La gauche vaut-elle une grève de la faim? par Aude Lancelin

Le 01/01/2022 par Aude Lancelin

La gauche vaut-elle une grève de la faim? par Aude Lancelin

L’union de la gauche n’aura pas lieu, elle n’a jamais eu la moindre chance d’avoir lieu. Alors que des militants entament une grève de la faim afin d’obtenir de leurs chefs une candidature unique, la fondatrice de QG s’interroge sur la notion même de camp de la gauche, qui ne regroupe plus que des carpes et des lapins. Retrouvez sa chronique chaque semaine sur notre site

On apprend donc qu’une poignée de militants, dont certains évidemment à peine sortis de l’œuf et fort ingénus, viennent d’entamer une grève de la faim afin que « la gauche » se mette en ordre de bataille pour 2022 derrière une candidature unique. « On espère que cette violence qu’on inflige à nos corps fera réagir les candidats » affirme l’une d’entre elles, interrogée le 7 janvier dernier par nos confères de Libération. « On pousse un cri du corps, un cri du ventre. On crie famine parce qu’on a faim d’autre chose », complète son camarade gréviste, un jeune militant climat. Après la gauche du cœur des années 1990, la gauche du corps des années 2020, donc. Deux façons d’échouer avec les meilleures intentions du monde depuis plus de trente ans. Ce qu’on attend toujours, et qui n’est toujours pas venu, c’est la gauche du peuple. Celle qui renouerait avec les aspirations des classes populaires, et gagnerait à nouveau leur confiance. Une opération prendrait il est vrai plus de trois mois, et aurait dû a minima commencer aux lendemains de la victoire d’Emmanuel Macron en 2017.

À quoi bon en effet s’affamer pour obtenir aux forceps une manœuvre politicienne de dernière minute, contraignant des carpes et des lapins à produire une nouvelle chimère ? Un monstre politique condamné à échouer quel que soit le cas de figure en 2022 : soit au moment de l’élection au printemps prochain, car ce candidat unique n’a désormais quasiment plus aucune chance d’être au second tour ; soit en aval de l’élection, vautré dans le reniement et l’imposture comme Syriza hier en Grèce, plateforme de gauche qui se vit condamnée à appliquer avec de plus en plus de zèle les purges de la Troïka, ou comme Hollande en France, bienfaiteur du CAC 40 cyniquement élu sur une déclaration de guerre à la finance.

Car de quelle « gauche » française au juste parle-t-on aujourd’hui, en ce début d’année 2022 ? Qui sont ces gens que l’on veut voir communier œcuméniquement pour que des processions entières d’électeurs, qui n’attendraient plus que ce signal, se précipitent dans l’isoloir afin de la porter au firmament élyséen ? La gauche bifteack-pinard de Fabien Roussel, secrétaire général du PC, qui défila en mai dernier aux côtés de syndicats de police violents et corrompus, ayant applaudi au martyre des Gilets jaunes ? La gauche d’Olivier Faure, secrétaire général du PS, qui se disait prêt à rejoindre Macron en vue de mettre en place, là encore, « une grande coalition », et a les yeux de Chimène pour le racisme anti-arabe à fleur de peau du Printemps Républicain, sous couvert de défense des valeurs laïques ? La gauche d’EELV, qui a produit des piliers du régime macroniste comme François De Rugy, ex-candidat à la primaire socialiste en 2017, ou Barbara Pompili, ex-secrétaire d’État de Manuel Valls ? Est-ce ce genre de pot-pourri constitué de tout ce qui s’est fait de pire en France depuis trente ans que l’on veut voir porté à la tête de notre pays ? Est-ce un nouveau François Hollande que l’on aspire à voir gouverner, lui qui nomma Emmanuel Macron conseiller à l’Élysée, puis ministre de l’économie, sous les injonctions directes du patronat (Voir l’interview vidéo de Gérard Davet et Fabrice Lhomme sur QG, « Macron, un quinquennat fatal »?

Le jeudi 6 janvier à Paris, 12 militants dont l’eurodéputé Pierre Larrouturou, et la fille de Stéphane Hessel, ont entamé une grève de la faim pour réclamer un candidat de gauche unique en 2022, arguant notamment de l’urgence climatique

Prenons ici le risque de désespérer le canal Saint-Martin et ses activistes, plein de bonnes intentions. L’union de « la gauche » n’aura pas lieu, elle n’a jamais eu la moindre chance d’avoir lieu. La partition était écrite d’avance, depuis des années en réalité, et ces bousculades de dernière minute ne sont qu’un numéro pour tromper la galerie, joué par des acteurs eux-mêmes bien fatigués. Entre le langage techno-sacrificiel de Christiane Taubira, ex-ministre conciliante de Manuel Valls, et les postures d’Anne Hidalgo, jouant à la prima donna recevant des fleurs devant une salle vide, aucune personne avertie ne pouvait imaginer que le PS, quoiqu’entièrement déchu et moribond, renoncerait à présenter un candidat en 2022. Autant décréter sa propre dissolution comme le fit le Parti communiste italien en 1991, mais les socialistes français n’ont pas ce courage et la soupe reste bonne pour les élus en France.

Nul ne pouvait non plus imaginer sérieusement que les leaders d’EELV, ayant attrapé une tête grosse comme un chou-fleur après les municipales, qui virent de nombreux verts inconnus s’emparer de grandes villes françaises, ne se rêveraient pas en vote refuge d’un électorat macroniste aux abois, cherchant un supplément d’âme raisonnable et surtout peu coûteux en termes de tranches d’imposition. Aucune ne pouvait, surtout, prêter à tous ces braves gens le moindre désir sincère de s’allier à Jean-Luc Mélenchon, véritable abcès de fixation de toute cette gauche faillie, bête noire de chacun d’entre eux, individuellement et collectivement, celui-ci étant depuis plus de dix ans leur mauvaise conscience. C’est même l’exact contraire : deux ans avant la présidentielle, la plupart des marionnettistes inspirant ou finançant la galaxie social-démocrate, qui s’agitaient en coulisses en faveur d’une union-de-la-gauche, le faisaient dans le but prioritaire de barrer la route au chef des Insoumis.

On ne reviendra pas ici sur les raisons qui ont poussé ce dernier, quoique se sachant irrémédiablement clivant, à se présenter une dernière fois. Un scénario alternatif étaient pourtant envisageable, à commencer par une candidature François Ruffin, qui eut été bien accueillie par les militants LFI, et qui, notamment depuis son tournant écologiste, présentait de nombreux atouts pour une proposition inédite d’alliance entre classes populaires et frange éclairée des centre-villes. Des Gilets jaunes aux profs repentis du socialo-macronisme en passant par les militants climat, le député-réalisateur de « Merci Patron ! », était sans doute l’un des rares à être doté d’un spectre assez large pour réconcilier des électorats aussi profondément déchirés. Par chance générationnelle, il n’avait pas de passé PS à purger, et son côté éternel galopin quadragénaire aurait même offert aux communicants avides de stories alléchantes des unes convaincantes face à Macron.

Las, le leader historique a préféré y aller. Orgueil de celui qui se sait le meilleur de son camp, et à qui les menteurs et les laquais journalistiques ont refusé des années durant le titre, truquant sans répit les balances du débat public. Mélenchon a remis la vraie gauche debout, un bilan que personne ne pourra lui contester. Il a tout enduré, reçu tous les coups. Y compris les plus minables. On a exhibé son visage à la rentrée 2018, hors de lui, en une de toute la presse Bernard Arnault, en prime time de toutes les chaînes d’info Drahi, Bolloré et Bouygues, de tous les organes du mensonge, et autres machines à détruire l’intelligence collective. Comme s’il n’y avait pas de sainte colère parfois. Comme si la violence feutrée des conseils d’administration où se décident par milliers des licenciements ouvriers était moins violente que celle d’un homme qui se pensait, sûrement à raison d’ailleurs, victime d’une persécution d’État.

Perquisitions au siège de la FI en 2018 : des semaines durant, le visage défiguré de Jean-Luc Mélenchon apparaîtra dans tous les médias, alimentant le storytelling d’un leader insoumis inapte à gouverner et bordeline. Ici, la une du 18 octobre du Parisien, propriété de Bernard Arnault

On ne jugera donc pas une telle décision, que tous les autres auraient prise sans doute s’ils ne stagnaient pas autour de 1 à 3% des sondages d’opinion. Mais la bête politique qu’il est sait très bien en revanche que, sauf événement extraordinaire du genre très improbable et grave, comme celui imaginé dans le nouveau roman de Houellebecq, Anéantir (Flammarion), et encore, il n’a aucune chance d’être présent au second tour de la présidentielle prochaine dans une France ravagée par des années de mensonges publics, prête à voter à nouveau pour les pillards de l’hôpital public et de l’industrie nationale, prête à charger la mule immigrée ou non-vaccinée de tous les maux, et bientôt mûre, après des années de bourrage de crâne et de chantage sécuritaire, à se soumettre à un système de crédit social voué à repousser définitivement dans les marges les mal-pensants et les pauvres. Ceux qui ont compris, il y en a de plus en plus, ne voteront pas en 2022. Seul le silence les exprimera face à une situation aussi accablante.

On ne s’interdira donc pas, pour revenir à notre sujet initial, de trouver assez navrant de faire croire encore à une union possible, et surtout souhaitable, à de jeunes militants, pour la plupart ignorants des turpitudes de ce qu’on appelle encore par paresse et habitude « la gauche ». Ignorants de l’ennemi de classe que sont le Parti Socialiste, ses satellites, ses faux dissidents, et aussi ses partis frères à la sauce écologiste, lorsque des configurations de type « gauche plurielle » voient en effet le jour comme en 1997 et débouchent sur la plus grande vague de privatisations jamais connue par la France, de France Telecom à Air France. Un parti qui était tout de même prêt à plébisciter comme candidat à la présidentielle en 2012 un directeur général du FMI, que seule une accusation de crime sexuel, mondialement médiatisée et enterrée à coups de millions de dollars, aura finalement empêché de se présenter au nom du parti de Jaurès. Un parti qui, en 2017, aura aussi servi de simple cheval d’arçon vers l’Élysée à un ex-banquier d’affaires Rothschild, et constitue aujourd’hui, autant que la droite extrême dont ses renoncements sont le carburant, un danger public pour la France.

Aude Lancelin

Texte issu du blog d’Aude Lancelin : Le feu à la plaine

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2 Commentaire(s)

  1. Il serait intéressant pour éviter des incompréhensions que chacun précise qui, pour lui, est de gauche et qui est de droite ? je parle de droite et gauche en matière « socio-économique » seulement, pas en matière « sociétale ».
    Sur la photo :
    – à droite, je vois 3 leaders de droite mais il manque Roussel (l’extrême droite socio-économique n’est pas sur la photo : Pécresse, Macron, Faure, Zémmour, LePen, et affiliés).
    – à gauche, je vois un leader de la gauche modérée (Mélenchon)
    Les grévistes de la fin, qui veulent grouper la gauche, veulent-ils grouper Mélenchon avec lui-même ? ou pensent-ils au NPA et LO ?
    Parce que s’ils veulent le grouper avec les 3 de droite sur la photo, ça veut dire qu’ils veulent le grouper avec la droite; ce qui veut dire qu’ils rament pour la droite en fait.

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