« Nous voulons accélérer le désendettement de la France« . Telle a été la raison invoquée par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, pour annoncer le 20 avril dernier d’importantes coupes dans les finances publiques à horizon 2027. Ces perspectives, contenues dans le programme de stabilité (PSTAB) transmises par l’Union européenne, devraient être présentées en conseil des ministres ce 26 avril. Le président de la Commission des finances, Eric Coquerel (LFI), n’a pas attendu pour faire part de ses inquiétudes concernant ce « plan d’austérité » à marches forcées, signant la fin du « Quoi qu’il en coûte ». Est-il d’ailleurs simplement réalisable? Pour QG, l’économiste Eric Berr, maître de conférences à l’Université de Bordeaux et membre de l’Institut La Boétie, alerte sur cette nouvelle cure d’austérité drastique, dont la réforme des retraites pourrait n’être que la mise en bouche, et souligne l’aveuglement et le dogmatisme du pouvoir, sources d’une fragilisation toujours plus profonde pour l’économie française. Interview par Jonathan Baudoin
QG : Ce jeudi 20 avril, le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire a annoncé un programme de désendettement de la France via une coupe des dépenses publiques, sans préciser exactement quelle partie du secteur public serait concernée. Est-ce une grosse cure d’austérité qui arrive après le « quoi qu’il en coûte » ?
Eric Berr : Il est certain que lorsque Bruno le Maire parle de « refroidissement de la dépense publique » afin d’accélérer le désendettement de la France il y a de quoi s’inquiéter, a fortiori quand on sait qu’Élisabeth Borne a adressé à tous ses ministres une lettre de cadrage leur demandant d’identifier 5 % de marge de manœuvre sur leur budget. Il est tout de même très surprenant d’entendre que cela serait fait au nom de la justice. En effet, Bruno Le Maire prend prétexte du fait qu’on a demandé des efforts à la population avec la réforme des retraites pour justifier qu’en contrepartie les acteurs publics devraient eux aussi faire des efforts. Cela annonce clairement de nouvelles attaques à venir contre les services publics et la protection sociale. La réforme récente de l’assurance chômage comme celle des retraites risquent de n’être que des « hors d’œuvre ».
Avec eux, c’est toujours la même logique. Reconnaissons-leur au moins le mérite de la cohérence. Il s’agit de baisser les impôts et les cotisations sociales, au nom de la compétitivité, tout en affichant leur sérieux budgétaire en cherchant à réduire le déficit public et la dette. Mais concilier baisse des recettes fiscales et baisse du déficit public ne peut se faire qu’en réduisant fortement les dépenses publiques. Et depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, ce sont les services publics et la protection sociale qui paient un lourd tribut à sa politique. Aujourd’hui, Bruno Le Maire nous annonce un tour de vis supplémentaire. Il assume clairement que la volonté d’accélérer le désendettement ne répond à aucune considération économique et financière mais est « fondamentalement un choix politique », donc purement idéologique, et malheureusement dangereux économiquement.
QG : Dans nos colonnes, l’an dernier, vous aviez déclaré que la réforme des retraites n’avait « qu’un but, celui de réduire les dépenses publiques »…
Je ne sais pas si c’est la première, parce que l’austérité budgétaire a déjà été faite sur d’autres postes. Mais pas partout non plus en effet. C’est vrai que l’on recrute des policiers, des gendarmes et non pas des infirmières ou des enseignants. C’est là aussi un choix politique, dont on voit les conséquences en matière de respect des libertés individuelles. Je dirais plutôt que la réforme des retraites est l’accélération d’un programme entamé depuis 2017. Je me rappelle que lors de l’interview que je vous avais donnée l’an dernier, vous aviez titré, en reprenant la formule que j’avais utilisée : « Macron 2, ce sera Macron 1 en pire ». Cela se concrétise malheureusement, tout simplement parce qu’Emmanuel Macron n’a plus à faire attention en vue d’une possible réélection. Là, il est libéré de cette contrainte et accélère dans une voie qui est une impasse. Ce néolibéralisme échevelé à la Thatcher est en fait un libéralisme autoritaire.
QG : Ne serait-il pas plus judicieux de couper dans les multiples aides aux entreprises (subventions, exonérations de cotisations sociales type CICE, etc.), qui représentaient 157 milliards d’euros en 2019, selon une étude de l’Institut de recherches économiques et sociales ?
Sur ces 157 milliards d’euros, il y a bien sûr des aides qui sont justifiées. Mais il y a tout un tas de niches fiscales qui n’ont aucune justification et que l’on pourrait supprimer. J’ajouterais que les réductions de recettes fiscales s’expliquent beaucoup par les exonérations fiscales et les exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises. Cela représente environ 6% du PIB chaque année. Ce n’est pas rien. La stratégie est toujours la même. Vous réduisez les recettes, cela crée du déficit et de la dette. Ensuite, vous dites : « On a un problème de dette. Il faut réduire les dépenses. » Mais à aucun moment on ne remet à plat ou on ne fait le bilan de l’efficacité de ces baisses de recettes fiscales. Est-ce que le CICE [Crédit impôt compétitivité emploi, NDLR] a été efficace ? Est-ce que le crédit impôt-recherche a été efficace ? Nombre d’études montrent que ce n’est pas le cas. Est-ce qu’ils veulent les remettre en cause ? Manifestement non. Le problème vient plutôt de là. Ce gouvernement est dans une position purement idéologique.
QG : Quelle serait la politique économique la plus adéquate pour réduire le déficit public et par ricochet la dette publique ?
Ce qui est à peu près sûr, c’est que ce ne sont pas les politiques de compétitivité reposant sur la baisse des coûts qui vont améliorer les choses. Car, en réduisant le coût du travail, vous réduisez la demande des ménages. En réduisant les recettes fiscales de l’État, vous limitez la capacité de celui-ci à investir (dans l’éducation, la santé, la recherche, la bifurcation écologique, etc.), ce qui représente aussi une moindre demande adressée à des entreprises privées. Cette logique comptable de court terme, qui a les apparences de la sagesse, est en fait contreproductive.
Le gouvernement est victime de ce que l’on appelle en économie le paradoxe des coûts. Chaque entreprise, chaque pays a individuellement intérêt à baisser ses coûts de production pour être plus compétitif et envisager des profits en hausse. Mais, si tout le monde en fait autant, personne ne devient plus compétitif que les autres. En revanche, la baisse des coûts se traduit par une baisse des revenus distribués dans l’économie, donc, une baisse de la demande. Au final, au lieu de voir les profits augmenter, ils diminuent du fait de l’insuffisance de la demande, ce qui maintient le pays dans une forme de marasme économique. Et c’est dans cette voie que le gouvernement veut nous entrainer en accélérant, et en répétant les mêmes erreurs qu’après la crise financière de 2007-2008 où le retour rapide à l’austérité budgétaire avait prolongé la crise.
C’est donc du côté de la demande qu’il faut agir, afin de permettre aux entreprises de remplir leurs carnets de commande (ce qui est pour elles leur principal problème, bien avant le niveau des coûts de production), ce qui est favorable à l’emploi. L’une des solutions serait déjà d’augmenter les salaires, au moins au même rythme que l’inflation. L’État peut aider les entreprises que cela pourrait fragiliser. Bien sûr, cela risque d’augmenter le déficit dans un premier temps. Mais si on cible bien ces hausses de salaire et si on les oriente vers des dépenses de consommation utiles socialement et écologiquement soutenables qui bénéficient à nos PME-TPE, tout cela s’avère générateur d’activité économique supplémentaire, donc de recettes fiscales additionnelles, qui participent à la réduction du déficit public et de la dette, tout en permettant de financer notre système de protection sociale sans avoir recours aux réformes brutales et régressives d’Emmanuel Macron.
QG : À vouloir à tout prix réduire le déficit public et le ramener en-dessous de 3% du PIB en 2027, le gouvernement ne risque-t-il pas de casser l’activité économique et par conséquent d’aggraver le déficit public ?
Évidemment ! Surtout qu’une inflation plus forte, si elle pénalise les revenus des ménages quand ils ne sont pas indexés, présente toutefois l’avantage de réduire mécaniquement le poids de la dette. Il n’y a donc aucune raison de s’engager dans une politique d’accélération du désendettement.
En fait, ils mènent cette politique afin de préserver la signature française, pour que les créanciers gardent confiance dans les titres de dette publique français. Or, il n’y a aucune inquiétude de la part des marchés financiers, des investisseurs – français ou étrangers –, sur la dette française, la demande pour ces titres est largement supérieure aux montants offerts. En revanche, ce qui inquiète plutôt les investisseurs, notamment à l’étranger, c’est le climat social et la gestion de la crise sociale en France par le gouvernement. Le diagnostic du gouvernement est donc faux. Et ses remèdes vont aggraver la situation et fragiliser l’économie française. Ce qui, pour le coup, pourrait à terme générer une défiance de ses créanciers à l’égard de la France.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin
Eric Berr est économiste, maître de conférences à l’Université de Bordeaux, membre du collectif les Économistes Atterrés, co-animateur du département d’économie de l’Institut La Boétie. Il est l’auteur de livres tels La dette publique, Précis d’économie citoyenne (avec Léo Charles, Arthur Jatteau, Jonathan Marie et Alban Pellegris, éditions du Seuil, 2021) ; Macroéconomie (Dunod, 2019) ; L’économie post-keynésienne (avec Virginie Monvoisin, éditions du Seuil, 2018) ; L’intégrisme économique (Les liens qui libèrent, 2017)
Photo d’ouverture : Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances sous les deux quinquennats Macron, ici photographié en 2021