« Ce système est à renverser », par Régis Portalez

15/12/2019

Il avait éclairé l’hiver et hérissé les autorités en défilant en grand uniforme aux côtés des Gilets jaunes. Le Polytechnicien Régis Portalez nous livre un texte de refondation pour le lancement du site QG

Ce monde se meurt. Il meurt sous les coups répétés du néolibéralisme. Et s’il peut mourir, c’est à cause de notre résignation. La réalité est que nous sommes fatigués. Si volontaires que nous puissions être, nous devons d’abord vivre. Et vivre dans le monde tel qu’il est, c’est difficile et parfois coûteux. Pourtant nous devons y combattre et le meilleur moyen de le faire est d’encourager toutes les formes d’organisation citoyenne qui apparaissent pour ne plus jamais être seul. Il faut également savoir contre quoi on lutte. Nos maux ne viennent pas de nulle part.

D’une part nous subissons l’atomisation de la société, conséquence de l’application générale du capitalisme. Les gens sont rabougris à l’état individuel et tout lien social a été sciemment saboté pour se prémunir de toute contestation. Syndicats démolis, partis détruits, mobilité géographique réduite, tout ceci relève d’une même stratégie : empêcher l’organisation populaire. Cadres en burn out, Gilets Jaunes à découvert, longtemps nous avons pu penser que le mal venait de nous-même, ou du chef, ou de l’entreprise ou d’un gouvernement ou d’un autre. Pourtant il vient d’un système. Un système qui est le résultat d’un glissement sans précédent du pouvoir du peuple vers le capital et d’un basculement complet du rapport de force en faveur de celui-ci. 

Aujourd’hui le capital est organisé. Gouvernement, commission européenne, FMI, OCDE, OMC… Les médias sont aux mains de l’oligarchie, les grandes entreprises sont internationales et se servent elles-mêmes bien avant de penser à l’intérêt général. La libre circulation des capitaux et des marchandises a supprimé tout l’emploi industriel. Ce faisant, l’horizon social de la majorité des classes populaires a été fermé. La démocratie devient un mot vide. On s’assoit dessus quand on peut, on matraque quand il faut.

L’abstention dépasse régulièrement les 50%. Les gens ont l’impression que leur avis ne compte pas. Et qu’ils n’ont aucun moyen d’influer sur le cours des choses. Que les décisions sont prises loin d’eux et pour servir des intérêts qui ne sont pas les leurs. Ils n’ont pas tort.

C’est tout cela qu’il nous faut renverser.

De temps en temps pourtant, la vie sociale et politique nous apporte des moments de lumière : la campagne sur Maastricht, celle de 2005 ou celle de 2017. Avec une force bien plus grande encore, le plus grand moment social et politique des 50 dernières années : les Gilets Jaunes. Les gens sont sortis de leur isolement pour se rencontrer, se rendre compte qu’ils étaient en fait nombreux et qu’à eux tous ils pouvaient faire du neuf. Du lien social sur les ronds-points d’abord, puis des revendications politiques profondes (rappelons que la liste des 42 revendications datent du 2 décembre), puis enfin faire plier le pouvoir pour obtenir quelque chose.

C’est cela qu’il faut promouvoir.

Continuons l’exemple magnifique des Gilets Jaunes. Faisons sortir le mécontentement de la discussion privée. Montrons aux gens qu’ils sont en fait nombreux, et qu’à plusieurs on peut espérer plus.

Ce passage de « Comprendre le pouvoir » de Noam Chomsky est particulièrement éclairant : « Le truc, c’est de ne pas rester isolé. Si on est isolé, comme Winston Smith dans 1984, alors tôt ou tard on lâche prise, comme il le fait à la fin. Voilà en un mot ce que racontait le roman d’Orwell. En fait, toute l’histoire du contrôle sur le peuple se résume à cela : isoler les gens des uns des autres, parce que si on peut les maintenir isolés assez longtemps, on peut leur faire croire n’importe quoi. Mais quand les gens se rassemblent, alors beaucoup de choses deviennent possibles. »

Le moment que nous vivons est une crise sociale et écologique face à laquelle les gens veulent décider. Pas contribuer, ni débattre : décider. Et pour pouvoir décider, il faut être informé et il faut pouvoir parler. La prise de contrôle des médias par l’oligarchie a tué l’accès à l’information et a restreint les possibilités de confrontation publique à un niveau extrême que Chomsky décrit comme le « modèle de propagande ». Nous avons donc besoin de nouveaux espaces d’expression et de confrontation.   

QG et Aude Lancelin remplissent ce rôle à merveille avec des émissions comme « Contre-Courant », « Quartier Jaune » ou « Quartier Constituant ». Les autres médias que je soutiens font de même ailleurs. Il ne doit pas être question de concurrence entre eux, elle appartient au vieux monde. Les médias libres doivent reconquérir l’espace de liberté d’expression qui nous manque tant. Les Gilets Jaunes s’organisent en miroir de corps intermédiaires souvent dépassés. Il nous faut inventer nos institutions partout.

A l’échelle de Polytechnique, nous avons créé « X-Alternative » en 2019, initiative dont le but est de fédérer parmi les élèves et les anciens ceux qui souhaitent changer les structures de la société en faveur du bien commun. J’appelle aussi de mes vœux un nouveau syndicat démocratique, une caisse de solidarité pour les victimes de la répression, une autre pour les lanceurs d’alerte, des journaux ouvriers, des coopératives partout, de la liberté partout, de la démocratie partout. Ces initiatives sont un commencement, elles sont appelées à être l’avenir.

Liberté !

Régis Portalez

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4 Commentaire(s)

  1. Merci à mr Portalez pour son activité de dénonciation politique et pour les pistes qu’il propose. De la part d’un ingénieur – qui plus est de Polytechnique- c’est rare (et je sais de quoi je parle).
    Il y a plus de 20 ans, un chef d’entreprise (patron de la société « Majorette » voitures miniatures) s’est présenté aux élections présidentielles avec comme programme de « gérer » la Nation comme une entreprise. A l’époque je l’ai pris pour un vrai abruti avec ses discours d’ingénieur à la con ne croyant qu’à la rationalité technique. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, c’est ce que fait Macron : il veut nous gérer comme des employés.

    Mais le futur est encore plus sombre car les libertariens américains se proposent non pas de gérer la nation comme une entreprise, mais de faire gérer la nation par des entreprises. Les ministères et les budgets seraient privatisés. Tous les communs aussi; emprunter une route (de campagne par exemple), construire par une société privée) nécessiterait un péage ou un abonnement à l’entreprise gérante. L’atmosphère serait privatisée, et pour respirer il faudrait payer un droit plus ou moins élevé selon la qualité de l’air choisi (CO2). On vendrait aussi des bouteilles d’air pure ou même, pour les plus riches, une adduction d’air pure dans la maison par une tuyauterie souterraine comme celle de l’eau actuellement.
    Le pied, quoi !!!!

    1. Je reviens sur ce commentaire une nouvelle fois. Cela suite à la présentation sur un média concurrent du bouquin de mr Johann Chapoutot sur le thème « Nazisme et management ». Mr Chapoutot affirme que le nazisme avait un sainte horreur de l’Etat et de sa lourdeur, et qu’en conséquence les nazis avaient confié les services de l’état à des « Agences » privées. Donc anticipation, en quelque sorte, du projet libertarien américain d’aujourd’hui. Y’a pas de hasard !

      Sur cette question de la filiation entre « néo-management » et « nazi-management » pour expliquer les ressemblances constatées entre les deux, je prendrais un parti inverse de ce qui est dit actuellement. Il me semble que l’esprit du capitalisme/libéralisme international était déjà présent avant guerre, et que c’est cet esprit qui a décidé du choix de type libertarien des nazis, et qui décide actuellement des choix de l’organisation politico-managériale de l’Etat moderne. Les deux managements ont une même source idéologique et matérielle. On remarquera que le néo-management est bien pire que le nazi-management : les néo-management a à son actif un nombre considérable de suicides au travail. Ces suicides empêchent la reproduction des mauvais salariés, ce qui matérialise bien l’eugénisme caché du néo-management.

      Lors du discours télévisé du 7 mai 2020, sur le déconfinement, on a eu droit, de la part du gouvernement à une prestation de type réunion du personnel pour le lancement d’un projet d’entreprise, nommé « Déconfinement ». Les intervenants à la tribune :
      – Emmanuel Macron, le DG et représentant des actionnaires, n’était pas là, car il ne s’agit que d’une réunion de projet interne, projet qui casse les couilles aux actionnaires d’ailleurs (la santé des salariés pffff !)
      – Edouard Philippe, dans le rôle du Directeur adjoint qui présente le projet, qui tient le fil, et qui distribue la parole à ses cadres qu’il couve d’un regard de … surveillant, en modulant par des mimiques plus ou moins approbatrices (il faut indiquer aux suivants la « bonne » orientation à tenir … librement).
      – Olivier Véran, dans le rôle du DRH, qui adopte une tonalité « humaine », comme il se doit pour un DRH.
      – Bruno Lemaire, dans le rôle du directeur financier, qui adopte la tonalité assurée et responsable de celui qui tient le seul enjeu sérieux du projet, à savoir le fric.
      – Christophe Castaner, dans le rôle double de responsable du service des contentieux (maton) et responsable des contremaitres (matons), adopte une tonalité martiale qui ravit le Directeur adjoint, ainsi que le Directeur financier. Le DRH est ravi aussi, mais il ne le montre pas.
      – Muriel Pénicaut, dans le rôle du représentant syndical (Confédération Facho Du Travail) pro-direction, adopte sa tonalité habituelle de « gentille méchanceté » ou de « dureté désolée mais ravie » (fourbe au possible cette représentante syndicale !). Il faut dire qu’à la CFDT ce sont tous des lèches-culs (des diplômés ou anciens gauchistes parvenus qui ont pris le pouvoir là-dedans).

      La réunion se déroule, dans l’auto satisfaction des manageurs, et on mesure à quel point, les salariés se font entortiller par une « rationalité » apparente de discours, qui recouvre magistralement, finement, une « connerie » totale de réalité. Des cons finement, en quelque sorte ! Mon Dieu !

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