Et voilà qu’aujourd’hui je vais parler des élections, une péripétie nationale. Vous auriez raison de m’accuser d’opportunisme, de ressembler à un vulgaire appareil médiatique. Vous pourriez dire que je parle ici de ce qui se passe et dont tout le monde est à peu près déjà au courant.
Je crois pouvoir me défendre, au moins partiellement: je ne vais naturellement pas commencer ce séminaire par des considérations ordinaires, chiffrées et calculatrices, sur le résultat du premier tour de l’élection présidentielle. Ce serait plier la philosophie aux lois du journalisme. Mais je ne veux pas non plus faire comme si j’allais parler totalement en dehors du contexte de ces élections. Ce serait tout de même faire preuve d’un certain snobisme intellectuel. Pour le moment, je ferai une seule remarque empirique. Une opinion commune traite ces dernières années comme des années sombres, presque dévastatrices. On parle de perte des libertés, de désordres économiques, de pandémie brisant l’élan de la vie. On parle d’autoritarisme aveugle et insensible, on pleure la totale disparition de la gauche, on souligne l’importance des mouvements de protestation, des Gilets jaunes aux antivax. On annonce que le pire est devant nous, avec l’inflation galopante et les pénuries prévisibles, notamment celles du gaz et du pétrole. Moi-même, du reste, j’ai parlé d’une époque de grave désorientation politique.
Il semble donc que l’époque soit agitée, nouvelle, périlleuse, et que même le confort moyen dont bénéficient les contrées de l’Europe occidentale soit menacé.
Eh bien, une bonne nouvelle ! Le parlementarisme électoral affirme que tout va bien, et que rien ne change ni ne doit changer. La preuve éclatante est la suivante : il y a cinq ans, les élections présidentielles faisaient accéder au deuxième tour un fringant nouveau venu, Emmanuel Macron, et une vedette bien connue du répertoire électoral, Marine Le Pen. Les vieux partis, notamment de la gauche classique, PS et PC, étaient déconfits. Désormais, nous apprenons que vont accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle qui ? Eh bien, les mêmes dans le même ordre, l’héritière Le Pen venant derechef derrière le vieillissant nouveau venu Macron. Et des partis de la gauche classique, il n’est pratiquement plus question, ils sont, avec les groupuscules de la gauche radicale et les supplétifs de l’extrême droite, dans l’enfer des totaux imperceptibles.
Il n’a pas tort sur un point, ce dispositif : les conjonctures du réel peuvent changer, le protocole électoral, lui, reste identique à lui-même et à sa fonction de toujours : faire en sorte que le réel de la société française et de son groupe dominant persévère, quels que puissent être les avatars de la superficie électorale.
Sur ce point, j’aime citer un ancien ministre gaulliste de la justice, Alain Peyrefitte. Le résultat des élections de 1981, qui avait porté au pouvoir une coalition socialo-communisme dirigée par Mitterrand, avait effrayé le loyal réactionnaire gaulliste Peyrefitte. Il sut alors trouver, et c’était, je crois bien, la première fois qu’il trouvait quelque chose, une formule admirable. Il dit: « Les élections sont faites pour changer de gouvernement, et nullement pour changer de société ». Guidé par son angoisse, il retrouvait, très paradoxalement, une considération de Marx lui-même: à savoir que les élections ne sont qu’une mécanique servant à désigner, selon l’expression de Marx, « les fondés de pouvoir du Capital ». L’un et l’autre, au fond, quoiqu’à des fins opposées, disaient que les élections concernent la gestion – le gouvernement – de l’ordre capitaliste bourgeois, mais n’envisagent aucunement la remise en cause de cet ordre lui-même.
De fait, il n’est jamais arrivé, et à mon sens il n’arrivera jamais, que l’ordre capitaliste d’une société où cet ordre est solidement installé, souvent depuis deux siècles, soit renversé suite à une élection, et remplacé par une variante inventive du collectivisme. Il peut y avoir des inflexions opportunistes, un coup de barre à droite parce que la bourgeoisie est mécontente, ou que la situation financière l’exige, un coup de barre à gauche, parce que le peuple grogne et qu’il convient de lâcher quelques sous. Mais jamais rien n’arrive qui change l’ordre sous-jacent de l’organisation sociale dominante.
Nous sommes sur ce point bien plus aveugles et timorés que ne l’étaient les militants du dix-neuvième siècle. A propos de ceux qui croyaient encore que les élections étaient un lieu démocratique et qu’on pouvait y vaincre l’ennemi conservateur, ces vrais militants, intellectuels et ouvriers, parlaient tout uniment de « crétinisme parlementaire ».
Rien de plus partagé aujourd’hui que, sous le nom de « démocratie », une forme presque définitivement installée de « crétinisme parlementaire ». En particulier chez nombre d’intellectuels, l’opposition fondamentale à leurs yeux entre « totalitarisme » et « démocratie » n’est qu’une forme moderne, et infiniment plus pernicieuse, de cette maladie conservatrice qu’est le crétinisme parlementaire.
Pour ce qui me concerne, j’ai été dans ma jeunesse, notamment au début des années soixante, un crétin de cette espèce. Militant des variantes de gauche du socialisme, j’ai activement participé à des campagnes électorales, j’ai compté tristement les voix, j’ai préparé les élections à venir, j’ai envisagé des alliances de toute la gauche… Bref, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour que le crétinisme anime un militantisme farouche.
C’est la tempête de Mai 68, ma fréquentation active des usines, la découverte de la capacité politique potentielle des ouvriers, notamment des immigrés, qui m’a fait entrevoir que le chemin du collectivisme communiste n’était pas, ne pouvait pas être, à chercher du côté des rituels électoraux. Ce qu’a confirmé, si besoin en était, le triomphe aux élections, en 1968, de la réaction la plus agressive qui soit.
Depuis, et donc depuis 54 ans, je fais une cure de dé-crétinisation: je n’ai voté à aucune élection, si tendue et mélodramatique que puisse être sa mise en scène, notamment par les partis dits « de gauche ». Mais je crois qu’il faut comprendre pourquoi le dispositif électoral, tel qu’il fonctionne allègrement dans les pays occidentaux, est appelé « démocratique », et, sous ce nom, tenu pour le seul régime politique libérateur, tous les autres étant qualifiés de « dictatoriaux » ou de « totalitaires ». Alors que, de la Russie à Cuba en passant par la Chine, le Vietnam ou la Yougoslavie, aucune expérience d’un déploiement non capitaliste de la société, aucune expérience collectiviste, quelle qu’en soit la durée ou les avatars, n’a pu s’établir du biais des élections, ni n’a pratiqué le parlementarisme de type occidental.
Il est vrai que Marx lui-même avait tiré, de l’expérience fondamentale qu’avait été pour lui la Commune de Paris, sa grandeur et son échec, l’idée que la nature d’un pouvoir communiste transitoire, destiné à faire dépérir l’Etat, et à confier la gestion de toutes choses aux peuples concernés, qu’un tel pouvoir, au vu des résistances violentes qu’il risquait de rencontrer, ne pouvait que s’appeler « dictature du prolétariat ».
C’est pourquoi ce qui est nommé « démocratie » dans les pays impérialistes occidentaux, je le renomme, d’une façon brutale, la forme raffinée de la dictature bourgeoise, et d’une façon un peu plus technique mais claire, le « parlementaro-capitalisme ».
Alors, analytiquement, de quoi s’agit-il ?
Tout d’abord, il est évidemment faux que la démocratie puisse être définie par le rituel électoral. Etymologiquement, « démocratie » veut dire « pouvoir du peuple », voire même « commandement par la multitude ». Il est ridicule de penser qu’un tel commandement puisse être autre chose que « collectif », au sens d’une réunion du peuple, telle que la pratiquait les athéniens dans la Grèce antique. De ce point de vue, rien n’est plus ridicule que de déclarer démocratique la pratique de l’isoloir ! Cet isoloir est la trace visible d’une conception totalement bourgeoise de la conviction politique: elle est, dans le cadre électoral, une conviction « privée », comme doit l’être la propriété. Et de même que les bourgeois qui sont actionnaires et propriétaires de capitaux ont une tendance marquée à dissimuler leurs possessions par le recours aux paradis fiscaux, de même le votant doit cacher son vote en remplissant son bulletin, tout seul, dans une sorte de pissotière électorale. On ne saurait inventer une procédure aussi peu démocratique que cette solitude ! En démocratie véritable, toute décision doit résulter d’une réunion où les diverses possibilités ont été argumentées et comprises par tous. Et l’échelle de la réunion, qu’elle soit celle d’une usine, d’un quartier, d’un village, d’une ville, d’un canton, d’une région, d’une nation, et un jour de l’univers entier, dépend du sujet traité, et du chemin parcouru dans la direction qu’indique le chant de guerre prolétarien: « Levons-nous et demain, l’Internationale sera le genre humain ».
L’isoloir est la matérialisation d’une idée typiquement bourgeoise et conservatrice, idée qui affirme que l’unité de base de tout ce qui existe est, dans l’ordre politique aujourd’hui dominant, l’individu.
En un sens, la contradiction majeure est bel et bien celle du mot après lequel on met le suffixe « isme ». Est-ce « individu » ? On dira alors que l’idéologie dominante est l’individualisme, lequel est immédiatement connecté à la propriété privée de type bourgeois, notamment la propriété privée des moyens de production. Ou alors, on dira qu’il faut partir du « commun », de ce qui est en partage dans le destin de tous, de ce qui résulte de délibérations argumentées auxquelles participent, doivent participer, tous ceux qui sont concernés par la décision à prendre. Et on dit alors communisme, lequel est immédiatement connecté à la propriété collective, propriété partagée notamment par tous ceux qui habitent ou travaillent dans le lieu concerné.
On dira donc que le rituel électoral, destiné à désigner dans l’isoloir ceux qui vont être les protecteurs de l’individualisme et de la propriété bourgeoise, doit s’appeler « parlementarisme » et non pas du tout « démocratie », puisqu’à la place de vraies décisions collectives à tous les niveaux, il propose la mise en place d’un lieu unique où, sous des noms comme « ministères » ou « parlements » se rassemblent les représentants du conservatisme capitaliste. D’où le nom que je propose pour un tel régime: capitalo-parlementarisme.
Aujourd’hui, il est particulièrement clair que ce nom est justifié. En effet, les élections de chambres diverses – ces salons politiques du Capital – sont littéralement programmées par un appareil de propagande gigantesque, lui-même tenu en laisse par la propriété bourgeoise. Les grands quotidiens et hebdomadaires nationaux, les chaînes de radio ou de télévision, sont, depuis de longues années, l’objet d’un processus ininterrompu de privatisation. C’est cohérent, après tout ! Elire une majorité de fondés de pouvoir de l’individualisme capitaliste est plus assuré si c’est à des capitalistes notoires et convaincus qu’appartiennent tous les moyens de propagande ! Les quelques survivants publics appartiennent à l’Etat bourgeois, et il est constamment question de les privatiser eux aussi. Une « propagande » tenue en mains par l’Etat, dit l’individualiste bourgeois, c’est totalitaire! Tenue par un milliardaire, c’est… démocratique.
Une objection qui peut ici être faite, c’est que la procédure parlementaire engage non pas seulement des individus, mais des partis, et qu’un parti peut prétendre être le représentant d’une collectivité, comme les ouvriers, quand on dit par exemple qu’un parti communiste est « le parti de la classe ouvrière ». Selon cette vision, la procédure électorale serait collective, puisqu’elle opposerait des groupes représentant la diversité sociale. Lénine lui-même disait: « la société est divisée en classe, les classes sont représentées par des partis, et les partis sont dirigés par des chefs ». Eh bien, je ne suis pas sûr qu’il avait raison.
Tout repose, ici, sur la notion suspecte de « représentation ». Après tout, le capitalo-parlementarisme peut prétendre que, grâce aux partis politiques et au vote parlementaire, c’est bien le réel de la société qui est finalement « représenté » dans les assemblées élues.
Ma thèse est alors la suivante: ce qui caractérise la démocratie véritable, c’est qu’elle n’admet pas la représentation. Elle n’est pas représentable. Un parti, si prolétarien qu’il se déclare, n’est pas, ne peut pas être, la représentation des ouvriers, de la classe ouvrière. Il ne peut être qu’un des instruments politiques dont se dote la classe dans son combat contre l’hégémonie bourgeoise. Il demeure donc sous le signe du multiple: il est une multiplicité prolétarienne organisée, rien de plus.
En fait, en politique, ce qui est déterminant est la présence, la présentation, et non la représentation. C’est le multiple de la décision qui compte, et non l’Un de la représentation et d’une décision séparée.
Deux exemples de la plus grande portée.
1. Quand Lénine revient d’exil en Russie, on est alors aux débuts de la révolution de 1917, il est accueilli à la gare par un fort détachement du Parti. Et il crie aussitôt : « tout le pouvoir aux soviets ». Or, les soviets, ce sont les multiples assemblées ouvrières et populaires, que Lénine considère comme la véritable existence politique d’une voie complètement nouvelle de la politique socialiste. Une voie précisément opposée à celle où se sont embourbés les partis socialistes de France ou d’Allemagne, à savoir la voie du parti parlementaire et des élections, qui les a finalement amenés à soutenir le meurtrier engagement de leurs pays respectifs dans la boucherie de 14-18. Lénine n’a pas dit, n’a jamais dit, « tout le pouvoir au parti ». Plus tard, dans les années vingt, peu de temps avant sa mort, il se demandera si l’Etat soviétique dirigé par le Parti communiste est vraiment différent de l’Etat tsariste. Il proposera de créer une inspection ouvrière et paysanne chargée directement de contrôler l’Etat. Mais il mourra sans avoir pu faire aboutir ses propositions. Et Staline portera à son comble l’identité faussement représentative entre le Parti et l’Etat.
2. Pendant la Révolution Culturelle en Chine, on demandait souvent à Mao Tsé Toung pourquoi il parlait toujours, à propos de la situation en Chine, de lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, alors que la Chine était un État communiste, un État dirigé par le parti communiste. Et Mao a fini par dire ceci: « On me demande souvent où est, en Chine, la bourgeoisie. Eh bien, la bourgeoisie est dans le parti communiste ». Il avait donc vu que le Parti, dès lors qu’il se confond avec l’État, peut dégénérer. Au lieu de travailler en direction d’un dépérissement de l’État au profit d’une gestion immédiatement collective de tous les processus de production, d’administration, ou de répartition, les caciques du Parti forment une nouvelle bourgeoisie. Au lieu de collectiviser la propriété privée, ils en prennent la direction. Au lieu de faire dépérir l’État des capitalistes, ils créent un capitalisme monopoliste d’État. Et telle est la Chine actuelle, devenue une puissance sur le marché mondial, une rivale des États-Unis, sans aucun caractère communiste.
Dans les deux cas, on le voit, les grands penseurs et dirigeants communistes ont bien vu le péril qu’il y avait à remplacer une détermination politique populaire par sa représentation, électorale ou partidaire. Ils n’ont pas pu empêcher que ce phénomène anti-démocratique l’emporte, et qu’avec lui l’hypothèse communiste, seule alternative à la domination capitaliste, soit terriblement affaiblie.
La démocratie véritable implique certes des formes d’organisation, mais une organisation n’est pas et ne doit pas être une représentation. Elle doit rester subordonnée à la multiplicité agissante.
Mais la multiplicité agissante à son tour ne doit pas être ramenée à une collection d’individus. Elle n’est pas réductible à un total d’individus. Elle ne pratique pas l’isoloir. Elle travaille collectivement à analyser la situation, et à déterminer l’action qui importe. Toute réunion politique vraiment démocratique revient à trouver une réponse, travaillée et partagée, à deux questions classiques : un, quelle est la situation actuelle ? Deux, dans cette situation, quelles sont nos tâches ?
On dira donc que le multiple politique agissant définit la situation actuelle et ses tâches, entre deux périls, deux aliénations : sa réduction électorale aux suffrages d’une multiplicité d’individus, qui est sa forme propre de décomposition ; et sa réduction parlementaire qui consiste à nommer une direction unifiée du multiple. Ce qui est sa manière propre de se confondre avec une représentation.
Décomposition électorale et représentation dirigeante sont les deux écueils de toute politique qui tente d’échapper à la dictature du crétinisme parlementaire.
En vérité, ce que la prétendue démocratie parlementaire redoute par-dessus tout, c’est que les deux vices du capitalo-parlementarisme, la décomposition et la représentation, soient affaiblis. Cela arrive si on conteste le suffrage comme unique validation politique, et si l’on conteste le pouvoir d’Etat comme unique figure unifiée de l’action politique.
Le crétinisme parlementaire des forces d’opposition est de reculer sans cesse devant ces deux critiques radicales de la politique pseudo-démocratique, et de prétendre que, une fois au pouvoir, on fera autrement. Mais du coup, le pouvoir sera en réalité le même. Car c’est dès la mobilisation des multiplicités populaires qu’il faut se tenir à distance et de la décomposition, et de la représentation.
Armé de tout cela, permettez-moi de revenir à la conjoncture récente, et d’en parler un peu abstraitement. Les trois partenaires réels de la foire électorale sont en fait d’une part les deux élus pour le second tour, à savoir le président Macron et Madame Le Pen. D’autre part, l’outsider de gauche, à savoir le bouillant Mélenchon. Les autres, dans la logique parlementaire, ne sont plus que des gens qui doivent vendre pour presque rien leurs petits électorats. Ils composent les bataillons de la décomposition parlementaire. Mais les trois autres, s’ils échappent provisoirement à cette décomposition, ont de graves problèmes de représentation. Car de quelles multiplicités sont-ils les uniques représentants? Au nom de quelles collections d’isoloirs parlent-ils ? Les voilà fort inquiets de ce qui les menace, et qui est tout proche : les élections législatives. Or sur les trois premiers du premier tour des présidentielles, seule Marine Le Pen peut se targuer d’avoir un parti. Macron, on le sait, n’a jamais eu, en fait de parti, qu’un bricolage devenu peu à peu inconsistant. Et Mélenchon n’est plus ni de chez les socialistes, ni de chez les communistes, lesquels du reste, en fait de représentation, ne présentent que leur décomposition. Alors ? Comment faire pour organiser une direction unifiée du multiple ? Même Madame Le Pen est dans l’embarras, car les deux autres se sont acoquinés contre elle. Macron, le sans-parti, accueille les bras ouverts tous ceux qui ne veulent pas de Madame Le Pen. Et Mélenchon a dit quatre fois : « pas une voix pour Madame Le Pen », sans jamais dire toutefois, démagogie tortueuse oblige: « votez Macron ».
Dans ces conditions, la machine électorale, avec sa pompe décomposante et son robinet représentatif, risque de donner dès le mois prochain un président sans pouvoir face à un parlement sans majorité, alors même que personne n’a vraiment dit la vérité: à savoir que la dite machine peut s’accommoder de tout, sauf bien entendu, c’est l’axiome de Peyrefitte, d’un changement quelconque de la société, à savoir: d’une atteinte portée à l’emprise, elle inconditionnée, du capitalisme moderne sur le jeu électoral. Cette atteinte, jamais !
Pour le reste, dès lors que le réel capitalise sous-jacent prospère, la machine électorale peut tourner à vide, elle en a vu d’autres. Quand j’étais jeune, on était dans la quatrième république, les majorités étaient en général si peu solides qu’on changeait constamment de premier ministre. On votait sans savoir qui serait ministre, et les gouvernements valsaient agréablement. Est-ce que cela a empêché que le capitalisme français se reconstitue, dans les années cinquante et soixante, jusqu’au point qu’on parle à son propos de période fastueuse, des « trente glorieuses » ? Pas du tout ! Est-ce que cela a empêché les situationnistes de Guy Debord de parler de la naissance d’une « société de consommation » ? Encore moins…
La conclusion sera donc : pour éviter les traquenards de la dialectique entre décomposition et représentation, ne vous approchez surtout jamais d’un isoloir, ne votez pas, ne votez plus jamais. Montez partout, sur tout ce qui vous intéresse, tout ce qui vous mobilise, de vraies réunions collectivisantes sans la moindre trace d’élection. Songez que le seul ennemi impavide, le seul bénéficiaire du système, est la dictature économique et sociale du Capital. La « démocratie », celle qu’on oppose au totalitarisme, concrètement, ce sont les Etats-Unis, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, et ainsi de suite. A savoir le cortège des puissances impériales, et des milliardaires mettant au service de leurs milliards tout le tiers monde des pauvres, de ceux qui, pour vivre ou survivre, doivent quitter leur pays et tenter de venir ailleurs, chez nous, par exemple. Pourquoi voter, sinon pour chasser de chez nous ces rapaces, et pour accueillir à bras ouverts leurs victimes tropicales, asiatiques, sud-américaines, et ainsi de suite ? Mais c’est ce que justement la machine électorale n’autorise pas. Alors, en tout cas, cessons de voter, et appelons, dans des réunions multiformes en vue de construire une autre humanité, tout le monde à faire de même.
Le but: que les milliardaires soient les seuls à voter. On y verrait plus clair.
En attendant, je voudrais, pour vous réconforter, pour faire un peu de musique verbale, vous lire des fragments d’un beau texte sur la politique. Ils sont tirés de l’avant-dernière partie de « La République », de Platon. On y voit que l’espérance d’un militantisme rationnel avait déjà trouvé, contre l’apparence pseudo démocratique, son langage.
Je vous lis ces extraits dans ma traduction. C’est d’abord Socrate qui parle :
— Pourquoi finalement les riches méprisent-ils les ouvriers pauvres, n’hésitant pas à les traiter de « barbares » ou de « mal intégrés à la civilisation », à faire contre eux des lois scélérates, à les parquer dans des cités infectes et à les contrôler, bastonner, arrêter, voire fusiller dès qu’ils font mine de se révolter ? C’est qu’ils ont terriblement peur, les riches et leurs partis parlementaires que, animé par la pure humanité de l’Idée, le lion de l’affect ouvrier se soumette les lâchetés de la bête dominante, et qu’en résulte une force politique et un courage, d’autant plus menaçants pour le pouvoir des riches que ces derniers sont en réalité corrompus et lâches.
Le jeune homme disciple de Socrate, le nommé Glauque, intervient alors en ces termes :
— Je ne vois toujours pas comment se soustraire au péril que nomment tous ces vices…
Alors Socrate :
— Le collectif politique, quel qu’il soit, doit être à l’image de l’homme intérieur, celui qui est capable de vérité. Sa délibération doit conduire à ce qui, selon une appréciation argumentée et rationnelle, constitue une vérité politique. Seule cette vérité s’oppose aux décisions d’un groupe social poursuivant avec violence ses seuls intérêts.
Et Amantha, la jeune femme également disciple du philosophe :
— Il me semble que vous opposez aux passions du commerce et des actions intéressées une discipline à laquelle il faut consentir dès lors qu’elle établit le pouvoir, en l’homme, d’une capacité supra-humaine. Vous désirez que la délibération politique nous rassemble au service de notre harmonie subjective.
À quoi Socrate répond :
— En tout cas, nous échapperons aux diktats qu’impose partout le processus implacable de la concentration du Capital. Tournés vers notre gouvernement intérieur, notre pensée active, nous y trouverons de quoi subordonner les affaires d’argent et de rendement monétaires de actions possédées au déploiement de ce que, au-delà de nos envies immédiates, nous sommes capables de créer ayant une signification universelle. Nous agirons de même en ce qui concerne la reconnaissance publique, au-delà de tout mécanisme électoral. Nous ne compterons pas les voix. Nous accepterons volontiers les éloges dont nous pensons qu’ils vont à ce que nous avons de meilleur, et nous fuirons, dans notre vie privée comme dans nos engagements sur la scène du monde, les hommages intéressés qui pourraient perturber notre devenir-Sujet.
Le jeune Glauque, un peu mélancolique, s’inquiète :
— Il est probable alors que nous nous tiendrons à l’écart de toute action politique et de tous les politiciens…
Socrate réagit vivement :
— Non, par le Chien ! Nous nous occuperons très activement de politique au milieu des gens de notre pays comme au service de l’humanité toute entière ! Mais pas au niveau des fonctions officielles, pas dans l’Etat – à distance de l’Etat, au contraire. A moins de circonstances révolutionnaires imprévisibles.
Glauque, reprenant espoir :
— Ah oui ! Circonstances qui établiraient un ordre politique comme celui dont nous parlons depuis hier soir, c’est ça ? Parce que cet ordre n’existe pour l’instant que dans nos discours. Je ne crois pas qu’il y en ait un exemple accompli où que ce soit.
Et Socrate alors va conclure dans ces termes :
— Il est cependant probable que de nombreux processus politiques bien réels, dans de nombreux pays, sont compatibles avec l’Idée qui est la nôtre, puisque la portée de cette Idée, l’idée que certains nomment le communisme, le vrai communisme, est universelle. Cependant, que ces processus soient puissants ou récents, nombreux ou rares, ce n’est pas là ce qui nous détermine en tant que Sujets actifs. Nous espérons certes que des politiques fourniront un jour à l’Idée le réel dont elle se soutiendra à échelle du monde entier. Mais même si ce n’est pas encore le cas, c’est néanmoins, dans tout ce que nous entreprendrons, à cette Idée et à nulle autre que nous tenterons d’être fidèles.
Voilà. Oui, tentons d’être fidèles. Pour commencer, je le redis, ne votons plus, ne votons pas. Voter, c’est déjà l’amorce d’une corruption par le pouvoir. Et, dans le vide créé par cette abstention combattante, logeons tout ce qui dessine, dans les peuples, le désir, même encore informulé, d’en finir avec le Capital, sa concentration, ses milliardaires, ses oligarques de partout, afin que partout, et sur toutes les questions, des assemblées populaires, des soviets non élus, décident de ce qui conviendra le mieux, et dans la paix, à tous les peuples de la terre.
Alain Badiou
Ce texte a été prononcé au théâtre de la Commune, dans la cadre du séminaire en public du philosophe, le 11 avril 2022
13 Commentaire(s)
Le Pingoin fait une promotion remarquable de Badiou.
Ce serait bien si l’on nous informait un peu sur le statut précis de ce fameux Pingoin.
Est-il adoubé par QG ? Sera-t-il possible un jour de commenter ses posts ? Pour l’en remercier bien évidemment !
Voilà que Badiou vient prêter main forte à Bégaudeau avec son nouveau slogan anarchisant, et toujours élégant, «élections, pièges à crétins». Nouveau slogan qui confirme bien son mépris de classe, mépris des nombreux prolétaires qui se donnent la peine, eux, de voter, dans une situation où ils n’ont manifestement pas beaucoup d’autre choix pour améliorer leur situation. Mais Badiou, professeur retraité et écrivain bien nanti, n’est pas exactement de ce monde de nécessiteux : d’où ses «y’a qu’à» et ses «y’a qu’à pas» qui ne participent guère à améliorer, ne serait-ce qu’un tant soit peu, leurs situations. Ce sphinx professoral s’avance de temps en temps pour sermonner le monde profane.
Je n’imagine pas les Marx, Lénine ou Mao ou tout autre leader communiste traiter ainsi de ce genre de problème, en adressant au peuple des «crétins» et des «cons». De la classe moyenne des petits bourgeois possédant, Marx et Lénine (pour Platon, je ne sais pas) se contentaient de dire qu’elle était réactionnaire.
Mépris de classe, donc, spécifique à certains intellectuels dits de gauche.
Mais au fond, et en vrai, Bégaudeau et Badiou ne s’adressent jamais vraiment au peuple, peuple qui n’est là que pour leur donner une «contenance», «un appui» : en conscience, leurs vrais interlocuteurs ce sont justement les autres intellectuels, toujours un peu ou beaucoup concurrents (ceux qu’ils ne méprisent pas, mais affrontent … eux par l’argument plus que par l’insulte…), concurrents sérieux dans le domaine de la parole et de la pensée. Le «marché» de la pensée philosophique, tout comme le marché économique, est fortement concurrentiel. Le vrai «champ de production» (au sens de Bourdieu = le «rapport social interne à une catégorie sociale» au sens de Marx) de ces invectives bileuses, c’est celui de la concurrence intellectuelle. Cet habitus (manie inconsciente) d’adresser en douce leurs écrits d’abord à leurs alter-egos, sous la couverture d’une adresse au peuple, est classique chez ces profs anxieux de leur prestige. Entre universitaires, on ne s’insulte que par ricochets.
L’article de Badiou témoigne en tout cas de ce qu’il n’a aucune connaissance de ce qu’est une organisation du travail, de ce qu’est la division du travail. Tout son discours consiste uniquement à dénoncer le système électoral et l’isoloir, pour le remplacer par la «délibération». Et uniquement par la délibération. C’est à dire remplacer l’élection par des paroles ! Il n’évoque quasi rien d’autre. Notons que cette centration sur la parole n’est pas totalement due au hasard ; il (lui) y a un intérêt : la parole, comme mantra, c’est sa spécialité ; il y est imbattable et, dans toutes les modalités «délibératives», il est sûr d’avoir une place de choix, de briller. Promouvoir la parole c’est promouvoir Badiou. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Un autre intellectuel (un peu marxisant) était sur ce créneau de la parole « fondatrice » du sujet: Lacan, autre parleur de talent et de métier. Nous y reviendrons.
Donc, à propos de l’élection et de l’isoloir, à aucun moment, Badiou ne nous parle de la prise de décision. Pour lui, l’objectif c’est de parler. Il ne connait rien aux organisations dans lesquelles, par nature, on passe son temps à décider, et à décider des choses qui sont susceptibles d’impacter l’activité de ceux qui ne participent pas forcément à «la» décision. Le «sujet» lacanien habite Badiou ; sa praxis à lui, c’est le verbe qu’il sculpte à merveille ; verbe malheureusement suspecté jadis au PCF, et à juste titre, d’alimenter le «théoricisme», cad de faire de la théorie une pratique ou plus précisément une praxis. Or, il n’y a pas de pratique théorique : ça fait partie de ces énoncés paradoxaux (poétiques), mais pervers. La pratique, c’est uniquement et justement ce qui prouve, ou non, la théorie ; il n’y a pas d’autres moyens de prouver la théorie que la mise en pratique de cette théorie. Pas d’amalgame possible. Voir aussi la méthodologie scientifique avec l’expérimentation. «Penser», en soi, ne fait pas partie de la praxis. La parole (superstructure) tente de se faire passer pour de l’action, pour du réel (infrastructure), mais ça ne marche pas.
Croire que le «dialogue» (la délibération c’est ce qu’on appelle le «dialogue» à la CFDT) porte en lui-même sa fécondité est une grave erreur (ou un mensonge). Essentialiser le dialogue comme «efficace et donc bon» est tout aussi idiot qu’essentialiser l’élection comme «inefficace et donc mauvaise». Il ne faut pas confondre dialogue et décision. Des décisions, Badiou n’en parle pas alors que c’est le passage obligé avant l’action. Tout dialogue, même d’excellente qualité, ne débouche pas, très loin s’en faut, sur un accord satisfaisant pour tous. Le rêve du dialogue miracle c’est justement le rêve de la CFDT qui nous bassine lourdement depuis longtemps avec son «dialogue social». Seul le «dialogue de travail», sur le chantier, à l’atelier, dans l’action, entre ouvriers qui coopèrent, mais aussi souvent avec la maitrise de proximité qui peut allouer des ressources et même aider, seul ce dialogue de travail donc permet de «prouver» en permanence la parole par l’action, par la praxis, par la mise en œuvre pratique immédiate des micros stratégies débattues ensemble pour structurer une action qui vise un objectif ; dans la confrontation collective au réel (quand paroles et actions se mêlent) on ne peut pas mentir, ni se tromper longtemps dans ses énonciations ; car l’action, la praxis, dit rapidement la vérité qui est ensuite «apprise collectivement». Quand cette parole n’est pas confrontée immédiatement à sa réalisation (fréquent chez les parleurs, les politiques) le «temps qui passe» et les «circonstances malheureusement adventices», justifient toujours la non-réalisation des visées, des promesses ; et dés lors il n’y a plus de limite aux acrobaties verbales prophétiques des philosophes (ou aux promesses des patrons), acrobaties qui deviennent rapidement des absconneries «imbitables» pour ceux qui sont «dans le faire» avant d’être «dans le dire» (même les mathématiques, et même la logique en général, ne se prouvent pas seulement sur le papier mais toujours avant tout dans le réel, même si des déductions purement logico-mathématiques permettent la création de nouveaux modèles «idéologiques» justes -ici au sens de corrects- de la réalité).
Donc, indiquons à Badiou, que si la délibération n’aboutit pas toujours, c’est que les rapports de classe sont toujours concurrencés par la multiplicité intersectionnelle d’autres rapports sociaux. Et donc, la réalité pressante imposant son tempo, il faut nécessairement sortir de la délibération par :
– la négociation qui permet de trouver un compromis entre les parties divergentes.
– La mise au vote d’une décision (selon le cas à main levée ou dans l’isoloir) (cette essentialisation du vote secret comme mauvais est vraiment aussi bête que les autres essentialisation à la Badiou).
– La décision unilatérale d’une autorité reconnue cad légitime (un chef, élu ou pas, possiblement révocable, mais légitime aux yeux des participants)
– La grève.
– La rébellion révoltationnaire spontanée (Gilets Jaunes).
– La rébellion révolutionnaire organisée, avec un parti et avec un leader (n’en déplaise à Badiou avec ses «partis» qui dégénèrent selon lui en «bourgeoisie» : certes les soviets pratiquaient effectivement l’élection mais … à main levée, ce qui constitue peut-être le vrai «hic» du problème).
Aucune de ces issues, n’a été évoquée par Badiou, tant il est vrai que pour Badiou, la délibération CFDTiste suffit au miracle de la convergence. La mise à plat verbale ne suffit jamais à résoudre une contradiction matérielle. Ce sont les conditions matérielles de la contradiction (les rapports sociaux et la distribution des forces productives) qui doivent être changées. Et ces changements ne peuvent consister qu’en des mises en œuvre réelles suite à des décisions. Badiou confond «relations humaines» (la façon de dialoguer, d’échanger des paroles cad la pré-théâtralisation de l’action) avec les «rapports sociaux», cad les conflits d’intérêts et les forces des acteurs en opposition (en opposition, mais pas forcément en relations humaines).
Non, le «sujet» (contrairement à ce qu’affirme Lacan) ce n’est pas la parole, non plus que la parole des autres. Les rapports sociaux réels (cad, en fait, phénoménologiquement, la vie) font le sujet. Et ces rapports sont déterminés par bien d’autres pouvoirs d’agir (forces productives) que la simple parole:
a- par exemple la force physico-mentale du sujet (certains psychanalystes parlent du « corps-sujet » ce qui est erroné car le corps est simplement une force productive à la disposition de l’acteur-sujet) ; et ce corps, en tant que force productive, fait totalement partie de l’ «identité du sujet», avec toutes les autres forces productives dont dispose «en propre» ce sujet (mémoire, intelligence, compétences acquises, stratégies sur étagères laborieusement acquises au cours de l’existence, etc …) : l’identité se construit dans le temps par accumulation de savoirs et de pouvoirs sociaux. Certes, c’est uniquement dans le rapport social concret (donc pour tel ou tel enjeu précis) que la validité de telle ou telle force productive se révèle comme telle cad force productive efficace. Il n’en demeure pas moins que le sujet sans identité de Lacan est une absurdité : l’identité du sujet existe bel et bien en tant qu’ensemble des forces productives mobilisables en propre par «ce» sujet.
b- par exemple le capital, soit sous forme d’outils de production, soit sous forme de marchandises, soit sous forme d’argent
c- par exemple la police, les milices, l’armée
d- par exemple les lois (sur l’héritage)
Pas besoin de paroles, ni de relations humaines, pour hériter d’un capital financier familial, capital qui peut permettre de rémunérer à son profit tous les intellectuels, tous les parleurs du monde. Intellectuels qui d’ailleurs savent habilement se déclarer de «gauche» et produire néanmoins des idéologies de «droite» :
– le gauchiste Sartre avec son existentialisme de droite («l’homme a le sort qu’il mérite puisque ce sort ne dépend que de ses choix personnels, choix totalement libres»).
– Le gauchiste Badiou avec son dialogue CFDTiste, et son «sujet» lacanien sans identité (parce que ce sujet tout entier serait engendré par la parole des autres : donc délibérations absolument essentielles).
C’est parce que le réel ne fait pas partie de l’identité pour Badiou, qu’il ne parle pas de rapports sociaux, de décisions, ni de mises en œuvre. Tout se passe dans les AG estudiantines, où les délibérations s’éternisent pour parvenir enfin à décider de la date de la prochaine AG et des slogans de la prochaine manif : ouf, le monde a failli attendre !
Même l’Eglise (c’est dire !) tient «la parole» pour suspecte par rapport à la réalité de l’agir et des faits (à 40sec, à propos de la situation des femmes dans le monde) :
https://www.theodom.org/video/femmes/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=saison_20-sem_1_01-05-2022
Certes, cette même Eglise tient le communisme pour totalement inacceptable en matière sociale (à 4mn30sec) :
https://www.theodom.org/video/doctrine-sociale-eglise/
Il est vrai que l’Eglise dispose d’un petit capital (mais c’est pour la bonne cause). (Il faut dire que le communisme a son capital aussi : celui de Marx!).
En guerre (la vie réelle n’est que conflits plus ou moins pacifiés), la nation, par exemple, ne peut pas se passer de division du travail, cad de compétences distribuées sur un collectif, y compris les compétences de chef, cad de décideurs par délégation (cad révocables par … votation par exemple). Face à une offensive ennemi, on ne délibère pas dans un amphi de Nanterre, on ne met pas la stratégie en discussion avec les soldats qui sont pourtant les premiers concernés. La confiance réciproque doit absolument prévaloir, lorsque l’objectif est partagé par tous (par exemple lutter contre l’invraisemblable agressivité américaine). Cette confiance, certes se mérite, elle se gagne par une conduite impeccable par ailleurs ; cad par une probité exemplaire, mais aussi par une compétence attestée. De même qu’on devrait déléguer le plus largement possible aux salariés leur stratégie de travail (pouvoir de réguler son travail), on doit aussi déléguer à des cadres, civils et militaires, compétents, la stratégie militaire qui nécessite d’être ajustée instantanément à chaque information stratégique nouvelle. Délibérer de tout, avec tous, en temps de guerre, c’est la défaite assurée.
Tout le reste n’est que de l’intellectualisme pédant. Dans la vraie vie, où se télescopent de multiples enjeux liés à de multiples acteurs, aucun enjeu ne peut se prétendre seul au monde. La lutte des classes et la lutte des nations (bien que parfois liées) cohabitent souvent. Ce qui veut dire qu’il est des espaces de délibération auxquels il faut savoir renoncer ponctuellement pour être efficace cad «rapide» lorsque cela est vital (prioriser et articuler sont nécessaires). La nation -espace de vie où un même «droit» détermine un même peuple (voir l’excellente définition de peuple que donne David Cayla)- doit être protégée pour qu’on puisse s’y épanouir.
La nation n’empêche pas l’internationalisme.
Imposer un seul et même droit, tel que la loi du marché et le code du commerce, à tous les peuples n’est pas acceptable.
Les commentaires avant le mien me paraissent sagement pensés et dits 🙂
Me sont venues ces quelques évocations enchanteresses :
Pour « le vieillissant nouveau venu Macron » la chanson de Brassens ( poème de Corneille ), remplacez Marquise par (petit) Marquis et laissez tomber la strophe finale 😉 https://youtu.be/DknqL3C0h7U
« Levons-nous et demain, l’Internationale sera le genre humain », évidemment https://youtu.be/Ykln5iQqw1E
« le bouillant Mélenchon » https://youtu.be/6IF2rz5-RZw
Ceci étant, mon abstention dimanche a, momentanément, car je ne saurais m’empêcher d’aller voter aux Législatives à la suite du bouillant Achille 🙂 , eu une vertu apaisante après 5 ans de macronie ( un peu de mon fait qui avais barré le FN au second tour en 17 ).
Et je reviens à Badiou qui traduit bien depuis Platon ce qu’on ressent, qui nous indigne, révolte, et nous fait, en fin de compte, revoter à Gauche, ici et maintenant :
« Je vous lis ces extraits dans ma traduction. C’est d’abord Socrate qui parle :
— Pourquoi finalement les riches méprisent-ils les ouvriers pauvres, n’hésitant pas à les traiter de « barbares » ou de « mal intégrés à la civilisation », à faire contre eux des lois scélérates, à les parquer dans des cités infectes et à les contrôler, bastonner, arrêter, voire fusiller dès qu’ils font mine de se révolter ? » ( A. B. )
Eh bien, je viens de lire le texte de Badiou. Surprise: il est très bon, même si j’ai pas bien compris sa transcription sur Socrate. Mais sur le reste, il est percutant: d’autant plus qu’il n’a toujours rien compris, mais rien de rien, aux GJ! Mais ce qu’il dit est pour moi rafraichissant ! Bon, je sais, ça va à l’encontre de ce qui semble se passer : tous les débris de la gauche se raccrochent à Mélenchon pour sauver leurs sièges, ce qui accrédite l’idée d’une possible assemblée nationale où personne n’aurait la majorité. D’accord, Mélenchon ne sera pas 1er ministre (caramba, dira Ruffin, encore raté!). Mais au moins, Macron n’aurait pas les coudées franches. Sauf, sauf, qu’est-ce que ça changera? Et on retombe sur Badiou. Car ce qui va être déterminant, ce ne seront pas les quelques dérapages sécuritaires ou économiques de Macron qui feront l’objet d’une multitude de motions de censure avec recherche d’alliances mouvantes, y compris avec le RN. Mais l’orientation définie par les commissions de l’UE et les stratèges de l’Otan avec pour fil à plomb la domination américaine. Les sorts des peuples du monde entier, et le nôtre est lié à ça: nous sommes condamnés à payer le prix de cette re-domination (je dis « re », car jusqu’ici, UE et OTAN étaient plutôt mal vus, miracle ukrainien!), et ce dans tous les domaines: énergétiques, alimentaires, écologiques… et surtout militaires. Des peuples se révolteront poussés par la faim: c’est déjà le cas
, d’autres sombreront dans le désespoir de l’impuissance. Tout y passera, école, services publics etc… et pour ça, ressurgira la même arme qui a fait ses preuves: imposer par en haut les règles sanitaires, en surdéployant le contrôle numérique. C’est le moyen le plus sûr pour faire accepter le nouvel ordre mondial américain. Le marché de la peur. Voir la réunion mondiale du 12 mai à ce sujet. Et il est évident que LFI non seulement est à côté de la plaque, mais contribuera à désarmer toujours plus la résistance populaire: d’où l’appui que lui confère dès à présent les milieux bobos et bourgeois ainsi que les Partis décomposés du PS et du PCF.
Mélanchon dans un appel à peine déguisé a appelé à voter Macron , il n’a pas parlé d’abstention. Il a même fait l’éloge de la démocratie , raison de son appel. Le grand démocrate Mélanchon est-il crédible quand il attaque la finance ou l’UE? Je suis d’accord il est du côté des bobos, sa façon de faire de l’écologie le prouve.
Défendre cette soi-disant démocratie, le front républicain, il faut le faire , mais toute la gauche est au même niveau, tout à jeter.
Le Pen est fasciste mais en Ukraine il n’y a pas des hommes armés qui se réclament de Hitler , Le Pen est raciste mais qu’ a fait la Gauche pour que la honte ne soit pas sur nous quand des arabes et des africains se sont noyés par centaines près de chez nous.
Ils me donnent tous envie de vomir. Un dernier cri , il vaut s’occuper de résistance à la base et sans la gauche , ça pue trop!
Voilà un article de poids qui donne un socle philosophique à l’abstention aux élections et qui se détache résolument des atermoiements d’un François Bégaudeau qui s’est exprimé sur le même sujet il y a peu sur ce site.
À le lire plus attentivement, on se rend compte qu’il met complètement à bas la représentativité politique en vigueur en France aujourd’hui et invalide tout notre système démocratique, rebaptisé pour la circonstance « capitalo-parlementarisme ».
Les élections ne changent pas la société, elles permettent tout juste de changer de gouvernement et à la fin c’est la classe bourgeoise qui l’emporte. Voilà l’amer constat qui fonde, si j’ai bien lu Alain, son propos et sa prise de position.
Ce qui me semble intéressant en la circonstance, c’est que Alain Badiou ne se contente pas de rejeter le vote, dénoncé comme un outil de confiscation du pouvoir par la classe bourgeoise, il signe avec ce texte ce que devrait être selon lui une véritable participation du peuple à la vie politique. Un investissement de chacun dans toutes les prises de décisions qui concerne la vie commune, des cantons à la Nation.
Un tel idéal ne peut s’envisager sans une prise de conscience collective de grande envergure d’une part, et une remise à plat de nos institutions et modes de participation à la vie publique d’autre part. Il suppose une réappropriation à la base et par la base de toute la vie politique du pays. Il implique également de sortir de la culture de notre démocratie, fondée sur la confrontation des divergences de vues et d’opinions et la loi d’une majorité imposée à tous, pour entrer dans la recherche d’un consensus et de solutions partagées par tous.
Il me semble rejoindre là l’expression d’un communisme originel qui ne peut exister selon moi que dans de petites unités humaines, souveraines d’elles-mêmes, au sein desquelles l’individu exerce sa propre souveraineté, contre son égoïsme et son individualisme, pour le bien de tous. Ce qui suppose à l’évidence, le retour d’une intelligence que d’aucuns appelleraient l’amour.
Comment vivre cet idéal dans un pays qui vit sous la férule d’un pouvoir central qui n’a cessé d’accroître sa main mise sur la société depuis des siècles, voire des millénaires, et dont la verticalité est renforcée aujourd’hui par son assujetion grandissante à des instances et corporations supranationales (UE, marchés financiers,…) qui n’entendent rien moins tant que d’étendre leur domination sur les peuples et nations à des fins de spoliation ?
Raisons pour lesquelles je considère que cet idéal, auquel je souscris à bien des égards, ne pourra voir le jour que dans un contexte d’éclatement des grandes masses politisées, entendez par là enrégimentées, et conjointement l’émergence dans les consciences individuelles, d’une pensée de l’Unité non-totalisante, entendez par là non arbitraire et en redéfinition permanente d’elle-même, sur la base d’une multiplicité vivante et organique
Bref, il s’agit pour nous autres occidentaux de passer d’une pensée ontologique de l’Être fermée sur elle-même, à une Pensée de l’Un ouverte. Vaste chantier qui prendra selon moi des siècles, mais qui est déjà à l’œuvre aujourd’hui et qui trace son sentier en silence dans les cœurs et qui surgit ici et là, sous forme eruptive parfois, les GJ et leurs revendication apolitique, entendez par là sans pouvoir arbitraire, d’une souveraineté retrouvée en temoignent.