« Emmaüs Connect: combattre la précarité numérique » par Jeanne Metzinger

29/07/2022

Prise de rendez-vous en ligne, impossibilité d’effectuer certaines démarches sans ordinateur, multiplication des QR codes: jamais l’usage du numérique n’a été aussi contraint, avec une forte accélération depuis la crise du Covid-19. L’association Emmaüs Connect à Strasbourg a ouvert ses portes à QG pour témoigner de la situation et expliquer son rôle fondamental dans une société prise au piège du numérique

Les discriminations liées à la précarité numérique ne cessent de s’aggraver en France, alors que même le fameux timbre rouge va symboliquement disparaître, au profit d’une e-lettre et que les procédures des services publics se dématérialisent. C’est pour éviter l’exclusion professionnelle et sociale qui frappe les personnes qui se sont brutalement retrouvées démunies face à ce nouveau monde numérique qu’Emmaüs Connect a décidé d’agir. Créée en 2013, l’association est issue de la branche Emmaüs France. Divisée en 12 points d’accueil partout en France, celui de Strasbourg a ouvert en 2019. En Alsace, depuis le début de l’année 2022, c’est plus de 900 bénéficiaires du programme et plus de 70 bénévoles en 3 mois qui traversent les couloirs du centre rue Kageneck à Strasbourg. Les missions de l’association sont variées, elles passent, par exemple, par le fait d’équiper les membres du programme avec un ordinateur et un téléphone reconditionné à faible coût, ou le fait de connecter ces mêmes personnes à l’aide de forfaits peu onéreux, et enfin de les accompagner dans l’apprentissage du numérique. 

Les locaux d’Emmaüs Connect Strasbourg accueillent des futurs membres – photo : Frédéric Maigrot

« Je suis contente quand je viens ici, je me sens mieux.»

Cet accompagnement vers le digital se fait par le biais de diverses activités. Il est également possible d’y retrouver des parcours d’initiation et enfin des permanences connectées. « Je veux apprendre à gérer le minimum« , nous explique une dame qui en est bénéficiaire à Strasbourg. Elle s’initie à mieux connaître ce qui touche à l’informatique, et plus précisément l’usage des mails, des MMS et du transfert de données. « Je suis contente quand je viens ici, je me sens mieux. » Elle a entamé le programme d’Emmaüs Connect en novembre 2021 et suit désormais deux permanences d’environ deux heures par mois. 

Permanence connectée chez Emmaüs Connect – photo : Alexandre Schlub

Ce jeudi, ils sont trois à bénéficier de l’aide du programme. De la retraitée qui s’exerce à transférer des photographies d’un téléphone à l’autre, en passant par un jeune garçon qui apprend à se connecter à YouTube et à utiliser son adresse mail, jusqu’à une autre personne, qui s’initie aux moteurs de recherches. « Il y autant de jeunes que d’actifs et que de retraités » souligne une bénévole. La fracture numérique touche tous les âges.

« On est dans un monde où quand tu ne comprends pas quelque chose, tu es un abruti »

Pour devenir membre du programme d’Emmaüs Connect, il faut passer par la case inscription. Maël, jeune bénévole, s’occupe de l’adhésion d’une mère de famille, envoyée par Pôle Emploi. Un test de niveau est réalisé au préalable, l’inscription quant à elle ne prend pas plus de trente minutes, pendant lesquelles elle précisera les compétences qu’elle souhaite améliorer. Pour elle, devenir plus autonome et bénéficier d’un prix avantageux pour acheter un ordinateur est essentiel. « On est dans un monde où quand tu ne comprends pas quelque chose, tu es un abruti« . Elle s’est également laissé tenter par certains ateliers thématiques comme les  réseaux sociaux ainsi que les permanences connectées.   

Atelier thématique chez Emmaüs Connect Strasbourg – photo : Frédéric Maigrot

« Pour moi, la précarité numérique c’est voir le numérique comme une souffrance » 

Benjamin Rafali, responsable opérationnel de la branche Emmaüs Connect de Strasbourg définit la précarité  numérique comme le fait d’être dans l’incapacité de bénéficier de ce que le numérique peut apporter. « Pour moi, la précarité numérique c’est voir le numérique comme une souffrance« . Le plus compliqué à gérer, ce sont généralement « les courriers administratifs » disent les personnes présentes. Depuis l’épidémie du Covid-19, beaucoup de documents administratifs et de prises de rendez-vous sont dématérialisés, ce qui pose un réel problème à certains. Benjamin Rafali explique que depuis la pandémie, il est beaucoup plus compliqué de vivre sa vie sans numérique au quotidien. « Avant personne n’utilisait quotidiennement un QR Code ou ne prenait rendez-vous sur Doctolib, maintenant c’est une obligation ». Il précise néanmoins que la crise liée à la pandémie a surtout accentué l’isolement de certaines personnes déjà en état de précarité et exclusion numérique. « La crise du Covid-19 a juste mis en lumière des besoins qui étaient déjà là, partout en France »

« Je n’avais pas vu qu’un centre comme celui-ci avait ouvert »

Pour devenir bénévole, il suffit de se connecter sur la plateforme Emmaüs Connect dans la catégorie: “Agir avec nous”. Il n’y a pas besoin d’être un expert en informatique, seulement d’être pédagogue, et d’aimer le contact, expliquent les responsables. Cette initiative est encore trop peu connue à Strasbourg et partout en France. « Aider à l’émergence de structures similaires à la nôtre, toucher la ruralité et avoir plus d’impact », tels sont les objectifs que Benjamin Rafali pose pour Emmaüs Connect.

Jeanne Metzinger

Site de l’association : https://emmaus-connect.org/

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2 Commentaire(s)

  1. Je dis à mon fils: « C’est quoi un QR code? » Il essaie de m’expliquer. Je comprends alors qu’il faut un I-phone, que je n’ai pas, rapport à tout ce que l’on sait, ou plutôt ne sait pas, sur les terres rares, là bas loin…en Afrique (donc doublement loin), sur ces enfants qui se glissent sous terre pour chercher des « terres rares » ( Oui, sous terre, au bout d’étroits tunnels, et ce qui suit. On ne sait pas très précisément, mais de toutes façons on ne les connait pas ces gamins, combien sont piégés. et donc dans ce cas ce qui se passe mais qu’on n’ose pas imaginer complètement parce que dans le fond on aurait trop mauvaise conscience, un peu comme avec ces travailleurs du Qatar, dont on ne sait pas précisément le nombre, 6500 ou 6499 ou 6501, ou deux, peut-étre même plus est-il dit, et là non plus on ne sait pas trop que penser, combien vraiment, et pourquoi on n’a pas le chiffre exact, ( alors qu’on connait le nombre d’accidents du travail en France très exactement) pourquoi, l’énigme demeure, on n’a pas le nombre exact parce que, à nouveau dans le fond_ ce « dans le fond » est en fait ce qui nous caractérise, cette partie que l’on occulte à soi-même_ ces salauds du Qatar (et les constructeurs… y compris nationaux…) ont, c’est tristement banal à dire, gagné le morceau, et on veut suivre, simple question de choix vous dis-je, la coupe du monde de foot. un mort de ce type et dans ces conditions devrait annuler le mundial, un seul. sans moi qui aime tant le foot ( je fais l’impasse de l’analyse sur le foot et sa ici dégoutante décomposition puante, sorte de cerise sur le gateau du capital financier, je vous épargne le reste), je disais donc que en RDC, les enfants, à la recherche de terres rares, etc., je n’ai pas de I-pone pour plein d’autres raisons et donc ne puis accéder à tous ces services « dématérialisés », ( que le terme est joli, la matière étant ici, la… tout bonnement, la… matière humaine. et à quand la médecine dématérialisée et plus de mains d’infirmière qui vous tripotent, non mais!) et j’en suis infiniment heureux, on est presque seul mais c’est tellement jouissif de refuser, de dire non à ce progrés, (pas par le fait d’être seul, car je lutte, plutôt que de quémander, politiquement au renversement de ce système, le problème étant politique), n’est-ce pas, Emmaus c’est autre chose, la charité chrétienne, voyons, chers frères, (en Espagne les gens concernés sont eux descendus dans la rue, pour contester. leur mot d’ordre était quelque chose comme ça:  » Vieux peut-ètre mais pas forcément con ».) gentils Emmaus, gentil, mais en fait ce qui compte c’est l’esprit Rachel Keke et ses collègues, la lutte et la lutte pour la victoire, la lutte jusqu’au bout, c’est ce qu’il faut se mettre dans la tête, et passer aux actes. qu’avons nous à perdre, rien, il faut terrasser le travail mort dont parle Marx et cette forme de « bullshit job » dont parle Graeber.

  2. Cette précarité, qui est une « souffrance » pour certains, mot bien senti de l’auteur de cet article, est beaucoup plus répandue qu’on ne le croit ou l’imagine. Débarqué en ruralité après 30 ans dans la capitale, je vérifie régulièrement auprès de mes voisins et relations locales qui sollicitent ma connaissance de l’informatique (parfois pour simplement installer sur leur smartphone une appli ou activer une fonction), que loin de relier et de rendre accessible services et savoirs, l’informatique opacifie, complique et désarme un certain public. La « société 2.0 » porte bien son nom. Elle double la facilité pour les uns, et néantifie les autres. Et l’on nous parle de franchir le cap du 3.0 ? La « start-up nation » chère à Macron à un jumeau siamois qui lui colle à la peau dans l’ombre : la « down-to-bottom nation ». L’informatique, loin du rêve d’une société fluide, a engendré un « freak » (monstre de foire en anglais).

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