Le Mexique est couvert du sang des femmes

25/11/2021

Wendy Galarza est une activiste féministe mexicaine. Le 9 novembre 2020, alors qu’elle participait à une manifestation contre un féminicide à Cancún, la police l’a grièvement blessée par balles. Devenue une figure incontournable de la lutte pour la défense du droit des femmes au Mexique, elle a répondu aux questions de notre journaliste Itzel Marie Diaz. À lire sur QG ce 25 novembre, alors que nous célébrons la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes

Le Mexique est l’un des pays les plus violents au monde pour les femmes, dix d’entre elles en moyenne y sont assassinées chaque jour. De janvier à septembre 2021, l’État a enregistré 2104 homicides volontaires contre des femmes, dont 273 rien qu’au mois d’août[1]. Mais ces chiffres officiels sont en dessous de la réalité et l’impunité règne dans le pays. Wendy Galarza, trente ans, est éducatrice pour jeunes enfants à Cancún. Loin de l’idée paradisiaque qu’on peut se faire de cette ville, elle travaille dans un contexte où les femmes sont souvent maltraitées. Le 9 novembre 2020, elle a participé à une manifestation pour réclamer justice après le meurtre de Bianca Alejandrina, 20 ans, connue sous le nom d’Alexis. Ce jour-là, Wendy Galarza a été victime de violences policières avec d’autres camarades. Les policiers l’ont frappée et lui ont tiré dessus à deux reprises. Elle a reçu une balle dans la jambe, et une autre à l’entrejambe. Contactée par Amnesty International, elle voyage en ce moment en Europe afin de rendre visible les violences faites aux femmes et de faire pression sur les autorités mexicaines afin d’exiger des réparations. Nous avons rencontré la jeune militante dans les locaux d’Amnesty International France, où elle nous a reçus, souriante et déterminée.

Wendy Galarza est une militante féministe mexicaine. Le 9 novembre 2020, alors qu’elle participait à une manifestation contre un féminicide à Cancún, la police l'a grièvement blessée par balles. Elle a survécu et se bat aujourd’hui pour réclamer justice. Figure incontournable de la lutte pour la défense du droit des femmes au Mexique, Wendy Galarza a répondu aux questions de QG
Wendy Galarza est une militante féministe mexicaine. Le 9 novembre 2020, alors qu’elle participait à une manifestation contre un féminicide à Cancún, la police l’a grièvement blessée par balles

QG – Pourquoi êtes-vous descendue dans les rues de Cancún le 9 novembre 2020 et comment la manifestation s’est-elle déroulée?

Wendy Galarza – Le 9 novembre 2020, plusieurs collectifs féministes et civils se sont rassemblés à Cancún suite au meurtre de la jeune Alexis. En réalité, ce féminicide a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase car au Quintana Roo (NDLR: l’État de la ville de Cancún), il y avait de plus en plus de meurtres de femmes. Cette semaine-là, il y avait déjà eu trois féminicides. Ça a mis le feu au poudre, d’autant plus que Alexis était très engagée dans la défense du droit des femmes. Le 9 novembre 2020, nous nous sommes donc réunis devant le bureau du procureur général. Il y avait environ deux milles personnes, les proches d’Alexis et les familles d’autres victimes de féminicides. Les gens étaient indignés. Ils criaient, faisaient des graffitis, certains brûlaient des poubelles. Ensuite, nous nous sommes dirigés devant le Palais municipal. C’est là que la manifestation a vraiment dégénéré. Nous avons entendu trois tirs. À ce moment-là nous pensions tous qu’il s’agissait de pétards mais les policiers sont arrivés et ont tiré en l’air. Lorsque nous avons commencé à courir, pour fuir, ils nous ont visé. Moi, j’étais avec mon compagnon. Nous avons couru en direction de notre mobylette. Trois policiers nous ont bloqué le passage. Ils nous ont mis à terre et ont commencé à nous frapper avec tout ce qu’ils avaient sous la main: des boucliers, des matraques, des bâtons faits avec des branches d’arbre. Ils nous ont volé nos affaires, ils nous insultaient et nous crachaient dessus. Ils disaient: “Nous allons vous laisser dans un pire état qu’Alexis”. On ne m’avait jamais frappé comme ça. Les coups étaient tellement forts et douloureux que je ne sais même pas à quel moment ils m’ont tiré dessus. J’ai vraiment cru qu’ils allaient nous faire disparaître (NDLR: Au Mexique, on compte 73 201 disparitions forcées. La police et l’armée mexicaine seraient impliqués dans de nombreux cas[2]). C’était horrible, j’ai vraiment eu très peur.

QG – Ce jour-là, vous n’êtes pas la seule à avoir subi des violences policières. Que s’est-il passé pour vos camarades également présents dans la manifestation?

W. G. – À quelques mètres de moi, il y avait un groupe de filles qui, lorsqu’elles ont entendu les coups de feu, se sont tout de suite mises à terre. Parmi elles, Gloria Chan, qui est photographe. Elle a reçu un coup sur la tête par un policier. Il lui a ouvert le crâne et elle se vidait de son sang. Gloria a demandé de l’aide, elle se sentait mal, elle avait des vertiges mais les policiers se sont moqués d’elle. Cécilia Solís et Roberto Becerril, tous deux journalistes, ont aussi été blessés par balles. María, une autre de mes camarades, s’est révoltée. Elle disait qu’elle avait des droits et que ce qu’ils faisaient était illégal. En guise de punition, ils l’ont traîné dans un endroit à l’écart. Là, ils l’ont torturé sexuellement. Naomi Quetzaly Rojas Domínguez, une autre manifestante, s’est aussi rebellée. Les policiers l’ont emmenée dans le Palais municipal où elle a subi des violences sexuelles.

Vidéo tirée du média mexicain Animal Político:

QG – Les arrestations arbitraires et les dérives d’une police souvent corrompue sont monnaie courante au Mexique. Avez-vous eu le courage d’aller porter plainte?

W. G. – Oui, nous avons tous porté plainte. Malheureusement, nous ne pouvons pas faire confiance à la justice mexicaine car la police est protégée par l’Etat lui-même. Nous ne savons pas qui a donné l’ordre de tirer sur les manifestants. Nous ne pouvons pas non plus identifier les policiers qui nous ont agressé et torturé car ils portaient des masques. C’est très difficile d’obtenir réparation. Pourtant, nous vivons tous aujourd’hui avec des séquelles et des traumatismes importants. Pour ma part, je n’ai su que deux jours plus tard que j’avais une balle logée dans l’entrejambe. Je pensais que mes souffrances étaient dues aux coups des policiers. Lorsque je suis allée à la médecine légale pour faire constater mes blessures, ça a été un véritable choc d’apprendre qu’on m’avait tiré dessus. Dans ma plainte, ils ont seulement marqué « abus d’autorité, lésions et vol ». Mais deux balles dans le corps ce ne sont pas juste des “lésions”, c’est une tentative d’assassinat. Bref, ça a été une année éprouvante, rythmée par les négligences de la justice. Avec mes autres camarades, nous avons donc créé le Comité des Victimes du 9 novembre (Comité de Víctimas del 9N). Au sein de cette organisation, nous faisons un suivi de tous nos processus juridiques et administratifs. Tous les neuf de chaque mois, nous nous réunissons devant le Palais municipal pour prendre des mesures et récupérer l’espace public.

QG – Selon vous, pourquoi y a-t-il autant de féminicides au Mexique, et qu’espérez-vous comme changements ces prochaines années?

W. G. – Au Mexique, les féminicides ont le vent en poupe, parce qu’en fin de compte il n’y a pas d’accès à la justice. Cancún, ce “paradis”, est couvert de sang. Ces dernières années, nous avons observé une hausse des meurtres commis contre les femmes. Nous en sommes à dix par jour, c’est un chiffre scandaleux. Bien sûr, il n’y a pas de punition pour ceux qui commettent ces meurtres. Le message qui est envoyé est donc clair: allez-y, tuez les femmes puisque de toute façon il ne vous arrivera rien. Quant à la police, elle ne nous protège pas, elle nous attaque. Le gouvernement a aussi sa part de responsabilité dans ces meurtres puisqu’il ne garantit pas notre sécurité. La majorité des femmes qui ont été assassinées avaient déjà porté plainte contre un conjoint ou ex-conjoint. La violence contre les femmes va de pair avec la violence machiste et je suis certaine que s’il y avait des protocoles clairs mis en place pour mettre en sécurité les femmes soumises à ces violences, il y aurait moins de meurtres. J’espère vraiment que cela va changer un jour et que les mentalités vont évoluer. Je suis persuadée que ma génération a un rôle important à jouer dans ce changement.

QG – Nous avons pu le constater ces dernières années, le Mexique est aussi un pays dangereux pour les journalistes, activistes et opposants politiques. Avez-vous peur de rentrer dans votre pays?  

W. G. – Oui, j’ai très peur… Mais je veux continuer à me battre. Je ne me tairai jamais.

Propos recueillis par Itzel Marie Diaz

[1] https://drive.google.com/file/d/1Nvhace2unfMepby3Z95uxcJBcF1SSHjf/view

[2] https://www.gob.mx/segob/prensa/gobernacion-y-la-cnb-presentan-el-informe-relativo-a-la-busqueda-identificacion-y-registro-de-personas-desaparecidas-y-no-localizadas

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