« Élitisme et bullshitisme » par Alain Accardo

Le 02/02/2023 par Alain Accardo

« Élitisme et bullshitisme » par Alain Accardo

À mesure que les métiers devenaient des bullshit jobs, on a vu les élites s’affaisser aussi, loin de tout souci altruiste ou toute vie intérieure. Gagner de l’argent est devenu le but ultime, sinon unique, de tout investissement de la part des agents sociaux, du haut de la pyramide sociale jusqu’en bas. On objectera qu’il y a encore des individus capables de résister à cette perversion de l’idéal. Dans des sociétés en voie de désintégration où les puissants ne personnifient pratiquement plus que le triomphe de toutes les outrances, ces âmes d’élite sont hélas l’exception

Comment donc expliquer le fait, apparemment paradoxal que, alors qu’il n’y a jamais eu autant qu’aujourd’hui d’intelligence logique et rationnelle investie dans le fonctionnement de nos structures sociales (à des fins d’encadrement, de formation, d’enseignement, de santé, de sécurité, etc.) ce qui se traduit par une inflation considérable des effectifs des catégories intellectuelles et des professions supérieures, on n’ait pas pour autant le sentiment que le fonctionnement global de la mécanique sociale a gagné en proportion sur le plan de la qualité humaine. Nos machines à produire des diplômés en séries tournent à plein régime pour jeter sur le marché des produits qui, même quand ils sont très « haut-de-gamme », sont très décevants ; non pas des fruits secs, mais des fruits de tout-venant, dépourvus de saveur, de couleur ou de parfum, comme ces fruits d’importation, forcés sous serre et devenus immangeables. Un observateur sans préjugé du fonctionnement de nos institutions pourrait avoir le sentiment que toutes les structures sociales (surtout celles qui exigent une dose d’investissement affectif, un effort d’attention aux personnes singulières), ont subi une translation vers le bas, comme un tassement ou un affaissement en matière  de caritas humani generis, d’amour du genre humain, (je parlerai en termes plus simples de souci altruiste pour qualifier cette disposition qui nous incline, à la fois spontanément et par calcul, à ressentir une forme d’attachement ou d’intérêt pour nos semblables considérés en tant qu’individus concrets).

« Dans l’ordre établi par et sur l’argent, plus une élite dure et plus sa trivialité se révèle ; plus elle se banalise, et plus elle se répand et s’abaisse. »

L’affaiblissement contemporain du souci altruiste a pris davantage de relief avec, en particulier, la crise généralisée des structures de la Santé publique dont l’une des manifestations les plus significatives, est la motivation de moins en moins « désintéressée » des étudiants pour les filières médicales généralistes et l’extension des « déserts médicaux » qui en résulte. A l’inverse on peut voir un indice éloquent de la baisse du souci altruiste dans l’engouement des grandes entreprises et de leurs managers pour les services de gestion des ressources humaines dont les interventions rationalisées visent précisément à épargner au patronat et à ses actionnaires, le souci des personnes et des situations particulières de leurs salariés.

Plus largement, l’évolution moderne du mode de production capitaliste, caractérisée par les impératifs d’optimisation des profits, est la cause structurelle essentielle de toute une série d’effets dont une des caractéristiques communes est l’indifférence grandissante au sort personnel des salarié(e)s réduits à n’être plus que des variables d’ajustement dans les équations de la rentabilité d’une entreprise.

On conçoit par conséquent que la part grandissante du capital intellectuel, institutionnellement certifié, investi dans le fonctionnement des structures sociales, n’entraîne pas un surcroît d’humanité dans le traitement des accidentés de la concurrence généralisée. La croissance en rationalité peut se traduire, jusqu’à un certain point, par un renforcement du souci de prendre en compte les intérêts d’autrui, spécialement s’il s’agit d’un autrui démuni et socialement défavorisé et par là même potentiellement dangereux pour l’ordre établi. L’histoire contemporaine nous en offre une édifiante illustration avec l’évolution en deux temps nettement différenciés des mentalités dominantes dans le système capitaliste.

Tant qu’elles ont eu les moyens psychologiques, moraux et technologiques de l’assurer, les classes supérieures, possédantes et gouvernantes, ont abandonné la nécessaire sollicitude pour les souffrances d’autrui à l’initiative privée et à l’aide caritative, généralement soutenue par la conscience religieuse et la foi des fidèles des Eglises. Chacun avait ses saints, ses pauvres et ses malades. Avec la propagation des lumières, la modernisation de la production industrielle et la laïcisation des pratiques, les sociétés « développées » ont progressivement abandonné les interventions du type  « petite sœur des pauvres » (ou « dame patronnesse » ou « infirmière bénévole », etc.) c’est-à-dire l’engagement charitable personnel au service des pauvres et des souffrants, pour lui substituer les services publics de la Sécurité sociale et d’un système médical et assurantiel, institution dépendant aujourd’hui beaucoup moins de la disponibilité et des convictions d’un personnel soignant qui se raréfie que de la fiabilité de dispositifs technologiques plus rationnels et plus rentables mais beaucoup moins chaleureux du fait de l’hypertrophie caricaturale de la dimension administrative comptable et réglementaire.

« Les classes supérieures, possédantes et gouvernantes, ont abandonné la nécessaire sollicitude pour les souffrances d’autrui à l’initiative privée et à l’aide caritative. »

La baisse du souci altruiste (qui continue néanmoins à animer les organisations humanitaires) est certainement un des facteurs les plus agissants du sentiment de déréliction que la société moderne inflige à un nombre toujours plus grand d’individus. Alors même qu’une pression démographique croissante et bruyante, les pousse à adopter des stratégies onéreuses de fuite dans des paradis artificiels ou de retrait dans des bulles de confort, que le grégarisme touristique transforme immanquablement en leur contraire (cf par exemple, les croisières où en effet « l’enfer, c’est les autres ») ; sans même parler de cette forme de retrait suicidaire que constituent les addictions innombrables aux antidépresseurs, aux drogues douces ou dures, ou à la sexualité porno, etc.

Si, du moins, on constatait une forme d’homéostasie sociale comme il semble que les transformations structurelles en aient déjà comporté quelques occurrences, avec des paramètres qui évoluent dans un sens quand d’autres évoluent dans le sens opposé, comme pour les compenser, on pourrait se rassurer un peu sur le devenir de notre « vivre-ensemble » comme on aime à dire dans les gazettes. Si par exemple les gouvernements en place adoptaient massivement des politiques visant à développer systématiquement, sur le plan du travail comme du loisir, de la formation comme de la santé, etc., les pratiques et les consommations les plus compatibles avec le développement spirituel et les plus favorables à la vie intérieure, à l’équilibre harmonieux de toutes les potentialités de la Personne humaine (y compris dans le rapport à un socius qui ne saurait se limiter à l’instrumentalisation d’un associé d’affaires ou d’un partenaire de jeu et moins encore à l’élimination d’un concurrent). Mais hélas, ce n’est pas le cas. Ce que la modernité a en revanche parfaitement développé, c’est ce que, par analogie avec le bullshit job en économie, on pourrait appeler la bullshitisation des élites.

Il ne s’agit pas en l’occurrence de stigmatiser quelque politique de discrimination positive que ce soit pour une ouverture des formations et des recrutements supérieurs à des candidats d’origine populaire, mais d’attirer l’attention sur le fait, autrement plus important sociologiquement, que le monde moderne, a profondément modifié la procédure d’extraction de ses élites.

En effet, depuis le XVIe siècle européen et le triomphe de la Banque dans l’économie marchande, les classes supérieures aristocratiques, toujours en manque de liquidités, avaient pris l’habitude d’intégrer à leur univers privé, des membres de la bourgeoisie la plus fortunée qui, en une ou deux générations, parvenaient par simple mimétisme culturel, à se fondre dans le milieu d’accueil et à faire disparaître les stigmates de leur roture natale. Le train de vie des nobles (comme les Valois français) y gagnait en moyens financiers, et le mode de vie bourgeois (comme les Medicis italiens) y gagnait en distinction et en raffinement. Il s’agissait là d’une extension de la logique marchande à l’échange de deux capitaux également indispensables: du culturel contre du financier. De solides écus contre de délicats usages, cela peut encore s’observer de nos jours. Mais avec une différence considérable, qui a bouleversé le paysage social : pour de nombreuses raisons, telles que l’hypertrophie boursière du capital spéculatif, l’argent est devenu le capital par excellence, celui qui, à lui seul, peut tenir lieu symboliquement de tous les autres, parce qu’il est le seul à être reconnu partout et par tous, en toutes circonstances et sous toutes les latitudes. Et par conséquent, gagner de l’argent, énormément d’argent, à jeter par les fenêtres, à ne plus savoir qu’en faire, est devenu le but ultime, sinon unique, fantasmé sinon toujours réalisé, de tout investissement de la part des agents. On objectera qu’il y a encore des individus capables de résister à cette perversion de l’idéal. C’est exact, mais s’ils sont moralement remarquables, ils n’incarnent plus une tendance dominante de la société. Ils sont vestigiaux, ringards, out ! Qu’est-ce qu’une élite que la plupart des parents ne donnent pas en exemple à leurs enfants, ou alors, dont on parle avec un sourire de pitié ou une moue de réprobation, comme on faisait naguère encore pour des jeunes gens et jeunes filles entrés en religion par vocation ou au contraire par désespoir (quel gâchis ! soupirait-on) ?

« Une pression démographique croissante et bruyante pousse à adopter des stratégies onéreuses de fuite dans des paradis artificiels ou de retrait dans des bulles de confort. »

On comprend en même temps la faveur dont jouit la pratique sportive dans le monde capitaliste où elle présente l’avantage non seulement d’être elle-même une pratique d’essence entièrement capitalistique (performance, spécialisation, compétition, dépassement, record, exhibition, narcissisme, etc.) mais d’être aussi un fabuleux marché commercial. Pour ne rien dire de l’avantage ultime, auquel on pense moins, celui d’être un rempart contre la vie intérieure et ses intempestifs fantasmes d’émancipation par rapport aux attachements mondains. On imagine tous les tracas que François d’Assise et son ordre de moines mendiants auraient épargnés à l’Eglise catholique si au lieu de se comporter en quasi-hérétiques professant le mépris des biens terrestres, les Franciscains avaient pu être obsédés par les résultats du calcio et les péripéties du mercato !

Dans des sociétés en voie de désintégration où les élites ne personnifient pratiquement plus que le triomphe de toutes les outrances, le développement de la vie intérieure des individus apparaît plus que jamais, à qui veut bien y réfléchir, comme ce qu’il a longtemps été, et pour cause, un besoin ontologique fondamental de l’être humain, comme dans l’idéal antique du kalos-kagathos grec, qui se résumait dans sa devise : « rien de trop » (meden’ agan’), mais cela reste abstrait, lointain et totalement désincarné. La modernité a consommé la rupture entre les tendances centripètes de la personnalité (réflexion, concentration, persévérance, etc.) et ses tendances centrifuges (dispersion, superficialité, inconstance, etc.). La raison de ce déséquilibre est extrêmement simple dans le principe, même si cela a mis du temps à se réaliser historiquement: l’Homo Sapiens moderne est condamné à grandir à la façon d’un handicapé grave, en véritable estropié, par son mode de production économique même. C’est parce qu’elle est foncièrement incompatible avec le capitalisme et son culte de la Puissance, de l’Accumulation et de la Richesse, (qui finit inévitablement par s’exercer au détriment des autres, ceux de l’autre côté, ceux d’en face, les étrangers), que la vie intérieure a été sacrifiée par notre société au bénéfice d’une vie vouée à la productivité, à la croissance et à la compétitivité.

Ce n’est donc pas céder à un accès arbitraire de mauvaise humeur ou de mauvaise foi, de dire que l’émergence de nos élites en général, si étroitement liée à la perpétuation du mythe méritocratique individualiste, illustre avec éclat un processus d’autodestruction du système capitaliste aussi irréversible et imparable que celui de l’entropie croissante de l’énergie physique dans les systèmes naturels. La ligue de tous les Elon Musk et tous les Trump de la planète, n’y pourra rien changer. Au contraire. Dans l’ordre établi par et sur l’argent, plus une élite dure et plus sa trivialité se révèle ; plus elle se banalise, et plus elle se répand et s’abaisse.

Au vu de ce que les élites de tous les temps ont réussi à instaurer en matière de fraternité humaine, on ne peut que désespérer de jamais dépasser le stade des pieuses intentions dans ce domaine. Il a existé des âmes d’élite, leur souvenir, tel le passage périodique des comètes, illumine encore notre ciel, juste assez pour nous faire mesurer la profondeur abyssale de l’espace à parcourir pour les rejoindre. Heureux ceux qui apprennent à aimer, voilà la seule véritable élite.

Alain Accardo

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10 Commentaire(s)

  1. Bel article qui charrie fond puissant nourri de vivants échanges en commentaire
    Merci à tous à commencer par Alain pour cette belle chute torrentielle.

    Pour un peu je me ferai orpailleur pour dénicher quelques pépites à sertir en images-film. Elles pourraient joliment compléter celle que j’ai pioché dans « La Pensée en otage » pour une série animée d’épisodes et de plan-films (voir à 1’30 : https://www.youtube.com/watch?v=3lKf5ElScJg), car ce que Alain dit là de la médiocrité des élites bourgeoises qui ont fait les plus grandes écoles, il le disait déjà de l’inculture des bataillons sortis des écoles de journalisme qui servent dans les médias.

    Parler de vie intérieure en nos temps de matérialisme assourdissant est courageux et encourageant. C’est presque un acte de résistance. C’est ce qui fait la vraie richesse d’un être

  2. Encore une pleurnicherie céleste.
    « La croissance en rationalité peut se traduire, jusqu’à un certain point, par un renforcement du souci de prendre en compte les intérêts d’autrui ».
    Ben, mon colon ! C’est de la métaphysique essencialo-existentielle à la Sartre : en gros, l’homme devrait normalement être condamné à l’altruisme, comme il est condamné à la liberté (selon Sartre). Sauf qu’il y a ici un facteur essentialisant de l’altruisme chez l’homme : c’est la rationalité. Mais seulement jusqu’à un certain point. Mmmmh !

    1. Bonjour,
      Limiter ce texte à « une pleurnicherie céleste » me semble tout de même un peu court et les études en sciences cognitives montrent que le petit d’homme est doué d’empathie, c’est l’environnement social qui développe ou limite ceci. Je ne sais si l’altruisme peut être lié à ce sentiment d’empathie et il ne faut pas à mon sens laisser croire que seuls les curetons sont altruiste.
      Il me semble qu’être altruiste c’est aussi faire preuve de rationalité, il me semble…….
      Bonne journée

      1. Bonjourno.

        « Il me semble qu’être altruiste c’est aussi faire preuve de rationalité, il me semble……. »

        C’est précisément là-dessus que j’ai réagi. Je reconnais que je n’ai guère donné de chance à Alain Accardo (trop d’impulsivité sans doute).
        Non, pour moi la rationalité n’est pas au coeur de l’altruisme. Bien sûr, dans une démarche d’altruisme, comme dans toute autre démarche, on peut (il faut) être rationnel, sinon on peut « se prendre un mur » comme disent les jeunes.

        Etre rationnel, c’est comprendre et mettre en oeuvre des principes scientifiques (démontrés ou éprouvés), « pertinents » dans nos choix, nos démarches. Ca ne garantit d’ailleurs pas la réussite des objectifs visés. Surtout sur le long terme. En fait on fait toujours, aussi, des paris en plus de la science. Et rien ne se déroule jamais comme prévu.

        Mais ces choix, en amont, eux-mêmes sont-ils rationnels ? Les sentiments de justice, de pitié, de perpétuation de la vie, sont-ils rationnels ? Je ne crois pas : ils ont sans doute une histoire, une explication ! mais rationnels ? … Hegel identifiait presque « réel » et « rationnel » (« le rationnel est réel et le réel est rationnel »), donc toute réalité, même la pire, est rationnelle. Cela veut dire que toute réalité a une explication, qu’on la comprenne ou pas.

        C’est à dire, que je suis sûr que les crapules qui nous gouvernent sont parfaitement rationnelles; et c’est pour cela qu’elles sont dangereuses : elles (crapules, hommes et femmes) ont faits des choix (de vie, de camp, d’argent) et leurs démarches faites de mensonges, de saloperies …. sont essentiellement rationnelles, cad en final efficace, au moins sur le court terme et essentiellement sur l’ ENJEU de richesse. Plus rationnelles qu’elles, ça n’existe pas. La rationalité est au service du meilleur comme du pire. Les conséquences (par exemple pour la planète, pour ne pas faire de politique) elles les assument ; après elles, le déluge, advienne que pourra : ma vie d’abord; des professionnels de l’égoïsme !

        Certes, j’ai défendu ici-même l’idée qu’un individu s’instituait sujet en étant « d’abord » un acteur cad en se dressant « contre X » pour le « compte de Y », cad en « faveur de Y » (l’individu lambda « fait acteur » avec Y, contre X). Faire pour Y ! faire contre X ! ça veut dire qu’il y a de l’enjeu entre X et Y. Dans la vie, des enjeux, y’en a des milliers et donc des milliers de X et des milliers de Y (multiplicité intersectionnelle des enjeux ; multiplicité à l’origine de la « singularité » de chaque sujet).

        Mais donc, répondre aux attentes de Y face à X ressemble à de l’altruisme quasi « essentialisé » ou « naturalisé », justement comme nous le suggère Alain !!!!!!

        Sauf que non ! car ce n’est nullement de l’altruisme ici : c’est vital, tout simplement ! c’est ça ou la mort du sujet. Un individu non acteur (cad non pluriel ET non « contre ») ne devient pas sujet : il meurt. Et cela concerne aussi bien les riches salauds qui nous gouvernent que les pauvres gentils qu’ils exploitent. Un riche seul, ça n’existe pas : ce sont toujours « des » riches. Idem pour « les » pauvres. D’où la notion fondamentale de classes sociales.

        Pour faire un monde, il faut être quatre (afin que chacun puisse être dans une triangulation). La genèse, qui nous dit qu’Adam et Eve ont fait un monde à eux deux, se trompe. Au commencement ils étaient quatre.
        (Et Brassens qui affirme que « dès qu’on est plus de quatre on est une bande de cons » !!!! https://www.youtube.com/watch?v=eWS-PAC1BDg).

        Nota : par contre en philosophie, la bataille de la rationalité est importante. La philosophie est une science (elle cherche la vérité), mais science non démontrable, non prouvable facilement : la mise à l’épreuve est compliquée; c’est sur des années (l’histoire) qu’on peut démontrer le bien fondé d’assertions philosophiques. Mais l’enjeu philosophique est pourtant majeur : la philosophie est la base de l’idéologie politique : chacun des acteurs se réfère à la philosophie qui l’arrange pour démontrer la pertinence de ses choix politiques. Par exemple l’existentialisme de Heidegger ou Sartre, philosophie du « sujet isolé responsable » (donc méritant ou pas), est la philosophie sournoise qui justifie le « libéralisme » individualiste tout en se prétendant « humaniste ». Elle parait « évidente » (elle part du sujet tout fait, analysé phénoménologiquement) mais elle n’est pas scientifique car le sujet n’est pas la base de la société. Le texte de justification de Sartre « l’existentialisme est un humaniste » contredit d’ailleurs le texte antérieur « l’être et le néant » sur la question de la Liberté à laquelle nous serions « condamnés ».

        1. Bien le jour bon,
          A vous lire il me semble que nous n’avons pas la même définition de la « rationalité » .
          Pour moi être rationnel c’est englober tout le vivant il en va de la survie de notre espèce. La survie de l’espèce et sa perpétuation est un invariant de toutes les cultures et civilisations, donc pour moi les capitalistes sont tout ce que l’on veut sauf rationnels, les scientifiques modernes également (ils se spécialisent sans vue globale). D’un point de vue très court termiste votre analyse me semble juste mais d’un point de vue du vivant çà tombe à l’eau hélas polluée.
          L’humain faisant parti d’un tout (les physiciens le démontrent fort bien) extraire des petites parties de ce tout pour un prétendu confort (pour quel modèle de société) me semble totalement irrationnel. Faire de l’économie au nom de la « rationalité » est pour moi du délire et même dans leur folie de capitalisation ils ne sont même pas rationnels il n’y a qu’a voir les techniques de management moderne qui sont totalement contre productives. Pour faire court les anars sont finalement bien plus rationnels et bien moins utopistes que les capitalos. Sans vouloir faire l’apologie du bon sauvage les peuples « primitifs » sont bel et bien beaucoup plus rationnels que n’importe quel « civilisé ».
          Voili, voilou donc perso tout dépend de ce que l’on entend par rationalité.
          Petite vidéo de Maurice Godelier qui peu donner matière à réflexion dans notre petite discusion
          https://www.youtube.com/watch?v=s9LIcXqiNZs
          Bonne journée et merci pour cet échange qui me fait travailler les méninges

          1. Je comprends parfaitement ; et ce que vous dites est juste … d’un certain point de vue. On pourrait se contenter d’acter notre différence sur l’idée de « rationalité », et s’arrêter là.

            Mais on peut aussi discuter de « point de vue ». Discutons-en !

            Les êtres humains ne sont pas tous scientifiques ou capitalistes, mais le seraient-ils que ça ne changerait pas forcément leurs positions. L’enjeu écologique n’est pas le seul enjeu …. en jeu, dans la vie ! Pas de naïveté, que diantre !!!! La vie dure 80 ans, et dans 80 ans la planète sera encore vivable vraisemblablement. Il n’y a rien d’irrationnel à vouloir passer sa vie dans de meilleures conditions … que les autres ; et même à leur détriment ; ça peut être immoral -et ça l’est totalement- ou même illégal si la loi l’interdit (communisme) -et ça ne l’est pas encore- mais sinon ce n’est pas irrationnel.

            Vous-mêmes, dans vos restrictions « citoyennes » (le terme « citoyen » est à connotation morale et non pas rationnelle), vous aménagez des espaces de confort ; vous ne vous flagellez pas en durcissant votre quotidien pour être plus proche de l’idéal écologiste ; et pourtant, il y en a qui le font, qui poussent au bout du bout leur « ferveur » (le terme « ferveur » est aussi à connotation morale et non pas rationnelle). Et cette modulation de la rigueur s’explique la plupart du temps par l’existence d’autres enjeux concurrents … en jeu. Par exemple : santé, plaisir, inclusion sociale, pour ne pas dire compétition sociale etc …. qui ont certainement moins d’importance pour vous que pour d’autres, mais qui existent néanmoins. Le choix de l’enjeu écologique n’apparait rationnel qu’à ceux qui en font « préalablement » un objectif premier (= un enjeu) : alors là, oui, l’atteinte d’un objectif (ici écologique) nécessite de la rationalité dans la démarche, pour être efficace ! Mais si vous avez en plus un objectif (dés lors, concurrent) de jouissance de tous les bienfaits du capitalisme (4×4, Maldives, Hotels de luxe, Dysney Land, Courchevel, les enfants dans les écoles privées, cigarettes, wisky et p’tit’s pépées, …et Hanouna), il va falloir, rationnellement, faire des compromis. Il va vous falloir être, rationnellement, MOINS écolo, c’est sûr.

            Le fait de se foutre ou pas de l’avenir lointain de la planète n’obéit pas à des impératifs rationnels/scientifiques, mais moraux. Idem pour les questions d’égalité, de justice sociale ; n’en avoir rien à faire de tout cela n’est aucunement irrationnel ; c’est immoral c’est tout ; ça deviendrait irrationnel si ça avait des conséquences négatives sur soi-même et dans l’immédiat et pour longtemps. L’adage « charité bien ordonnée commence par soi-même » est très parlant. L’écologiste vrai qui se préoccupe de la planète recèle en lui, autre chose que de l’égoïsme comme principe moteur ; il se «prive» pour l’avenir de tous, cad se prive préalablement, et c’est un choix moral ; par contre le bobo classique cad typiquement le « bio pratiquant » qui achète fébrilement ses graines bio chez Biocoop ou Vie Claire, tout cela pour prendre soin de son petit corps chéri, est mu, lui, par un principe plutôt égoïste. L’écolo conséquent devrait rationnellement être décroissantiste ET donc anticapitaliste (c’est la « croissance économique » qui cause la « décroissance écologique » ; il faut renverser la vapeur) : tout ça le capitaliste, il n’en a rien à foutre : sa rationalité il la réserve pour son fric, pas pour la planète. Inutile d’essayer de le convaincre : ce qui compte pour lui (« ses » enjeux) n’est pas ce qui compte pour vous (« vos » enjeux). La multiplicité des enjeux d’un sujet, et donc obligatoirement la multiplicité de ses « alliances » et de ses « oppositions » (avec chacune leur avant garde et leur arrière garde) c’est l’intersectionnalité.

            Mais Lénine (qui est notre seule solution rationnelle actuellement et pour longtemps … ; … avec une bonne dose de Staline aussi) a prévenu qu’un jour le capitaliste finirait par être pendu avec la corde qu’il a vendue. Ne voulant pas être en reste, Staline a rajouté : « qui offre un couteau, périra par le couteau ! ». A bon entendeur !

            Pour finir, je pense que le bon sauvage n’avait strictement aucune préoccupation écologique. Ses choix étaient dictés par l’efficacité locale, dans une perspective d’ «économie» locale. Les montages religieux ont dû s’accroitre avec la stratification sociale (différenciation des enjeux) : début de la production idéologique pour régir les comportements de façon vivables avec l’augmentation des enjeux contradictoires (dont court terme, long terme).

        2. Rebonjour,
          Une petite précision, lorsque je parle  » d’englober tout le vivant » je ne parle pas de la survie de la planète (qui au passage se moque bien de nos considérations) mais de la survie de l’espèce.
          La survie de l’espèce a été la motivations principale de l’humain jusqu’à l’homme moderne. Pendant des millénaires l’homme ne prélevait que ce dont il avait besoin et pas plus, il régulait même les naissances (on a retrouvé des plantes abortives dans des bourses d’hommes préhistoriques) l’anthropologue Sallins fait un bon topo de tout ceci dans son ouvrage ;chasseurs cueilleurs société d’abondance. Les délires actuels des écolos ne me semblent absolument pas rationnels pour la survie de l’espèce, je vous aie déjà parlé il me semble des travaux de la géologue Aurore Stéphant, de l’historien Jean Baptiste Fressoz et d’autres qui démontent le délire du capitalisme vert.
          Il fut un temps pas si lointain ou dans les campagnes lorsqu’on plantait un arbre c’était pour les générations futures tout comme les maisons devaient durer dans le temps long. Oui certaines cultures ont voulu vivre « mieux » que les générations précédentes (avant le capitalisme) mais toujours en pensant aux générations futures et non à leur détriment, par contre bien d’autres civilisations et cultures n’ont pas recherché ces « meilleures conditions » et ont privilégié la continuité de l’espèce (ne voyez dans ces propos aucune valeur morale).
          Cette petite précision apporté, je peux être à peu près d’accord avec votre approche.
          Pour continuer la route des différents points de vue, encore un petit coup de Godelier
          https://www.youtube.com/watch?v=-8Uvk6nxCyo
          Bonne écoute et les points de vue des autres me font toujours réfléchir car notre ignorance à tous et toutes est grande, c’est ce qui me fait aimer d’ailleurs les travaux de certaines et certains d’anthropologues

          1. On se rapproche. C’est bien , sauf :

            « La survie de l’espèce a été la motivations principale de l’humain jusqu’à l’homme moderne ».

            Là, non je ne valide pas. Mais alors pas du tout. D’une part l’humain en général (l’humanité) n’existe pas en tant qu’entité téléologiquement équipée (cad qui peut avoir des projets, des intentions). Et l’individu isolé, vraiment tout seul, n’existe pas non plus car il est mort-né.

            Ce qui a existé et existe encore, ce sont des groupes, des clans, qui se recomposent, évoluent et qui peuvent former des projets. Il y a eu des clans, des tribus, des nations, toutes équipées organisationnellement. Mais, de l’Humanité en tant que groupe organisé et pouvant former des projets, non, non, jamais. L’Humanité n’existe pas sinon comme simple forme biologique (comme des arbres, ou comme branche du règne animal au sens biologique : d’ailleurs les loups se mangent entre eux parait-il). La seule chose visée par un groupe organisé d’humains ça n’a jamais été que la survie de ce groupe cad de l’entité organisationnelle dans laquelle vivent obligatoirement les individus.

            Et ces clans, ces groupes se sont toujours, ou souvent, massacrés joyeusement entre eux, pour des raisons souvent aussi économiques, mais centrées sur le clan. Voir le blog de Christophe Darmangeat, ethnologue reçu par QG.

            Je connais très bien Godelier, le marxiste de passage, cad l’ex-marxiste. Les ethnologues, dans leurs interprétations, se projettent aussi souvent (avec ou sans intentions politiques).

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