépression légère à modérée. En termes simples, il redonne le moral. On en connait la composition, les principes actifs (crocine, crocétines, picrocrocine, safranal, flavonoïdes), leur cible (neuromédiateurs dopamine, sérotonine, GABA), leur mode d’action et le dosage. Ses effets ont été jugés comparables à ceux d’antidépresseurs de référence, et la tolérance est excellente (voir une méta-analyse). En outre, le safran développe une action de protection cellulaire étonnante, et la recherche fondamentale sait décrire les voies de signalisation concernées (1), les enzymes induites, les gènes sollicités. D’ailleurs, le safran n’est pas seul à partager cette remarquable propriété de cyto-protection (2).

En revanche, il est impossible de décrire des médicaments mono-moléculaires ayant les mêmes qualités. Cette profusion d’effets est pourtant presque une règle en phytothérapie, qui tient au fait qu’il n’existe pas qu’un principe actif dans les plantes médicinales, mais un ensemble moléculaire qu’on nomme le totum, complexe mais cohérent, qui induit parfois des propriétés émergentes (3).

3) Le métier de phytothérapeute est-il reconnu ? Comment la phytothérapie est-elle enseignée (ou pas…) dans les facultés de médecine ? Quelles relations avec le métier d’herboriste qui fut supprimé par le Régime de Vichy 1941 ? Quelle est la situation chez nos voisins européens ?

Tout médecin peut prescrire la phyto-aromathérapie. On peut juste ajouter : « s’il en a les compétences, s’il s’est formé à cela ». En effet, la liberté de prescription est encore une prérogative incontournable du médecin, théoriquement protégée par l’Ordre des médecins. Selon l’article 8 du code de déontologie médicale (article R.4127- 8 du code de la santé publique) : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance », mais « il doit (…) limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins ». En revanche, le métier de phytothérapeute ne peut pas être pratiqué en dehors de la profession médicale, ou du conseil pharmaceutique. Les mots ont leur importance, et parfois il est employé le terme d’« expert en phytothérapie » qui ne correspond à aucune qualification reconnue.

Pour les professionnels de santé, la formation universitaire initiale en phytothérapie et molécules naturelles est insuffisante de l’aveu des pharmaciens, voire inexistante pour les médecins. Dans les Facultés de médecine et/ou de pharmacie, une formation facultative sous la forme de diplômes d’université (D.U.) peut être proposée. Ces D.U. n’ont pas la valeur d’un diplôme national, la phyto-aromathérapie n’étant pas une spécialité reconnue (4). Néanmoins, une bonne dizaine de Facultés en France délivrent actuellement ce type de formations, de plus en plus recherchées. Pour un enseignant, il est toujours gratifiant d’accompagner nos confrères praticiens dans la découverte de l’immense potentiel que recèlent les végétaux. Ils sont le plus souvent enthousiasmés, et se demandent pourquoi ce patrimoine n’est pas enseigné dans le cursus officiel.

Dans leurs prescriptions, les médecins formés peuvent ainsi varier leurs ordonnances et exercer leur sens critique, en limitant la prescription des médicaments mono-moléculaires au strict nécessaire, et à leurs justes indications, ce qui constitue un grand progrès pour la santé publique. La prescription médicale valorise la légitimité de la phyto-aromathérapie, elle constitue un puissant promoteur de l’usage des plantes et des huiles essentielles dans le public, avec la sécurité qui doit être la règle en pareil cas.

Quant à la profession d’herboriste, elle a bien été supprimée par le régime de Vichy, pendant l’Occupation. Elle n’a jamais été rétablie officiellement au prétexte que « les pharmaciens remplissent ce rôle », d’après leur syndicat. Or, de nombreuses officines pharmaceutiques délaissent les plantes médicinales. C’est sous la forme de gélules de « compléments alimentaires » que les plantes envahissent les rayons des officines et des parapharmacies. Elles ont entraîné dans leur sillage des concurrents, magasins de diététique, coopératives bio et autres boutiques, jusqu’à Internet. La vente s’y effectue souvent, pour les conseils d’utilisation, sans compétence ni formation initiale. De très nombreux végétaux sont d’ailleurs d’origine étrangère et les contrôles sont difficiles.

Heureusement, les paysans-herboristes producteurs tiennent bon. Ils sont en passe d’obtenir la reconnaissance de leur métier, grâce à leur persévérance, et à celle de quelques personnalités politiques courageuses, dont le sénateur Joël Labbé qui a piloté la Mission d’information du Sénat sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, des filières et métiers d’avenir, en 2018. Ce ne serait que justice, car ils continuent à conserver les pratiques, à maintenir ce savoir ancestral, à diversifier les cultures tout en élargissant les contours de la profession de paysan, à préserver la nature et à inciter à revenir vivre dans les campagnes, à dynamiser le monde rural, à sauvegarder les terroirs, à donner du sens à leur métier. Ce sont en outre d’excellents botanistes passionnés. En France, ils cultivent très majoritairement en Bio. La relance de la filière des plantes médicinales et de tout son secteur d’activité est un défi formidable pour l’avenir, un gisement d’emplois considérable qui peut vivifier les territoires ruraux, favoriser les initiatives locales et l’innovation, renforcer un développement durable et régénérer la biodiversité.

4) La médecine par les plantes est reconnue à l’échelle internationale. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande son usage raisonné dans les systèmes de soins. Elle édite des ouvrages de référence et des monographies de plantes. Elle entretient également la base de données NAPRALERT (NAtural PRoducts ALERT) qui recense la littérature mondiale concernant les remèdes naturels, leurs effets biologiques et leurs mécanismes chimiques. Plus de 200 000 articles de revues scientifiques sont inclus dans cette base. Et pourtant, il existe un véritable lobby anti-médecines alternatives, qui passe son temps à qualifier les médecins phytothérapeutes de « charlatans » et à dire que toutes ces médications non-industrielles ne sont que « des placebos » (voir par exemple cette tribune publiée par Le Figaro en mars 2018). Vous affirmez au contraire que la phytothérapie est de plus en plus scientifique, au sens de l’utilisation des méthodes de l’Evidence Based Medecine. Pouvez-vous développer ce point et nous donner quelques exemples précis ?

Le monde végétal est utilisé depuis la nuit des temps par l’humanité, il est à la source à la fois des remèdes du passé et de nombreux médicaments actuels irremplaçables (morphine, curares, quinine, artémisinine, anticancéreux…).

Dans les faits, si on considère l‘ensemble des médecines complémentaires, la phytothérapie n’est pas la plus contestée ni la plus critiquée par le monde académique. En effet, tout médecin prononce le serment d’Hippocrate, tout pharmacien le serment de Galien. La réputation d’Hippocrate et de Galien, comme celle de bien d’autres personnages historiques (Dioscoride, Avicenne, Rhazès, Averroès, Pline, Théophraste, Matthiole, Paracelse…), était basée sur leur raisonnement médical et sur leur utilisation judicieuse des plantes en thérapeutique. Ainsi, dénigrer la phytothérapie reviendrait à discréditer les fondements de la médecine et de la pharmacologie (et à se déconsidérer soi-même).

Actuellement, un nombre considérable de travaux scientifiques, concernant les propriétés et l’intérêt des plantes médicinales, est produit dans le monde entier. Ces études sont répertoriées dans des bases de données qui les rendent accessibles aux chercheurs (par exemple PubMed [5]). Cette production scientifique fait l’objet d’une croissance exponentielle depuis quelques décennies. La recherche concernant les plantes, leurs principes actifs et leur usage, est en pleine effervescence. Très spécialisée, elle intéresse peu les médias, alors que les potentialités pour la médecine, actuelle et future, sont immenses, aussi bien pour les pays en voie de développement que dans les pays plus riches. Un paradigme nouveau doit émerger : l’innovation thérapeutique n’est pas le fait uniquement des laboratoires privés multinationaux.

Prenons un exemple, l’hypertension artérielle, responsable de complications cardiovasculaires. C’est un fléau dans tous les pays du monde, d’autant qu’elle est « silencieuse », sans symptômes le plus souvent. L’OMS estime que 1,28 milliard de personnes âgées de 30 à 79 ans sont atteintes d’hypertension dans le monde, et que les deux tiers d’entre elles vivent dans des pays à faible revenu. Les antihypertenseurs conventionnels, largement utilisés, sont une charge financière importante pour certaines économies. De nombreuses plantes ont montré un effet régulateur de la tension artérielle. C’est le cas du calice et de la fleur du karkadé (Hibiscus sabdariffa) et de la feuille du kinkeliba (Combretum micranthum), avec un effet majoré quand les deux plantes sont en association. En Afrique, cette association est valorisée dans des « médicaments traditionnels améliorés » (6) qui permettent de limiter l’importation de produits coûteux (ici au Sénégal). De plus, on note une activité antioxydante et protectrice (du rein en particulier), une activité favorable sur l’inflammation de bas grade, des effets qui ne sont pas retrouvés lorsqu’on emploie des molécules chimiques isolées.

Outre la sédentarité, la consommation de tabac et d’alcool, le surpoids, on sait que l’hypertension est en lien avec des facteurs de risque alimentaires : une consommation excessive de sel, de graisses saturées, d’acides gras trans (7), mais aussi une consommation insuffisante de fruits et de légumes. Les chercheurs ont la preuve actuellement qu’un manque de variété alimentaire, un déficit nutritionnel en aromates, épices et herbes médicinales ou condimentaires, est très délétère. Cette alimentation végétale doit nous apporter une multitude de molécules différentes, les « phyto-micronutriments » (voir ce livre), qui possèdent des propriétés anti-athérogènes, anti-thrombotiques, anti-carcinogènes, protectrices, et pertinentes pour la prévention de nombreuses pathologies chroniques dégénératives. On ne dispose pas de valeurs de référence, mais on sait par exemple que nous devons consommer quotidiennement plus d’un gramme de polyphénols, qui sont synthétisés quasi-exclusivement par les cellules végétales. Ces éléments sont très largement documentés, et, si les agences officielles (ANSES, INRAE) sont convaincues, elles disposent de peu de moyens pour infléchir la tendance générale à un appauvrissement de la qualité nutritionnelle de l’assiette de nos contemporains. Il est évident que cet appauvrissement, cette raréfaction de l’apport entraine des répercussions délétères. La « malbouffe » ou l’alimentation « ultra-transformée » favorisent l’installation de pathologies de civilisation, qui sont en réalité de véritables pathologies de carences en phyto-micronutriments.

Notre métabolisme n’est pas très différent de celui de l’homme du paléolithique. Pourtant, on estime que celui-ci consommait plusieurs centaines d’espèces animales et végétales différentes, alors qu’aujourd’hui, 90 % de la population mondiale dans les pays civilisés n’en consomme qu’une quarantaine… Nos équipements enzymatiques, nos récepteurs membranaires, nos cellules, restent adaptés à une grande richesse environnementale, et ils n’ont pas pu fondamentalement changer en quelques millénaires. Ainsi, l’usage des végétaux pour nous nourrir, pour prévenir nos maladies, mais aussi pour nous soigner, est indispensable. Ce sont des faits irréfutables, qui doivent être pris en compte dans une vision prospective de la santé. Pour conclure sur ce thème, je dirais qu’actuellement, la balle est dans le camp des politiques, qui doivent faire des choix courageux pour éviter la dégradation de l’état de santé de leurs administrés.

La phyto-aromathérapie est à mon sens la véritable « médecine verte », qui dispose d’atouts économiques autant qu’écologiques. Si on la laissait prendre toute sa place dans l’offre de soins, elle pourrait être à la source d’économies de santé très conséquentes et participerait plus largement au respect de l’environnement, à la sauvegarde de la biodiversité et à une pratique pérenne et responsable de la médecine.

Quant à l’OMS, en tant qu’Institution chargée de la santé de tous les pays, elle connait parfaitement les possibilités des plantes médicinales, elle les répertorie et elle les valorise depuis ses origines. Comme toute association humaine, elle est traversée de courants contradictoires, et la vision réductrice de l’industrie pharmaceutique est dominante en ce moment. Mais je reste confiant, le balancier ne peut que repartir dans l’autre sens…

Il existe par exemple une controverse entre l’OMS et diverses ONG, à propos de l’armoise annuelle Artemisia annua, utilisée par la médecine traditionnelle chinoise depuis des siècles pour traiter les fièvres périodiques. A. annua est une source d’artémisinine (8), la molécule utilisée actuellement dans le traitement de première intention du paludisme grave à Plasmodium falciparum (voir ici). Auparavant extraite de la plante, la production de ses dérivés semi-synthétiques est actuellement industrialisée.

Depuis une dizaine d’années, des souches de P. falciparum résistantes à la molécule d’artémisinine ont émergé en Asie du Sud-Est. Des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec des chercheurs américains, en ont identifié le déterminant génétique majeur. Du fait de la résistance de P. falciparum à l’artémisinine, l’OMS conseille actuellement d’éviter l’usage de la plante, pour éviter les résistances. Les trois points principaux de l’argumentaire de l’OMS sont : 1) les remèdes à base d’Artemisia présentent une trop grande variabilité dans leur composition ; 2) la concentration en artémisinine de ces remèdes est souvent insuffisante pour tuer la totalité des parasites dans le sang d’un patient et prévenir leur recrudescence ; 3) l’utilisation généralisée de remèdes à base d’A. annua pourrait accélérer le développement et la propagation de la résistance à l’artémisinine. Face à cette position officielle, de nombreuses associations locales rétorquent en vantant les mérites et l’efficacité des tisanes à base d’Artemisia annua pour traiter la maladie précocement, de façon rapide et efficiente sur une large population, sans avoir besoin de médicament manufacturé, avec une simple culture locale, peu exigeante. D’après les remontées de terrain des associations, cette plante pourrait sauver d’innombrables vies.

En outre, il semblerait que l’usage du totum évite les résistances, permette une polyvalence d’activité pharmacologique, potentialise l’activité en diminuant la dose utile d’artémisinine, augmente la biodisponibilité et réduise la toxicité des différents constituants (voir cette thèse de pharmacie).

Actuellement, la question n’est pas tranchée définitivement, mais il faut préciser que le mode de raisonnement diffère, lorsqu’on compare l’effet d’un extrait total de plante et celui d’une molécule isolée.

5) La phyto-aromathérapie est-elle une médecine préventive ou bien curative avant tout ?

Les deux ! La prévention est une des très bonnes indications de la phyto-aromathérapie. Son territoire est vaste, et on renoue avec l’un des buts des médecines traditionnelles : la préservation de l’état de bonne santé, c’est-à-dire la véritable prophylaxie. Selon la Haute Autorité de Santé (HAS), la prévention ou prophylaxie consiste « à éviter l’apparition, le développement ou l’aggravation de maladies ou d’incapacités ». On pense à la promotion de l’arrêt du tabac, à la limitation de l’alcool, aux règles d’hygiène de vie (lutte contre la sédentarité), aux règles alimentaires…

En pratique médicale de terrain, force est de constater qu’une prévention active ciblée n’est pas le point fort de la médecine conventionnelle. Lorsqu’un patient demande d’intervenir pour limiter ses infections broncho-pulmonaires ou les infections ORL fréquentes de son enfant, qu’une jeune femme souhaite empêcher ses répétitions d’infections génito-urinaires, ou demande à réduire des migraines périodiques, pour ne donner que quelques exemples, le médecin généraliste est souvent démuni. La réponse sera souvent : « Eh bien, revenez me voir quand vous serez malade », ou bien « Tenez, voici une ordonnance, à prendre au moment où vous en aurez besoin ». Or ce n’est pas le vœu du patient : il demande un rééquilibrage de sa physiologie pour restaurer sa santé. De plus, viser la prophylaxie en utilisant une molécule unique susceptible d’effets indésirables me semble incompatible, voire contradictoire.

6) Quels sont ses meilleurs résultats et quelles sont aussi ses limites ?

L’approche phytothérapique est particulièrement pertinente pour prendre en charge les maladies fonctionnelles (pathologies liées à un dysfonctionnement réversible, par opposition aux pathologies lésionnelles). On estime que les trois quarts des pathologies vues en médecine de ville sont d’origine fonctionnelle. Pour ne fournir que quelques exemples, on peut trouver pêle-mêle dans cette rubrique maux de tête, vertiges, acouphènes, douleurs thoraciques, douleurs abdominales, colopathie fonctionnelle, troubles sexuels, dorso-lombalgies, prurit, etc.

Il faut traiter ces pathologies, car le patient en souffre, et parce qu’elles peuvent être invalidantes. Le diagnostic médical est indispensable car elles peuvent être confondues avec des maladies lésionnelles. Les pathologies fonctionnelles peuvent générer en outre d’autres problèmes de santé (dépression, troubles du sommeil, répercussions socio-familiales). Elles peuvent aussi faire le lit de maladies plus graves. Une erreur courante est de les considérer comme des maladies exclusivement psychosomatiques, même si cette dimension ne peut en aucun cas être négligée. A contrario, dans les maladies psychosomatiques, on travaille aussi sur le côté fonctionnel, car c’est ainsi que « le corps parle ». Une approche dite « de terrain » est particulièrement pertinente, car elle recherche de quelle manière on peut expliquer le trouble, comprendre sa physiopathologie, et s’y opposer par des remèdes de régulation individualisés.

Les maladies chroniques sont également une bonne indication de la phyto-aromathérapie. Comme elles sont le plus souvent d’origine multifactorielle, elles nécessitent très logiquement un traitement complexe, c’est-à-dire à cibles multiples. C’est précisément le cas des plantes médicinales, chacune ayant des propriétés diverses, variées, complémentaires, et l’art du médecin consiste à bien les choisir. On retrouvera là, bien sûr, toute la pertinence de la médecine de terrain et de l’approche physiopathologique du malade et de sa maladie.

Nous avons aussi de bons résultats dans les pathologies courantes : maladies infectieuses souvent virales telle les rhinopharyngites, angines, bronchites, les affections saisonnières, les rechutes de maladies répétitives, certains troubles endocriniens (troubles gynécologiques en particulier). La liste est longue.

Les principes actifs végétaux sont encore largement utilisés dans des indications classiques. Ainsi, tous les veinotoniques sont d’origine végétale, et quasiment tous les laxatifs, anti-diarrhéiques, antitussifs, fluidifiants des sécrétions bronchiques, lotions et traitements locaux d’indications diverses… Étendre leur usage permet de varier les prescriptions, de sortir des médicaments manufacturés en réalisant des « préparations magistrales » (9) plus individualisées.

En revanche, la phyto-aromathérapie ne traite pas les maladies graves, prises en charge par nos confrères spécialistes. Néanmoins les spécialistes hospitaliers, eux-mêmes, acceptent de plus en plus le principe d’une médecine dite « intégrative », qui associe la prise en charge de la maladie par la médecine conventionnelle, avec un accompagnement individualisé par les médecines complémentaires. Traiter en même temps la maladie et le malade, ne serait-ce pas la meilleure des médecines ? Les patients apprécient cette concertation préalable et la coopération entre leurs praticiens, en toute transparence, ce qui les rassure et contribue à sécuriser les prescriptions.

7) vous déplorez l’emprise de la médecine hospitalière et des chimiothérapies industrielles sur l’ensemble de la médecine, reléguant de plus en plus le médecin généraliste à un rôle de « bobologue » et d’orienteur des patients vers les innombrables spécialistes, lors même que l’immense majorité des malades qui consultent sont traités uniquement par les médecins généralistes. Les généralistes devraient donc être le cœur du système de santé et de la réflexion thérapeutique et pharmacologique. Or ce n’est pas le cas selon vous ?

Le poids de la médecine hospitalière dans l’apprentissage de la médecine, et dans la médecine générale en particulier, est bien connu. Ce phénomène a été décrit notamment par un médecin interniste et épidémiologiste américain, Kerr White. Dans un article célèbre paru en 1961, White a observé que les médecins généralistes apprennent la médecine avec des hospitalo-universitaires, alors qu’ils ne voient pas les mêmes malades ni les mêmes maladies. Ce fait a été illustré par un graphique simple qui a pris le nom de « carré de White ». Il démontre que sur 1 000 personnes faisant état d’un un problème de santé, 750 en perçoivent les symptômes, 250 consultent un médecin, 10 doivent être hospitalisés, mais un seul individu est pris en charge en milieu hospitalo-universitaire (1 pour 1 000), ce qui revient à dire que la prise en charge en médecine générale doit être tout-à-fait différente de celle réalisée à l’hôpital. Ceci a influencé les programmes de formation, contribué à la définition de « soins de premier recours » ou « soins primaires » (primary care), en les distinguant des soins spécialisés (secondaires) ou hyperspécialisés (tertiaires), et favorisé la création d’une spécialité de médecine générale. Cette étude a été reproduite régulièrement, avec des résultats identiques dans des pays comparables, dont une étude française en 2023. Cela devrait inciter à la promotion de la médecine générale et des soins de premier recours.

Malheureusement, la crise récente du Covid-19 a illustré la piètre considération dans laquelle se sont perçus les médecins généralistes. Habituellement en première ligne face aux menaces sanitaires, les fantassins de la médecine ont été mis à l’écart. Plutôt que de les protéger, de leur demander de prendre en charge cette épidémie nouvelle (ce qu’ils font courageusement chaque année dans un cadre différent avec la grippe), le message transmis à la population fut ambigu (ne rien faire ou se faire hospitaliser). Le corps médical a franchement eu le sentiment de régresser dans ses attributions.

Nous n’insisterons pas non plus sur cette atteinte intolérable à la liberté de prescription. Elle a consisté, dans les premiers temps de la maladie, à considérer le praticien comme un incompétent, un suiveur dénué de libre-arbitre, incapable de pratiquer la pharmacovigilance, ni de remettre en question sa démarche thérapeutique. Ce jacobinisme français insupportable a paralysé toute initiative et autonomie. La pluralité des propositions de traitement est au contraire une richesse, qui permet statistiquement une probabilité bien meilleure de réponse thérapeutique adaptée.

L’exploration de la pharmacopée naturelle, tout comme le repositionnement de médicaments existants, apparaissent comme des attitudes tout-à-fait pertinentes, même si elles ne bénéficient pas de soutien de la part des pouvoirs publics. Comme nous l’avons déjà mentionné, les travaux les plus intéressants sur l’usage des plantes contre la Covid-19 sont le fait de chercheurs des pays émergents (ici un exemple), qui ressentent moins la pression morale de la doctrine majoritaire. En tout cas, afin de tirer les leçons de cette crise et d’en retirer une expérience positive, il faut anticiper dès maintenant, reprendre toutes les procédures, répertorier les propositions thérapeutiques sans jugement a priori, noter la marche à suivre, créer des référentiels, pour ne pas perdre de temps à l’avenir. En effet, dans le monde qui est le nôtre, le risque d’une nouvelle pandémie n’est pas négligeable.

8) Durant la crise du Covid, tandis que l’Occident oubliait son histoire, traitait de « charlatans » toutes celles et ceux qui soignaient les malades avec des molécules et des médicaments déjà très bien connus (hydroxychloroquine, azithromycine, ivermectine, vitamines B et D, zinc, dioxyde de chlore, etc.) et s’en remettait uniquement à un prétendu vaccin-miracle, d’autres pays ont au contraire massivement utilisé la médecine traditionnelle et notamment des plantes. Je pense en particulier au Ginkgo biloba, au Curcuma, à l’Artemisia annua, à la Nigella sativa, au Gingembre, à l’ail, à la cannelle, au Romarin, à l’Origan et Pissenlit dont un récent article scientifique, publié dans une revue de virologie, donnait un aperçu général (citons également cet article publié dans Scientific Reports en 2023). Pouvez-vous développer ce point ?

La crise du Covid-19 a engendré une prise de conscience soudaine de l’extrême fragilité de notre modèle de développement globalisé. Dans le domaine du médicament, cet évènement a mis un peu plus l’accent sur notre dépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, et sur le poids démesuré qui lui est consenti dans l’élaboration de nos remèdes, avec son lot de profits disproportionnés par rapport aux coûts de production, de lobbying, et bien sûr de conflits d’intérêt. Il montre aussi combien il est nécessaire de porter un regard épistémologique sur nos métiers de la santé, afin d’en déterminer le sens, le but et surtout l’éthique.

Depuis plusieurs décennies, toute la responsabilité de la genèse des médicaments est ainsi offerte aux industriels. Le corollaire est que le monde médical ne doute plus un instant que c’est cela la norme, et que les laboratoires privés nous apporteront une manne régulière de progrès thérapeutiques. C’est l’idéologie dominante, mais c’est essentiellement faux. En effet, depuis que le médicament est devenu un produit marchand, sa logique de mise sur le marché repose non plus sur son intérêt en termes de santé publique, mais sur les retombées financières qu’il est susceptible de générer. Certains disent que cela stimule l’innovation, mais je reste persuadé du contraire. La plupart des firmes pharmaceutiques ciblent leur recherche dans des domaines où le profit sera maximum. On voit par exemple apparaître des modes : actuellement, beaucoup de nouveaux médicaments sont des anticorps monoclonaux, très onéreux. Et à l’opposé, 1 % seulement des nouveaux médicaments concernent les maladies tropicales qui rapportent peu. Dans des domaines comme l’antibiothérapie, en première position dans les pathologies fréquentes, la recherche est en souffrance.

De même, les « petits » médicaments de première intention, très utiles à la médecine générale, n’intéressent plus l’industrie pharmaceutique, qui recherche des molécules susceptibles d’être brevetées pour protéger juridiquement ses produits. Elle oublie délibérément d’autres substances qui sont pourtant très actives sur le plan pharmacologique, et en particulier ces innombrables molécules présentes dans les végétaux, ressources naturelles, renouvelables, qui ont l’avantage d’être dans le domaine public, donc utilisables sans s’acquitter de royalties, et permettent d’élargir la palette thérapeutique du médecin.

Dans nos pays, la recherche appliquée et publique est exsangue. C’est déraisonnable et inadapté. Il serait logique que le travail de laboratoire sur des molécules du domaine public soit réalisé par la recherche publique, ou au moins de coupler public et privé.

Notre actualité de suite de pandémie peut néanmoins être favorable pour la phyto-aromathérapie. En effet, depuis l’apparition de la Covid-19, les travaux en « preprint » de toute la communauté internationale des chercheurs ont été disponibles in extenso pour être partagés. De très belles publications ont ainsi montré l’application de méthodes de pointe de « modélisation moléculaire » informatique dans la recherche de molécules naturelles se fixant aux récepteurs ACE-2, qui sont les cibles de la protéine Spike du virus (voir ici), ou d’autres cibles comme les protéases virales (voir ici). Les travaux de modélisation moléculaire permettent de recréer informatiquement la structure tridimensionnelle de certaines molécules naturelles, et de vérifier leur congruence avec des récepteurs comme celui de l’ACE-2 ou des protéases du coronavirus. Ils permettent aussi de simuler leur comportement, et de prévoir leur intérêt en tant que médicaments.

Face à une pathologie nouvelle comme COVID-19, il faut garder la tête froide et savoir utiliser toutes les armes offertes par notre pharmacopée. La physiopathologie de cette maladie est de mieux en mieux connue, de nombreuses plantes sont intéressantes, mais les financements manquent pour réaliser les seules expérimentations acceptées internationalement à l’heure actuelle : les études randomisées en double aveugle contre placebo.

Lorsque nous autres médecins phytothérapeutes utilisons notre pharmacopée, nous respectons les fondamentaux de notre approche thérapeutique, en travaillant sur la physiopathologie et sur la réponse personnalisée de notre patient. En pratiquant ainsi, les résultats thérapeutiques sont infiniment meilleurs que l’abstention, toujours mal considérée par les patients. Mais ces modalités ne sont pas simples à évaluer statistiquement. Cette recherche dépasse largement le cadre de la COVID-19.

Pour revenir sur l’une des spécificités du mode d’action des plantes médicinales, l’effet multi-cibles, la recherche est en plein développement. L’usage du totum et la compréhension des synergies sont mis en valeur par l’approche novatrice de la « méta-omique », qui utilise des modélisations informatiques et les méthodes du « big data », pour appréhender dans leur globalité les systèmes biologiques complexes et dynamiques du monde vivant (voir cet article). La phytogénomique, la transcryptomique, la protéomique, la métabolomique (10), permettent de comprendre de mieux en mieux les effets de mélanges complexes de molécules et leurs propriétés cohérentes d’adaptation à une situation pathologique spécifique (voir cet article). De plus, les chercheurs utilisent de plus en plus des méthodes innovantes de « pharmacologie en réseaux » pour mettre en relation les divers composés et la synergie de leurs mélanges, les pharmacophores (parties pharmacologiquement actives des molécules) et leurs cibles souvent multiples, avec les effets pharmacodynamiques observés (voir cet article). Ces travaux se déroulent in silico (sur ordinateur), in vitro (en laboratoire), se poursuivent in vivo (sur des organismes vivants), jusqu’aux essais cliniques sur l’humain. Ces travaux sont ensuite diffusés aux chercheurs de toute la communauté mondiale, mais peu seront communiqués vers le public ou même le monde académique.

9) La revue Prescrire, qui prétend pourtant être indépendante des industries pharmaceutiques, affiche une grande méfiance vis-à-vis des plantes médicinales, insistant notamment assez lourdement sur les effets indésirables graves. Comment comprendre cette hostilité manifeste ? Et, pour répondre à l’argument de Prescrire, quels sont les effets indésirables graves constatés après l’usage des médecines dites alternatives ? S’agit-il d’automédications et/ou de surdosages (auquel cas, c’est exactement le même problème qu’avec n’importe quel médicament) ?

Comme la majorité des médecins, j’ai beaucoup de respect pour la revue Prescrire, éditée par une organisation à but non lucratif, financée uniquement par ses abonnés, sans publicité ni subvention, sans actionnaire ni sponsor. Son objectif premier est d’« œuvrer, en toute indépendance, pour des soins de qualité, dans l’intérêt premier des patients ».

Prescrire est souvent sévère avec les médicaments. Dans le domaine des plantes médicinales, les évaluateurs appliquent les mêmes règles que celles qui sont utilisées pour l’évaluation des médicaments classiques. Cela peut sembler logique vu de l’extérieur, mais quand on connait le mode d’action des plantes thérapeutiques, ce n’est pas toujours adapté. Pour juger de l’intérêt de la phytothérapie, il faut tenir compte de toutes ses spécificités, de ses indications et des particularités individuelles du patient lui-même, qui devient un élément fondamental de l’équation.

Quand la revue Prescrire conseille aux patients de signaler systématiquement aux soignants s’ils prennent des médicaments à base de plantes, pour éviter des effets indésirables et des interactions médicamenteuses, je ne peux qu’y souscrire, et nous sommes toujours attentifs à l’automédication. C’est la même chose avec toute médication active qui présente une activité pharmacologique, et la phyto-aromathérapie représente bien sûr une intervention pharmacologique, avec des molécules identifiées (les principes actifs), même si elle n’est pas toujours « médicamenteuse », si on se réfère au statut légal du produit utilisé.

Cela dit, la toxicité réelle et directe des plantes est rarement en cause. Les plantes toxiques sont bien connues, et en dehors de récoltes sauvages de personnes imprudentes, comme pour les champignons, ou en cas d’erreurs de détermination botanique, rarissimes chez les spécialistes, on peut dire qu’il n’y a pas de plantes toxiques sur le marché officiel.

En Europe, les autorités ont eu peur des plantes, depuis de rarissimes accidents, très médiatisés, qui furent dus à des erreurs de reconnaissance botanique de plantes exotiques (11). Depuis lors, on ouvre le parapluie, le « principe de précaution » devient un moyen d’éviter d’apporter des réponses à des questions difficiles. Malheureusement, cela contribue à limiter notre liberté thérapeutique.

Dans les faits, les risques les plus probables en matière de phytothérapie sont les risques d’interactions entre plantes et médicaments. Dans la pratique médicale et chez les professionnels formés, ces risques sont très rarement retrouvés et documentés. Sans entrer dans le détail, on décrit :

– des interactions pharmacodynamiques, lorsque l’effet de la plante s’ajoute à celui du médicament, ou à l’inverse l’antagonise ;

– des interactions pharmacocinétiques, qui peuvent modifier l’absorption, la distribution, le métabolisme, l’élimination des médicaments.

L’exemple le plus connu est celui qui concerne le millepertuis Hypericum perforatum qui, en tant qu’inducteur enzymatique, augmente l’élimination des médicaments à faible marge thérapeutique, ce qui contribue à diminuer leur teneur dans le sang, donc leur efficacité. À l’inverse, le pamplemousse Citrus maxima est un inhibiteur enzymatique, il accentue les effets de certains médicaments.

Encore une fois, la connaissance des plantes et de leurs effets, positifs ou adverses, est de mieux en mieux connue, et l’enseignement de la phyto-aromathérapie en tient compte.

10) Un récent sondage (avril 2023) indiquait que près de 60% des Français interrogés « considèrent que les thérapies alternatives sont, de façon générale, au moins aussi efficaces que la médecine classique », près de 90% déclarent avoir déjà eu recours à des médecines dite « alternatives », à savoir, dans l’ordre décroissant d’importance des usages, l’ostéopathie, l’homéopathie, les huiles essentielles et l’acupuncture. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

Il est rassurant de constater que le public continue à faire confiance à des méthodes qu’il a adoptées depuis longtemps, qui sont efficaces lorsqu’elles sont utilisées par des professionnels de santé bien formés, et qui sont le plus souvent cautionnées par nos pairs, dès lors qu’ils ont fait l’effort de s’intéresser à elles. Chacune de ces méthodes possède ses bonnes et ses mauvaises indications, ses contre-indications, ses modalités d’application, et elles sont sans risque lorsque tous ces préalables sont respectés.

En général, nos patients ne sont pas impressionnés par les sorties médiatiques périodiques de certains collègues malintentionnés, dont on ne saisit pas toujours les motivations, et qui manifestement n’ont pas fait l’effort de s’informer correctement. On peut débattre, mais au moins avec des personnes qui se sont penchées sur le problème. La pratique de la médecine n’est pas une question de dogme.

Cela dit, les idées novatrices ont de tout temps été combattues par les tenants du conservatisme médical, et il faut s’attendre à des débats animés voire houleux, mais qui en définitive peuvent faire évoluer les opinions et aboutir à des consensus. Il y a encore des résistances, bien sûr, mais je pense qu’on n’est pas loin d’un revirement idéologique et d’un changement de paradigme dans le monde de la santé. On peut en percevoir les prémisses, et la meilleure illustration est l’intérêt de nombre de confrères hospitaliers pour la médecine intégrative, dans des spécialités où la relation humaine est fortement impliquée, comme les soins palliatifs, la psychiatrie, dans bien d’autres comme la gynécologie, l’urologie, la gastro-entérologie, et même dans des spécialités où on ne l’aurait pas attendue, comme la cancérologie, l’anesthésiologie et la chirurgie.

Tout cela est de bon augure. À l’avenir, il faudra toutefois que la médecine se défasse de certaines idées simplistes et monomaniaques qui ont la vie dure. J’en citerai au moins trois :

  1. « L’industrie pharmaceutique moderne est la seule à pouvoir fournir nos médicaments »
  2. « Les médicaments nouveaux sont toujours les meilleurs »
  3. « Il existe un seul remède à une maladie ».

Une meilleure formation des professionnels de santé est indispensable.

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Notes de bas de page

1) Entre autres, les voies de signalisation NF-ĸB (qui active, la réponse immunitaire et la réponse au stress cellulaire) et Nrf2 (qui contrôle l’expression des gènes antioxydants, et augmente la réponse de cyto-protection).

2) Décrite par exemple avec le sulforaphane du brocoli, la curcumine du Curcuma longa, et la thymoquinone du cumin noir Nigella sativa.

3) Propriétés nouvelles, qu’aucun des composants isolés ne possède.

4) Un D.U. est délivré par une Université, un Diplôme National est délivré par le Ministère concerné.

5) PubMed est l’interface permettant d’interroger MEDLINE, une base de données bibliographiques regroupant la littérature relative aux sciences biologiques et médicales, qui fournit les références de plusieurs millions de publications depuis le début du XX° siècle, dont une proportion très importante concerne les plantes et leurs composants. PubMed est hébergé aux États-Unis par la National Library of Medicine, un organe du NIH (National Institutes of Health), le ministère de la Santé américain.

6) « Médicaments à base de plantes issues des pharmacopées traditionnelles, de composition chimique testée, qui ont fait l’objet de tests de toxicité sur les animaux, dont les études scientifiques ont évalué l’efficacité thérapeutique et dont la production est contrôlée » (source).

7) Acides gras insaturés ayant subi une transposition chimique, présents dans les produits alimentaires transformés industriellement (source : ANSES).

8) Le prix Lasker en 2011, puis le prix Nobel de médecine en 2015 ont récompensé la professeure chinoise Tu Youyou pour la découverte de l’artémisinine.

9) Médicament préparé selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé … (Article L.5121-1 du Code de la santé publique).

10) Génomique : étude du matériel génétique, transcriptomique : étude de la traduction en protéines à partir du génome via les ARN messagers, protéomique : étude de l’ensemble des protéines produites, métabolomique : étude des métabolites (dont les métabolites dits secondaires, sources des principes actifs).

11) Ainsi, une confusion mortelle a eu lieu dans les années 1990 entre deux plantes d’origine chinoise, Stephania tetrandra, médicinale et Aristolochia fangchi, très toxique.

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